Vu la requête, enregistrée le 9 janvier 2012, complétée par un mémoire enregistré le 5 octobre 2012, présentée pour Mme Keltouma A, demeurant ..., par Me Nunes, avocat ; Mme A demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 0804745 en date du 9 novembre 2011 par lequel le Tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à l'annulation des décisions du premier ministre (mission interministérielle aux rapatriés) en date du 28 août 2008 et du 10 janvier 2009 rejetant sa demande d'octroi des droits relatifs à l'allocation de reconnaissance ;
2°) de faire droit à sa demande de première instance et d'annuler les décisions du premier ministre en date du 28 août 2008 et du 10 janvier 2009 rejetant sa demande d'octroi des droits relatifs à l'allocation de reconnaissance ;
3°) d'enjoindre au premier ministre de lui verser le montant de ses droits à compter de la date de sa première demande, soit le 28 août 2008 ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le paiement d'une somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Mme A soutient que :
- les premiers juges ont statué sur la base de dispositions législatives issues de la loi du 23 février 2005 frappées d'inconstitutionnalité depuis la décision du conseil constitutionnel n° 2010-93 du 4 février 2011 et ont omis de soulever d'office le moyen d'ordre public relatif à l'application de dispositions législatives frappées d'inconstitutionnalité par la voie de la question prioritaire de constitutionnalité ;
- le Tribunal a omis de statuer sur sa demande tendant à la reprise des moyens invoqués par le comité harkis et vérité et notamment la demande de substitution de base légale ;
- la condition de résidence continue en France depuis 1973 posée à l'article 3 du décret du 17 mai 2005 est contraire aux dispositions de la loi du 23 février 2005 telles que réécrites par la décision du conseil constitutionnel ;
- elle a droit à l'allocation de reconnaissance dès lors que les décisions litigieuses sont intervenues en méconnaissance de la loi du 23 février 2005 telles qu'issues de la décision constitutionnelle et de l'article 47 de la loi n° 99-1173 du 30 décembre 1999 modifiée par l'article 67 de la loi de finances rectificative pour 2002 n° 2002-1576 du 30 décembre 2002 ; la décision est fondée exclusivement sur le non respect de la condition posée à l'article 9 de la loi du 23 février 2005, laquelle a été réécrite ; elle a droit à l'allocation de reconnaissance dès lors que la condition de nationalité n'existe plus ;
Vu le mémoire en défense, enregistré le 27 mars 2012, présenté par le premier ministre, qui conclut au rejet de la requête ;
Le premier ministre soutient que Mme A, n'ayant pas la qualité de rapatriée, ne peut bénéficier de l'allocation de reconnaissance en application des dispositions de l'article 9 de la loi du 23 février 2005 et de l'article 3 du décret du 17 mai 2005 ;
Vu le mémoire en intervention, enregistré le 5 octobre 2012, présenté pour le comité Harkis et Vérité, représenté par son secrétaire général, par Me Nunes, avocat ;
Le comité Harkis et Vérité conclut aux mêmes fins que la requête et par les mêmes moyens ;
Il soutient également que Mme A a droit au bénéfice des dispositions relatives à l'allocation de reconnaissance telles qu'elles doivent être réinterprétées à la suite des décisions du Conseil d'Etat et du Conseil constitutionnel ;
Vu le jugement et l'arrêté attaqués ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la décision du Conseil constitutionnel n° 2010-93 du 4 février 2011 ;
Vu la loi n°61-1439 du 26 décembre 1961 relative à l'accueil et à la réinstallation des Français d'outre-mer ;
Vu la loi n° 99-1173 du 31 décembre 1999, et notamment son article 47 ;
Vu la loi n° 2002-1576 du 30 décembre 2002, et notamment son article 67 ;
Vu la loi n° 2005-158 du 23 février 2005 portant reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés ;
