Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société par actions simplifiée (SAS) Tenedor a demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne de prononcer la décharge des rappels de taxe sur les salaires auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2010 à 2013.
Par un jugement n° 1500714 du 21 juin 2016, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 8 août 2016, la société Tenedor, représentée par Me A..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement susvisé du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne du 21 juin 2016 ;
2°) de prononcer la décharge des rappels de taxe sur les salaires auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2010 à 2013 ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement du tribunal est irrégulier dès lors qu'il n'a pas répondu à l'un des moyens soulevés ;
- seules les rémunérations des salariés au sens du droit du travail sont assujetties à la taxe sur les salaires ; les mandataires sociaux n'ayant pas la qualité de salarié, ladite taxe n'est pas applicable aux rémunérations qui leur sont versées ;
- l'interprétation donnée par le Conseil d'Etat dans sa décision du 21 janvier 2016 des dispositions de l'article 231 du code général des impôts crée de manière discriminatoire une différence de traitement entre les dirigeants de sociétés et méconnaît ainsi le principe d'égalité garanti par les articles 6 et 13 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen ;
- le rapport d'assujettissement retenu par l'administration est erroné dès lors que les dividendes perçus par la holding correspondent à des opérations ayant ouvert droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée et ne doivent ainsi pas figurer au numérateur dudit rapport ;
Par un mémoire enregistré le 23 décembre 2016, le ministre de l'économie et des finances conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par la SAS Tenedor ne sont pas fondés.
Par un mémoire enregistré le 4 août 2017, la société requérante conclut aux mêmes fins que la requête par les mêmes moyens. Elle sollicite, à titre subsidiaire, la réduction des impositions supplémentaires mises à sa charge compte tenu du caractère erroné du rapport d'assujettissement à la taxe sur les salaires retenu par l'administration. Enfin, elle réévalue sa demande au titre des frais irrépétibles à la somme de 6 000 euros.
Par un mémoire enregistré le 12 octobre 2017, le ministre de l'économie et des finances conclut aux mêmes fins que ses précédentes écritures.
Par des mémoires enregistrés respectivement le 13 octobre 2017 et le 27 février 2018, la société requérante conclut aux mêmes fins que ses précédentes écritures.
Vu :
- les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la sécurité sociale ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Didiot,
- et les conclusions de Mme Peton, rapporteur public.
1. Considérant que la SAS Tenedor est une société holding mixte qui exerce à ce titre une double activité de prestataire de services auprès de ses filiales et de gestion de portefeuille ; qu'elle a fait l'objet d'une vérification de comptabilité du 23 juillet au 12 septembre 2013 portant sur la période du 1er janvier 2010 au 31 décembre 2012 ; qu'à l'issue de ce contrôle, par proposition de rectification du 13 septembre 2013, établie selon la procédure contradictoire, le service lui a notifié des rehaussements concernant l'assujettissement à la taxe sur les salaires de la rémunération de son dirigeant ; que ces rehaussements ont fait l'objet d'une acceptation expresse par courrier du 17 septembre 2013 ; qu'après la mise en recouvrement des impositions supplémentaires, la société requérante a néanmoins formé une réclamation contentieuse, rejetée par décision de l'administration du 16 février 2015 ; qu'elle relève appel du jugement du 21 juin 2016 par lequel le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande tendant à la décharge des rappels de taxe sur les salaires à laquelle elle a été assujettie au titre des années 2010 à 2013 ;
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Considérant qu'il résulte de l'instruction que le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne, qui n'était pas tenu de répondre à tous les arguments avancés par les parties, a répondu à l'ensemble des moyens contenus dans les mémoires produits par la requérante ; que, par suite, la SAS Tenedor n'est pas fondée à soutenir que le jugement serait, pour ce motif, entaché d'irrégularité ;
Sur les conclusions tendant à titre principal à la décharge des rappels d'impôt :
En ce qui concerne l'assujettissement des rémunérations du dirigeant à la taxe sur les salaires :
S'agissant des années 2010 à 2012 :
3. Considérant qu'aux termes de l'article 231 du code général des impôts, dans sa rédaction applicable aux années d'imposition en litige : " 1. Les sommes payées à titre de rémunérations sont soumises à une taxe sur les salaires égale à 4,25 % de leur montant, évalué selon les règles prévues aux chapitres Ier et II du titre IV du livre II du code de la sécurité sociale (... ), et à la charge des personnes ou organismes (...) qui paient ces rémunérations lorsqu'ils ne sont pas assujettis à la taxe sur la valeur ajoutée ou ne l'ont pas été sur 90 % au moins de leur chiffre d'affaires au titre de l'année civile précédant celle du paiement desdites rémunérations. (...) " ; qu'aux termes de l'article L. 242-1 du code de la sécurité sociale : " Pour le calcul des cotisations des assurances sociales, des accidents du travail et des allocations familiales, sont considérées