Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... E... et Mme C... E... ont demandé au tribunal administratif de Strasbourg de condamner, à titre principal, les Hôpitaux universitaires de Strasbourg, à titre subsidiaire, l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM), à verser une somme de 127 899,67 euros à M. E... et une somme de 20 000 euros à Mme E....
Par un jugement n° 1404154 du 1er février 2017, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté les conclusions présentées par les époux E... en déclaration de jugement commun à l'égard de la société STAM-EC, de la maison départementale des personnes handicapées du Bas-Rhin, du département du Bas-Rhin et des Assurances du crédit mutuel IARD et ordonné, avant dire droit, une expertise.
Par un jugement n° 1404154 du 22 janvier 2019, le tribunal administratif de Strasbourg a condamné les Hôpitaux universitaires de Strasbourg à verser à M. E... la somme de 19 653,10 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 5 mai 2014, avec capitalisation à compter du 30 juillet 2015, et à verser à la caisse primaire d'assurance maladie du Bas-Rhin la somme de 9 241,82 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 19 octobre 2018. Le tribunal a également mis à la charge des Hôpitaux universitaires de Strasbourg les frais d'expertise, d'un montant de 5 519,74 euros, et les frais de taxi exposés par M. E... pour se rendre aux expertises, d'un montant de 3 650 euros, ainsi que les sommes de 2 000 euros et 1 000 euros, sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, à verser respectivement à M. E... et à la caisse primaire d'assurance maladie du Bas-Rhin, et la somme de 1 080 euros à verser à cette dernière au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 27 mars 2019 et 20 mai 2020, M. A... E... et Mme C... E..., représentés par Me Tassigny, demandent à la cour, dans le dernier état de leurs écritures :
1°) de réformer le jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 22 janvier 2019 ;
2°) de porter la somme que les Hôpitaux universitaires de Strasbourg sont condamnés à verser à M. E... à 116 399,67 euros, assortie des intérêts à compter du 5 mai 2014, avec capitalisation ;
3°) de condamner les Hôpitaux universitaires de Strasbourg à verser une somme de 20 000 euros à Mme E..., assortie des intérêts à compter du 5 mai 2014, avec capitalisation ;
4°) de condamner les Hôpitaux universitaires de Strasbourg aux dépens, incluant les frais d'expertise, y compris s'agissant de l'expertise ordonnée par le juge des référés, et les frais exposés au titre des expertises ;
5°) de rejeter les conclusions des hôpitaux universitaires de Strasbourg ;
6°) de porter la somme accordée au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative à 4 000 euros, s'agissant des procédures de référé et du fond devant le tribunal administratif, et de mettre à la charge des Hôpitaux universitaires de Strasbourg une somme de 3 000 euros, sur le même fondement, au titre de l'appel.
Ils soutiennent que :
- c'est à tort que les premiers juges ont estimé que l'intervention chirurgicale était impérieusement requise pour ôter la tumeur, d'évolution lente, et que l'intéressé ne pouvait raisonnablement s'y soustraire ; le docteur F... n'a disposé que d'éléments incomplets d'information ; il ne saurait être tenu compte de l'analyse du docteur D..., expert mandaté par les Hôpitaux universitaires de Strasbourg ; l'ensemble des médecins experts ont retenu qu'aucune information préopératoire n'a été fournie au patient ; l'opération ne présentant pas un caractère d'urgence absolue, il devait être mis en mesure de prendre une décision éclairée pour accepter ou refuser l'intervention chirurgicale, alors qu'une période minimale d'environ une année avant l'intervention pouvait être retenue au regard des connaissances acquises au moment des différentes expertises, ce qui n'est pas mis en cause par l'évolution ultérieure ;
