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25/02/2020 | FRANCE | N°18NC01473

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 4ème chambre, 25 février 2020, 18NC01473


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... B... a demandé au tribunal administratif de Nancy d'annuler les arrêtés du 21 novembre 2016 et du 6 juillet 2017 par lesquels le Carrefour d'accompagnement public social de Rosières-aux-Salines a prononcé une sanction disciplinaire de révocation à son encontre.

Par un jugement n°s 1700130 - 1702016 du 15 mars 2018, le tribunal administratif de Nancy a annulé les arrêtés des 21 novembre 2016 et 6 juillet 2017.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregi

strés les 16 mai 2018 et 20 mai 2019, le Carrefour d'accompagnement public social (CAPS) 54, r...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... B... a demandé au tribunal administratif de Nancy d'annuler les arrêtés du 21 novembre 2016 et du 6 juillet 2017 par lesquels le Carrefour d'accompagnement public social de Rosières-aux-Salines a prononcé une sanction disciplinaire de révocation à son encontre.

Par un jugement n°s 1700130 - 1702016 du 15 mars 2018, le tribunal administratif de Nancy a annulé les arrêtés des 21 novembre 2016 et 6 juillet 2017.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 16 mai 2018 et 20 mai 2019, le Carrefour d'accompagnement public social (CAPS) 54, représenté par Me E..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du 15 mars 2018 du tribunal administratif de Nancy ;

2°) de rejeter les demandes présentées par M. B... devant le tribunal administratif de Nancy ;

3°) de mettre à la charge de M. B... la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- les faits, qui sont précis et circonstanciés, justifient la sanction de révocation prononcée à l'encontre de M. B... ;

- M. B... tient des propos dégradants à l'encontre des autres agents, ce qui crée des tensions et un climat de malaise ;

- il a fait preuve de maltraitance et de brutalité envers les usagers ;

- ses retards sont très fréquents, ce qui compromet la continuité du service ;

- ses évaluations antérieures ne faisaient pas obstacle à ce que la sanction de la révocation lui soit infligée ;

- il n'a été privé d'aucune garantie de procédure avant l'édiction de l'arrêté du 21 novembre 2016 ;

- aucune irrégularité n'entache l'arrêté du 6 juillet 2017 en raison de la présence de l'avocat du CAPS lors du conseil de discipline, de l'absence de report de cette séance et de la présence de la personne qui a interrogé les agents lors de l'enquête administrative ;

- les faits sont établis et présentent un caractère grave ;

- il n'a pas été sanctionné deux fois pour les mêmes faits ;

- le défaut de transmission de l'avis du conseil de discipline n'a eu aucune influence sur la légalité de l'arrêté du 6 juillet 2017 ;

- il n'a pas été privé de la possibilité de saisir le conseil supérieur de la fonction publique ;

- une nouvelle décision devait intervenir en raison de la suspension de l'arrêté du 21 novembre 2016.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 20 juillet 2018 et 21 janvier 2020, M. C... B..., représenté par Me A..., conclut, à titre principal, au rejet de la requête, à titre subsidiaire, à l'annulation des arrêtés des 21 novembre 2016 et 6 juillet 2017 prononçant sa révocation et enfin, à ce qu'une somme de 5 000 euros soit mise à la charge du Carrefour public d'accompagnement social au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- l'enquête administrative interne a été menée " à charge ", de façon non objective ;

- les faits ne sont pas précis et ne sont pas établis ;

- la sanction de révocation est disproportionnée et entachée d'erreur manifeste d'appréciation ;

- la procédure ayant conduit aux arrêtés du 21 novembre 2016 et du 6 juillet 2017 est entachée de plusieurs irrégularités ;

- les arrêtés ont été pris sans que le conseil de discipline n'émette un avis ;

- il a été sanctionné deux fois pour les mêmes faits ;

- il est actuellement responsable du foyer d'hébergement de Dombasle, qui accueille 33 usagers ;

- aucun des autres moyens soulevés par le CAPS n'est fondé.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires ;

- la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme D..., présidente assesseur,

- les conclusions de M. Michel, rapporteur public,

- et les observations de Me A... pour M. B....

Considérant ce qui suit :

