Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme D... E... épouse A... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler les arrêtés du 9 octobre 2019 par lesquels le préfet du Bas-Rhin a décidé son transfert aux autorités italiennes et l'a assignée à résidence avec une obligation de présentation hebdomadaire.
Par un jugement n° 1907663 du 23 octobre 2019, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 23 novembre 2019, Mme D... E... épouse A..., représentée par Me F..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 23 octobre 2019 ;
2°) d'annuler les arrêtés du préfet du Bas-Rhin du 9 octobre 2019 ;
3°) d'enjoindre au préfet du Bas-Rhin de réexaminer sa situation et de lui délivrer une attestation de demandeur d'asile dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
5°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros, à verser à son conseil au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
- la décision de remise aux autorités italiennes n'est pas suffisamment motivée, en méconnaissance des dispositions de l'article L. 742-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la décision de remise aux autorités italiennes a été prise en méconnaissance des articles 3 et 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ; le préfet aurait dû faire usage de la clause discrétionnaire prévue à l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ;
- le préfet a méconnu les stipulations des articles 4 et 19 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- la décision portant assignation à résidence n'est pas motivée, en méconnaissance de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration ;
- la décision portant assignation à résidence est illégale du fait de l'illégalité de la décision de remise aux autorités italiennes ;
- la décision portant assignation à résidence assortie d'une obligation de présentation hebdomadaire aux services de la police aux frontière situés à Strasbourg-Entzheim est disproportionnée.
Par un mémoire en défense, enregistré le 11 février 2020, le préfet du Bas-Rhin conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir qu'aucun des moyens invoqués par la requérante n'est fondé.
Les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que le jugement était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de ce qu'il n'y avait plus lieu de statuer sur les conclusions à fin d'annulation de Mme A... tendant à l'annulation de l'arrêté du 9 octobre 2019 par lequel le préfet du Bas-Rhin a décidé son transfert aux autorités italiennes, cette décision ne pouvant plus être légalement exécutée compte tenu de l'expiration du délai de transfert prévu à l'article 29 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013.
Un mémoire en réponse au moyen relevé d'office a été enregistré le 26 mai 2020 pour le préfet du Bas-Rhin.
Un mémoire en réponse au moyen relevé d'office a été enregistré le 29 mai 2020 pour Mme A....
Mme A... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 11 mars 2020.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le règlement (UE) n ° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le règlement (UE) n°604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 modifiée ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Ont été entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme C...,
- et les observations de Me B..., substituant Me F..., pour Mme A....
Considérant ce qui suit :
1. Mme D... E... épouse A..., ressortissante nigériane née en 1988, indique être entrée en France au mois de juillet 2019, accompagnée de son fils né le 30 octobre 2015, afin d'y solliciter l'asile. Après avoir notamment constaté que les empreintes de l'intéressée avaient été relevées en Italie, le préfet du Bas-Rhin a présenté aux autorités italiennes une demande tendant à leur prise en charge, laquelle a été implicitement acceptée. Par des arrêtés du 9 octobre 2019, le préfet du Bas-Rhin a décidé son transfert vers l'Italie et l'a assignée à résidence. Mme A... relève appel du jugement du 23 octobre 2019, par lequel la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à l'annulation de ces arrêtés.