- c'est à juste titre que le tribunal a retenu l'existence de manquements dans le suivi opératoire ; la survenue d'un abcès cornéen correspond à une infection nosocomiale favorisée par l'ulcère cornéen ; il n'y a pas lieu de distinguer entre conséquences ophtalmologiques et neurologiques ;
- les taux de perte de chance retenus par les experts ont parfaitement tenu compte de l'état antérieur de M. E... ;
- la victime directe a droit aux sommes suivantes :
. 1 477,03 euros au titre des dépenses de santé actuelles restées à sa charge, s'agissant de l'achat de verres progressifs et des honoraires de dentiste ;
. 1 391,83 euros au titre des dépenses de santé futures restant à sa charge, au titre d'un traitement dentaire prothétique, en raison de la paralysie faciale ;
. 48 974,26 euros au titre de la perte de gains professionnels actuels dès lors qu'il aurait pu reprendre son travail s'il n'avait pas subi l'intervention, son licenciement pour inaptitude n'étant intervenu que du fait des séquelles de cette opération ;
. 7 056,55 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire, compte tenu du déficit total subi du 22 avril 2009 au 22 juillet 2009, du 18 au 26 octobre 2012 et du 3 au 5 décembre 2012, et du déficit de 25 % survenu entre ces périodes et la date de consolidation, sur la base de 500 euros par mois de déficit total ;
. 20 000 euros au titre du déficit fonctionnel permanent, au regard des séquelles ophtalmologiques et neurologiques, pouvant être estimé à 14 % ; si seules les séquelles ophtalmologiques devaient être prises en compte, le déficit s'établirait à 15 %, la règle de Balthazard n'ayant pas lieu de s'appliquer ; la pension d'invalidité ne saurait s'imputer sur le déficit fonctionnel permanent, ainsi que le demandait la caisse primaire d'assurance maladie, ou subsidiairement il y aurait lieu d'évaluer le déficit fonctionnel total, dans sa globalité, à 39 284,22 euros, comprenant les arrérages échus de pension d'invalidité à hauteur de 19 284,22 euros ;
. 12 000 euros au titre du pretium doloris et du préjudice moral dès lors que l'expert a évalué les souffrances physiques et morales à 4 sur une échelle de 7 ;
. 1 000 et 8 000 euros au titre des préjudices esthétiques temporaire et permanent, compte tenu de la paralysie faciale, du port d'une canne et de sa démarche ;
. 3 500 euros au titre du préjudice d'agrément dès lors qu'il ne peut plus conduire, ni pratiquer le bricolage, la marche à pied, la pétanque et le vélo ;
. 11 500 euros au titre des dépenses annexes, tenant aux frais de taxis pour se rendre aux opérations d'expertise du 30 juillet 2012 et du 27 mars 2013, pour 2 400 euros, et pour les frais d'assistance et de conseil dans la procédure de référé-expertise et dans la présente demande ;
- c'est à tort que les premiers juges ont rejeté les conclusions indemnitaires de Mme E..., victime indirecte, qui subit un préjudice d'affection et d'accompagnement, et sollicite 20 000 euros ;
- c'est à tort que le tribunal a limité la somme mise à la charge du défendeur s'agissant des frais d'instance à 2 000 euros, il est sollicité une somme de 4 000 euros au titre des procédures de référé et de fond, ainsi que 3 000 euros pour la procédure d'appel.
Par des mémoires enregistrés les 30 septembre 2019, 9 mars 2020 et 19 octobre 2020, les Hôpitaux universitaires de Strasbourg, représentés par Me Le Prado, demandent à la cour d'annuler le jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 22 janvier 2019 et de rejeter les conclusions présentées par M. et Mme E... et la caisse primaire d'assurance maladie du Haut-Rhin.
