Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La SC Ambroise C... a demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne de prononcer la décharge de la cotisation supplémentaire d'impôt sur les sociétés, à laquelle elle a été assujettie au titre de l'année 2009 et des pénalités correspondantes.
Par un jugement n° 1602235 du 20 décembre 2018, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a partiellement déchargé la SC Ambroise C... de la cotisation supplémentaire d'impôt sur les sociétés au titre de l'année 2009 en conséquence de la réduction des bases prononcée et a rejeté le surplus de la demande.
M. et Mme A... C... ont demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne de prononcer la décharge de la cotisation supplémentaire d'impôt sur le revenu, à laquelle ils ont été assujettis au titre de l'année 2009 et des pénalités correspondantes.
Par un jugement n° 1602234 du 20 décembre 2018, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a partiellement déchargé M. et Mme C... de la cotisation supplémentaire d'impôt sur le revenu au titre de l'année 2009 en conséquence de la réduction des bases prononcée et a rejeté le surplus de la demande.
Procédure devant la cour :
I. Par une requête et des mémoires, enregistrés sous le n°19NC00530, les 20 et 21 février, 30 octobre et 19 décembre 2019, 2 juin et 3 juillet 2020, la SC Ambroise C... demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne du 20 décembre 2018 en tant qu'il a rejeté le surplus de sa demande ;
2°) de prononcer la décharge des impositions et des pénalités correspondantes restant en litige ;
3°) à titre subsidiaire, d'ordonner une expertise aux fins d'évaluer la valeur vénale réelle de l'usufruit temporaire des parts cédées ;
Elle soutient que :
Sur la régularité du jugement :
- le tribunal a omis de statuer sur le moyen tiré de ce que l'évaluation des éléments incorporels et la valeur de Gordon-Shapiro font double emploi ;
Sur le bien-fondé des impositions :
- la charge de la preuve d'absence de transactions comparables pèse sur l'administration, qui seule dispose de l'information des cessions d'usufruit temporaire de parts de société ; en inversant la charge de la preuve, le tribunal a contrevenu à l'article 6-1 de la convention européenne des droits de l'homme ;
- les divergences d'appréciation dans le temps de la jurisprudence et des pratiques de l'administration conduisent à ce que sa cause ne soit pas entendue équitablement par un tribunal impartial en méconnaissance des articles 6-1 et 7 de la convention européenne des droits de l'homme et 1er de son premier protocole additionnel ;
- les principes de l'espérance, de la confiance et de la croyance légitimes ont été méconnus en raison du changement des règles d'évaluation et du rappel d'impôt en litige totalement disproportionné par rapport à l'imposition initiale, en méconnaissance des articles 13 et 1er de son premier protocole additionnel ; le changement de règles a conduit à une discrimination entre les contribuables en méconnaissance des articles 14 et 1er de son premier protocole additionnel ;
- la méthode de calcul basée sur la valeur de rendement est viciée en raison des taux de marché peu élevés et du caractère exponentiel de la valorisation ; la valeur de rendement fait double emploi avec l'évaluation d'un goodwill pour la détermination de la valeur mathématique ;
- il y a lieu de déduire la rémunération correspondant au travail effectué par l'associée exploitante gérante de la SCEV pour déterminer le bénéfice moyen à retenir pour calculer la valeur des incorporels, la valeur de rendement et la valeur Gordon-Shapiro ;
- la fiscalité latente ne devait pas être seulement prise en compte sur la valeur de l'usufruit après application de la formule de Gordon-Shapiro, mais devait être déduite du résultat global de la société ; le taux retenu est erroné ;
- l'évolution du prix du raisin et du volume des ventes de bouteilles calculée à partir d'un taux d'accroissement constant est erronée ; la décote pour non liquidité devra être appliquée après synthèse des différentes méthodes et à hauteur de 30 % ;
- la valeur mathématique doit prendre en compte la valeur de la pleine propriété actuelle, son taux de rendement annuel, la durée de perception des dividendes et l'éventuelle progression de la valeur en pleine propriété ;
- les pénalités pour manquement délibéré ne sont pas justifiées ;
- en application de l'arrêt du Conseil d'Etat du 30 septembre 2019, il y a lieu de privilégier la méthode d'évaluation calculée à partir des flux de trésorerie et non à partir des dividendes distribués ; si cette méthode ne pouvait être appliquée seule, elle pourra être combinée avec celles de l'administration corrigées comme précédemment indiqué.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 24 juillet et 20 décembre 2019, le ministre de l'action et des comptes publics conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par la SC Ambroise C... ne sont pas fondés.
