Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme C... A... et M. D... A... ont demandé au tribunal administratif de Strasbourg de condamner la commune de Crastatt à leur verser la somme de 22 117,66 euros au titre de la réparation du préjudice qu'ils estiment avoir subi en raison de l'inondation de leur propriété.
Par un jugement n° 1705316 du 20 décembre 2018, le tribunal administratif de Strasbourg a ordonné, avant dire droit, une expertise.
Par un jugement n° 1705316 du 22 janvier 2021, le tribunal administratif de Strasbourg a condamné la commune de Crastatt à verser à M. et Mme A... la somme de 13 288,17 euros, assortie des intérêts et la capitalisation de ces intérêts et mis à la charge de la commune de Crastatt les sommes de 9 483,89 euros et 2 000 euros respectivement au titre des frais d'expertise et des frais exposés par M. et Mme A... et non compris dans les dépens.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 26 mars 2021 et 13 juin 2023, la commune de Crastatt, représentée par Me Sonnenmoser, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1705316 du 22 janvier 2021 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg l'a condamnée à verser à M. et Mme A... la somme de 13 288,17 euros, ainsi que les intérêts au taux légal à compter du 3 juillet 2017 et la capitalisation de ces intérêts à compter du 3 juillet 2018, en réparation du préjudice que M. et Mme A... ont subi en raison de l'inondation de leur propriété ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. et Mme A... devant le tribunal administratif de Strasbourg ;
3°) de mettre à la charge de M. et Mme A... les frais d'expertise ;
4°) de mettre à la charge de M. et Mme A... la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- les orages survenus le 7 juin 2016, qui ont fait l'objet d'une déclaration d'état de catastrophe naturelle, ont présenté le caractère d'un cas de force majeure de nature à exclure tout engagement de sa responsabilité ;
- une inondation affectant l'ensemble du territoire d'une commune exclut le caractère spécial du dommage ;
- en procédant à de fausses déclarations auprès de leur compagnie d'assurance, M. et Mme A... ont commis une faute de nature à l'exonérer de sa responsabilité ;
- en ne procédant pas à l'installation d'un avaloir, M. et Mme A... ont commis une faute de nature à l'exonérer à hauteur de 50 % de sa responsabilité ;
- les prétentions indemnitaires de M. et Mme A... ne sont pas fondées.
Par un mémoire, enregistré le 25 avril 2022, M. et Mme A..., représentés par Me Muller-Pistre, demandent à la cour :
1°) de rejeter la requête ;
2°) par la voie de l'appel incident :
- de réformer le jugement par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a limité à la somme de 13 288,17 euros l'indemnité au versement de laquelle il a condamné la commune de Crastatt en réparation du préjudice qu'ils ont subi ;
- de porter à la somme de 22 177,66 euros le montant de l'indemnité due ainsi que les intérêts au taux légal à compter du 3 juillet 2017 et la capitalisation de ces intérêts à compter du 3 juillet 2018 ;
3°) de mettre à la charge de la commune de Crastatt la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- en l'absence de force majeure, la responsabilité de la commune de Crastatt est engagée ;
- ils n'ont pas commis de faute de nature à exonérer la commune de Crastatt de sa responsabilité ;
- le préjudice non pris en compte par leur assureur s'élève à la somme de 22 177,66 euros.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Denizot, premier conseiller,
- et les conclusions de M. Michel, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. A l'occasion de forts orages et coulées de boue survenus le 7 juin 2016 sur la commune de Crastatt, la propriété de M. et Mme A... a été inondée. Par un jugement du 22 janvier 2021, le tribunal administratif de Strasbourg a, sur le fondement de la responsabilité sans faute du maître d'ouvrage à l'égard des tiers à un ouvrage public, condamné la commune de Crastatt à verser à M. et Mme A... la somme de 13 288,17 euros. La commune de Crastatt relève appel de ce jugement. Par la voie de l'appel incident, M. et Mme A... demandent à la cour de réformer ce jugement et de porter à la somme de 22 177,66 euros le montant de l'indemnité due.