Ils soutiennent que :
- c'est à tort que le tribunal a retenu leur responsabilité au titre d'un manquement dans le cadre du suivi ophtalmologique postopératoire de M. E..., alors que ce dernier présentait une vulnérabilité extrême de la cornée inhérente à l'atteinte des nerfs crâniens, susceptible d'aboutir à tout moment à une ulcération, il s'agit d'une conséquence directe et certaine de la levée par M. E... de son occlusion palpébrale, la blépharorraphie a été pratiquée lorsqu'elle est devenue nécessaire ; à supposer que leur responsabilité puisse être retenue à ce titre, c'est à tort que les premiers juges ont retenu un taux de perte de chance de 94 %, alors qu'il ne devrait excéder 70 % ;
- s'agissant des préjudices, seule l'hospitalisation du 15 au 22 juillet 2019 est en lien avec les troubles oculaires consécutifs à la prise en charge postopératoire, de sorte que la somme allouée au titre du déficit fonctionnel temporaire devra être ramenée à de plus justes proportions ; la somme octroyée au titre du déficit fonctionnel permanent est excessive, au regard des atteintes neurologiques et des autres pathologies dont souffre le patient, de sorte qu'il y a lieu d'appliquer la règle de Balthazard, pour retenir un déficit de 8,33 %, ce qui justifierait une indemnisation à hauteur de 9 000 euros, avant application du taux de perte de chance ; c'est à tort qu'une somme de 1 000 euros a été accordée au titre du préjudice d'agrément, alors que la conduite automobile courante ne présente pas de caractère suffisamment spécifique par rapport aux actes de la vie courante et était contre-indiquée en raison des troubles neurologiques et que le requérant n'apporte aucun élément sur la pratique spécifique de la pétanque, du vélo, de la marche à pied ou d'une pratique régulière du bricolage ;
- la requête d'appel de M. et Mme E... doit être rejetée ; le professeur F... a pu remplir sa mission au regard des documents dont il a bénéficié ; les constatations cliniques plaidaient en faveur d'une intervention chirurgicale rapprochée, la nature de la lésion tumorale ne pouvant être appréciée à partir des IRM avant l'opération, alors que le gangliogliome bénin est rarissime dans cette topographie, avec une taille importante et un aspect morphologique inhabituel, faisant évoquer une tumeur maligne cancéreuse ; à supposer même qu'un manquement au titre de l'obligation d'information puisse être retenu, le caractère indispensable de l'intervention exclut toute indemnisation ;
- en l'absence de faute médicale ou de manquement à l'obligation d'information, M. E... ne saurait demander réparation des préjudices qui trouvent leur origine dans ses séquelles neurologiques, de sorte qu'il n'a pas droit au remboursement de frais de dentiste et de traitement prothétique, au titre des dépenses de santé actuelles et futures ; c'est en vain qu'une somme est sollicitée au titre de la perte de revenus, alors que l'intéressé était en arrêt de travail de longue maladie et que l'état neurologique prévisible en cas d'abstention thérapeutique n'était pas de nature à rendre possible un retour à la vie professionnelle ; pour les mêmes motifs que précédemment, les demandes au titre des déficits fonctionnels temporaires et permanents, ainsi que du préjudice d'agrément, doivent être rejetées ; les souffrances endurées et les préjudices esthétiques temporaire et permanent retenus par les experts désignés en référé sont exclusivement en lien avec les séquelles neurologiques ; les frais de taxis ne sont pas en lien avec l'objet du litige et ont été indemnisés au titre des dépens ; les préjudices invoqués par Mme E... sont sans lien avec l'atteinte oculaire.
Par une ordonnance du 20 octobre 2020, la clôture de l'instruction a été fixée, en dernier lieu, au 10 novembre 2020.
Par un courrier du 3 septembre 2021, des pièces complémentaires ont été demandées aux Hôpitaux universitaires de Strasbourg pour compléter l'instruction, en application de l'article R. 613-1-1 du code de justice administrative.
Par un courrier enregistré le 9 septembre 2021, les Hôpitaux universitaires de Strasbourg ont produit les pièces sollicitées, qui ont été communiquées le jour même aux requérants et à la caisse primaire d'assurance maladie du Bas-Rhin.
La requête a été communiquée à la caisse primaire d'assurance maladie du Bas-Rhin, qui n'a pas présenté de mémoire dans la présente instance.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de la sécurité sociale ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Samson-Dye,
- les conclusions de M. Barteaux, rapporteur public,
- et les observations de Me Demailly, pour les Hôpitaux universitaires de Strasbourg.
