Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La SARL Aveno a demandé au tribunal administratif de Strasbourg de prononcer la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée et des pénalités correspondantes qui lui ont été réclamés au titre de la période du 1er janvier 2008 au 31 décembre 2010.
Par un jugement n° 1405679 du 30 mai 2017, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 20 juillet 2017, la SARL Aveno, représentée par
MeA..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 30 mai 2017 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée et des pénalités correspondantes qui lui ont été réclamés au titre de la période du 1er janvier 2008 au 31 décembre 2010 ;
2°) de prononcer la décharge de ces impositions et pénalités ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 500 euros au titre de
l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Elle soutient que :
- l'administration ne démontre pas que la société requérante savait ou devait savoir que les opérations d'achat-revente en cause présentaient le caractère d'acquisitions intracommunautaires taxables sur l'intégralité du prix ;
- l'administration a pris position sur la situation de fait de la société en n'ayant pas remis en cause le régime de la marge pour les véhicules acquis en Allemagne pour les années 2003 à 2005 lors d'une précédente vérification de comptabilité ; l'administration a méconnu les principes de confiance légitime et de sécurité juridique ;
- à défaut pour le service de démontrer l'intention délibérée de la requérante d'éluder l'impôt, celle-ci est fondée à demander la décharge des majorations pour manquement délibéré.
Par un mémoire en défense, enregistré le 9 novembre 2017, le ministre de l'action et des comptes publics conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par la SARL Aveno ne sont pas fondés.
Vu :
- les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la directive 2006/112/CE du Conseil du 26 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Lambing,
- les conclusions de Mme Peton, rapporteur public,
- et les observations de MeA..., représentant la SARL Aveno.
1. Considérant qu'à l'issue de la vérification de comptabilité dont a fait l'objet la SARL Aveno, ayant pour activité l'achat-revente de véhicules d'occasion et de véhicules neufs, l'administration fiscale a remis en cause le régime de la taxe sur la valeur ajoutée sur la marge appliqué par la société à l'occasion d'acquisitions réalisées entre le 1er janvier 2008 et le 31 décembre 2010 ; que par deux propositions de rectification des 16 décembre 2011 et
28 août 2012, notifiées dans le cadre d'une procédure contradictoire, l'administration a informé la société des rappels de taxe sur la valeur ajoutée et des pénalités correspondantes au titre de la période du 1er janvier 2008 au 31 décembre 2010 ; que la SARL Aveno relève appel du jugement du 30 mai 2017 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté la demande de la société tendant à la décharge de ces impositions et pénalités ;
Sur les conclusions aux fins de décharge :
En ce qui concerne l'application de la loi fiscale :
2. Considérant qu'aux termes du I de l'article 256 bis du code général des impôts : " 1° Sont également soumises à la taxe sur la valeur ajoutée les acquisitions intracommunautaires de biens meubles corporels effectuées à titre onéreux par un assujetti agissant en tant que tel ou par une personne morale non assujettie lorsque le vendeur est un assujetti agissant en tant que tel et qui ne bénéficie pas dans son État du régime particulier de franchise des petites entreprises (...) 2° bis Les acquisitions intracommunautaires de biens d'occasion (...) effectuées à titre onéreux par un assujetti agissant en tant que tel ou par une personne morale non assujettie ne sont pas soumises à la taxe sur la valeur ajoutée lorsque le vendeur ou l'assujetti est un assujetti revendeur qui a appliqué dans l'État membre de départ de l'expédition ou du transport du bien les dispositions de la législation de cet État prises pour la mise en oeuvre des articles 312 à 325 ou 333 à 341 de la directive 2006/112/CE du 28 novembre 2006 (...)