Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. E... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des suppléments d'impôt sur le revenu qui lui ont été assignés au titre des années 2013, 2014 et 2015 et du supplément d'impôt sur le revenu consécutif au rehaussement de son bénéfice non commercial de l'année 2015 et la décharge de la pénalité pour manquement délibéré ayant assorti un rappel de taxe sur la valeur ajoutée au titre de la période du 1er janvier au 31 décembre 2015.
Par un jugement N°1803987 du 10 janvier 2020, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté cette demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 16 mars 2020 et des mémoires enregistrés les 2 avril et 9 juin 2021, M. E..., représenté par Me F..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de prononcer la décharge des impositions et des pénalités contestées ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- les conditions de l'article 155 A ne sont pas réunies dès lors qu'il justifie que les prestations qui lui sont imputées ont en réalité été exécutées par la société Hermitage Ltd à partir du Royaume Uni, où elle disposait de tous les moyens nécessaires, et au profit de la société Paul D... et qu'elles revêtent une nature différente de celles qu'il a lui-même pu fournir au titre de son activité non commerciale portant sur la réorganisation et le développement des concessions automobiles ; les prestations ne sont donc pas localisées en France ainsi que l'a jugé le tribunal correctionnel de Strasbourg, ces constatations de fait étant revêtues de l'autorité de chose jugée, le jugement étant devenu définitif ;
- les dispositions de l'article 155 A du code général des impôts ne sont pas compatibles avec les principes de liberté d'établissement découlant du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
- les pénalités pour manoeuvres frauduleuses ayant assorti les impositions découlant de l'application de l'article 155 A du code général des impôts ne sont pas justifiées en l'absence de tout montage artificiel destiné à se soustraire à l'impôt ;
- s'agissant de la somme de 85 000 euros, encaissée en fin d'année 2015, c'est par erreur qu'elle a été comptabilisée en compte d'avances et qu'elle n'a pas été comprise dans le bénéfice non commercial imposable ;
- s'agissant de l'insuffisance de déclaration de taxe sur la valeur ajoutée de 19 166 euros au titre de l'année 2015, il ressort des constatations du service que si certaines déclarations de début d'année étaient insuffisantes, les déclarations d'avril à octobre étaient excédentaires ; il s'en déduit que les insuffisances de déclaration étaient involontaires et non pas délibérées.
Par des mémoires en défense enregistrés le 7 décembre 2020 et le 4 juin 2021, le ministre de l'économie, des finances et de la relance conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement convoquées à l'audience publique.
Ont été entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. A... ;
- les conclusions de Mme Haudier, rapporteure publique :
- et les observations de Me B..., représentant M. E....
Considérant ce qui suit :
1. La société par actions simplifiée (SAS) Paul D... Automobiles (désormais Grand Est Automobiles) exploite diverses concessions de véhicules automobiles de marques allemandes. M. E..., qui était le président du directoire de cette société, exerçait également une activité individuelle, imposable dans la catégorie des bénéfices non commerciaux, de fournitures de prestations immatérielles de conseils en matière de marketing, gestion de la clientèle, au bénéfice de la SAS Paul D... Automobiles. M. E... a fait l'objet d'une vérification de comptabilité de son activité non commerciale au titre de la période du 1er janvier 2013 au 31 décembre 2015. Par des propositions de rectifications du 13 décembre 2016 et du 20 février 2017, le service a envisagé, selon la procédure contradictoire de rectification en ce qui concerne l'impôt sur le revenu et la procédure de taxation d'office en ce qui concerne la taxe sur la valeur ajoutée de la période du 1er janvier 2014 au 31 décembre 2014, de réintégrer dans le bénéfice imposable et le chiffre d'affaires taxable des recettes non déclarées et d'imposer, sur le fondement de l'article 155 A du code général des impôts, entre les mains de M. D..., des sommes versées par la SAS Paul D... automobiles à une société anglaise Hermitage UK Ltd en rémunération de prestations de conseil, considérées comme ayant été rendue en réalité par l'intéressé. M. E... n'ayant pas accepté ces rectifications, elles ont été confirmées par lettres modèles 3926 des 20 février et 8 juin 2017. Les impositions supplémentaires, assorties de pénalités pour manoeuvres frauduleuses et de pénalités pour manquement délibéré, ont été mises en recouvrement les 15 septembre et 31 octobre 2017 et ont fait l'objet de réclamations préalables les 27 octobre et 29 novembre 2017 ayant donné lieu à une décision de rejet du 16 avril 2018. M. E... relève appel du jugement du 10 janvier 2020 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à la décharge en droits et pénalités de ces impositions supplémentaires.