Vu le décret du 4 septembre 1962 portant règlement d'administration publique pour l'application à certains étrangers de la loi n° 61-1439 du 26 décembre 1961 relative à l'accueil et à la réinstallation des français d'outre-mer ;
Vu le décret n° 2005-477 du 17 mai 2005 pris pour application des articles 6, 7 et 9 de la loi n° 2005-158 du 23 février 2005 portant reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 22 novembre 2012 :
- le rapport de M. Richard, premier conseiller,
- et les conclusions de Mme Ghisu-Deparis, rapporteur public ;
1. Considérant que Mme A relève appel du jugement du 9 novembre 2011 par lequel le Tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du premier ministre (mission interministérielle aux rapatriés) en date du 28 août 2008 ayant rejeté sa demande tendant au bénéfice de la dérogation pour l'attribution de l'allocation de reconnaissance prévue par la loi n° 2005-158 du 23 février 2005 ensemble la décision portant rejet de son recours gracieux datée non pas du 10 janvier, comme elle le soutient, mais du 16 avril 2009 ;
Sur l'intervention du comité Harkis et Vérité :
2. Considérant que le comité Harkis et Vérité a intérêt à l'annulation de la décision attaquée ; qu'ainsi son intervention est recevable ;
Sur la régularité du jugement :
3. Considérant, en premier lieu, que Mme A soutient que, par le jugement litigieux, le Tribunal administratif de Strasbourg a omis de viser la décision n° 2010-93 en date du 4 février 2011 par laquelle le Conseil constitutionnel a déclaré contraire à la Constitution du 4 octobre 1958 les mots " et qui ont acquis la nationalité française avant le 1er janvier 1995 " au sein de l'article 9 de la loi susvisée du 23 février 2005 en cause dans le présent litige et que le Tribunal a simultanément cité ces mêmes dispositions dans leur version antérieure à la décision du Conseil constitutionnel ; que cette circonstance, laquelle relève du bien fondé des motifs retenus et alors que le Tribunal ne s'est pas fondé sur les dispositions inconstitutionnelles pour rejeter la demande de l'intéressée, ne saurait être utilement invoquée en vue de contester la régularité dudit jugement ;
4. Considérant, en second lieu, que Mme A soutient que le Tribunal administratif a omis de statuer sur l'un de ses moyens dès lors qu'elle a souhaité reprendre à son compte, durant l'audience, le moyen invoqué dans le mémoire en intervention du comité Harkis et Vérité en date du 15 octobre 2011 et tiré de " la substitution de base légale à opérer suite à la nécessaire réécriture des textes applicables " ; qu'il ressort néanmoins des pièces du dossier que ledit moyen découlant, selon le comité, de l'intervention de la décision susvisée du Conseil constitutionnel en date du 4 février 2011 et d'une " substitution de base légale à opérer " a été implicitement mais nécessairement écarté par le Tribunal dans le jugement litigieux ; que la requérante n'est donc pas fondée à soutenir que les premiers juges auraient omis de statuer sur l'un de ses moyens ;
Sur la légalité des décisions portant refus de l'octroi de l'allocation de reconnaissance :
5. Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l' article 1er de la loi n° 61-1439 du 26 décembre 1961 susvisée : " Les Français, ayant dû ou estimé devoir quitter, par suite d'événements politiques, un territoire où ils étaient établis et qui était antérieurement placé sous la souveraineté, le protectorat ou la tutelle de la France, pourront bénéficier de la solidarité nationale affirmée par le préambule de la Constitution de 1946, dans les conditions fixées par la présente loi (...) " ; qu'aux termes de l'article 47 de la loi de finances du 30 décembre 1999 dans sa rédaction issue de l'article 67 de la loi n° 2002-1576 du 30 décembre 2002 : " I - Une allocation de reconnaissance (...), sous condition d'âge, est instituée, à compter du 1er janvier 1999, en faveur des personnes désignées par le premier alinéa de l'article 2 de la loi n° 94-488 du 11 juin 1994 relative aux rapatriés anciens membres des formations supplétives et assimilés ou victimes de la captivité en Algérie. (...) " ; que les personnes désignées au premier alinéa de l'article 2 de la loi n° 94-488 du 11 juin 1994 sont les personnes visées à l'article 9 de la loi n° 87-549 du 16 juillet 1987, à savoir : " anciens harkis, moghaznis et personnels des diverses formations supplétives ayant servi en Algérie et qui ont fixé leur domicile en France " ; qu'aux termes de l'article 6 de loi n° 2005-158 du 23 février 2005 susvisée : " I.