Sur la responsabilité de la commune de Crastatt :
2. Le maître d'ouvrage est responsable, même en l'absence de faute, des dommages que les ouvrages publics dont il a la garde peuvent causer aux tiers tant en raison de leur existence que de leur fonctionnement. Il ne peut dégager sa responsabilité que s'il établit que ces dommages résultent de la faute de la victime ou d'un cas de force majeure. Ces tiers ne sont pas tenus de démontrer le caractère grave et spécial du préjudice qu'ils subissent lorsque le dommage présente un caractère accidentel.
3. Il résulte de l'instruction, et n'est au demeurant pas contesté en appel, que la construction d'un mur de soutènement d'une hauteur d'un mètre, en limite aval de la propriété des requérants, a, d'une part constitué un barrage à l'écoulement des eaux de pluies et d'orages et, d'autre part, du fait de sa hauteur, permis un phénomène de rebond de vague occasionnant ainsi la pénétration de l'eau et des boues dans la maison d'habitation de M. et Mme A.... Ce mur de soutènement, accessoire nécessaire à la voie d'accès à un lotissement, classée dans le domaine public communal, présente le caractère d'un ouvrage public à l'égard duquel M. et Mme A... ont la qualité de tiers. Le dommage occasionné par cet ouvrage, qui n'est pas inhérent à l'existence même d'un mur de soutènement, présente un caractère accidentel.
Sur les causes exonératoires de responsabilité :
En ce qui concerne la force majeure :
4. D'une part, l'arrêté interministériel du 15 juin 2016 constatant " l'état de catastrophes naturelles " dans la commune de Crastatt n'a pas, en l'absence d'autres précisions, pour effet de qualifier de force majeure les évènements climatiques survenus le 7 juin 2016.
5. D'autre part, il résulte du rapport d'expertise et du courrier du préfet du Bas-Rhin du 17 juin 2016 que les orages et coulées de boue survenus le 7 juin 2016 ont présenté un caractère " décennal ". En outre, il ressort d'un avis de la direction départementale de l'agriculture et des forêts (DDAF) du 7 novembre 2007 que la commune de Crastatt est soumise à des risques de coulées de boue. Par suite, les orages et coulées de boue survenus le 7 juin 2016 sur la commune de Crastatt n'ont pas présenté un caractère imprévisible ou irrésistible et ne caractérisent pas un évènement de force majeure.
6. Au surplus, la responsabilité d'une personne publique peut être engagée à l'occasion d'un évènement de force majeure lorsque les conséquences dommageables de cet évènement ont été aggravées par un ouvrage public par rapport à ce qu'elles auraient été en son absence. Ainsi, à supposer même que les évènements climatiques du 7 juin 2016 puissent être qualifiés d'évènement de force majeure, il résulte de l'instruction que l'aggravation du dommage subi par les époux A... est imputable à la présence du mur de soutènement, ouvrage public. Par suite, les évènements du 7 juin 2016 ne sauraient exonérer la commune de Crastatt de sa responsabilité.
En ce qui concerne les fautes des victimes :
7. En premier lieu, il résulte de l'instruction que les époux A... ont déclaré, de manière inexacte, la superficie de leurs dépendances à leur compagnie d'assurance. Toutefois, cette circonstance, qui concerne uniquement la relation contractuelle des époux A... avec leur compagnie d'assurance, est sans incidence sur le lien de causalité entre le dommage que les intéressés ont subi et le mur de soutènement, ouvrage public. Dès lors, cette déclaration inexacte ne saurait constituer une faute des époux A... de nature à exonérer la commune de Crastatt de sa responsabilité.
8. En second lieu, il résulte de l'instruction que les époux A... n'ont pas donné suite à un courrier du syndicat des eaux et assainissement du Bas-Rhin du 7 décembre 2011 qui préconisait la pose d'un avaloir siphonné au niveau le plus bas du terrain permettant la récupération des eaux de pluie. L'expert, désigné par le tribunal, indique dans son rapport que, compte tenu de ses dimensions et du degré d'inclinaison minimale de pente, cet avaloir aurait été insuffisant en cas de fortes pluies, de vagues d'eau et de coulées de boue. Par ailleurs, si l'expert indique que la pose de cet avaloir aurait permis l'évacuation théorique de l'eau résultant de l'inondation en 44 minutes, il ressort toutefois de ce même rapport d'expertise que cette évaluation ne prend pas en compte l'arrivée supplémentaire de pluies et de boue. L'expert conclut que la pose d'un avaloir similaire à celui qui a été préconisé en 2011 " ne règlera pas les problèmes de coulée de boue, de très fortes pluies et d'orage ". Par suite, il résulte de l'instruction qu'en refusant la pose de cet avaloir, les époux A... n'ont pas commis de faute de nature à exonérer la commune de Crastatt de sa responsabilité.