Considérant ce qui suit :
1. M. E... a consulté, en janvier 2009, son ophtalmologue pour une gêne visuelle, qui s'est avérée causée par une volumineuse tumeur cérébrale. Une intervention chirurgicale a été pratiquée aux Hôpitaux universitaires de Strasbourg, le 22 avril 2009, pour l'exérèse de cette masse. Par un jugement du 22 janvier 2019, le tribunal administratif de Strasbourg a, notamment, condamné cet établissement à verser la somme de 19 653,10 euros à M. E..., tout en rejetant les conclusions indemnitaires présentées par son épouse, ainsi qu'une somme de 9 241,82 euros à la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) du
Bas-Rhin. M. et Mme E... relèvent appel du jugement du tribunal administratif de Strasbourg, en tant qu'il rejette une partie de leurs conclusions indemnitaires et en tant qu'il fixe à 2 000 euros la somme mise à la charge des Hôpitaux universitaires de Strasbourg au titre des frais exposés par M. E... et non compris dans les dépens. Les Hôpitaux universitaires de Strasbourg contestent leur condamnation à verser des sommes à M. E..., par la voie de l'appel incident, et à la CPAM, au titre de l'appel provoqué.
Sur la responsabilité des Hôpitaux universitaires de Strasbourg :
2. Aux termes de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " I. - Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute (...) ". Selon l'article L. 1111-2 du même code : " Toute personne a le droit d'être informée sur son état de santé. Cette information porte sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu'ils comportent ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus (...) Cette information incombe à tout professionnel de santé dans le cadre de ses compétences et dans le respect des règles professionnelles qui lui sont applicables. Seules l'urgence ou l'impossibilité d'informer peuvent l'en dispenser. Cette information est délivrée au cours d'un entretien individuel (...) ".
3. En premier lieu, M. E... recherche la responsabilité des Hôpitaux universitaires de Strasbourg en se prévalant de fautes imputables, d'une part, au choix de procéder à une opération chirurgicale à brève échéance et d'autre part, à l'insuffisance de l'information préalable sur les risques d'une telle intervention.
4. Ainsi que l'ont indiqué à bon droit les premiers juges, ils ont pu s'appuyer, notamment, sur le rapport de l'expertise menée par le professeur F..., neurologue, réalisée à la suite du jugement avant dire droit précédemment mentionné. En effet, si l'expert avait déploré l'absence de certaines pièces, notamment des clichés des examens d'imagerie réalisés, il a indiqué avoir pu effectuer sa mission au regard des éléments dont il disposait, incluant notamment les comptes rendus de chacun de ces examens, dont il n'est pas établi qu'ils seraient erronés, ainsi que les rapports des deux précédentes expertises qui avaient été réalisées, à savoir, d'une part, celui du professeur Marchal, neurochirurgien, et du docteur B..., ophtalmologiste, réalisé en avril 2010 dans le cadre de la procédure diligentée par la commission de conciliation et d'indemnisation, et, d'autre part, ceux des docteurs Hullo et Bougeard, experts et sapiteurs désignés par le juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg, remis en juillet 2012 puis en juin 2013.
