Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Marseille, en premier lieu, d'annuler l'arrêté du 24 juin 2024 par lequel le préfet des Bouches-du-Rhône a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays à destination duquel il est susceptible d'être reconduit d'office et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français pendant une durée de cinq ans, et, en second lieu, d'enjoindre au préfet des Bouches-du-Rhône, à titre principal, de lui délivrer un titre de séjour mention vie privée et familiale à titre provisoire dans un délai d'un mois à compter de la notification du jugement, sous astreinte de 100 euros par jour de retard et, à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation dans les mêmes conditions et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour pendant la durée du réexamen.
Par un jugement n° 2412978 du 19 décembre 2024, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Marseille a annulé l'arrêté préfectoral du 24 juin 2024 et enjoint au préfet des Bouches-du-Rhône de délivrer à M. A... un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans le délai d'un mois à compter de la notification du présent jugement.
Procédure devant la Cour :
I. Par une requête, enregistrée le 24 décembre 2024 sous le n° 24MA03250, le préfet des Bouches-du-Rhône demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de rejeter la demande de première instance.
Il soutient que :
- le jugement est entaché d'un défaut de motivation ;
- son motif est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- les moyens présenté par M. A... sont tous infondés.
Par un mémoire en défense, enregistré le 30 janvier 2025, M. A..., représenté par Me Dalançon, demande à la Cour :
1°) de l'admettre au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire ;
2°) de rejeter la requête d'appel ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 ou, en cas de rejet de la demande d'admission à l'aide juridictionnelle provisoire, sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- sa requête est recevable ;
- l'arrêté attaqué est insuffisamment motivé ;
- il est entaché d'un défaut d'examen sérieux de sa situation ;
- la décision refusant de lui délivrer un titre de séjour est entachée d'un vice de procédure à défaut de consultation de la commission du titre de séjour ;
- cette décision est entachée d'erreur de droit, dès lors que sa demande n'a pas été examinée sur le fondement de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle viole l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle méconnaît les articles L. 423-23, L. 425-9 et L. 432-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation au regard de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- la décision portant obligation de quitter le territoire est illégale en raison de l'illégalité de la décision refusant de lui délivrer un titre de séjour ;
- cette décision viole l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle méconnaît les articles L. 423-23 et L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- la décision portant interdiction de retour sur le territoire est illégale en raison de l'illégalité de la décision d'obligation de quitter le territoire français ;
- cette interdiction est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- elle est disproportionnée ;
- la décision fixant le pays de destination est illégale en raison de l'illégalité de la décision d'obligation de quitter le territoire français ;
- cette décision viole l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
II. Par une requête, enregistrée le 24 décembre 2024 sous le n° 24MA03254, le préfet des Bouches-du-Rhône demande à la Cour de prononcer le sursis à exécution du jugement du 19 décembre 2024.
Il soutient que ses moyens sont sérieux et de nature à entraîner le rejet de la demande d'annulation présentée par M. A....
Par un mémoire en défense, enregistré le 30 janvier 2025, M. A..., représenté par Me Dalançon, demande à la Cour :
1°) de l'admettre au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire ;
2°) de rejeter la requête d'appel ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 ou, en cas de rejet de la demande d'admission à l'aide juridictionnelle provisoire, sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il présente les mêmes moyens que dans la précédente affaire.
Par des décisions du 24 janvier 2025, le bureau d'aide juridictionnelle a accordé à M. A... le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale.
Vu :
- les autres pièces des dossiers ;
- la décision du président de la Cour désignant M. Renaud Thielé, président assesseur de la 6ème chambre pour présider, en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative, la formation de jugement.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Renaud Thielé, rapporteur,
- et les observations de Me Dalançon pour M. A..., présent.
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., ressortissant de nationalité marocaine né le 19 septembre 1990, déclare être entré en France pour la dernière fois en 2003, à l'âge de douze ans, et bénéficié d'une carte de séjour temporaire renouvelée jusqu'au 15 décembre 2018. Le 3 août 2023, il a demandé à être admis au séjour au titre de la vie privée et familiale. Par un arrêté du 24 juin 2024, le préfet des Bouches-du-Rhône a rejeté cette demande et lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et interdiction de retour pendant une période de cinq ans. Après l'expiration du délai de départ volontaire de trente jours, M. A... a été interpellé le 10 décembre 2024 et a été placé en rétention administrative. Par le jugement attaqué, dont le préfet relève appel, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Marseille a annulé cet arrêté et enjoint au préfet de délivrer à M. A... une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale ".
Sur la demande d'admission à l'aide juridictionnelle provisoire :
2. L'aide juridictionnelle totale ayant été accordée à M. A..., il n'y a plus lieu de statuer sur cette demande.
Sur le bien-fondé du jugement :
3. Pour rejeter la demande d'admission au séjour de M. A..., le préfet des Bouches-du-Rhône a retenu que le comportement de celui-ci représentait une menace pour l'ordre public au sens de l'article L. 432-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qui prévoit que " La délivrance d'une carte de séjour temporaire ou pluriannuelle ou d'une carte de résident peut, par une décision motivée, être refusée à tout étranger dont la présence en France constitue une menace pour l'ordre public ".