comme rémunérations toutes les sommes versées aux travailleurs en contrepartie ou à l'occasion du travail, notamment les salaires ou gains, les indemnités de congés payés, le montant des retenues pour cotisations ouvrières, les indemnités, primes, gratifications et tous autres avantages en argent, les avantages en nature, ainsi que les sommes perçues directement ou par l'entremise d'un tiers à titre de pourboire (...) " ; que l'article L. 311-2 du même code dispose que : " Sont affiliées obligatoirement aux assurances sociales du régime général, quel que soit leur âge et même si elles sont titulaires d'une pension, toutes les personnes quelle que soit leur nationalité, de l'un ou de l'autre sexe, salariées ou travaillant à quelque titre ou en quelque lieu que ce soit, pour un ou plusieurs employeurs et quels que soient le montant et la nature de leur rémunération, la forme, la nature ou la validité de leur contrat " ; qu'enfin, son article L. 311-3 prévoit que : " Sont notamment compris parmi les personnes auxquelles s'impose l'obligation prévue à l'article L. 311-2, même s'ils ne sont pas occupés dans l'établissement de l'employeur ou du chef d'entreprise, même s'ils possèdent tout ou partie de l'outillage nécessaire à leur travail et même s'ils sont rétribués en totalité ou en partie à l'aide de pourboires : (...) 23° Les présidents et dirigeants des sociétés par actions simplifiées et des sociétés d'exercice libéral par actions simplifiées (...) " ;
4. Considérant qu'il résulte des travaux parlementaires des dispositions de l'article 10 de la loi du 30 décembre 2000 de finances pour 2001, dont sont issues les dispositions précitées de l'article 231 du code général des impôts, qu'en alignant l'assiette de la taxe sur les salaires sur celle des cotisations de sécurité sociale, le législateur a entendu y inclure les rémunérations des dirigeants de sociétés visés à l'article L. 311-3 du code de la sécurité sociale et notamment celles des présidents et dirigeants des sociétés par actions simplifiées ; que les sommes versées au dirigeant d'une société anonyme sont réputées l'être au titre de rémunérations et sont soumises à cotisations sociales ; que, par suite, le moyen de la société tiré de ce que les rémunérations de son président étaient exclues de l'assiette de la taxe sur les salaires dès lors que les mandataires sociaux n'ont pas la qualité de salarié au sens du droit du travail est sans incidence sur le bien-fondé des impositions litigieuses ; que, par suite, l'administration a pu, à bon droit, les prendre en compte pour le calcul de la taxe sur les salaires due au titre des années 2010, 2011 et 2012 ;
S'agissant de l'année 2013 :
5. Considérant qu'aux termes de l'article 231 du code général des impôts, dans sa rédaction issue l'article 13 de la loi n° 2012-1404 du 17 décembre 2012 : " 1. Les sommes payées à titre de rémunérations aux salariés, à l'exception de celles correspondant aux prestations de sécurité sociale versées par l'entremise de l'employeur, sont soumises à une taxe égale à 4,25 % de leur montant évalué selon les règles prévues à l'article L. 136-2 du code de la sécurité sociale, sans qu'il soit toutefois fait application du deuxième alinéa du I du même article. Cette taxe est à la charge des entreprises et organismes qui emploient ces salariés, (...) qui paient ces rémunérations lorsqu'ils ne sont pas assujettis à la taxe sur la valeur ajoutée ou ne l'ont pas été sur 90 % au moins de leur chiffre d'affaires au titre de l'année civile précédant celle du paiement desdites rémunérations (...) " ;
6. Considérant qu'aux termes de l'article 136-2 du code de la sécurité sociale dans sa version alors en vigueur : " I.-La contribution est assise sur le montant brut des traitements, indemnités, émoluments, salaires, allocations, pensions y compris les majorations et bonifications pour enfants, des rentes viagères autres que celles visées au 6 de l'article 158 du code général des impôts et des revenus tirés des activités exercées par les personnes mentionnées aux articles L. 311-2 et L. 311-3 (...) " ;
7. Considérant qu'il résulte des travaux parlementaires des dispositions de l'article 13 de la loi du 17 décembre 2012 de financement de la sécurité sociale pour 2013, dont est issu l'article 231 du code général des impôts, que le législateur a entendu rendre l'assiette de la taxe sur les salaires identique à celle de la contribution sociale généralisée, sous réserve des seules exceptions mentionnées à la première phrase du 1 de cet article 231 ; qu'en vertu des dispositions combinées de cet article et de l'article L. 131-2 du code de la sécurité sociale, sont inclus dans l'assiette de la taxe sur les salaires les revenus d'activité des personnes mentionnées à l'article L. 311-3 du code de la sécurité sociale ; que ce dernier article mentionne notamment, à ses 11°, 12° et 23°, les gérants minoritaires des sociétés à responsabilité limitée, les présidents du conseil d'administration, directeurs généraux et directeurs généraux délégués des sociétés anonymes et les présidents et dirigeants des sociétés par actions simplifiées ; que, contrairement à ce que soutient la société Tenedor, le dirigeant, sans avoir la qualité de salarié au sens du droit du travail, compte au nombre des personnes dont les rémunérations sont soumises à la taxe sur les salaires en vertu de l'article 231 du code général des impôts ; que la société par actions simplifiée Tenedor n'est donc pas fondée à demander l'exonération des rémunérations de son mandataire social de la taxe sur les salaires au titre de l'année 2013 ;