/ III. Un assujetti, agissant en son nom propre mais pour le compte d'autrui, qui s'entremet dans une acquisition intracommunautaire, est réputé avoir personnellement acquis et livré le bien. " ; qu'aux termes du 1° du I de l'article 297 A du même code : " La base d'imposition des livraisons par un assujetti revendeur de biens d'occasion (...) qui lui ont été livrés par un non redevable de la taxe sur la valeur ajoutée ou par une personne qui n'est pas autorisée à facturer la taxe sur la valeur ajoutée au titre de cette livraison est constituée de la différence entre le prix de vente et le prix d'achat (...) " ; qu'aux termes de l'article 297 E de ce code : " Les assujettis qui appliquent les dispositions de l'article 297 A ne peuvent pas faire apparaître la taxe sur la valeur ajoutée sur leurs factures " ; qu'aux termes de l'article 258 C du même code : " I. Le lieu d'une acquisition intracommunautaire de biens meubles corporels est réputé se situer en France lorsque les biens se trouvent en France au moment de l'arrivée de l'expédition ou du transport à destination de l'acquéreur (...) " ; qu'aux termes de l'article 226 de la directive 2006/112/CE du conseil du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée : " (...) seules les mentions suivantes doivent figurer obligatoirement, aux fins de la TVA, sur les factures émises en application des dispositions des articles 220 et 221 : (...) 14) en cas d'application d'un des régimes particuliers applicables dans le domaine des biens d'occasion, des objets d'art, de collection ou d'antiquité, la référence à l'article 313, à l'article 326 ou à l'article 333, ou aux dispositions nationales correspondantes, ou à toute autre mention indiquant qu'un de ces régimes a été appliqué (...) " ; qu'aux termes de l'article 242 nonies A de
l'annexe II au code général des impôts, dans sa version applicable aux périodes en litige : " Les mentions obligatoires qui doivent figurer sur les factures en application du II de l'article 289 du code général des impôts sont les suivantes : (...) 12° En cas d'exonération ou lorsque le client est redevable de la taxe ou lorsque l'assujetti applique le régime de la marge bénéficiaire, la référence à la disposition pertinente du code général des impôts ou à la disposition correspondante de la directive 2006 / 112 / CE du 28 novembre 2006 ou à toute autre mention indiquant que l'opération bénéficie d'une mesure d'exonération, d'un régime d'autoliquidation ou du régime de la marge bénéficiaire (...) " ;
3. Considérant qu'il résulte de ces dispositions qu'une entreprise française assujettie à la taxe sur la valeur ajoutée a la qualité d'assujetti revendeur et peut appliquer le régime de taxation sur la marge prévu par l'article 297 A du code général des impôts, lorsqu'elle revend un bien d'occasion acquis auprès d'un fournisseur, situé en France ou dans un autre État membre, qui, en sa qualité d'assujetti-revendeur, lui a délivré une facture conforme aux dispositions précitées de l'article 242 nonies A du code général des impôts, et dont le propre fournisseur a aussi cette qualité ou n'est pas assujetti à la taxe sur la valeur ajoutée ; que l'administration peut toutefois remettre en cause l'application de ce régime lorsque l'entreprise française ne pouvait ignorer la circonstance que son fournisseur n'avait pas la qualité d'assujetti revendeur et n'était pas autorisé à appliquer lui-même le régime de taxation sur la marge prévu par la directive 2006/112/CE du 28 novembre 2006 ;
4. Considérant que, lorsqu'une entreprise produit des factures émanant de ses fournisseurs mentionnant que les ventes de véhicules s'effectuaient sous le régime de la taxe sur la marge mentionné ci-dessus, il incombe à l'administration, si elle s'y croit fondée, de démontrer, d'une part, que les mentions portées sur ces factures sont erronées et, d'autre part, que le bénéficiaire de ces achats de véhicules savait ou aurait dû savoir que les opérations présentaient le caractère d'acquisitions intracommunautaires taxables sur l'intégralité du prix de revente à ses propres clients, et sans que pèse sur le contribuable l'obligation de vérifier la qualité d'assujetti revendeur de ses fournisseurs ;
5. Considérant, d'une part qu'il résulte de l'instruction et n'est pas sérieusement contesté que les véhicules en litige acquis par la SARL Aveno auprès des sociétés françaises Mycar, Sia, Carsud 34 et AB Auto 31, qui ont-elles-mêmes acquis ces véhicules auprès de sociétés espagnoles et d'une société roumaine, appartenaient initialement à des professionnels allemands ; que dans le cadre de demandes d'assistance administrative internationale, l'administration a établi que les factures de ventes émises par ces fournisseurs allemands mentionnaient des livraisons intracommunautaires ; qu'ainsi, l'ensemble de ces véhicules devait, lors de leur revente, être soumis à la taxe sur l'intégralité de leur prix de cession ; que les fournisseurs français de la SARL Aveno n'étaient dès lors pas autorisés à appliquer le régime de taxe sur la valeur ajoutée sur la marge et à délivrer à la société requérante des factures faisant référence à ce régime ; que, par suite, l'administration fiscale apporte la preuve que les mentions portées sur les factures en litige relatives à l'application du régime de la marge étaient erronées ;