Sur l'évaluation des préjudices :
9. En premier lieu, la commune de Crastatt n'apporte en appel aucun élément nouveau permettant de critiquer utilement les motifs, retenus à bon droit par les premiers juges, conduisant à l'indemnisation des préjudices résultant des frais de déblaiement, de l'interruption du séjour à l'étranger de M. et Mme A... et de la perte du matériel stocké. Il y a lieu par conséquent, pour l'indemnisation de ces chefs de préjudice, d'adopter les motifs retenus par le tribunal administratif de Strasbourg.
10. En deuxième lieu, la demande d'indemnisation de la règle proportionnelle de prime à hauteur d'un montant de 3 237,42 euros n'est assortie, dans les écritures d'appel de M. et Mme A..., d'aucune précision permettant d'en apprécier le bien-fondé et la portée.
11. En dernier lieu, en matière de dommages de travaux publics, sauf si elle conduit à accorder à la victime un avantage manifestement injustifié, la réparation des dommages ne doit pas se voir imputer un coefficient de vétusté. Il résulte de l'instruction que les dommages causés à la piscine et ses annexes ont été indemnisés par l'assureur des époux A... à l'exception d'une somme de 6 081,97 euros correspondant à l'application d'un taux de vétusté. Par suite, il y a lieu d'accorder à M. et Mme A... cette somme.
12. Il résulte de tout ce qui précède que la commune de Crastatt n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué le tribunal administratif de Strasbourg l'a condamnée à verser à M. et Mme A... une somme de 13 288,17 euros. Par la voie de l'appel incident, M. et Mme A... sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif a limité à 13 288,17 euros la somme qu'il a condamné la commune à leur verser. Il convient de porter cette somme à 19 370,14 euros, assortie des intérêts et de leur capitalisation selon les modalités retenues par les premiers juges.
Sur les frais d'expertise :
13. Il y a lieu, en application de l'article R. 761-1 du code de justice administrative, de laisser à la charge de la commune de Crastatt, partie perdante, les frais de l'expertise ordonnée en première instance, liquidés et taxés à la somme de 9 483,89 euros TTC par ordonnance du 4 juin 2020 du tribunal administratif de Strasbourg, que les premiers juges l'ont condamnée à supporter.
Sur les frais liés à l'instance :
14. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la commune de Crastatt le versement d'une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par M. et Mme A... et non compris dans les dépens. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de M. et Mme A..., qui ne sont pas la partie tenue aux dépens, le versement de la somme que la commune de Crastatt demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de la commune de Crastatt est rejetée.
Article 2 : La somme de 13 288,17 euros que la commune de Crastatt a été condamnée à verser à M. et Mme A... par le jugement du 22 janvier 2021 est portée à la somme de 19 370,14 euros. Cette somme sera augmentée des intérêts au taux légal à compter du 3 juillet 2017. Les intérêts échus à la date du 3 juillet 2018 puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date seront capitalisés à chacune de ces dates pour produire eux-mêmes intérêts.
Article 3 : Le jugement du tribunal administratif de Strasbourg n° 1705316 du 22 janvier 2021 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 4 : La commune de Crastatt versera à M. et Mme A... une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le surplus des conclusions de M. et Mme A... est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à la commune de Crastatt, à Mme C... A... et à M. D... A....
Délibéré après l'audience du 20 juin 2023, à laquelle siégeaient :
- Mme Samson-Dye, présidente,
- Mme Roussaux, première conseillère,
- M. Denizot, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 18 juillet 2023
Le rapporteur,
Signé : A. DenizotLa présidente,
Signé : A. Samson-Dye
La greffière,
Signé : M. B...
La République mande et ordonne au préfet du Bas-Rhin en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
M. B...
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N° 21NC00931