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03/03/2020 | FRANCE | N°18NC00386

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 3ème chambre, 03 mars 2020, 18NC00386


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. H... F... et son épouse Mme A... F..., agissant tant en leur nom personnel qu'en leur qualité de représentants légaux de leurs enfants mineurs B..., Yasmine et Ahmed Belkassem, ont demandé au tribunal administratif de Besançon de condamner, à titre principal, l'ONIAM et, à titre subsidiaire, l'Hôpital Nord Franche-Comté et son assureur la SHAM à réparer les préjudices qu'ils ont subis du fait de l'accident médical dont a été victime leur fille B... lors de sa naissance ou de fautes commises lors

de l'accouchement de Mme F....

La caisse primaire d'assurance maladie de la H...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. H... F... et son épouse Mme A... F..., agissant tant en leur nom personnel qu'en leur qualité de représentants légaux de leurs enfants mineurs B..., Yasmine et Ahmed Belkassem, ont demandé au tribunal administratif de Besançon de condamner, à titre principal, l'ONIAM et, à titre subsidiaire, l'Hôpital Nord Franche-Comté et son assureur la SHAM à réparer les préjudices qu'ils ont subis du fait de l'accident médical dont a été victime leur fille B... lors de sa naissance ou de fautes commises lors de l'accouchement de Mme F....

La caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Saône a demandé au tribunal administratif de Besançon de condamner l'établissement hospitalier à lui rembourser ses débours ainsi que la somme de 1 055 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion.

Par un jugement n° 1500863 du 19 décembre 2017, le tribunal administratif de Besançon a rejeté ces demandes.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 16 février 2018, et un mémoire, enregistré le 10 septembre 2019, M. H... F... et son épouse Mme A... F..., agissant tant en leur nom personnel qu'en leur qualité de représentants légaux de leurs enfants mineurs B..., Yasmine et Ahmed Belkassem, représentés par la Selarl Clapot-C..., demandent à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Besançon du 19 décembre 2017 ;

2°) de condamner l'ONIAM ou, à titre subsidiaire, l'Hôpital Nord Franche-Comté et la SHAM à les indemniser des préjudices subis du fait de la lésion du plexus brachial, des troubles neurologiques et du kyste latéro-médullaire dont B... est atteinte ;

3°) d'ordonner avant dire droit une expertise afin de déterminer les préjudices en lien avec l'accident médical dont a été victime B... ou la faute commise dans la prise en charge de l'accouchement de Mme F... ;

4°) de surseoir à statuer sur la liquidation des préjudices jusqu'à la consolidation de l'état d'B... ;

5°) de leur accorder, au bénéfice d'B..., une provision de 30 000 euros ;

6°) à titre infiniment subsidiaire, d'ordonner avant dire droit une expertise afin de déterminer si des fautes ont été commises dans la prise en charge de Mme F... ou si B... a été victime d'un accident médical ;

7°) d'assortir les sommes allouées des intérêts au taux légal à compter de la date de leur demande préalable et de la capitalisation annuelle des intérêts à compter de la date du dépôt de leur requête ;

3°) de condamner l'ONIAM ou, à titre subsidiaire, l'Hôpital Nord Franche-Comté et la SHAM à leur verser une somme de 4 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- B... a été victime d'un accident médical lors de sa naissance ; les conditions tenant à la gravité et à l'anormalité du dommage sont remplies ; l'indemnisation des préjudices résultant de cet accident médical incombe à l'ONIAM ;

- les troubles neurologiques dont est atteinte B... et le kyste méningocèle qu'elle a présenté sont en lien avec la lésion du plexus brachial dont elle a été victime ;

- à titre subsidiaire, une faute a été commise lors de la prise en charge de l'accouchement et notamment lors des manoeuvres entreprises pour dégager l'enfant ; les sages-femmes n'ont pas réalisé les gestes appropriés ;

Par un mémoire, enregistré le 3 juillet 2018, la caisse primaire de la Haute-Saône a indiqué qu'elle ne souhaitait pas intervenir dans la présente instance.

