Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Nancy d'annuler l'arrêté du 29 juillet 2022 par lequel le préfet de Meurthe-et-Moselle a refusé de lui renouveler son titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de destination.
Par un jugement n° 2202437 du 10 novembre 2022, le tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés respectivement les 8 décembre 2022 et 4 janvier 2023, M. A..., représenté par Me Coche-Mainente, demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :
1°) d'annuler ce jugement du 10 novembre 2022 ;
2°) d'annuler cet arrêté du 29 juillet 2022 ;
3°) d'enjoindre au préfet de Meurthe-et-Moselle de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale ", dans le délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, subsidiairement de réexaminer sa situation, dans un délai de trente jours, sous astreinte de 100 euros par jour de retard et de lui délivrer, dans l'attente, une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler, dans le délai de huit jours et sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
S'agissant du refus de renouvellement de son titre de séjour :
- la décision en litige est entachée d'insuffisance de motivation ;
- elle est entachée d'erreur d'appréciation au regard des dispositions de l'article L. 4237 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, d'une part, quant aux éléments pour lesquels il est défavorablement connu des services de police et, d'autre part, quant à l'intérêt supérieur de sa fille ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
S'agissant de l'obligation de quitter le territoire français :
- elle est illégale compte tenu de l'illégalité du refus de titre de séjour ;
- elle est entachée d'insuffisance de motivation ;
- elle est entachée d'erreur de droit au regard des dispositions du 5° de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, compte tenu de la présence en France de ses deux filles de nationalité française ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle est entachée d'erreur manifeste d'appréciation de sa situation personnelle ;
S'agissant de la décision fixant le pays de destination :
- elle est illégale compte tenu de l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français ;
- elle est entachée d'insuffisance de motivation ;
- elle est entachée d'erreur d'appréciation.
Par un mémoire en défense, enregistré le 27 janvier 2023, le préfet de Meurthe-et-Moselle conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- il ne peut pas se prévaloir des dispositions du 5° de l'article L 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, puisqu'il constitue une menace pour l'ordre public ;
- les autres moyens soulevés par M. A... ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale des droits de l'enfant ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer ses conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Brodier a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., ressortissant marocain né en 1993, est entré sur le territoire français le 10 décembre 2015 selon ses déclarations. Il s'est vu délivrer, le 28 septembre 2016, une carte de séjour " vie privée et familiale " en raison de la naissance le 17 octobre 2015 de sa fille de nationalité française. Cette carte a été régulièrement renouvelée jusqu'au 9 octobre 2021. Par un arrêté du 29 juillet 2022, le préfet de Meurthe-et-Moselle a refusé de renouveler son titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de destination. M. A... relève appel du jugement du 10 novembre 2022 par lequel le tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
En ce qui concerne la légalité du refus de titre de séjour :
2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. / A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : 1° Restreignent l'exercice des libertés publiques ou, de manière générale, constituent une mesure de police ". Aux termes de l'article L. 211-5 du même code : " La motivation exigée par le présent chapitre doit être écrite et comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision ".
3. Il ressort de la décision en litige, par laquelle le préfet de Meurthe-et-Moselle a refusé à M. A... le renouvellement du titre de séjour dont il bénéficiait sur le fondement de l'article L. 423-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qu'elle est motivée par la circonstance que l'intéressé ne justifie pas contribuer à l'entretien et à l'éducation de son enfant et comporte les considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement. Contrairement à ce que le requérant soutient, le préfet a d'ailleurs expressément tenu compte de l'intérêt supérieur de sa fille, âgée de 4 ans et demi à la date de la décision. Par ailleurs, le préfet, dont il n'est pas établi qu'il aurait été saisi d'une demande formulée sur le fondement de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant, n'avait pas à faire état d'une motivation spécifique au regard de ces stipulations. Par suite, le moyen tiré d'une insuffisance de motivation de la décision en litige manque en fait et doit être écarté.
4. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 423-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui est père ou mère d'un enfant français mineur résidant en France et qui établit contribuer effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant dans les conditions prévues par l'article 371-2 du code civil, depuis la naissance de celui-ci ou depuis au moins deux ans, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1 ". Aux termes de l'article L. 423-8 du même code : " Pour la délivrance de la carte de séjour prévue à l'article L. 423-7, lorsque la filiation est établie à l'égard d'un parent en application de l'article 316 du code civil, le demandeur, s'il n'est pas l'auteur de la reconnaissance de paternité ou de maternité, doit justifier que celui-ci contribue effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant, dans les conditions prévues à l'article 371-2 du code civil, ou produire une décision de justice relative à la contribution à l'éducation et à l'entretien de l'enfant. / Lorsque le lien de filiation est établi mais que la preuve de la contribution n'est pas rapportée ou qu'aucune décision de justice n'est intervenue, le droit au séjour du demandeur s'apprécie au regard du respect de sa vie privée et familiale et au regard de l'intérêt supérieur de l'enfant ".