En ce qui concerne la rupture d'égalité devant les charges publiques :
8. Considérant que la SAS Tenedor soutient que les dispositions de l'article 231 du code général des impôts, telles qu'interprétées par la jurisprudence du Conseil d'Etat méconnaissent les articles 6 et 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen en ce qu'elles créent une différence de traitement arbitraire entre les dirigeants de sociétés visés à l'article L. 311-3 du code de la sécurité sociale et devant être affiliés obligatoirement aux assurances sociales du régime général et ceux qui ne sont pas mentionnés ; qu'il n'appartient pas au juge administratif, en dehors des cas et conditions prévus par le chapitre II bis du titre II de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, relatif à la question prioritaire de constitutionnalité, d'apprécier la constitutionnalité de dispositions législatives ; que ce moyen doit ainsi être écarté ;
Sur les conclusions à titre subsidiaire tendant à la réduction des rappels d'impôt :
9. Considérant qu'aux termes du 1 de l'article 231 du code général des impôts, dans sa rédaction applicable aux années en litige : " Les sommes payées à titre de rémunérations sont soumises à une taxe sur les salaires (...) à la charge des personnes ou organismes (...) qui paient ces rémunérations lorsqu'ils ne sont pas assujettis à la taxe sur la valeur ajoutée ou ne l'ont pas été sur 90 % au moins de leur chiffre d'affaires au titre de l'année civile précédant celle du paiement desdites rémunérations. L'assiette de la taxe due par ces personnes ou organismes est constituée par une partie des rémunérations versées, déterminée en appliquant à l'ensemble de ces rémunérations le rapport existant, au titre de cette même année, entre le chiffre d'affaires qui n'a pas été passible de la taxe sur la valeur ajoutée et le chiffre d'affaires total. Le chiffre d'affaires qui n'a pas été assujetti à la taxe sur la valeur ajoutée en totalité ou sur 90 p. 100 au moins de son montant, ainsi que le chiffre d'affaires total mentionné au dénominateur du rapport s'entendent du total des recettes et autres produits, y compris ceux correspondant à des opérations qui n'entrent pas dans le champ d'application de la taxe sur la valeur ajoutée. Le chiffre d'affaires qui n'a pas été passible de la taxe sur la valeur ajoutée mentionné au numérateur du rapport s'entend du total des recettes et autres produits qui n'ont pas ouvert droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée (...) " ;
10. Considérant qu'il résulte de ces dispositions, dont la rédaction est issue du I de l'article 18 de la loi du 30 décembre 1993 de finances rectificative pour 1993, lesquelles ont eu pour objet de dissocier le rapport d'assujettissement à la taxe sur les salaires du rapport, dit " prorata " de taxe sur la valeur ajoutée, alors prévu à l'article 212 de l'annexe II au code général des impôts, que l'assiette de la taxe sur les salaires due par les assujettis partiels à la taxe sur la valeur ajoutée s'obtient en appliquant au montant total des rémunérations, le rapport existant entre le chiffre d'affaires qui n'a pas été passible de la taxe sur la valeur ajoutée et le chiffre d'affaires total ; que ce rapport est déterminé en faisant figurer, au numérateur, le chiffre d'affaires qui n'a pas ouvert droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée, constitué des recettes correspondant à des opérations exonérées ou situées hors du champ d'application de cette taxe, et, au dénominateur, la totalité des recettes, c'est-à-dire celles correspondant à des opérations imposables ou exonérées ou situées hors du champ d'application de la taxe sur la valeur ajoutée ;
11. Considérant que si la Cour de justice de l'Union européenne a jugé, dans son arrêt du 16 juillet 2015 Larentia + Minerva (C-108/14), que la taxe sur la valeur ajoutée grevant des biens et services dont les coûts font partie des frais généraux d'une société holding qui, s'immisçant dans la gestion de ses filiales, exerce, à ce titre, une activité économique doit, en principe, être déduite intégralement, il ressort d'une jurisprudence constante de cette même Cour que n'étant pas la contrepartie d'une activité économique, la perception de dividendes n'entre pas, elle-même, dans le champ d'application de la taxe sur la valeur ajoutée, même dans l'hypothèse où la société holding qui perçoit les dividendes s'immisce dans la gestion de ses filiales en leur fournissant des prestations de services soumises à cette taxe ; qu'il suit de là que, contrairement à ce que soutient la SAS Tenedor, les dividendes doivent, pour l'application des dispositions de l'article 231 précité du code général des impôts, être inclus dans le numérateur du rapport prévu à cet article ; que la société requérante n'est donc pas fondée à soutenir que le rapport d'assujettissement retenu par l'administration pour les années en litige est erroné ;
12. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la SAS Tenedor n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande ;
Sur les conclusions de la SAS Tenedor tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
13. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie tenue aux dépens ou la partie perdante, une somme au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;
D EC I D E :
Article 1er : La requête de la SAS Tenedor est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la SAS Tenedor et au ministre de l'action et des comptes publics.
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N° 16NC01758