Par un mémoire, enregistré le 22 juillet 2018, l'Office national des accidents médicaux des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM), représenté par Me D..., conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que :

- si une faute a été commise lors de l'accouchement de Mme F..., cette circonstance ferait obstacle à l'indemnisation des préjudices des requérants au titre de la solidarité nationale ;

- les conditions posées au II de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique ne sont pas remplies ;

- une nouvelle expertise ne revêtirait pas de caractère utile.

Par un mémoire, enregistré le 3 août 2018, l'Hôpital Nord Franche-Comté, représenté par Me G..., conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que :

- aucun des moyens invoqués par les requérants n'est fondé ;

- une nouvelle expertise ne revêtirait pas de caractère utile.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme E...,

- les conclusions de Mme Seibt, rapporteur public,

- et les observations de Me C... pour M. et Mme F....

Considérant ce qui suit :

1. Mme F... a donné naissance, le 6 juin 2011, à une petite fille prénommée B.... L'accouchement, qui a été réalisé à l'Hôpital Nord Franche-Comté (HNFC), a été compliqué par une dystocie des épaules et l'enfant a présenté, dans les suites de cet accouchement, une lésion du plexus brachial. Estimant qu'B... avait été victime d'un accident médical, ses parents, agissant tant en leur nom propre qu'en leur qualité de représentants légaux de leurs trois enfants mineurs, ont demandé au tribunal administratif de Besançon de condamner l'ONIAM à réparer les préjudices subis du fait de cet accident. Ils ont également demandé, à titre subsidiaire, la condamnation de l'Hôpital Nord Franche-Comté et de la Société hospitalière d'assurances mutuelles (SHAM) à réparer les préjudices en lien avec des fautes commises lors de l'accouchement de Mme F.... M. et Mme F... relèvent appel du jugement du 19 décembre 2017 par lequel le tribunal administratif de Besançon a rejeté leurs demandes.

Sur l'indemnisation au titre de la solidarité nationale :

2. Aux termes du II de l'article L. 1442-1 du code de la santé publique : " Lorsque la responsabilité d'un professionnel, d'un établissement, service ou organisme mentionné au I ou d'un producteur de produits n'est pas engagée, un accident médical, une affection iatrogène ou une infection nosocomiale ouvre droit à la réparation des préjudices du patient, et, en cas de décès, de ses ayants droit au titre de la solidarité nationale, lorsqu'ils sont directement imputables à des actes de prévention, de diagnostic ou de soins et qu'ils ont eu pour le patient des conséquences anormales au regard de son état de santé comme de l'évolution prévisible de celui-ci et présentent un caractère de gravité, fixé par décret, apprécié au regard de la perte de capacités fonctionnelles et des conséquences sur la vie privée et professionnelle mesurées en tenant notamment compte du taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique, de la durée de l'arrêt temporaire des activités professionnelles ou de celle du déficit fonctionnel temporaire ".

3. En premier lieu, il résulte de l'instruction que les difficultés rencontrées lors de l'accouchement de Mme F..., liées à une dystocie des épaules de l'enfant, ont rendu nécessaire le recours à des manoeuvres qui ont causé à l'enfant une paralysie du plexus brachial gauche. Les sages-femmes qui ont réalisé l'accouchement ont indiqué que l'une d'elles a notamment pratiqué une manoeuvre de Mac Roberts. Mme F... conteste ces allégations et se prévaut d'une expertise non contradictoire dans laquelle il est précisé que les séquelles présentées par l'enfant ne sont pas compatibles avec la réalisation d'une manoeuvre de Mac Roberts. Toutefois, cette affirmation n'est reprise par aucun des experts qui ont réalisé les deux expertises ordonnées par la commission régionale de conciliation et d'indemnisation (CRCI), lesquels s'accordent pour conclure que les sages-femmes avaient disposé d'un très bref délai pour achever l'extraction de l'enfant et qu'il n'était pas établi que les manoeuvres pratiquées à cette occasion ne l'avaient pas été avec diligence et conformément aux données de l'obstétrique. Dans ces conditions, il ne résulte pas de l'instruction qu'une faute serait imputable à l'Hôpital Nord Franche-Comté ni, par suite, que sa responsabilité serait engagée.

