(Deuxième Chambre)
Vu la requête, enregistrée le 19 juillet 1993 présentée par M. Christian Y... domicilié ... CH-1248 Hermance et ayant fait élection de domicile à Saint-Aubin-en-Charollais (71430), domaine de Poujux ;
M. Y... demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement en date du 20 avril 1993 par lequel le tribunal administratif de Dijon a rejeté sa requête tendant à la décharge des cotisations d'impôt sur le revenu auxquelles il a été assujetti au titre des années 1982, 1983 et 1984 ;
2°) d'accorder les décharges demandées ;
Vu le jugement attaqué ;
Vu le mémoire en défense enregistré le 13 janvier 1994, présenté par le ministre du budget ; le ministre conclut au rejet de la requête ;
Vu le mémoire en réplique, enregistré le 10 avril 1995, présenté pour M. Y... par Me Philippe X..., avocat au barreau de Nancy ; il tend aux mêmes fins que la requête, par les mêmes moyens ;
Vu le deuxième mémoire en défense enregistré le 11 juillet 1995 présenté par le ministre du budget ; il conclut aux mêmes fins que le premier mémoire, par les mêmes moyens ;
Vu l'ordonnance en date du 2 août 1995 par laquelle l'instruction a été close le 21 août 1995 ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code général des impôts ;
Vu le livre des procédures fiscales ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Les parties ayant été dûment averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 12 octobre 1995 :
- le rapport de Mme FELMY, Conseiller-Rapporteur,
- et les conclusions de M. COMMENVILLE, Commissaire du Gouvernement ;
Considérant que pour contester les compléments d'impôt sur le revenu auxquels il a été assujetti au titre des années 1982, 1983 et 1984, M. Y... soutient qu'il avait transféré son domicile en Suisse où il exerçait à titre personnel une activité salariée, son épouse exploitant une agence commerciale à Genève où elle était titulaire d'un bail commercial ;
Sur le domicile fiscal :
Considérant d'une part qu'aux termes de l'article 4.A du code général des impôts "les personnes qui ont en France leur domicile fiscal sont passibles de l'impôt sur le revenu en raison de l'ensemble de leurs revenues ; - celles dont le domicile est situé hors de France sont passibles de cet impôt en raison de leurs seuls revenus de source française" ; qu'aux termes de l'article 4.B dudit code "sont considérés comme ayant leur domicile fiscal en France au sens de l'article 4.A : - a) les personnes qui ont en France leur foyer ou le lieu de leur séjour principal ; - b) celles qui exercent en France une activité professionnelle, salariée ou non à moins qu'elles ne justifient que cette activité y est exercée à titre accessoire - c) celles qui ont en France le centre de leurs intérêts économiques" ;
Considérant d'autre part qu'aux termes de l'article 4 de la convention conclue le 9 septembre 1966 entre la France et la Suisse en vue d'éviter les doubles impositions en matière d'impôt sur le revenu et la fortune "1) Au sens de la présente convention, l'expression "résidant d'un état contractant" désigne toute personne qui, en vertu de la législation dudit Etat, est assujettie à l'impôt dans cet Etat en raison de son domicile, de sa résidence, de son siège de direction ou de tout autre critère de nature analogue. 2) Lorsque selon la disposition du paragraphe 1, une personne physique est considérée comme résident de chacun des états contractants, le cas est résolu d'après les règles suivantes : a) cette personne est considérée comme résident de l'état contractant où elle dispose d'un foyer d'habitation permanent, cette expression désignant le centre des intérêts vitaux, c'est-à-dire le lieu avec lequel ses relations personnelles sont les plus étroites" ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction que M. Y... a résidé en 1982 avec son épouse et ses enfants en premier lieu dans la commune de Fillinges (Haute-Savoie), puis dans la commune de Saint-Aubin-en-Charollais où il a acquis le 13 juillet 1982 une propriété qu'il rejoignait chaque fin de semaine ; que Mme Y... y exerçait l'activité d'éleveur de chevaux au titre de laquelle elle a fait l'objet de la fixation de forfaits bénéfices agricoles pour les années 1983 et 1984 ; que les enfants alors âgés de 6 et 11 ans ont été scolarisés successivement dans ces deux communes et jusqu'en septembre 1986 en ce qui concerne Alexandre Y..., Isabelle Y... étant scolarisée à Paray-le-Monial de Septembre 1982 au 5 janvier 1984 ; que M. Y... était inscrit comme chômeur en 1982 et a perçu à ce titre des allocations ASSEDIC pendant 9 mois pour un montant de 44 983 F ; que M. et Mme Y... possédaient pendant la période litigieuse divers comptes bancaires en France dans plusieurs établissements qu'ils utilisaient régulièrement ; que les déclarations de revenu global mentionnant la déduction d'intérêts d'emprunts souscrits pour l'acquisition de sa résidence principale à Saint-Aubin-en-Charollais ont été déposées au titre de chacune des années 1982, 1983 et 1984 auprès du centre des impôts de Monceau-les-Mines ; qu'il résulte de ce qui précède que M. Y... doit être regardé comme ayant son domicile fiscal en France au sens de l'article 4.A-a précité ;