II. Par une requête et des mémoires, enregistrés sous le n°19NC00543, les 21 février, 30 octobre et 19 décembre 2019, 28 mai et 7 juillet 2020, M. et Mme A... C..., représentés par Me B..., demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne du 20 décembre 2018 en tant qu'il a rejeté le surplus de leur demande ;
2°) de prononcer la décharge des impositions et des pénalités correspondantes restant en litige ;
3°) à titre subsidiaire, d'ordonner une expertise aux fins d'évaluer la valeur vénale réelle de l'usufruit temporaire des parts cédées ;
Ils soulèvent les mêmes moyens que ceux développés par la SC Ambroise C... dans la requête n°19NC00530.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 24 juillet et 20 décembre 2019, le ministre de l'action et des comptes publics conclut au rejet de la requête pour les mêmes motifs que ceux exposés à l'encontre de la requête n° 19NC00530.
Vu :
- les autres pièces des dossiers ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et son premier protocole additionnel ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- l'ordonnance n° 2020-1402 et le décret n° 2020-1405 du 18 novembre 2020,
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme D...,
- et les conclusions de Mme Haudier, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. La société civile (SC) Ambroise C..., qui a pour activité l'exploitation et la gestion de biens viticoles dans la Marne, a été créée le 1er mai 2006 entre M. A... C... et Mme E... C... à parts égales. Le 31 juillet 2009, Mme C... a cédé à la SC Ambroise C... l'usufruit temporaire des parts sociales qu'elle détenait au capital de la société civile d'exploitation viticole (SCEV) Champagne René Bouche pour une période allant de 10 et 17 ans selon les parts. La SC Ambroise C..., soumise à l'impôt sur les sociétés sur option, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité au titre de la période du 1er juin 2007 au 31 mai 2010. Le vérificateur a réévalué la valeur des cessions d'usufruit temporaire réalisées en 2009 et a réintégré la différence dans l'actif net de la société. Par proposition de rectification du 11 juin 2012, l'administration a notifié à la SC Ambroise C... dans le cadre de la procédure de rectification contradictoire une cotisation supplémentaire d'impôt sur les sociétés au titre de l'année 2009. Par proposition de rectification du 12 novembre 2012, l'administration a informé Mme C... de la requalification du montant de la cession de ses parts sociales en plus-values professionnelles. Par une seconde proposition de rectification du même jour, l'administration a notifié à M. et Mme C... dans le cadre de la procédure de rectification contradictoire une cotisation supplémentaire d'impôt sur le revenu au titre de l'année 2009. La SC Ambroise C... et M. et Mme C... relèvent respectivement appel des jugements du 20 décembre 2018 en tant que le tribunal administratif a rejeté le surplus de leurs demandes.
Sur la régularité du jugement :
2. Il ressort des motifs des jugements attaqués, et notamment du point 12, que le tribunal administratif, qui n'était pas tenu de répondre à tous les arguments avancés par les parties, a écarté le moyen soulevé en première instance tiré de ce que la méthode de valorisation de Gordon-Shapiro fait double emploi avec l'évaluation des éléments incorporels. Par suite, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que le tribunal ne s'est pas prononcé sur ce moyen.
Sur le bien-fondé de l'imposition :
En ce qui concerne la libéralité accordée à la SC Ambroise C... et la détermination de la valeur de l'usufruit des parts cédées par Mme C... :
3. Aux termes du 2 de l'article 38 du code général des impôts : " Le bénéfice net est constitué par la différence entre les valeurs de l'actif net à la clôture et à l'ouverture de la période dont les résultats doivent servir de base à l'impôt diminuée des suppléments d'apport et augmentée des prélèvements effectués au cours de cette période par l'exploitant ou par les associés. L'actif net s'entend de l'excédent des valeurs d'actif sur le total formé au passif par les créances des tiers, les amortissements et les provisions justifiés. " Aux termes de l'article 38 quinquies de l'annexe III à ce code : " 1. Les immobilisations sont inscrites au bilan pour leur valeur d'origine. / Cette valeur d'origine s'entend : / a. Pour les immobilisations acquises à titre onéreux, du coût d'acquisition, c'est-à-dire du prix d'achat minoré des remises, rabais commerciaux et escomptes de règlement obtenus et majoré des coûts directement engagés pour la mise en état d'utilisation du bien et des coûts d'emprunt dans les conditions prévues à l'article 38 undecies. / (...) " Il résulte de ces dernières dispositions que, dans le cas où le prix de l'acquisition d'une immobilisation a été volontairement minoré par les parties pour dissimuler une libéralité faite par le vendeur à l'acquéreur, l'administration est fondée à corriger la valeur d'origine de l'immobilisation, comptabilisée par l'entreprise acquéreuse pour son prix d'acquisition, pour y substituer sa valeur vénale, augmentant ainsi son actif net dans la mesure de l'acquisition faite à titre gratuit.