5. Il résulte de l'instruction et notamment du rapport du professeur F..., dont le bien-fondé n'est pas remis en cause par les autres documents produits par les parties, que la nature exacte de la tumeur que présentait M. E... ne pouvait être déterminée avant l'intervention, seule l'absence de métastase ayant pu être établie par les examens pratiqués. La nature exacte de la masse n'a d'ailleurs pas pu être identifiée au cours de l'intervention, mais seulement postérieurement, grâce aux analyses histopathologiques. Le premier rapport des docteurs Hullo et Bougeard indique, à cet égard, que la calcification, le kyste et la prise de contraste du parenchyme adjacent écartaient tout diagnostic classique et devaient faire évoquer une tumeur tout à fait inhabituelle. Le professeur F... précise que le fait que la tumeur soit pauci-symptomatique pouvait conduire à un délai de quelques semaines avant une intervention, mais que l'incertitude diagnostique et l'aspect menaçant de la tumeur, à la fois par son aspect, son volume et sa localisation, incitaient tout chirurgien à proposer un geste rapide, avec une crainte notamment de coma progressif par hydrocéphalie ou de mort subite, sans que le bien-fondé de cette appréciation soit remis en cause par les autres éléments soumis à l'instruction. Si la tumeur a été identifiée comme un gangliogliome, de nature bénigne, ce qui aurait pu justifier d'attendre pendant plusieurs mois avant de procéder à une opération, ou d'envisager d'autres méthodes thérapeutiques, cette circonstance ne saurait être prise en considération, rétrospectivement, pour déterminer si une faute a été commise, cette dernière devant être appréciée au regard des informations dont disposaient ou étaient susceptibles de disposer les Hôpitaux universitaires de Strasbourg lorsque le choix thérapeutique a été posé. Dans ces conditions et alors au demeurant que les experts s'accordent à constater le caractère extrêmement rare du gangliogliome kystique de l'angle ponto-cérébelleux droit dont était atteint M. E..., le choix de procéder à brève échéance à l'opération qui a été réalisée ne présente pas de caractère fautif. Les requérants ne sont donc pas fondés à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont écarté la responsabilité de l'établissement public de santé sur ce fondement.
6. Par ailleurs, il résulte de l'instruction que, compte tenu notamment de l'état de santé du patient décrit au point 5, tel qu'il pouvait alors être appréhendé, et de son évolution alors prévisible en l'absence d'opération, M. E... aurait consenti à l'intervention s'il avait été informé des risques neurologiques et ophtalmologiques qui se sont manifestés. En particulier, ses dénégations a posteriori sont insuffisantes pour démontrer qu'il aurait refusé l'opération proposée, dont le but était d'éviter une possibilité de décès à court terme qui ne pouvait être levée par d'autres méthodes thérapeutiques. Dans ces conditions, l'absence d'information sur ces risques ne lui a pas fait perdre de chance de se soustraire à l'opération qu'il a subie. Par suite, c'est à bon droit que les premiers juges ont rejeté ses conclusions tendant à l'indemnisation du préjudice découlant de la perte de chance d'éviter l'intervention pratiquée le 22 avril 2009.
7. En second lieu, il résulte de l'instruction que M. E... souffre de troubles neurologiques, incluant notamment une paralysie faciale, en conséquence de l'intervention précédemment mentionnée, engendrant une inocclusion palpérale de l'œil droit et une anesthésie cornéenne. Il est constant que ces troubles, qui se sont manifestés dans les suites immédiates de l'opération, l'exposaient à un risque particulier de développer un ulcère de la cornée, alors que l'anesthésie faisait obstacle à ce que cette complication soit diagnostiquée par la présence d'une douleur. Dans ces conditions et ainsi que l'ont retenu les différents rapports d'expertise, les règles de l'art imposaient aux Hôpitaux universitaires de Strasbourg, où M. E... était hospitalisé après son opération, de mettre en œuvre des moyens spécifiques pour prévenir, ou à défaut identifier et traiter au plus vite, d'éventuelles complications ophtalmiques. Il n'a toutefois pas été procédé à une blépharorraphie préventive, alors que cette suture des paupières était de nature à limiter le risque de complication, l'intéressé ayant seulement bénéficié, à titre préventif, de collyre bactéricide et de pommade à la vitamine A. De plus, la rougeur de l'œil droit constatée le 23 juin 2009, au cours de l'hospitalisation, n'a pas donné lieu à une prise en charge appropriée, les éléments soumis à l'instruction n'établissant pas la mise en place de mesures spécifiques et démontrant au contraire que c'est seulement le 15 juillet suivant que M. E... a été transféré en service d'ophtalmologie, pour un ulcère cornéen ayant abouti à un abcès, et que l'œil atteint a fait l'objet d'une blépharorraphie. Dans ces conditions, ce suivi présente un caractère fautif et ces manquements ont engendré, ainsi que l'ont relevé les rapports d'expertise du docteur F... et des docteurs Hullo et Bougeard, une perte de capacité visuelle de l'œil droit, qui présente, du fait de cet ulcère, une taie cornéenne centrale avec une vision de l'ordre de 1/10. Si les Hôpitaux universitaires de Strasbourg allèguent, en se prévalant de rapports du docteur D..., neurologue, que les séquelles oculaires résulteraient d'évènements postérieurs, et notamment du choix de M. E... de faire ôter les sutures des paupières, en 2011 puis en 2012, ce qui a engendré un nouvel ulcère, il ne résulte pas des éléments soumis à l'instruction que cette complication serait responsable d'un impact visuel supplémentaire que les premiers juges auraient condamné l'établissement de santé à indemniser.