Sur le bien-fondé des impositions :
2. Aux termes du I de l'article 155 A du code général des impôts : " Les sommes perçues par une personne domiciliée ou établie hors de France en rémunération de services rendus par une ou plusieurs personnes domiciliées ou établies en France sont imposables au nom de ces dernières : / - soit, lorsque celles-ci contrôlent directement ou indirectement la personne qui perçoit la rémunération des services ; / - soit, lorsqu'elles n'établissent pas que cette personne exerce, de manière prépondérante, une activité industrielle ou commerciale, autre que la prestation de services ; / - soit, en tout état de cause, lorsque la personne qui perçoit la rémunération des services est domiciliée ou établie dans un Etat étranger ou un territoire situé hors de France où elle est soumise à un régime fiscal privilégié au sens mentionné à l'article 238 A ". Les prestations dont la rémunération est ainsi susceptible d'être imposée entre les mains de la personne qui les a effectuées correspondent à un service rendu pour l'essentiel par elle et pour lequel la facturation par une personne domiciliée ou établie hors de France ne trouve aucune contrepartie réelle dans une intervention propre de cette dernière, permettant de regarder ce service comme ayant été rendu pour son compte. L'administration fiscale apporte la preuve que des sommes perçues par une personne domiciliée ou établie hors de France en rémunération de services rendus par une ou plusieurs personnes domiciliées ou établies en France sont imposables au nom de ces dernières en vertu du I de l'article 155 A du CGI par la production d'éléments attestant de ce que ces personnes ont réalisé les prestations de services en cause et de ce qu'elles contrôlent la personne qui perçoit la rémunération de ces services. Dans l'hypothèse où l'administration s'acquitte de cette obligation, il incombe ensuite au contribuable d'apporter des éléments permettant d'établir que la facturation de ces prestations par la société établie hors de France aurait trouvé une contrepartie réelle dans une intervention qui lui aurait été propre et de regarder le service ainsi rendu comme l'ayant été pour son compte.
3. Pour imposer entre les mains de M. E..., qui est domicilié en France, les sommes correspondant aux prestations facturées par la société britannique Hermitage Ltd à la société française Paul D... Automobiles, dont l'intéressé est le dirigeant de droit, à raison de la réalisation de prestations immatérielles de conseil, l'administration a estimé que ces prestations, regardées par elle comme de même nature que celles que M. E... réalisait et facturait personnellement à la société Paul D... Automobiles, n'avaient pu être effectuées par la société Hermitage Ltd, qui ne disposait au Royaume-Uni que d'une adresse de domiciliation, qui recevait sa correspondance en France, à Tremblay (Seine-Saint-Denis), et qui indiquait sur ses factures un numéro de téléphone professionnel en France qui était le même que celui qui figurait sur les factures émises par M. E.... Le service fait également valoir, d'une part, que M. E... contrôlait la société Hermitage Ltd, dont il était le dirigeant (managing director) et l'associé unique et, d'autre part, que cette société n'avait aucun autre client que la société Paul D... Automobiles, dont elle détenait 49 % du capital. Par la réunion de ces indices, l'administration doit être regardée comme établissant de manière suffisante que les prestations litigieuses avaient été fournies à la société Paul D... Automobiles par M. E... sans aucune intervention propre de la société Hermitage Ltd.
4. Afin de combattre ces éléments, M. E... soutient, d'abord,que les prestations litigieuses auraient été matériellement réalisées en Grande Bretagne par trois salariés de la société Hermitage. Mais, les personnes citées par le requérant n'étaient pour deux d'entre elles pas encore salariées de la société britannique durant la période litigieuse tandis que la dernière ne l'a jamais été. Si M. E... soutient que la société Hermitage Ltd n'est pas dépourvue d'une existence réelle en ce qu'elle détient 49 % du capital de la société Paul D..., cette circonstance ne saurait établir l'intervention propre de cette société dans la fourniture des prestations de services litigieuses.
5. Si M. E... soutient, ensuite, que les prestations facturées par la société Hermitage sont différentes de celles qu'il a pu lui-même fournir à la société Paul D..., il résulte de l'instruction que dans les deux cas il s'agit de prestations immatérielles de conseil en matière commerciale, gestion et marketing tandis que l'administration a établi que la société Hermitage ne disposait d'aucun moyen de fournir de telles prestations.
