Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Par une requête enregistrée le 16 novembre 2016, M. A... C... a demandé au tribunal administratif de Nancy d'annuler la décision du 21 juin 2016 par laquelle le directeur du centre de détention de Toul a refusé de modifier son régime d'escorte à l'occasion des extractions pour motifs médicaux dont il est susceptible de faire l'objet.
Par un jugement n° 1603405 du 13 février 2018, le tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 19 juillet 2018, M. C..., représenté par Me D..., de l'AARPI Thémis, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 13 février 2018 ;
2°) d'annuler la décision du 21 juin 2018 du directeur du centre de détention de Toul ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me D..., d'une somme de 1 500 euros sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- la décision contestée ne constitue pas, eu égard à ses effets et à l'atteinte qu'elle porte à ses droits fondamentaux, une mesure d'ordre intérieur et par conséquent, le jugement attaqué est irrégulier en ce qu'il a rejeté comme irrecevables ses conclusions tendant à son annulation ;
- cette décision, qui constitue une mesure de police, est insuffisamment motivée en droit ;
- aucun texte ne permet à un directeur d'établissement pénitentiaire d'ordonner un régime d'escorte violant le secret médical de manière systématique, en méconnaissance de l'article 45 de la loi du 24 novembre 2009 et de l'article 13 du règlement intérieur type des établissements pénitentiaires, annexé à l'article R. 57-6-18 du code de procédure pénale ;
- la circulaire du 18 novembre 2004 dont s'est prévalu le ministre de la justice ne figure pas sur le site Légifrance et a donc été implicitement abrogée ;
- au demeurant, le motif et la durée de sa peine ne suffisent pas à justifier le régime d'escorte qui lui est appliqué compte tenu de son absence de dangerosité et de son comportement en détention.
Par un courrier du 6 septembre 2019, la garde des sceaux, ministre de la justice a été mise en demeure de présenter ses conclusions en réponse à la communication de la requête.
Par ordonnance du 30 septembre 2019, la clôture d'instruction a été fixée au 14 octobre 2019.
M. C... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 24 mai 2018.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de procédure pénale ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de la santé publique ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- la loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 ;
- le décret n° 2010-1634 du 23 décembre 2010 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Kolbert, président de chambre,
- et les conclusions de Mme Kohler, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Après son transfert au centre de détention de Toul, le 26 janvier 2016, pour continuer d'exécuter sa peine de quinze ans de réclusion criminelle, M. A... C... a fait l'objet d'une évaluation de sa situation personnelle par la commission pluridisciplinaire unique prévue par les dispositions des articles D.89 à D.91 du code de procédure pénale et, sur proposition de cette dernière, s'agissant du régime d'escorte qui lui serait, en principe, applicable, en particulier en cas d'extraction pour motifs médicaux, il a été classé au niveau de surveillance n° 2 défini par une circulaire ministérielle du 18 novembre 2004. Saisi le 6 juin 2016, par le conseil de M. C..., d'une demande de reclassement de l'intéressé au niveau de surveillance n° 1 qu'il occupait avant son arrivée dans l'établissement, le directeur du centre de détention de Toul l'a rejetée par une décision du 21 juin 2016. Par le jugement attaqué du 13 février 2018, le tribunal administratif de Nancy a rejeté comme irrecevable la demande de M. C... tendant à l'annulation de cette décision.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Aux termes de l'article 22 de la loi du 24 novembre 2009 pénitentiaire : " L'administration pénitentiaire garantit à toute personne détenue le respect de sa dignité et de ses droits. L'exercice de ceux-ci ne peut faire l'objet d'autres restrictions que celles résultant des contraintes inhérentes à la détention, du maintien de la sécurité et du bon ordre des établissements, de la prévention de la récidive et de la protection de l'intérêt des victimes. Ces restrictions tiennent compte de l'âge, de l'état de santé, du handicap et de la personnalité de la personne détenue ". En particulier, si, comme le rappellent également les dispositions de l'article L. 1110-4 du code la santé publique, l'article 45 de la même loi dispose que " l'administration pénitentiaire respecte le droit au secret médical des personnes détenues ainsi que le secret de la consultation (...) " et son article 46 que " la qualité et la continuité des soins sont garanties aux personnes détenues dans des conditions équivalentes à celles dont bénéficie l'ensemble de la population ", les dispositions de l'article D. 294 du code de procédure pénale prévoient quant à elles que : " Des précautions doivent être prises en vue d'éviter les évasions et tous autres incidents lors des transfèrements et extractions de personnes détenues. / Ces personnes détenues peuvent être soumises, sous la responsabilité du chef d'escorte, au port des menottes ou, s'il y a lieu, des entraves (...) " et celles de l'article D. 294 du même code que : " Lors des hospitalisations et des consultations ou examens (...), les mesures de sécurité adéquates doivent être prises dans le respect de la confidentialité des soins ".