8. Par ailleurs, les rapports d'expertise des docteurs Hullo et Bougeard retiennent que les fautes commises par les Hôpitaux universitaires de Strasbourg dans le suivi ophtalmologique postopératoire de M. E... lui ont causé, d'une part, une perte de chance d'éviter l'ulcère à l'œil droit et l'infection subséquente de 70 % et, d'autre part, une perte de chance d'obtenir une meilleure guérison qui correspond à 80 %, s'agissant des 30 % de chances restantes d'éviter le dommage, ce qui aboutit à un taux supplémentaire de perte de chance de 24 %. Le bien-fondé de cette estimation n'est pas efficacement remis en cause par les autres éléments du dossier, en l'absence d'argumentation suffisamment précise. Dans ces conditions, ainsi que l'ont retenu à bon droit les premiers juges, la fraction du dommage corporel imputable aux fautes commises par les Hôpitaux universitaires de Strasbourg doit être fixée à 94 %.
9. Il suit de là que ces derniers ne sont fondés ni à contester l'engagement de leur responsabilité à l'égard de M. E... et de la CPAM, sans qu'il soit besoin de statuer sur la recevabilité de leurs conclusions d'appel provoqué à l'encontre de cette dernière, ni à mettre en cause le taux de perte de chance retenu par le tribunal.
Sur les préjudices indemnisables de la victime directe :
10. Il résulte de l'instruction qu'il y a lieu de retenir une consolidation de l'état de santé ophtalmologique de M. E... au 5 mars 2010, ainsi que l'avaient retenu les experts devant la commission de conciliation et d'indemnisation, dès lors que c'est à cette date que les lésions strictement liées au fait générateur engageant la responsabilité des Hôpitaux universitaire de Strasbourg ont pu être regardées comme présentant un caractère définitif et comme étant insusceptibles d'évolution en lien avec ce manquement.
En ce qui concerne les préjudices patrimoniaux :
11. En premier lieu, s'agissant des dépenses de santé, il résulte de l'instruction que seuls les frais d'achats de verres progressifs présentent un lien de causalité avec les fautes mentionnées aux points 7. Les autres dépenses, liées à des frais dentaires, sont causées par la paralysie faciale, qui est pour sa part étrangère aux manquements retenus par le présent arrêt. C'est donc à juste titre que les premiers juges ont limité à 653,10 euros le montant dû à M. E... au titre des dépenses de santé, les sommes accordées à la CPAM ne faisant, pour leur part, l'objet d'aucune critique spécifique en appel.