4. D'une part, la valeur vénale des titres d'une société non admise à la négociation sur un marché réglementé doit être appréciée compte tenu de tous les éléments dont l'ensemble permet d'obtenir un chiffre aussi voisin que possible de celui qu'aurait entraîné le jeu normal de l'offre et de la demande à la date où la cession est intervenue. L'évaluation des titres d'une telle société doit être effectuée, par priorité, par référence au prix d'autres transactions intervenues dans des conditions équivalentes et portant sur les titres de la même société ou, à défaut, de sociétés similaires. En l'absence de telles transactions, celle-ci peut légalement se fonder sur la combinaison de plusieurs méthodes alternatives. D'autre part, en cas de démembrement de droits sociaux, l'usufruitier, conformément à l'article 582 du code civil qui lui accorde la jouissance de toute espèce de fruits, n'a droit qu'aux dividendes distribués.
5. Il résulte de l'instruction, et notamment de la proposition de rectification du 11 juin 2012, qu'ayant constaté que la totalité des dividendes de la SCEV Champagne René Bouche étaient distribués, le vérificateur a combiné deux méthodes d'évaluation. Il a utilisé tout d'abord la méthode de la valeur actuelle des revenus attendus, calculée à partir de la formule du " cash-flow actualisé " selon le modèle de Gordon-Shapiro, en capitalisant le montant du dividende moyen des résultats distribués des trois années précédant la cession en litige à partir d'un taux de rendement et d'un taux de croissance des dividendes appliquée à la durée du démembrement. Le vérificateur a ensuite évalué l'usufruit des parts à partir de la méthode de la valeur en pleine propriété, dite " méthode Aulagnier ". La valeur mathématique et la valeur de rendement ont été calculées pour déterminer la valeur de la pleine propriété des parts. Puis, la valeur de l'usufruit en a été déduite selon la formule Aulagnier. Après combinaison de ces deux méthodes par l'application de la moyenne arithmétique des deux valeurs obtenues, l'administration a constaté une insuffisance inscrite en comptabilité au niveau de la SC Ambroise C... à hauteur de 403 264 euros, représentant un écart de 69 % avec la valeur déclarée par les requérants s'agissant des titres démembrés durant une période de dix ans et de 114 % pour ceux portant sur une durée de dix-sept ans.
S'agissant de l'absence de transactions intervenues dans des conditions équivalentes :
6. Il ne résulte pas de l'instruction que l'administration ait eu connaissance d'une transaction portant à la même époque sur les titres de la SCEV Champagne René Bouche ou sur des titres de sociétés similaires. Par suite, et contrairement à ce que soutient la société requérante, l'administration était en droit de calculer la valeur vénale des titres en recourant à la combinaison de méthodes alternatives. L'administration a pu ainsi valablement déterminer la valeur de l'usufruit des titres de la SCEV Champagne René Bouche à partir de la combinaison de deux méthodes, celle de la détermination de la valeur de l'usufruit selon la méthode du " cash flow actualisé " et celle de la détermination de la valeur de l'usufruit des titres à partir de leur valeur en pleine propriété.
S'agissant du taux de rendement :
7. Il résulte de l'instruction que pour calculer la valeur de rendement dans le cadre de la méthode de la valeur en pleine propriété, l'administration a déterminé un taux de capitalisation en faisant la moyenne des taux de rendement qui ont été calculés dans le cadre de la méthode du cash-flow actualisé, fixée à 5, 82 %. Le vérificateur a calculé ces taux de rendement en prenant en compte une prime de risque historique du marché de 5 %, le taux de rendement de l'obligation assimilable du Trésor, auquel elle a ajouté une prime de risque propre à la société dont les titres ont été évalués et le taux d'inflation. La SC Ambroise C... se borne à soutenir que la valeur de rendement était une méthode viciée dans son principe en raison de sa variation exponentielle dépendante du taux déterminé. Cette critique d'ordre général est sans incidence sur le bien-fondé des impositions, dès lors que les titres litigieux ont été évalués par la combinaison de plusieurs méthodes. En outre, il n'est apporté aucun élément démontrant que le taux de rendement retenu serait inadapté.