Sur le non-lieu à statuer :
2. L'article 29 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013, qui fixe les conditions de transfert du demandeur d'asile ayant introduit une demande dans un autre Etat membre, dispose, au paragraphe 1, que : " Le transfert du demandeur ou d'une autre personne visée à l'article 18, paragraphe 1, point c) ou d), de l'État membre requérant vers l'État membre responsable s'effectue conformément au droit national de l'État membre requérant, après concertation entre les États membres concernés, dès qu'il est matériellement possible et, au plus tard, dans un délai de six mois à compter de l'acceptation par un autre État membre de la requête aux fins de prise en charge ou de reprise en charge de la personne concernée ou de la décision définitive sur le recours ou la révision lorsque l'effet suspensif est accordé conformément à l'article 27, paragraphe 3 ". Aux termes du paragraphe 2 de cet article : " Si le transfert n'est pas exécuté dans le délai de six mois, l'État membre responsable est libéré de son obligation de prendre en charge ou de reprendre en charge la personne concernée et la responsabilité est alors transférée à l'État membre requérant. Ce délai peut être porté à un an au maximum s'il n'a pas pu être procédé au transfert en raison d'un emprisonnement de la personne concernée ou à dix-huit mois au maximum si la personne concernée prend la fuite ". La notion de fuite doit s'entendre comme visant le cas où un ressortissant étranger se serait soustrait de façon intentionnelle et systématique au contrôle de l'autorité administrative en vue de faire obstacle à une mesure d'éloignement le concernant. Dans l'hypothèse d'un départ contrôlé dont l'Etat responsable du transfert assure l'organisation matérielle, en prenant en charge le titre de transport permettant de rejoindre l'Etat responsable de l'examen de la demande d'asile depuis le territoire français ainsi que, le cas échéant, le préacheminement du lieu de résidence du demandeur jusqu'à l'embarquement vers son lieu de destination, le demandeur d'asile qui se soustrait délibérément à l'exécution de son transfert ainsi organisé doit être regardé comme en fuite, au sens de ces dispositions.
3. Il résulte de la combinaison de ces dispositions avec celles du premier alinéa de l'article L. 742-3 et du second alinéa de l'article L. 742-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile que l'introduction d'un recours devant le tribunal administratif contre la décision de transfert a pour effet d'interrompre le délai de six mois fixé à l'article 29 du règlement (UE) n° 604/2013, qui court à compter de l'acceptation du transfert par l'Etat requis, délai qui recommence à courir intégralement à compter de la date à laquelle le tribunal administratif statue au principal sur cette demande, quel que soit le sens de sa décision. Ni un appel ni le sursis à exécution du jugement accordé par le juge d'appel sur une demande présentée en application de l'article R. 811-15 du code de justice administrative n'ont pour effet d'interrompre ce nouveau délai. Son expiration a pour conséquence qu'en application des dispositions du paragraphe 2 de l'article 29 du règlement précité, l'Etat requérant devient responsable de l'examen de la demande de protection internationale. En revanche, ce délai peut être prolongé et porté à dix-huit mois lorsque la personne concernée est considérée comme étant en fuite.
4. En l'espèce, il ressort des pièces du dossier que le préfet du Bas-Rhin a informé les autorités italiennes de la prolongation du délai de transfert concernant Mme A... jusqu'au 22 avril 2021, au motif que l'intéressée avait pris la fuite. Il est constant que Mme A... ne s'est pas présentée le 13 décembre 2019 à l'aéroport de Bâle-Mulhouse en vue de prendre un vol à destination finale de l'Italie, alors qu'une convocation lui avait été régulièrement notifiée. Mme A... ne saurait sérieusement se prévaloir à cet égard de ce qu'elle était assignée à résidence dans le département du Bas-Rhin et que, par suite, elle ne pouvait pas se rendre à l'aéroport situé dans le département voisin. Ainsi et alors même qu'il n'est pas contesté que la requérante s'était jusqu'alors présentée à l'ensemble des convocations administratives qui lui avaient été adressées, le préfet a pu légalement considérer que l'intéressée se trouvait en situation de fuite. Par suite, à la date du présent arrêt, la France ne peut être regardée comme étant devenue responsable de l'examen de la demande de protection internationale de Mme A.... Les conclusions à fin d'annulation de la décision de transfert attaquée ne sont dès lors pas devenues sans objet.