1. M. C... B..., assistant socio-éducatif principal, est employé par le Carrefour d'accompagnement public social (CAPS) de Rosières-aux-Salines. Agent titulaire, il était affecté, en dernier lieu, en qualité de responsable d'appartement au sein du FAS de Lunéville qui accueille des adultes handicapés disposant d'une certaine autonomie. Par un arrêté du 21 novembre 2016, le CAPS de Rosières-aux-Salines a prononcé la sanction disciplinaire de révocation à son encontre. Cependant, par une ordonnance du 8 février 2017, le juge des référés du tribunal administratif de Nancy a suspendu l'exécution de cet arrêté en estimant que la méconnaissance du délai de convocation d'au moins quinze jours devant le conseil de discipline était de nature à créer un doute sérieux quant à sa légalité. Le CAPS a alors engagé une nouvelle procédure disciplinaire à l'encontre de M. B.... Par un arrêté du 6 juillet 2017, qui lui a été notifié le 10 juillet suivant, le CAPS a de nouveau prononcé la sanction disciplinaire de révocation à l'encontre de M. B.... Le juge des référés du tribunal administratif de Nancy a suspendu l'exécution de cet arrêté par une ordonnance du 17 août 2017 après avoir relevé que M. B... était sanctionné deux fois pour les mêmes faits. Par un jugement du 15 mars 2018, le tribunal administratif de Nancy, statuant au fond, a annulé les arrêtés des 21 novembre 2016 et 6 juillet 2017 à la demande de M. B.... Le CAPS relève appel de ce jugement.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

2. En premier lieu, aux termes de l'article 81 de la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière : " Les sanctions disciplinaires sont réparties en quatre groupes : (...) / Quatrième groupe : / La mise à la retraite d'office, la révocation (...) ".

3. En deuxième lieu, pour prononcer la sanction de révocation à l'encontre de M. B..., l'arrêté du 21 novembre 2016 relève qu'il a été constaté qu'il " adopte des comportements et des propos inadaptés et irrespectueux envers les professionnels ainsi qu'envers les usagers ", qu'il " arrive en retard très fréquemment et n'a aucun égard pour les personnes ou les projets impactés par son attitude désinvolte ", que " certains de ces faits sont assimilables à du harcèlement moral ", que " certains comportements ne respectent pas son devoir d'obéissance " et enfin que " le harcèlement moral et le non-respect de son devoir d'obéissance sont constitutifs de fautes graves dans l'exercice des missions " de l'intéressé. L'arrêté du 6 juillet 2017, pris en exécution de l'ordonnance du 8 février 2017 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Nancy a suspendu l'exécution de l'arrêté du 21 novembre 2016 en raison d'un vice de procédure, est rédigé dans les mêmes termes.

4. En troisième lieu, d'une part, l'enquête administrative interne menée entre les mois de juillet et de septembre 2016 a permis d'entendre les témoignages de tous les agents du FAS de Lunéville concernant le comportement de M. B..., qu'ils lui soient favorables ou non. Cette enquête établit les retards récurrents de M. B... relevés par un grand nombre des personnes entendues. M. B... arrive en retard et s'absente également parfois de longues heures de manière inopinée de son lieu de travail. Plusieurs rappels à l'ordre ont été adressés à M. B... à ce sujet. Si ses retards semblaient avoir diminué depuis quelques mois à la date de l'enquête administrative, il ressort cependant des témoignages concordants qu'ils perturbent le bon fonctionnement du foyer d'accueil de Lunéville. En effet, les autres professionnels sont contraints d'attendre l'arrivée de M. B..., alors qu'ils ont eux-mêmes d'autres obligations, voire de préparer les repas des occupants de l'appartement dont il est responsable pour que les usagers puissent se restaurer. Les usagers du FAS dont il a la charge sont également régulièrement en retard aux ateliers auxquels ils participent. La circonstance que M. B... ne serait pas le seul à être en retard et que les autres agents prendraient de longues pauses café n'est pas de nature à exonérer M. B... de ce manquement à ses obligations professionnelles, qu'il admet au demeurant.

5. D'autre part, il ressort également des pièces du dossier et notamment de l'enquête administrative et du contenu même de certains des courriels adressés par M. B..., produits par le CAPS, que celui-ci emploie des termes méprisants, vulgaires et grossiers pour qualifier ses collègues ainsi que la qualité de leur travail et de leurs projets. Il est très critique quant au travail réalisé tant par ses collègues que par les aides-soignantes qu'il dénigre, alors qu'ainsi qu'il est dit au point précédent, son propre comportement n'est pas exemplaire. Ses critiques, quel que soit leur bien-fondé, ne s'accompagnent d'aucune proposition pour améliorer le contenu de projets qu'il trouve dépourvus d'intérêt, ainsi que le relève son chef de service selon lequel M. B... peut faire " des blocages ". Son dénigrement récurrent du travail des autres professionnels qu'il côtoie les déstabilise et suscite un profond malaise chez certains d'entre eux ainsi que des tensions au sein des équipes du FAS de Lunéville. Il lui arrive également d'employer des termes peu respectueux à l'égard des usagers, ses critiques et propos méprisants étant cependant essentiellement destinés à ses collègues, ainsi d'ailleurs que l'établit le compte-rendu de son audition dans le cadre de l'enquête administrative interne.