4. En deuxième lieu, il résulte des dispositions précitées du II de l'article L. 1442-1 du code de la santé publique que l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux (ONIAM) doit assurer, au titre de la solidarité nationale, la réparation des dommages, résultant d'un accident médical, qui sont directement imputables à des actes de prévention, de diagnostic ou de soins à la double condition qu'ils présentent un caractère d'anormalité au regard de l'état de santé du patient comme de l'évolution prévisible de cet état et que leur gravité excède le seuil défini à l'article D. 1142-1 du même code.

5. En l'espèce, il résulte de l'instruction et n'est d'ailleurs pas contesté par l'ONIAM que l'accident médical dont a été victime B... a notamment provoqué un déficit fonctionnel temporaire de 50 % pendant la première année de sa vie et que la gravité des dommages excède ainsi le seuil prévu à l'article D. 1142-1 du code de la santé publique.

6. En outre, si l'accouchement par voie basse constitue un processus naturel, les manoeuvres obstétricales pratiquées par un professionnel de santé lors de cet accouchement caractérisent un acte de soins au sens de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique. Il résulte par ailleurs de l'instruction et notamment du rapport d'expertise du 8 juillet 2014 que la lésion du plexus brachial qu'a présentée la jeune B... a été causée par les manoeuvres obstétricales réalisées lors de l'accouchement et est ainsi directement liée à un acte de soins.

7. Enfin, la condition d'anormalité du dommage doit toujours être regardée comme remplie lorsque l'acte médical a entraîné des conséquences notablement plus graves que celles auxquelles le patient était exposé de manière suffisamment probable en l'absence de traitement. Lorsque les conséquences de l'acte médical ne sont pas notablement plus graves que celles auxquelles le patient était exposé par sa pathologie en l'absence de traitement, elles ne peuvent être regardées comme anormales sauf si, dans les conditions où l'acte a été accompli, la survenance du dommage présentait une probabilité faible. Ainsi, elles ne peuvent être regardées comme anormales au regard de l'état du patient lorsque la gravité de cet état a conduit à pratiquer un acte comportant des risques élevés dont la réalisation est à l'origine du dommage. Pour apprécier le caractère faible ou élevé du risque dont la réalisation a entraîné le dommage, il y a lieu de prendre en compte la probabilité de survenance d'un événement du même type que celui qui a causé le dommage et entraînant une invalidité grave ou un décès.

8. Si l'élongation du plexus brachial est une complication fréquente de la dystocie des épaules et survient, selon les données fournies par les experts, dans un cas de dystocie des épaules sur dix, les experts précisent que seuls 5 à 22 % des dystocies qui ont entrainé une lésion du plexus brachial laisseront de graves séquelles motrices. Par suite, la survenance d'un tel dommage, dans 0,5 % à 2,2 % des cas de dystocie des épaules, doit être regardée comme présentant une faible probabilité caractérisant son anormalité et justifiant que l'ONIAM soit tenu de l'indemniser au titre de la solidarité nationale.

9. Il résulte de ce qui précède que M. et Mme F... sont fondés à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Besançon a rejeté leurs conclusions dirigées contre l'ONIAM.

Sur les préjudices :

10. Les expertises ordonnées par la CRCI ont été rendues en 2013 et 2014. Par ailleurs, les experts qui ont rendu l'expertise du 8 juillet 2014 ont précisé qu'il convenait de réévaluer les préjudices d'B..., notamment, quand elle aura atteint l'âge de six ans, ce qui est désormais le cas. Enfin, les requérants contestent, en se prévalant d'un courrier rédigé par le neurochirurgien pédiatrique qui suit B..., les conclusions des experts qui ont conclu à l'absence de lien de causalité entre la lésion du plexus brachial et les troubles neurologiques et le kyste latéro-médullaire qu'elle présente.

11. Dans ces conditions, l'état du dossier ne permet pas à la cour d'apprécier et d'évaluer les préjudices subis par la jeune B... du fait de l'accident médical dont elle a été victime. Dès lors, il y a lieu, avant de statuer sur les demandes de M. et Mme F..., d'ordonner une expertise aux fins précisées ci-après.