Sur la fin de non-recevoir opposée par le préfet du Bas-Rhin :
5. Aux termes de l'article R. 411-1 du code de justice administrative : " La juridiction est saisie par requête. La requête indique les nom et domicile des parties. Elle contient l'exposé des faits et moyens, ainsi que l'énoncé des conclusions soumises au juge (...) ". Aux termes de l'article R. 811-13 du même code : " Sauf dispositions contraires prévues par le présent titre, l'introduction de l'instance devant le juge d'appel suit les règles relatives à l'introduction de l'instance de premier ressort définies au livre IV (...) ".
6. Mme A... a présenté devant la cour administrative d'appel, dans le délai de recours, une requête d'appel qui ne constitue pas la seule reproduction de ses écritures de première instance et qui énonce à nouveau, de manière précise, les arguments présentés devant les premiers juges afin de contester la décision dont elle a demandé l'annulation au tribunal administratif. Une telle motivation répond aux conditions posées par l'article R. 411-1 précité du code de justice administrative. Par ailleurs, la circonstance que la requérante n'ait pas présenté de nouveaux moyens à l'encontre de la décision litigieuse ne permet pas de regarder sa requête comme étant irrecevable. Par suite, la fin de non-recevoir opposée par le préfet du Bas-Rhin doit être écartée.
Sur le bien-fondé du jugement :
7. Le règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 pose en principe dans le paragraphe 1 de son article 3 qu'une demande d'asile est examinée par un seul Etat membre. Cet Etat est déterminé par application des critères fixés par son chapitre III, dans l'ordre énoncé par ce chapitre. Selon le même règlement, l'application des critères d'examen des demandes d'asile peut être écartée en cas de mise en oeuvre, notamment de la clause dérogatoire énoncée au paragraphe 1 de l'article 17 du règlement, qui procède d'une décision prise unilatéralement par un Etat membre. Ces dispositions prévoient que : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement (...) ".
8. Il ressort des pièces du dossier que Mme A... était enceinte lors de son arrivée en France et que son plus jeune fils est né le 2 octobre 2019, soit une semaine avant l'édiction de la décision portant remise aux autorités italiennes. La légalité d'une décision s'apprécie selon les circonstances de fait et de droit existant à la date de son édiction. A la date de la décision litigieuse, Mme A... était ainsi accompagnée d'un garçon de quatre ans et d'un nouveau-né âgé d'une semaine. Dans les circonstances particulières de l'espèce, en s'abstenant de mettre en oeuvre la clause dérogatoire prévue par les dispositions précitées de l'article 17 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013, le préfet a entaché l'arrêté du 8 février 2019 portant transfert de Mme A... d'une erreur manifeste d'appréciation.
9. Il résulte de ce qui précède et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que Mme A... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif a rejeté ses conclusions tendant à l'annulation de la décision par laquelle le préfet du Bas-Rhin a décidé sa remise aux autorités italiennes. Mme A... est également fondée, par voie de conséquence, à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif a rejeté ses conclusions tendant à l'annulation de la décision portant assignation à résidence.
Sur les conclusions aux fins d'injonction :
10. Le présent arrêt implique nécessairement que le préfet du Bas-Rhin délivre à Mme A... une attestation de demandeur d'asile. Le préfet n'apporte aucun élément de nature à établir, ainsi qu'il le soutient, que l'intéressée serait toujours titulaire d'une telle attestation. Il y a lieu d'enjoindre au préfet de délivrer cette attestation dans un délai de quinze jours à compter de la notification du présent arrêt. Il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
11. Mme A... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocate peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me G..., avocate de Mme A..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me G... de la somme de 1 000 euros.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Strasbourg n° 1907663 du 23 octobre 2019 et les arrêtés du préfet du Bas-Rhin du 9 octobre 2019 sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet du Bas-Rhin de délivrer à Mme A... une attestation de demandeur d'asile dans le délai de quinze jours à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera à Me G... une somme de 1 000 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que Me G... renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Me F... pour Mme D... E... épouse A... en application des dispositions de l'article 13 de l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 modifiée et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet du Bas-Rhin.
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N° 19NC03402