S'agissant des éléments incorporels :
8. La société requérante conteste la prise en compte des éléments incorporels à la fois dans le calcul de la valeur de rendement et dans celui de la valeur mathématique. Il résulte de l'instruction que dans le cadre de la méthode de la valeur en pleine propriété, le vérificateur a combiné comme il a déjà été dit, une valeur de rendement et une valeur mathématique. Pour déterminer la valeur mathématique, il a évalué les éléments incorporels selon la méthode la survaleur ou du " goodwill " en tenant compte notamment de l'âge de Mme C... eu égard à sa qualité de dirigeante, de la pérennité des baux des vignes, de la fidélisation de la clientèle, et de la renommée de la société. Pour calculer la valeur de rendement, le vérificateur a calculé le taux de rendement en prenant en considération des éléments propres à la SCEV Champagne René Bouche tels que l'existence de baux à long terme, le savoir-faire de la société et la fidélité de la clientèle. La prise en compte de ces mêmes éléments dans le calcul des deux valeurs ne vicie pas la méthode d'évaluation dès lors que l'administration a combiné une approche patrimoniale des éléments incorporels par l'intégration de la valeur comptable dans le calcul de la valeur mathématique, avec une approche de rentabilité pour la détermination de la valeur de rendement. La SC Ambroise C... n'est par suite pas fondée à soutenir que les éléments incorporels auraient été à tort pris en compte deux fois.
S'agissant de la rémunération de l'associée dirigeante de la SCEV Champagne René Bouche :
9. La société requérante soutient que la rémunération versée par la SCEV Champagne René Bouche à son associée exploitante gérante doit être déduite du bénéfice moyen à retenir pour le calcul de la valeur des incorporels, de la valeur de rendement et dans le cadre de la méthode de Gordon-Shapiro. Si la SC Ambroise C... apporte des éléments quant à la rémunération versée, la déductibilité de ces éléments du résultat de la SCEV pour déterminer la valeur des parts conduirait à minorer le bénéfice. En effet, le bénéfice imposable d'une société de personnes, telle que la SCEV Champagne René Bouche, s'entend avant déduction de la rémunération des associés travaillant dans l'entreprise, qui ne constitue pas des charges déductibles du résultat comme cela est le cas pour une société de capitaux. Dans ces conditions, c'est à bon droit que l'administration n'a pas déduit la rémunération versée à l'associée dirigeante pour déterminer le bénéfice moyen de la SCEV Champagne René Bouche.
S'agissant de la fiscalité latente :
10. D'une part, pour déterminer la valeur de l'usufruit des titres de la SCEV Champagne René Bouche, l'administration a estimé, à partir de la moyenne des dividendes distribués au cours des trois années précédentes celle de la cession, le montant du cumul des dividendes raisonnablement attendus au terme de la durée de l'usufruit temporaire, montant qu'elle a actualisé en faisant application de la formule dite du cash-flow actualisé suivant le modèle de Gordon-Shapiro. Le vérificateur a déduit de cette valeur le montant de l'impôt qui sera dû par la SC Ambroise C..., soumise à l'impôt sur les sociétés, selon les règles de l'article 219 du code général des impôts. La méthode de l'évaluation des flux futurs actualisés étant fondée sur les distributions prévisionnelles attendues par l'usufruitier durant la période du démembrement, la fiscalité latente supportée par l'usufruitier ne peut être déduite du résultat moyen de la société comme le soutient la société requérante. Par suite, l'administration a pu valablement déduire la fiscalité latente après détermination des revenus futurs attendus par l'usufruitier.
11. D'autre part, la société requérante entend déduire la fiscalité latente du montant du dividende moyen avant application du taux d'actualisation. Mais comme il a été dit au point précédent, la méthode de l'évaluation des flux futurs actualisés permet de déterminer le montant maximum de l'investissement de l'acquéreur en fonction de la rémunération qu'il attend de son placement et permet de déterminer la valeur réelle de l'usufruit à la date à laquelle il est acquis à partir de sa valeur future actualisée. Dans ces conditions, la prise en compte de la fiscalité latente ne peut intervenir qu'en déduction de cette valeur future actualisée.