6. Considérant, d'autre part, la SARL Aveno soutient qu'elle a appliqué de bonne foi le régime de taxation sur la marge eu égard aux mentions portées sur les factures et aux éléments dont elle disposait ; qu'il résulte, toutefois, de l'instruction qu'avant le 16 août 2008 et ce
depuis 2003, la SARL Aveno achetait directement auprès de fournisseurs allemands et français les véhicules d'occasion revendus ensuite à ses clients en France ; que onze véhicules avaient été soumis au régime de la taxe sur la valeur ajoutée sur la marge entre le 1er janvier et
le 16 août 2008 ; qu'à compter du 17 août 2008, la société requérante a abandonné l'approvisionnement direct auprès des fournisseurs allemands et a eu recours à des intermédiaires français ; que ces intermédiaires français se sont approvisionnés auprès de sociétés espagnoles et d'une société roumaine, qui se fournissaient en Allemagne ; que la société a ainsi acquis vingt-deux véhicules du 17 août au 31 décembre 2008 et deux cent soixante-dix-sept sur les années 2009 et 2010, tous soumis au régime de la marge ; que les photographies des véhicules présentes sur le site internet de la société requérante proviennent d'annonces de professionnels allemands issues du site " mobile.de " ; que les dossiers de demande de carte grise déposés en préfecture par la SARL Aveno comprenaient, outre le certificat d'immatriculation allemand, les certificats de cession entre les fournisseurs espagnols ou roumains et les intermédiaires français de la SARL Aveno, mais également ceux établis entre le vendeur allemand et les fournisseurs espagnols ou roumains ; que la SARL Aveno avait dès lors connaissance de l'ensemble du circuit de revente des véhicules en cause ; qu'en outre, la société requérante organisait le transport des véhicules achetés à ses intermédiaires français, de l'Allemagne vers la France, et supportait la charge financière du transport ; que la SARL Aveno savait ainsi que les véhicules ne transitaient pas par l'Espagne ou la Roumanie, ni par le siège de ses fournisseurs français ; que par ailleurs, les autorités allemandes ont constaté que les véhicules sont parfois demeurés la propriété des fournisseurs allemands sans avoir été réellement acquis par les différentes sociétés intermédiaires avant la revente à la SARL Aveno ; que les dates des livraisons des véhicules acquis par la société requérante ont été parfois concomitantes à la date du paiement des intermédiaires voire antérieures, ce qui démontre que le circuit de facturation ne correspond pas au circuit effectif de commercialisation des véhicules ; qu'enfin, la SARL Aveno avait parfaitement connaissance du régime fiscal allemand en ayant réalisé des acquisitions directes auprès de fournisseurs allemands jusqu'en août 2008 ; qu'ainsi, eu égard à l'ensemble de ces éléments, la société requérante, en sa qualité de professionnel expérimenté du secteur, ne pouvait pas ignorer que les véhicules dont elle a fait l'acquisition appartenaient originellement à des sociétés qui pouvaient exercer leur droit à déduction ; que l'administration établit donc que la société requérante savait ou aurait dû savoir que les opérations en litige, provenant de fournisseurs dont le rôle effectif n'était au demeurant pas démontré, présentaient le caractère d'acquisitions intracommunautaires taxables sur l'intégralité du prix de revente à ses propres clients ;
En ce qui concerne l'application des articles L. 80 A et L. 80 B du livre des procédures fiscales :
7. Considérant qu'aux termes de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales : " Il ne sera procédé à aucun rehaussement d'impositions antérieures si la cause du rehaussement poursuivi par l'administration est un différend sur l'interprétation par le redevable de bonne foi du texte fiscal et s'il est démontré que l'interprétation sur laquelle est fondée la première décision a été, à l'époque, formellement admise par l'administration. / Lorsque le redevable a appliqué un texte fiscal selon l'interprétation que l'administration avait fait connaître par ses instructions ou circulaires publiées et qu'elle n'avait pas rapportée à la date des opérations en cause, elle ne peut poursuivre aucun rehaussement en soutenant une interprétation différente (...) " ; qu'aux termes de l'article L. 80 B du même livre : " La garantie prévue au premier alinéa de l'article L. 80 A est applicable : / 1° Lorsque l'administration a formellement pris position sur l'appréciation d'une situation de fait au regard d'un texte fiscal (...) " ;