12. En deuxième lieu, M. E..., qui travaillait en qualité de magasinier, ne conteste pas qu'il bénéficiait, à la date de l'intervention chirurgicale, d'un congé de longue maladie, ainsi qu'il l'avait indiqué aux experts. S'il a produit un certificat médical indiquant que la tachycardie de Bouveret, les troubles de la prostate et la hernie inguinale dont il était atteint ne justifiaient pas d'arrêt de maladie, ce document n'est pas de nature à établir qu'il aurait été susceptible de reprendre une activité professionnelle s'il n'avait pas été victime de la complication ophtalmique relevée précédemment, alors qu'aucune pièce n'explique les raisons pour lesquelles il était, au moment des faits litigieux, empêché de reprendre son activité professionnelle, de sorte qu'il n'est pas possible de tenir pour établi que cet empêchement avait cessé. En outre, les séquelles neurologiques, étrangères aux manquements imputables à l'établissement de santé, doivent être regardées comme faisant obstacle à ce que le requérant reprenne son activité, au regard des troubles de la marche qu'il présente. Par suite, M. E... n'est pas fondé à solliciter une indemnisation au titre de la perte des gains professionnels, ainsi que l'ont estimé à bon droit les premiers juges.
13. En troisième lieu, le requérant ne justifie pas de la réalité de dépenses exposées et demeurées à sa charge au titre des frais de conseil médical, ou d'avocat pour les procédures de référé, et ne propose d'ailleurs aucun chiffrage précis pour ces deux postes. Il n'est donc pas fondé à obtenir une indemnisation à ce titre. Les autres frais liés aux expertises, y compris les frais de déplacement de M. E..., et les frais de conseil juridique liés à l'instance au fond, seront, pour leur part, examinés ci-après, respectivement au titre des dépens et des frais non compris dans les dépens.
En ce qui concerne les préjudices extrapatrimoniaux :
14. En premier lieu, il résulte de l'instruction que l'état de santé de M. E... imposait, indépendamment des manquements relevés au point 7, une hospitalisation jusqu'au 4 septembre 2009, date à laquelle il a quitté le service de médecine physique et de réadaptation, sans qu'il soit établi que les complications ophtalmologiques précédemment mentionnées aient amené à prolonger la durée de cette hospitalisation. Par suite, c'est seulement à partir de cette date, et jusqu'à celle de la consolidation, fixée au 5 mars 2010, qu'il est susceptible de prétendre à une indemnisation au titre du déficit fonctionnel temporaire. Dès lors qu'il est constant qu'il a subi, en raison des fautes retenues à l'encontre des Hôpitaux universitaires de Strasbourg, un déficit fonctionnel de 25 %, il a droit, après application du taux de perte de chance de 94 %, à une indemnité de 850 euros à ce titre.
15. En deuxième lieu, il résulte de l'instruction, au regard des rapports précédemment mentionnés, que les douleurs éprouvées par le patient avant consolidation et découlant des troubles oculaires imputables aux fautes retenues à l'encontre des Hôpitaux universitaires de Strasbourg, lesquelles incluent également les douleurs morales, ne sont pas nulles mais peuvent être estimées à 1 sur une échelle de 7. M. E... a donc droit, après application du taux de perte de chance, à une indemnité de 940 euros à ce titre.
16. En troisième lieu, il ne ressort pas des éléments soumis à l'instruction que les manquements retenus à l'encontre des Hôpitaux universitaires de Strasbourg auraient causé un préjudice esthétique, alors notamment que la fermeture de la paupière de l'œil droit était nécessitée par les conséquences de la paralysie, qui n'a pas été causée par un manquement de l'hôpital. Le requérant n'est, dès lors, pas fondé à solliciter une indemnisation au titre du préjudice esthétique, que ce soit avant ou après consolidation.
17. En quatrième lieu, il résulte de l'instruction, au regard des différents documents versés au dossier, que M. E... présente, en raison du manquement retenu à l'encontre des Hôpitaux universitaires de Strasbourg, une acuité visuelle de l'œil droit avant correction de 1/10, les documents qui font état d'une capacité supérieure évoquant une capacité après correction ou résultant d'une difficulté à mesurer l'acuité visuelle en cas de suture des paupières, ainsi que l'a retenu le professeur F... en réponse à un dire. Le taux de déficit fonctionnel permanent imputable à cette faute, compte tenu tant de l'état antérieur de la victime, qui présentait une faible altération de la vision de l'œil droit indépendamment de l'opération, que des autres impacts de l'intervention chirurgicale résultant d'un accident médical non fautif, peut être fixé à une aggravation de 10 % d'un déficit pouvant être évalué à 43 %. Dans ces conditions et compte tenu du taux de perte de chance de 94 %, le tribunal a procédé à une juste appréciation en accordant à M. E... une indemnité de 17 000 euros au titre du déficit fonctionnel permanent.