-Les bénéficiaires de l'allocation de reconnaissance mentionnée à l'article 67 de la loi de finances rectificative pour 2002 (n° 2002-1576 du 30 décembre 2002) peuvent opter, au choix :-pour le maintien de l'allocation de reconnaissance dont le taux annuel est porté à 2 800 Euros à compter du 1er janvier 2005 ;-pour le maintien de l'allocation de reconnaissance au taux en vigueur au 1er janvier 2004 et le versement d'un capital de 20 000 Euros ;-pour le versement, en lieu et place de l'allocation de reconnaissance, d'un capital de 30 000 Euros. /(...) / /(...) Les modalités d'application du présent article, et notamment le délai imparti pour exercer l'option ainsi que l'échéancier des versements prenant en compte l'âge des bénéficiaires, sont fixés par décret en Conseil d'Etat.(...) " ; qu'aux termes de l'article 9 de la même loi : " Par dérogation aux conditions fixées pour bénéficier de l'allocation de reconnaissance et des aides spécifiques au logement mentionnées aux articles 6 et 7, le ministre chargé des rapatriés accorde le bénéfice de ces aides aux anciens harkis et membres des formations supplétives ayant servi en Algérie ou à leurs veuves, rapatriés, âgés de soixante ans et plus, qui peuvent justifier d'un domicile continu en France ou dans un autre Etat membre de la Communauté européenne depuis le 10 janvier 1973 (...) " ; qu'enfin, aux termes de l'article 3 du décret n° 2005-477 du 17 mai 2005 susvisé : " Le bénéfice de la dérogation prévue à l'article 9 de la loi du 23 février 2005 susvisée est accordé par le ministre chargé des rapatriés : I. - Aux personnes âgées de soixante ans et plus, et sur justification par les intéressés : 1° De leurs services en Algérie dans une des formations supplétives suivantes (...) 2° De leur qualité de rapatrié et de leur résidence continue depuis le 10 janvier 1973 en France ou dans un Etat membre de la Communauté européenne ; (...)II. - En cas de décès, à leurs conjoints survivants âgés de soixante ans et plus, dès lors qu'ils justifient des conditions exigées aux 2°(...)° du I du présent article " ;
6. Considérant qu'il résulte de la combinaison des dispositions ci-dessus rappelées que l'allocation sollicitée par Mme A est destinée aux seuls membres des formations supplétives ou à leurs veuves, âgés de plus de 60 ans, rapatriés et qui ont fixé leur résidence en France, ou dans un Etat membre de la Communauté européenne, antérieurement au 10 janvier 1973 ; que la décision en date du 4 février 2011 par laquelle le Conseil constitutionnel a déclaré contraires à la Constitution les dispositions précitées en ce qu'elles exigent des demandeurs à l'allocation qu'ils soient de nationalité française n'a pas eu pour conséquence de supprimer la référence à la date du 10 janvier 1973 ni le respect de la condition relative à la qualité de rapatrié ; qu'il s'ensuit que Mme A n'est pas fondée à soutenir que l'intervention de la décision susmentionnée du Conseil constitutionnel et la " nécessaire réécriture des textes " qu'elle suppose, selon elle, lui ouvre un droit au bénéfice immédiat de l'allocation de reconnaissance en raison de la suppression des conditions cumulatives posées par l'article 9 de loi du 23 février 2005 ;