S'agissant du taux de croissance des dividendes :
12. La société requérante conteste la prise en compte d'un taux de croissance constant des dividendes de 2 % en se prévalant des évolutions du prix du raisin et du volume des ventes de bouteilles qui suivent une courbe linéaire selon elle. Il résulte de l'instruction que le vérificateur a pris en compte, dans la formule de calcul du cash-flow actualisé, un taux de croissance fondé sur les données statistiques des années précédentes celle de la cession établies par le comité interprofessionnel des vins de champagne et confortées par les hypothèses de croissance d'une étude publiée à la revue Champagne Viticole de décembre 2007. Les éléments produits par la société requérante, qui constituent des courbes de prospective dépourvues de toute précision, ne sauraient suffire à remettre en cause l'évaluation de croissance établie par l'administration. Au demeurant, les données de l'entreprise relatives aux chiffres d'affaires des années précédant celle des cessions en litige, produites par la société requérante, tendent à confirmer dans leur ensemble la croissance évaluée par l'administration. Par suite, le moyen doit être écarté.
S'agissant de l'abattement pour non-liquidité :
13. Il résulte de l'instruction que l'administration a appliqué une décote pour absence de liquidité de 5 % afin de tenir compte de la différence entre les flux de revenus futurs et le prix payé pour l'acquisition de l'usufruit des parts. La société requérante se borne à soutenir que les titres en cause ne sont pas liquides et n'apporte pas d'élément relatif à l'existence de contraintes juridiques ou économiques relatives à l'usufruit qui justifieraient l'application d'un taux supérieur. Dans ces conditions, et alors qu'en tout état de cause, l'évaluation porte sur l'appréhension des dividendes attendus par l'usufruitier durant le démembrement indépendamment de la liquidité des titres, l'abattement retenu par l'administration ne parait pas sous-évalué.
S'agissant de la méthode alternative d'évaluation proposée par la société requérante :
14. La SC Ambroise C... propose dans le dernier état de ses écritures une méthode alternative d'évaluation fondée sur le calcul du solde de trésorerie disponible correspondant à la soustraction de l'excédent brut d'exploitation du besoin en fonds de roulement, des annuités d'autofinancement des investissements et de la rémunération des associés. Un taux d'actualisation est ensuite appliqué afin d'obtenir, selon la société requérante, la valeur de l'usufruit à partir des flux de trésorerie de la SCEV Champagne René Bouche. Cependant, l'objet de la méthode proposée, qui est de prendre en compte l'endettement financier de l'entreprise et la disponibilité de la trésorerie, ne tend pas à déterminer le revenu futur attendu par l'usufruitier de parts sociales en application de l'article 582 du code civil. Il s'ensuit que la méthode alternative proposée par la société requérante ne saurait aboutir à un montant de l'usufruit des parts en litige aussi voisin que possible de celui qu'aurait entraîné le jeu normal de l'offre et de la demande à la date où les cessions sont intervenues.
S'agissant de la méconnaissance de la convention européenne des droits de l'homme :
15. D'une part, aux termes de l'article 6-1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle... ". Aux termes de l'article 7 de la même convention : " Nul ne peut être condamné pour une action ou une omission qui, au moment où elle a été commise, ne constituait pas une infraction d'après le droit national ou international. De même il n'est infligé aucune peine plus forte que celle qui était applicable au moment où l'infraction a été commise. (...) ". A l'exclusion des litiges relatifs aux pénalités, ces articles ne peuvent être utilement invoqués devant le juge de l'impôt, qui ne statue pas en matière pénale et ne tranche pas des contestations sur des droits et obligations à caractère civil. Ainsi, les moyens tirés de la méconnaissance des articles 6-1 et 7 précités de la convention sont inopérants.
16. D'autre part, aux termes de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. / Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes ". Aux termes de l'article 13 de la même convention : " Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la présente Convention ont été violés, a droit à l'octroi d'un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l'exercice de leurs fonctions officielles. " Aux termes de l'article 14 de la même convention : " La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. ".
17. Une distinction entre des personnes placées dans une situation analogue est discriminatoire, au sens de l'article 14 précité de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, si elle n'est pas assortie de justifications objectives et raisonnables, c'est-à-dire si elle ne poursuit pas un objectif d'utilité publique ou si elle n'est pas fondée sur des critères objectifs et rationnels en rapport avec les buts de la loi. Les stipulations combinées de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 1er du protocole additionnel à la même convention peuvent en tout état de cause être utilement invoquées pour soutenir que la décision du tribunal administratif serait à l'origine de discriminations injustifiées entre contribuables.