3. La circulaire ministérielle AP 2004-07 du 18 novembre 2004, publiée sous la référence NOR JUSK044155C dans le bulletin n° 96 du ministère de la justice d'octobre-décembre 2004 et accessible sur le site Légifrance, est venue préciser les modalités d'organisation des escortes pénitentiaires des détenus faisant l'objet d'une consultation médicale. Outre les moyens de contrainte qui peuvent être envisagés durant les trajets, la composition de l'escorte et son armement, ainsi que les moyens de liaison dont cette dernière doit disposer, cette circulaire définit trois niveaux de surveillance susceptibles d'être envisagés pendant la consultation médicale proprement dite : pour le niveau n° 1, la consultation peut s'effectuer hors la présence du personnel pénitentiaire avec ou sans moyen de contrainte ; pour le niveau n° 2, la consultation se déroule sous la surveillance constante du personnel pénitentiaire mais sans moyen de contrainte ; pour le niveau n° 3, la consultation se déroule sous la surveillance constante du personnel pénitentiaire avec moyen de contrainte.
4. Il résulte également des orientations de cette circulaire que le régime d'escorte en cas d'extraction médicale et en particulier le niveau de surveillance devant être mis en place au cours des consultations, est défini, pour chaque détenu, en prenant en compte notamment les risques d'évasion, l'état de dangerosité de l'intéressé pour lui-même ou pour autrui, et son état de santé. Dans ces conditions, et en particulier lorsque la décision prise à cet égard par le chef d'établissement, s'inscrit dans la suite de l'évaluation périodique de la situation du détenu à laquelle procède la commission pluridisciplinaire unique et a ainsi pour vocation d'être appliquée, sauf circonstances particulières, à toutes les extractions du détenu jusqu'à la prochaine évaluation, les mesures de classement ou de déclassement prises à son encontre doivent être regardées, eu égard à la nature des contraintes exercées sur la personne du détenu et au caractère différencié des modalités selon lesquelles, en fonction de son classement, est aménagé le respect de son droit à la confidentialité des soins médicaux et de sa dignité, comme des décisions susceptibles de faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir.
5. Il résulte de ce qui précède que M. C... est fondé à soutenir que le jugement par lequel le tribunal administratif de Nancy a rejeté comme irrecevable sa demande tendant à l'annulation de la décision du directeur du centre de détention de Toul refusant de le reclasser en niveau de surveillance n° 2 en cas d'extraction médicale est entaché d'irrégularité. Il y a lieu, par suite, d'annuler ce jugement et de statuer, par la voie de l'évocation, sur la demande de M. C....
Sur la légalité de la décision contestée :
6. Aux termes de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. A cet effet, doivent être motivées les décisions qui :1° Restreignent l'exercice des libertés publiques ou, de manière générale, constituent une mesure de police (...) ". L'article L. 211-5 du même code dispose que : " La motivation exigée par la présente loi doit être écrite et comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision ".
7. Les décisions par lesquelles un chef d'établissement pénitentiaire définit le niveau d'escorte d'un détenu en cas d'extraction médicale et celles qui refusent de revenir sur ce classement constituent des mesures de police qui sont soumises à l'obligation de motivation prévues par les dispositions précitées du code des relations entre le public et l'administration.
8. Pour refuser de donner suite à la demande de révision de son niveau d'escorte présentée pour M. C..., le directeur du centre de détention de Toul s'est borné à lui indiquer qu'il avait été placé en niveau d'escorte n° 2 compte tenu, notamment de sa date de fin de peine, une telle position ayant été validée lors de la réunion de la commission pluridisciplinaire unique du 5 février 2016 et aucun élément ne justifiant de lever ce niveau d'escorte qui est réévalué tous les ans. Une telle motivation qui ne comporte aucun élément de droit permettant de déterminer le fondement légal de cette décision, ne répond pas aux exigences légales énoncées à l'article L. 211-5 du code des relations entre le public et l'administration.
9. Il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, M. C... est fondé à demander l'annulation de la décision du 21 juin 2016 du directeur du centre pénitentiaire de Toul.
Sur les frais de l'instance :
10. L'Etat étant partie perdante à la présente instance, il y a lieu de mettre à sa charge le versement à Me D..., avocate de M. C..., d'une somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens, sous réserve qu'elle renonce à la part contributive de l'Etat à l'aide juridictionnelle accordée à son client.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1603405 du 13 février 2018 du tribunal administratif de Nancy et la décision du 21 juin 2016 du directeur du centre de détention de Toul sont annulés.
Article 2 : L'Etat versera à Me D... une somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve qu'elle renonce à la part contributive de l'Etat à l'aide juridictionnelle accordée à M. C....
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... C... et à la garde des sceaux, ministre de la justice.
Délibéré après l'audience du 21 novembre 2019, à laquelle siégeaient :
M. Kolbert, président de chambre,
M. B..., premier conseiller,
M. Diethenhoeffer, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 12 décembre 2019.
Le président -rapporteur,
Signé : E. KolbertL'assesseur le plus ancien,
Signé : J.M. B...
La greffière,
Signé : S. Robinet
La République mande et ordonne à la garde des sceaux, ministre de la justice, en ce qui la concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
S. Robinet
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N° 18NC02030