4. Il ressort des mentions de l'arrêté attaqué et des écritures du préfet que M. A... a été condamné par le tribunal correctionnel de Marseille, le 10 mai 2013, à un an et six mois d'emprisonnement pour violence commise en réunion, le 14 mai 2013 à quatre mois d'emprisonnement pour outrage à une personne dépositaire de l'autorité publique et rébellion, le même jour à six mois d'emprisonnement pour menace réitérée de crime contre les personnes et violence par une personne agissant sous l'emprise manifeste de produits stupéfiants. Le 16 juin 2015, il a été condamné par la cour d'appel d'Aix-en-Provence à une peine de six mois d'emprisonnement pour menace de mort à l'encontre d'un dépositaire de l'autorité publique et outrage à une personne dépositaire de l'autorité publique. Le 14 février 2017, il a été condamné par le tribunal correctionnel d'Aix-en-Provence à une peine de trois ans d'emprisonnement, dont un an avec sursis pour vol par ruse, effraction ou escalade. Le 5 février 2018, il a été condamné par le tribunal correctionnel d'Aix-en-Provence à une peine de cinq mois d'emprisonnement pour vol par effraction dans un local d'habitation ou un lieu d'entrepôt. Le 30 août 2018, il a été condamné par le tribunal correctionnel de Marseille à une peine de deux ans et six mois d'emprisonnement pour extorsion par violence. Le 6 septembre 2022, il a été condamné par la cour d'appel d'Aix-en-Provence à une peine de quatre mois d'emprisonnement pour outrage à une personne chargée d'une mission de service public, violence aggravée et menace de mort à l'encontre d'un chargé de mission de service public.
5. Ces condamnations récurrentes, dont la dernière est récente, permettent d'établir que M. A... représente une menace pour l'ordre public d'une gravité telle qu'elle justifiait, en dépit de l'ancienneté de sa résidence en France et de la présence sur le territoire national de ses parents et de trois des cinq membres de sa fratrie, le refus d'admission au séjour qui lui a été opposé. Si M. A... soutient que, compte tenu de son état de santé et son environnement familial, il a récemment cessé de représenter une menace pour l'ordre public, cette inflexion de son comportement n'est, en l'état de l'instruction, pas suffisamment étayée. Le préfet est donc fondé à soutenir que c'est à tort que la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Marseille a retenu la méconnaissance de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et la violation de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
6. Il y a lieu pour la Cour, saisie par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens présentés par M. A... à l'appui de sa demande de première instance.
7. Aux termes de l'article L. 432-13 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Dans chaque département est instituée une commission du titre de séjour qui est saisie pour avis par l'autorité administrative : / 1° Lorsqu'elle envisage de refuser de délivrer ou de renouveler la carte de séjour temporaire prévue aux articles (...) L. 423-23 (...) à un étranger qui en remplit effectivement les conditions de délivrance (...) ".
8. Dès lors qu'un étranger auquel le préfet envisage de refuser le séjour remplit effectivement les conditions énoncées pour obtenir une carte de séjour portant la mention " vie privée et familiale " sur le fondement des articles L. 423-1 à L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le préfet est tenu de soumettre son cas à la consultation de la commission du titre de séjour prévue par l'article L. 312-1, sans que puisse y faire obstacle la circonstance que sa présence en France constitue une menace pour l'ordre public.
9. Or, ainsi que ne le conteste pas sérieusement le préfet, M. A..., qui réside en France de manière continue depuis l'âge de douze ans avec ses parents et la majeure partie de sa fratrie, remplissait, indépendamment de la menace qu'il représente pour l'ordre public, les conditions pour bénéficier de la carte de séjour temporaire prévue par l'article L. 423-23.
10. Dès lors, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens soulevés à l'appui de sa demande, M. A... est fondé à soutenir que le préfet ne pouvait rejeter sa demande d'admission au séjour sans avoir au préalable saisi la commission du titre de séjour.
11. Il résulte de ce qui précède que le préfet n'est pas fondé à se plaindre de ce que la magistrate désignée a fait droit à la demande d'annulation présentée par M. A.... En revanche, le nouveau motif retenu par la Cour implique seulement qu'il soit enjoint au préfet, sur le fondement de l'article L. 911-2 du code de justice administrative, d'instruire à nouveau la demande de M. A..., dans un délai qu'il y a lieu de fixer à deux mois et sans qu'il y ait lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte. Il y a donc lieu de réformer le jugement attaqué sur ce point.
12. Le présent arrêt statuant au fond sur la requête du préfet, sa demande de sursis à exécution du jugement est devenue sans objet.
13. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat, dans les deux affaires, une somme globale de 1 500 euros à verser au conseil de M. A... en application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
D É C I D E :
Article 1er : Il n'y a plus lieu de statuer sur la demande d'octroi de l'aide juridictionnelle provisoire.
Article 2 : L'article 2 du jugement n° 2412978 du 19 décembre 2024 est annulé.
Article 3 : Il est enjoint au préfet des Bouches-du-Rhône d'instruire à nouveau la demande d'admission au séjour présentée par M. A... et d'y statuer dans un délai de deux mois.
Article 4 : Il n'y a plus lieu de statuer sur la demande de sursis à exécution présentée dans la requête n° 24MA03254.
Article 5 : L'Etat versera à Me Dalançon une somme de 1 500 euros, sous réserve qu'il renonce à percevoir la part contributive de l'Etat dans l'aide juridictionnelle.
Article 6 : Le surplus des conclusions des deux requêtes est rejeté.
Article 7 : Le présent arrêt sera notifié au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur, à M. B... A... et à Me Dalançon.
Copie en sera adressée au préfet des Bouches-du-Rhône.
Délibéré après l'audience du 3 février 2025, où siégeaient :
- M. Renaud Thielé, président assesseur, présidant la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,
- Mme Isabelle Ruiz, première conseillère,
- M. Laurent Lombart, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 17 février 2025.
Nos 24MA03250, 24MA03254 2