6. M. E... se prévaut, enfin et surtout, du jugement du 6 juin 2019 par lequel le tribunal correctionnel de Strasbourg l'a relaxé des poursuites du chef du délit de fraude fiscale facilitée par l'interposition d'une personne établie à l'étranger, jugement devenu définitif à la suite de l'arrêt de la cour d'appel de Colmar du 28 janvier 2021 ayant constaté le désistement du parquet de son appel.
7. L'autorité de la chose jugée appartenant aux décisions des juges répressifs devenues définitives qui s'impose aux juridictions administratives s'attache à la constatation matérielle des faits mentionnés dans le jugement et qui sont le support nécessaire du dispositif. La même autorité ne saurait, en revanche, s'attacher aux motifs d'un jugement de relaxe tirés de ce que les faits reprochés ne sont pas établis ou de ce qu'un doute subsiste sur leur réalité.
8. Il ressort de la lecture du jugement du 6 juin 2019 que le juge pénal n'a pas remis en cause la matérialité des éléments de preuve réunis par l'administration, analysés au point 3 ci-dessus, mais a seulement estimé, afin de prononcer la relaxe, que, pour autant, l'intervention personnelle de M. E... dans la réalisation des prestations n'avait pas été établie par l'enquête. Dans ces conditions, dès lors qu'elle se borne à relever que certains des faits reprochés n'étaient pas établis, cette appréciation ne saurait s'imposer au juge de l'impôt en vertu des principes rappelés au point 7 ci-dessus. Par suite, le moyen tiré de l'autorité de chose jugée par le tribunal correctionnel de Strasbourg le 6 juin 2019 doit être écartée.
9. Enfin, aux termes d'une part, de l'article 49 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne : " Dans le cadre des dispositions ci-après, les restrictions à la liberté d'établissement des ressortissants d'un État membre dans le territoire d'un autre État membre sont interdites. Cette interdiction s'étend également aux restrictions à la création d'agences, de succursales ou de filiales, par les ressortissants d'un État membre établis sur le territoire d'un État membre. La liberté d'établissement comporte l'accès aux activités non salariées et leur exercice, ainsi que la constitution et la gestion d'entreprises, et notamment de sociétés au sens de l'article 54, deuxième alinéa, dans les conditions définies par la législation du pays d'établissement pour ses propres ressortissants, sous réserve des dispositions du chapitre relatif aux capitaux ". Aux termes d'autre part, de l'article 56 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne : " Dans le cadre des dispositions ci-après, les restrictions à la libre prestation des services à l'intérieur de l'Union sont interdites à l'égard des ressortissants des États membres établis dans un État membre autre que celui du destinataire de la prestation ".
10. M. E... se prévaut de l'atteinte à sa liberté de s'établir dans un autre Etat membre ainsi qu'au principe de liberté des prestations de services, qui résulteraient des dispositions précitées de l'article 155 A du code général des impôts. Mais, les dispositions en question visent uniquement l'imposition des services essentiellement rendus par une personne établie ou domiciliée en France et ne trouvant aucune contrepartie réelle dans une intervention propre d'une personne établie ou domiciliée hors de France dans un autre Etat membre de l'Union européenne. En l'absence d'une telle contrepartie permettant de regarder les services concernés comme rendus pour le compte de cette dernière personne, sa liberté de s'établir hors de France et de fournir à partir de cet Etat membre des prestations de service en France ne saurait être entravée du fait de ces dispositions. Par suite, sans qu'il soit besoin de saisir la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle, le moyen invoqué de ce chef sera écarté.
11. Il résulte de ce qui précède que c'est à juste titre que l'administration a imposé M. E... sur le montant des prestations réalisées par lui en France au profit de la société Paul D... Automobiles et facturées par la société Hermitage Ltd.