8. Considérant d'une part que le paragraphe n°24 de l'instruction n°3 A-7-07 du 30 novembre 2007 ne comporte aucune interprétation de la loi fiscale différente de celle dont il est fait application dans les points précédents et que la société Aveno pourrait invoquer sur le fondement des dispositions de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales ;
9. Considérant d'autre part que la société requérante fait valoir que l'administration, en s'abstenant de procéder à des rectifications après la vérification de comptabilité qui portait sur les résultats des années 2003, 2004 et 2005, aurait pris position sur le régime de la marge et ne pouvait donc procéder au redressement litigieux au titre de la période du 1er janvier 2008 au 31 décembre 2010 ; que toutefois l'absence de redressement après cette vérification ne peut être regardée comme constituant une prise de position formelle du service sur l'appréciation de la situation de fait de la société requérante, dès lors qu'il n'est pas justifié que l'administration aurait motivé sa position et qu'au surplus, il est constant que la société requérante avait modifié son circuit d'achats à compter d'août 2008 ; que par suite, la société requérante ne peut se prévaloir d'une prétendue prise de position formelle consécutive à cette précédente vérification de comptabilité sur le fondement de l'article L. 80 B du livre des procédures fiscales ;
10. Considérant enfin, qu'il résulte de ce qui a été dit aux points précédents que l'administration n'a pas méconnu les dispositions de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales et qu'elle n'a pas non plus méconnu celles de l'article L. 80 B faute d'avoir formellement pris position sur la situation de fait de la société contribuable ; que dès lors, et en tout état de cause, le moyen tiré de ce que le redressement contesté méconnaît le principe de sécurité juridique et le principe de confiance légitime ne peut qu'être écarté ;
Sur les pénalités :
11. Considérant qu'aux termes de l'article 1729 du code général des impôts : " Les inexactitudes ou les omissions relevées dans une déclaration ou un acte comportant l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt ainsi que la restitution d'une créance de nature fiscale dont le versement a été indûment obtenu de l'État entraînent l'application d'une majoration de : a. 40 % en cas de manquement délibéré (...) ; qu'aux termes de l'article L. 195 A du livre des procédures fiscales : " En cas de contestation des pénalités fiscales appliquées à un contribuable au titre (...) de la taxe sur la valeur ajoutée (...), la preuve de la mauvaise foi et des manoeuvres frauduleuses incombe à l'administration. " ;
12. Considérant qu'il résulte de l'instruction que l'administration a fait application aux rectifications litigieuses de la majoration prévue par les dispositions de l'article 1729 du code général des impôts ; qu'ainsi qu'il a été dit au point 6, eu égard à l'ensemble des éléments de fait avancés par l'administration, la SARL Aveno ne pouvait ignorer la circonstance que ses fournisseurs n'avaient pas la qualité d'assujettis revendeurs et n'étaient pas autorisés à appliquer eux-mêmes le régime de taxation sur marge ; que, dans ces conditions, l'administration doit être regardée comme apportant la preuve de l'intention délibérée de la société requérante d'éluder l'impôt dû ; qu'il suit de là que la SARL Aveno n'est pas fondée à demander la décharge de la pénalité de 40 % qui a été appliquée aux rappels en litige ;
13. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède, que la SARL Aveno n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande ;
Sur l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
14. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'État, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, une somme sollicitée par la société requérante au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;
D E C I D E :
Article 1er : La requête de la SARL Aveno est rejetée.
Article : Le présent arrêt sera notifié à la SARL Aveno et au ministre de l'action et des comptes publics.
Délibéré après l'audience du 31 mai 2018, à laquelle siégeaient :
M. Martinez, président de chambre,
M. Dhers, président assesseur,
Mme Lambing, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 14 juin 2018.
Le rapporteur,
Signé : S. LAMBING Le président,
Signé : J. MARTINEZ
La greffière,
Signé : M-B...
La République mande et ordonne au ministre de l'action et des comptes publics en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
M-B...
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N° 17NC01782