Sur les conclusions à fin d'indemnisation provisionnelle :

12. Dans les circonstances de l'espèce et compte tenu des motifs du présent arrêt, la créance de M. et Mme F... peut être regardée comme étant non sérieusement contestable pour un montant de 10 000 euros. Il sera dès lors fait une juste appréciation de la somme que devra leur verser l'ONIAM à titre de provision en la fixant à ce montant.

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement n° 1500863 du tribunal administratif de Besançon du 19 décembre 2017 est annulé.

Article 2 : Il sera, avant de statuer sur la requête de M. et Mme F..., procédé par un expert, désigné par la présidente de la cour, à une expertise avec pour mission de :

1) apporter tous les éléments permettant de déterminer les dommages en lien avec la lésion du plexus brachial dont a été victime B... F... et préciser en particulier si les troubles neurologiques et le kyste latéro-médullaire dont souffre l'enfant sont en lien avec la lésion du plexus brachial ;

2) dire si l'état de santé d'B... F... est consolidé et, le cas échéant, fixer la date de consolidation ; dire si, le cas échéant, l'état de santé de celle-ci est susceptible de modification en aggravation ou en amélioration et, dans l'affirmative, fournir toutes précisions utiles sur cette évolution et son degré de probabilité ; dans l'hypothèse où son état de santé ne serait pas consolidé, fixer l'échéance à l'issue de laquelle cette consolidation pourra intervenir ;

3) préciser la nature des préjudices de toute nature d'B... F... ; dans l'hypothèse où plusieurs causes sont à l'origine des séquelles, faire le partage entre chacune de ces causes et indiquer leur part dans la survenue des préjudices ; indiquer, le cas échéant, le taux du déficit fonctionnel permanent, la durée et la gravité du déficit fonctionnel temporaire, et donner son avis sur l'existence éventuelle de préjudices personnels, et notamment des souffrances endurées, des préjudices esthétique, d'agrément, moral, sexuel, d'établissement et professionnel ; en cas de pertes d'autonomie, préciser les besoins d'aide à la personne et d'aide matérielle ;

4) fournir à la cour tous éléments utiles à la solution du litige.

Article 3 : L'expert, pour l'accomplissement de sa mission, se fera communiquer tous documents relatifs à l'état de santé d'Alyah F... ; il procédera à l'examen sur pièces du dossier médical d'B... F... ainsi qu'à son examen clinique.

Article 4 : L'expert accomplira sa mission dans les conditions prévues par les articles R. 621-2 à R. 621-14 du code de justice administrative. Il prêtera serment par écrit devant le greffier en chef du tribunal. L'expert déposera son rapport au greffe de la cour en deux exemplaires et en notifiera copie aux parties dans le délai fixé par la présidente de la cour dans sa décision le désignant.

Article 5 : Les frais d'expertise sont réservés pour y être statué en fin d'instance.

Article 6 : L'ONIAM versera à M. et Mme F... une somme de 10 000 euros à titre de provision.

Article 7 : Tous droits et moyens des parties sur lesquels il n'est pas expressément statué par le présent arrêt sont réservés jusqu'en fin d'instance.

Article 8 : Le présent arrêt sera notifié à M. H... F..., à Mme A... F..., à l'Hôpital Nord Franche-Comté, à la Société hospitalière d'assurances mutuelles, à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales, à la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Saône et à la mutuelle Vivinter.

2

N° 18NC00386


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 18NC00386
Date de la décision : 03/03/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-02-01-01-005-02 Responsabilité de la puissance publique. Responsabilité en raison des différentes activités des services publics. Service public de santé. Établissements publics d'hospitalisation. Responsabilité sans faute. Actes médicaux.


Composition du Tribunal
Président : M. WURTZ
Rapporteur ?: Mme Guénaëlle HAUDIER
Rapporteur public ?: Mme SEIBT
Avocat(s) : CABINET CLAPOT - LETTAT

Origine de la décision
Date de l'import : 10/03/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2020-03-03;18nc00386 ?
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