6. En outre, le comportement de M. B... et notamment ses retards et ses absences inopinées, peut être perçu comme désinvolte et méprisant par ses collègues de travail. Il lui arrive d'emprunter, sans prévenir, des véhicules réservés par d'autres collègues pour d'autres activités, remettant ainsi en cause leurs propres projets. Certains employés indiquent également avoir peur de lui, dès lors qu'il n'accepte pas la contradiction et s'énerve facilement, ainsi que cela ressort notamment du compte-rendu d'une réunion entre son chef de service et le responsable d'un autre appartement. Il est également suffisamment établi que les usagers mangent en retard, voire très en retard lorsqu'il est en service. M. B... refuserait également selon plusieurs témoignages, de signer les protocoles de soins et serait peu intéressé par la prise en charge médicale des usagers. Cependant, les pièces du dossier n'établissent pas qu'il ne donnerait pas les médicaments prescrits aux usagers. La maltraitance alléguée à l'égard des usagers n'est pas davantage corroborée par les pièces du dossier. Aucun usager ne se plaint ainsi des horaires de repas décalés ou d'un manquement de M. B... dans les traitements médicamenteux ou l'hygiène et la propreté. Les sorties et activités qu'il propose sont appréciées et certains témoignages relèvent qu'il plaisante avec certains usagers. M. B... explique également s'interposer fermement en cas de crises entre les usagers, ce qui peut expliquer certains des gestes brusques relevés. Si quelques témoignages font état de chaises retournées ou d'une chaise placée devant une issue de secours, ces actes ne révèlent pas, en tant que tels, la maltraitance des usagers du FAS.

7. Par ailleurs, le manquement de M. B... à son devoir d'obéissance n'est pas établi, à l'exception des rappels à l'ordre relatifs à ses retards. De même, alors que les critiques et le dénigrement par M. B... du travail de ses collègues sont suffisamment établis, ils ne peuvent être regardés, en dépit de leur gravité, comme constitutifs de harcèlement moral. Ils marquent davantage le mépris de M. B... pour le travail des autres, une forte estime de soi et ses difficultés à travailler en équipe en cas de désaccord.

8. Il résulte de ce qui précède, qu'outre les retards et absences de M. B..., ses propos critiques, méprisants et vulgaires à l'égard de ses collègues et de leur travail sont établis, de même que certains propos irrespectueux tenus à l'égard d'usagers. Ces faits, eu égard à leur récurrence, à leur gravité et à leur incidence sur le travail au sein de l'équipe qui anime les appartements et le service offert aux usagers, constituent des fautes de nature à justifier une sanction disciplinaire.

9. En dernier lieu, les fautes de M. B..., aussi graves soient-elles, doivent cependant être replacées dans un contexte d'opposition entre professionnels quant à la conception même de l'accompagnement social et du fonctionnement des appartements, que l'absence de dialogue constructif entre professionnels n'a pas permis de résoudre. La situation a ainsi dérivé vers un conflit ouvert dans lequel chacun campe sur ses positions. Plusieurs personnes interrogées dans le cadre de l'enquête administrative, dont certaines travaillent quotidiennement avec M. B..., relèvent ainsi qu'il est un bon professionnel, qui mène une véritable réflexion sur l'accompagnement des personnes handicapées et propose des activités et projets intéressants. Il ressort ainsi des pièces du dossier qu'il a remis en cause certains habitudes bien ancrées, telles que l'absence de toute activité après le dîner. Son évaluation annuelle en 2015, quelques mois seulement avant les faits, souligne la dynamique qu'il a impulsée au sein de son équipe avec des projets nombreux, variés et appréciés par les usagers. A la suite de la suspension de l'exécution de l'arrêté du 6 juillet 2017, M. B... a d'ailleurs été affecté au foyer d'hébergement de Dombasle où il est responsable d'une équipe de professionnels plus étoffée que celle de Lunéville et de davantage d'usagers également. Par suite, la sanction de la révocation, sanction la plus sévère pouvant être infligée, présente un caractère disproportionné au regard des fautes commises par M. B... et est ainsi entachée d'erreur d'appréciation.

10. Il résulte de tout ce qui précède que, sans qu'il soit besoin d'examiner les moyens soulevés en défense par M. B... relatifs notamment à l'irrégularité de la procédure disciplinaire, le CAPS n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nancy a annulé les arrêtés des 21 novembre 2016 et 6 juillet 2017.

Sur les frais liés au litige :

11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de M. B..., qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que le CAPS demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

12. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du CAPS le versement à M. B... de la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

Article 1er : La requête du Carrefour d'accompagnement public social est rejetée.

Article 2 : Le Carrefour d'accompagnement public social versera à M. B... une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au Carrefour d'accompagnement public social et à M. C... B....

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18NC01473


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 18NC01473
Date de la décision : 25/02/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

36-09 Fonctionnaires et agents publics. Discipline.


Composition du Tribunal
Président : M. DEVILLERS
Rapporteur ?: Mme Christine GRENIER
Rapporteur public ?: M. MICHEL
Avocat(s) : ISARD AVOCATS CONSEIL

Origine de la décision
Date de l'import : 03/03/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2020-02-25;18nc01473 ?
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