Sur les pénalités :
12. Aux termes des dispositions de l'article 1729 du code général des impôts : " Les inexactitudes ou les omissions relevées dans une déclaration ou un acte comportant l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt ainsi que la restitution d'une créance de nature fiscale dont le versement a été indûment obtenu de l'Etat entraînent l'application d'une majoration de : a. 40 % en cas de manquement délibéré (...) c. 80 % en cas de manoeuvres frauduleuses... ". Aux termes de l'article L. 195 A du livre des procédures fiscales : " En cas de contestation des pénalités fiscales appliquées à un contribuable au titre des impôts directs (...), la preuve de la mauvaise foi et des manoeuvres frauduleuses incombe à l'administration ". La majoration de 40 % pour manquement délibéré prévue au a de l'article 1729 du code général des impôts sanctionne la méconnaissance par le contribuable de ses obligations déclaratives. Pour établir le manquement délibéré, l'administration fiscale doit apporter la preuve de l'insuffisance, de l'inexactitude ou du caractère incomplet des déclarations du contribuable, et de son intention délibérée d'éluder l'impôt.
13. L'administration a assorti d'une pénalité de 80 % les rappels d'impôt sur le revenu relatif aux rémunérations des prestations réalisées au bénéfice de la société Paul D... Automobiles. L'administration fait valoir à juste titre, dans sa proposition de rectification, que la domiciliation de la société qui encaisse les rémunérations en Grande Bretagne et la domiciliation fiscale en France du prestataire effectif en la personne de M. E... au profit de la société dont il est le dirigeant, sont des éléments de nature à démontrer que le contribuable a cherché à égarer le service et à restreindre le pouvoir de contrôle de l'administration. En outre, comme le relève le service, M. E... ne pouvait ignorer que ces rémunérations auraient dû être comprises dans ses revenus imposables en France. Dans ces conditions, M. E... ne saurait utilement se prévaloir de la circonstance que la société Hermitage aurait par ailleurs une existence propre découlant de sa participation dans le capital de la société Paul D.... Par suite, le requérant n'est pas fondé à soutenir qu'il n'aurait pas mis en place de montage frauduleux.
14. L'administration a appliqué, ensuite, la majoration de 40 % prévue par les dispositions précitées du a de l'article 1729 du code général des impôts aux rappels de taxe sur la valeur ajoutée et d'impôt sur le revenu résultant de la réintégration de recettes non déclarées au titre de l'année 2015 pour avoir été comptabilisées comme des avances dans le cadre de l'activité de consultant de M. E.... Pour infliger cette pénalité, le service s'est fondé sur le motif tiré de ce que le contribuable ne pouvait ignorer, en sa double qualité de conseil en gestion et de dirigeant de la société Paul D... Automobiles, que ces recettes étaient passibles de la taxe sur la valeur ajoutée et devaient être incluses dans ses bénéfices non commerciaux. L'administration a, en outre, relevé que l'existence de ces recettes pouvaient d'autant moins échapper à l'attention de M. E... que la société Paul D... Automobiles était son seul client et que toutes les recettes de son activité de conseil ont été encaissées sur son unique compte bancaire professionnel. Le requérant ne peut pas utilement imputer à une erreur de son comptable la responsabilité de l'omission sanctionnée par l'application de la majoration pour manquement délibéré dès lors que ses déclarations de chiffre d'affaires et de résultat ont été souscrites sous sa seule responsabilité. Il résulte de surcroît des motifs de fait de l'arrêt de la cour d'appel de Colmar du 28 janvier 2021, ci-dessus évoqué, que M. E... avait eu l'intention d'éluder l'impôt en procédant à cette comptabilisation des sommes litigieuses. Par suite, l'existence du manquement délibéré est établie par l'administration.
15. L'administration a, enfin, appliqué la pénalité pour manquement délibéré au rappel de taxe sur la valeur ajoutée, s'élevant à 5 000 euros, résultant du rapprochement entre le chiffre d'affaires déclaré au titre de la période du 1er janvier 2015 au 31 décembre 2015 et celui effectivement encaissé. Afin de justifier l'application de cette pénalité, l'administration fait valoir que M. D... a une activité de consultant pour laquelle la taxe est exigible sur le montant des encaissements et qu'ayant un seul et unique client il ne pouvait ignorer les règles d'exigibilité non plus que la date de chaque encaissement. L'administration a également relevé que l'intéressé avait déposé quatre déclarations minorées sur douze et pratiqué des régularisations partielles pour les huit autres. Au vu de ces éléments, l'administration doit être regardée comme rapportant la preuve qui lui incombe de l'intention délibéré de M. E... d'éluder la taxe sur la valeur ajoutée litigieuse.
16. Il résulte de tout ce qui précède que M. E... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande. Par suite, sa requête d'appel doit être rejetée en toutes ses conclusions y compris celles tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de M. E... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... E... et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.
N° 20NC00687
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