Considérant cependant qu'il n'est pas contesté que M. Y... a été soumis aux impôts communaux et cantonaux en Suisse où il exerçait une activité salariée ; qu'il convient dès lors d'appliquer à son cas le premier des critères subsidiaires énoncés au 2 de l'article 4 de la convention précitée ; que la notion de foyer d'habitation permanent retenue par ce dernier texte doit être définie en fonction d'éléments d'appréciation relatifs à la personne du contribuable et non à son patrimoine ;
Considérant que si M. Y... disposait d'une résidence à Hermance (Genève) depuis le 22 décembre 1981, d'un permis de séjour B délivré par les autorités helvétiques et était assujetti aux impôts cantonal et communal, son épouse séjournait en France où elle exerçait l'activité d'entrepreneur agricole nécessitant une présence constante et où ses deux enfants étaient scolarisés ; qu'il n'est pas démontré que Mme Y... aurait exercé en Suisse une activité professionnelle alors même qu'elle aurait disposé d'un bureau à Genève et d'un téléphone ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les liens avec la France étaient plus étroits que ceux qui résultent entre la Suisse et le requérant, indépendamment du fait qu'il disposait d'une résidence, qu'il y exerçait son activité salariée et du montant des revenus imposables dans l'un ou l'autre Etat ; qu'ainsi M. Y... doit être regardé comme ayant eu en France de 1982 à 1984 son domicile fiscal au sens des dispositions précitées de la convention franco-suisse ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. Y... ayant son domicile fiscal en France, il était passible de l'impôt sur le revenu à raison de l'ensemble de ses revenus des années 1982, 1983, 1984 ;
Sur le bien-fondé des impositions contestées :
Considérant que pour demander la réduction des compléments d'impôt litigieux M. Y... fait valoir d'une part qu'il justifie de l'origine des apports espèces réalisés en 1982 pour l'achat de sa résidence et d'autre part qu'il y a lieu de déduire des sommes taxées d'office au titre de 1983 et 1984 les revenus d'origine suisse dont il a bénéficié ;
En ce qui concerne l'année 1982 :
Considérant que le compte bancaire de M. Y... a été crédité le 7 juillet 1982 de deux sommes provenant d'espèces déposées d'un montant de 500 000 F chacune ; que M. Y... fait valoir selon l'attestation que lui a remise le crédit commercial de France (Suisse) qu'il disposait au 31 décembre 1981 de deux dépôts fiduciaires de 200 000 francs suisses et 165 000 florins hollandais qui ont fait l'objet de transferts le 7 juillet 1982 ;
Considérant qu'il résulte des pièces du dossier que les sommes précitées détenues au 31 décembre 1981 ont fait l'objet sur les comptes suisses de dépôts et retraits successifs au cours du premier semestre 1982 puis d'un prélèvement le 6 juillet 1982 de la totalité des sommes de 214 728 francs-suisses et 174 703,89 florins hollandais ; que les comptes français ont été crédités d'apports en espèces le 7 juillet 1982 des montants de 500 000 F et 300 000 F ; que les documents présentés établissent d'une part que ces sommes étaient disponibles au 1er janvier 1982 d'autre part qu'elles ont été prélevées le 6 juillet 1982 en Suisse et déposées en France le 7 juillet 1982 ; que M. Y... démontre ainsi la corrélation existante entre les sommes dont il était détenteur au 1er janvier 1982 et les dépôts en cause réalisés le 7 juillet 1982 ; qu'il y a donc lieu à hauteur de la somme de 800 000 F d'accorder la réduction des bases d'imposition demandée pour 1982 ;
Considérant en revanche que M. Y... n'établit pas que la somme de 530 000 F déposées en espèces chez le notaire le 13 juillet 1982 aurait pour origine soit des sommes transférées, soit le montant de la vente d'un bien immobilier cédé en 1981 et payé par chèque dont il n'a pas apporté la preuve qu'il avait fait l'objet d'un dépôt sur les comptes bancaires français ;
En ce qui concerne les années 1983 et 1984 :
Considérant que M. Y... fait valoir qu'étant salarié en Suisse, il y a lieu de tenir compte, dans les sommes taxées d'office, du montant des revenus de source suisse perçus dans le cadre de son activité ; qu'il ne démontre cependant par aucune pièce au dossier que ces sommes auraient fait l'objet de transferts sur les comptes français seuls en cause dans la vérification approfondie dont il a fait l'objet ; qu'ainsi il y a lieu pour ce motif de rejeter la demande tendant à la réduction des bases d'imposition de ces deux années ;
Article 1 : Il est accordé à M. Y... une réduction des bases d'imposition de l'année 1982 à hauteur de 800 000 F.
Article 2 : M. Y... est déchargé des droits et pénalités correspondant à la réduction de la base d'imposition définie à l'article premier.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 4 : Le jugement rendu par le tribunal administratif de Dijon le 20 avril 1993 est réformé en ce qu'il a de contraire à la présente décision.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. Y... et au ministre de l'économie, des finances et du plan.