18. En cinquième lieu, M. E... soutient qu'il ne peut plus pratiquer la pétanque, le vélo, la marche à pied et le bricolage. Toutefois, il n'établit pas avoir pratiqué une activité sportive ou de loisir dans des conditions telles qu'il justifierait d'un préjudice spécifique non indemnisé au titre du déficit fonctionnel permanent, au regard de la nature ou de l'intensité de cette activité. S'il se prévaut de l'impossibilité de conduire, il résulte de l'instruction que, du seul fait de ses troubles neurologiques, étrangers aux manquements des Hôpitaux universitaires de Strasbourg, la pratique de la conduite automobile est déconseillée. Les Hôpitaux universitaires de Strasbourg sont donc fondés à soutenir que c'est à tort que les premiers juges lui ont accordé une indemnité de 1 000 euros au titre du préjudice d'agrément.
19. Il résulte de ce qui précède que la somme que les Hôpitaux universitaires de Strasbourg doivent être condamnés à verser à M. E... doit être ramenée de 19 653,10 euros à 19 443,10 euros, assortie des intérêts au taux légal et de leur capitalisation selon les modalités retenues par les premiers juges, qui ne sont pas contestées. En revanche, il n'y a pas lieu de modifier le montant de la condamnation prononcée au bénéfice de la caisse primaire d'assurance maladie.
Sur les préjudices de Mme E... :
20. Il est allégué que Mme E... présente une souffrance morale, s'occupe des soins de son époux, doit lui tenir la main dans la rue en raison de ses vertiges et de son instabilité, doit l'accompagner à ses rendez-vous et ne peut plus être aidée par lui dans les tâches quotidiennes. Elle évoque aussi le fait qu'elle ne peut pas dormir avec lui en raison de son appareil pour l'apnée du sommeil. Cependant, il ne résulte pas de l'instruction que les circonstances alléguées présenteraient un lien de causalité avec les troubles oculaires imputables aux fautes retenues à l'encontre de l'établissement de santé. Dès lors, c'est à juste titre que le tribunal a refusé d'accorder une indemnité à Mme E....
Sur les frais liés au litige :
21. Tout d'abord, M. E... ne justifie pas avoir exposé d'autres frais de transport pour se rendre aux opérations d'expertise que ceux que les premiers juges ont mis à la charge des Hôpitaux universitaires de Strasbourg, pour un montant de 3 650 euros, au titre des dépens, qui incluaient également les frais des expertises ordonnées par le juge des référés puis par la formation collégiale du tribunal administratif de Strasbourg, taxés et liquidés à la somme totale de 5 519,74 euros.
22. Ensuite, il n'y a pas lieu, en l'absence notamment de tout justificatif sur les honoraires effectivement versés au conseil du requérant, de majorer la somme de 2 000 euros que les premiers juges ont mis à la charge des Hôpitaux universitaires de Strasbourg sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, au titre des frais exposés par M. E... en première instance et non compris dans les dépens.
23. Enfin, les Hôpitaux universitaires de Strasbourg ne présentant pas, au titre de l'instance d'appel, la qualité de partie perdante, les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à leur charge au titre des frais exposés par M. et Mme E... dans le cadre de la procédure d'appel et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er : La somme que les Hôpitaux universitaires de Strasbourg ont été condamnés à verser à M. E... par le jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 22 janvier 2019 est ramenée à 19 443,10 euros.
Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 22 janvier 2019 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3: Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... E..., à Mme C... E..., aux Hôpitaux universitaires de Strasbourg et à la caisse primaire d'assurance maladie du Bas-Rhin.
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N° 19NC00886