5. M. A..., qui est séparé de la mère de sa fille née le 17 octobre 2015, ne conteste pas les motifs de la décision en litige tirés notamment de ce qu'il n'a pas obtenu la garde de la fillette lors de son divorce, mais seulement un droit de visite exercé exclusivement à l'amiable, et de qu'il n'apporte pas la preuve du paiement de la pension alimentaire. Le requérant, qui n'établit pas avoir exercé son droit de visite depuis le jugement de divorce prononcé le 11 mai 2021, ne saurait ainsi sérieusement soutenir que la décision de refus de renouvellement de son titre de séjour, qui au demeurant n'a pas pour objet de le séparer de sa fille, méconnaîtrait l'intérêt supérieur de celle-ci. Le motif tiré de l'absence de preuve de contribution à l'éducation et à l'entretien de l'enfant suffit à justifier la décision en litige, sans qu'il soit besoin d'examiner le motif tiré de ce que M. A... est défavorablement connu des services de police. Par suite, le requérant n'est pas fondé à soutenir que le préfet de Meurthe-et-Moselle a fait une inexacte application des dispositions de l'article L. 423-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en refusant de renouveler son titre de séjour.
6. En dernier lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
7. Si M. A... soutient résider en France depuis dix années à la date de la décision en litige, il ne justifie ni de l'ancienneté de son séjour avant son mariage avec une ressortissante française à Nancy le 31 août 2015, ni s'y être intégré socialement ou professionnellement. Par ailleurs, ainsi qu'il a été dit plus haut, il ne justifie pas conserver de liens avec sa première fille, âgée de 4 ans et demi à la date du refus de titre de séjour. Enfin, si le requérant se prévaut de sa relation avec une autre ressortissante française, qu'il a épousée le 1er septembre 2021 au Maroc, il ressort des pièces du dossier que leur vie commune n'est attestée qu'à compter du 1er juin 2022, soit moins de deux mois avant la décision en litige, tandis que la naissance de leur fille le 26 juillet 2022 ne suffit pas à établir que M. A... avait, à cette date, définitivement ancré ses attaches familiales en France. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté.
En ce qui concerne la légalité de l'obligation de quitter le territoire français :
8. Aux termes de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Ne peuvent faire l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français : (...) ; 5° L'étranger qui est père ou mère d'un enfant français mineur résidant en France, à condition qu'il établisse contribuer effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant dans les conditions prévues par l'article 371-2 du code civil depuis la naissance de celui-ci ou depuis au moins deux ans ".
9. Il ressort des pièces du dossier que M. A... est devenu père d'un autre enfant de nationalité française le 26 juillet 2022, soit trois jours avant l'adoption de la décision en litige. Ainsi que le requérant l'établit, il résidait à cette date avec la mère de son enfant dans l'appartement dont il est le locataire à Villers-lès-Nancy, justifiant ainsi contribuer à l'entretien et à l'éducation du nouveau-né. Dans ces conditions, et alors même qu'il n'avait pas porté la naissance de sa fille à la connaissance du préfet de Meurthe-et-Moselle, M. A... est fondé à soutenir qu'à la date de son édiction, la décision lui faisant obligation de quitter le territoire français méconnaît les dispositions du 5° de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Le préfet de Meurthe-et-Moselle n'établit pas, en se bornant à faire référence à la condamnation prononcée le 28 août 2020 à 100 jours-amende pour menace matérialisée de crime contre des personnes et pour soustraction d'enfant des mains de la personne chargée de sa garde, alors au demeurant que le jugement de divorce lui reconnaît un droit de visite exercé à l'amiable, que l'intéressé constituerait, en tout état de cause, une menace pour l'ordre public.
10. Il s'ensuit que, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, la décision portant obligation de quitter le territoire doit être annulée, ainsi que, par voie de conséquence les décisions fixant le délai de départ volontaire et le pays de destination.
11. Il résulte de ce qui précède que, M. A... est uniquement fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande d'annulation de l'arrêté du 29 juillet 2022 en tant que le préfet de Meurthe-et-Moselle lui a fait obligation de quitter le territoire dans le délai de trente jours et a fixé le pays de destination.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
12. Compte tenu du motif d'annulation retenu, le présent arrêt implique seulement que la préfète de Meurthe-et-Moselle réexamine la situation de M. A.... Il y a lieu de prescrire à la préfète d'y procéder dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt. Dans cette attente, le préfet délivrera sans délai à l'intéressé une autorisation provisoire de séjour l'autorisant expressément à exercer une activité professionnelle. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais de l'instance :
13. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à M. A... de la somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 2202437 du tribunal administratif de Nancy du 10 novembre 2022 est annulé en tant qu'il a rejeté la demande de M. A... tendant à l'annulation des décisions du 29 juillet 2022 lui faisant obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et fixant le pays de destination.
Article 2 : L'arrêté du 29 juillet 2022 est annulé en tant qu'il porte obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et fixe le pays de destination.
Article 3 : Il est enjoint à Mme le préfet de Meurthe-et-Moselle de réexaminer la situation de M. A... dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt et, dans l'attente et sans délai, de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour l'autorisant expressément à exercer une activité professionnelle.
Article 4 : L'Etat versera à M. A... la somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A..., à Me Coche-Mainente et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Copie en sera adressée à Mme le préfet de Meurthe-et-Moselle.
Délibéré après l'audience du 25 septembre 2023, à laquelle siégeaient :
M. Agnel, président,
Mme Brodier, première conseillère,
Mme Mosser, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 19 octobre 2023.
La rapporteure,
Signé : H. Brodier Le président,
Signé : M. Agnel
La greffière,
Signé : C. Schramm
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
C. Schramm
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N° 22NC03069