18. La société requérante ne peut soutenir qu'elle se trouverait dans une situation comparable au regard de l'impôt avec d'autres contribuables ayant bénéficié de dégrèvement ou de décharge dès lors que l'évaluation de la valeur de l'usufruit de parts sociales est intrinsèquement liée aux conditions d'exploitation de chaque entreprise. En outre, la SC Ambroise C... ne peut en tout état de cause utilement se prévaloir de changements dans les règles d'évaluation de l'administration et de décisions de justice discordantes selon elle, qui seraient contraires aux principes de sécurité juridique et d'espérance légitime, dès lors que cette situation ne peut pas être regardée comme une discrimination prohibée par les stipulations combinées des articles 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 1er du premier protocole additionnel à cette convention. Enfin, eu égard à ce qui a été dit précédemment, la circonstance que les rectifications sont importantes ne saurait caractériser une violation des dispositions combinées de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 1er du premier protocole additionnel à cette convention et du principe d'espérance légitime.
En ce qui concerne l'imposition de la plus-value réalisée par M. et Mme C... :
19. Aux termes de l'article 151 septies du code général des impôts dans sa version applicable au litige : " I.- Sous réserve des dispositions du VII, les dispositions du présent article s'appliquent aux activités commerciales, industrielles, artisanales, libérales ou agricoles, exercées à titre professionnel. (...) II.- Les plus-values de cession soumises au régime des articles 39 duodecies à 39 quindecies, à l'exception de celles afférentes aux biens entrant dans le champ d'application du A de l'article 1594-0 G, et réalisées dans le cadre d'une des activités mentionnées au I sont, à condition que l'activité ait été exercée pendant au moins cinq ans, exonérées pour : 1° La totalité de leur montant lorsque les recettes annuelles sont inférieures ou égales à : a) 250 000 euros (...) s'il s'agit d'entreprises exerçant une activité agricole ; (...) 2° Une partie de leur montant lorsque les recettes sont supérieures à 250 000 euros et inférieures à 350 000 euros pour les entreprises mentionnées au a du 1° (...) ".
20. Il résulte de ce qui a été dit aux points 4 à 18 que M. et Mme C..., qui soulèvent les mêmes moyens que la SC Ambroise C..., ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que l'administration a réévalué la valeur de l'usufruit temporaire des parts cédées par Mme C... et a imposé la différence entre cette somme et le montant déclaré par les intéressés au titre des plus-values professionnelles.
Sur les pénalités pour manquement délibéré :
21. Aux termes de l'article 1729 du code général des impôts : " Les inexactitudes ou les omissions relevées dans une déclaration ou un acte comportant l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt ainsi que la restitution d'une créance de nature fiscale dont le versement a été indûment obtenu de l'État entraînent l'application d'une majoration de : a. 40 % en cas de manquement délibéré (...) ". Aux termes de l'article L. 195 A du livre des procédures fiscales : " En cas de contestation des pénalités fiscales appliquées à un contribuable au titre des impôts directs, de la taxe sur la valeur ajoutée et des autres taxes sur le chiffre d'affaires, des droits d'enregistrement, de la taxe de publicité foncière et du droit de timbre, la preuve de la mauvaise foi et des manoeuvres frauduleuses incombe à l'administration. ".
22. Dans les propositions de rectification du 11 juin et 12 novembre 2012, l'administration a relevé que le prix des cessions de l'usufruit temporaire des parts accordé par M. et Mme C... à la SC Ambroise C..., pour une durée de dix ans pour le premier lot et dix-sept ans pour le second, était d'un montant inférieur à celui des résultats annuels de trois exercices pour le démembrement de dix ans et de quatre exercices pour celui de dix-sept ans. L'administration leur a opposé également que les intéressés avaient nécessairement connaissance de la progression des ventes de bouteilles de champagne et des résultats en hausse de la SCEV Champagne René Bouche. Dès lors, Mme C... ne pouvait ignorer qu'elle consentait à la SC Ambroise C... l'usufruit temporaire des parts à un prix qui demeure nettement inférieur à leur valeur vénale réelle et la société civile ne pouvait de son côté ignorer qu'elle bénéficiait ainsi d'une libéralité. Par suite, l'administration établit que les requérants n'ont pu agir de bonne foi et justifie de l'application des majorations prévues à l'article 1729 du code général des impôts.
23. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'ordonner une expertise, que la SC Ambroise C... et M. et Mme C... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par les jugements attaqués, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté leurs demandes.
Sur l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
24. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'État, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, une somme au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er : Les requêtes présentées respectivement par la SC Ambroise C... et par M. et Mme C... sont rejetées.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la SC Ambroise C..., à M. et Mme A... C... et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.
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N° 19NC00530, 19NC00543