7. Considérant, en deuxième lieu, que le comité Harkis et Vérité soutient également que ledit article 9 de la loi du 23 février 2005 est contraire au principe de non discrimination dans le traitement de la situation des personnes placées dans des conditions identiques ou analogues, principe garanti par l'article 14 de la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales combiné avec l'article premier de son premier protocole additionnel ; que les dispositions critiquées de l'article 9 en ce qu'elles posent également une condition tenant à ce que leurs bénéficiaires aient fixé leur domicile en France ou dans un autre état membre de l'Union européenne, visent toutefois à tenir compte des charges entraînées par leur départ d'Algérie et leur réinstallation dans un état de l'Union européenne, et s'avèrent en rapport direct avec l'objet de la loi sans créer de différence de traitement disproportionnée au regard des objectifs qu'elle poursuit ; que le moyen ne peut dès lors qu'être écarté ;
8. Considérant, en dernier lieu, que pour rejeter, par les décisions contestées, la demande de Mme A, le premier ministre (mission interministérielle aux rapatriés) a retenu que la requérante ne justifiait ni d'une résidence continue depuis le 10 janvier 1973 en France ou dans un état membre de la Communauté européenne, ni de la qualité de rapatriée au sens de l'article 1er de la loi du 26 décembre 1961 ; qu'il ne ressort pas des pièces du dossier et qu'il n'est pas non plus établi par Mme A, par les pièces qu'elle produit, ainsi que l'ont relevé à raison les premiers juges, qu'elle aurait résidé de manière continue en France ou dans un état membre de la Communauté européenne depuis le 10 janvier 1973 ; que son fils a d'ailleurs fait état dans une lettre du 25 octobre 1993 adressée au service des rapatriés, d'une arrivée de sa mère en France au cours de l'année 1975 ou 1976 ; qu'ainsi, et à supposer même que Mme A puisse être regardée comme justifiant de la qualité de rapatriée au sens des dispositions de la loi du 26 décembre 1961, la requérante n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que le premier ministre a estimé qu'elle ne remplissait pas les conditions cumulatives prévues par l'article 3 précité du décret n° 2005-477 du 17 mai 2005 ;
9. Considérant, enfin, qu'il ressort des pièces du dossier que l'intéressée n'a formé sa demande d'allocation de reconnaissance que sur le fondement des dispositions de l'article 9 de la loi du 23 février 2005 ; que, contrairement à ce que soutient Mme A, la décision susvisée du Conseil constitutionnel n'a ni pour objet ni pour effet de la faire bénéficier des dispositions antérieures à la loi du 23 février 2005 qui ne fixeraient aucune autre condition que la condition d'âge pour bénéficier de l'allocation de reconnaissance ; que la requérante ne saurait donc utilement invoquer le bénéfice d'autres dispositions que celles sur lesquelles le premier ministre (mission interministérielle aux rapatriés) s'est fondé pour refuser de faire droit à sa demande ;
10. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que Mme A n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par son jugement en date du 9 novembre 2011, le Tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du premier ministre (mission interministérielle aux rapatriés) en date du 28 août 2008 ayant rejeté sa demande tendant au bénéfice de la dérogation pour l'attribution de l'allocation de reconnaissance prévue par la loi n° 2005-158 du 23 février 2005, ensemble la décision portant rejet de son recours gracieux datée, non pas du 10 janvier 2009 comme indiqué dans sa requête, mais du 16 avril 2009 ; que ses conclusions à fin d'injonction et ses conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent ainsi et par voie de conséquence qu'être rejetées ;
D E C I D E :
Article 1er : L'intervenion du comité Harkis et Vérité est admise.
Article 2 : La requête de Mme A est rejetée.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme Keltouma A et au premier ministre (mission interministérielle aux rapatriés)
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