Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. C... A... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler la décision du 26 juin 2024 par laquelle la préfète du Bas-Rhin a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination et lui a interdit le retour pour une durée de trois ans ainsi que la décision portant signalement aux fins de non-admission dans le système d'information Schengen et de lui enjoindre de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai d'un mois à compter de la notification du jugement à intervenir sous astreinte de 100 euros par jour de retard, ou subsidiairement, de réexaminer sa situation dans les mêmes conditions et de lui délivrer sans délai une autorisation provisoire de séjour.
Par un jugement n° 2404571, 2404614 du 12 juillet 2024, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Strasbourg a renvoyé à une formation collégiale les conclusions dirigées contre la décision portant refus de délivrance d'un titre de séjour et les conclusions accessoires y afférentes, annulé la décision du 26 juin 2024 fixant le pays de destination, mis à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros au titre des frais de l'instance et rejeté les surplus des conclusions de la requête.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 23 juillet et 26 août 2024, la préfète du Bas-Rhin demande à la cour de sursoir à l'exécution du jugement n° 2404571 du 12 juillet 2024 en tant qu'il a annulé la décision du 26 juin 2024 fixant le pays de destination et met à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros au titre des frais d'instance (articles 3 et 4).
Elle soutient que :
- c'est à tort que le tribunal, pour annuler la décision, a considéré que la transmission de données sensibles aux autorités russes aurait exposé M. A... à des risques de traitements contraires à l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- les décisions de l'Ofpra et de la CNDA ne font apparaître d'éléments récents tendant à démontrer l'existence de menaces réelles et actuelles pesant sur M. A... en cas de retour en Russie ; elle a apprécié avant de prendre la décision en litige la réalité des risques susceptibles d'être encourus ; les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales n'ont ainsi pas été méconnues.
Un mémoire en défense, enregistré le 21 août 2024, a été présenté pour M. A..., représenté par Me Chavkhalov, qui conclut :
1°) au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire ;
2°) au rejet de la requête ;
3°) à ce qu'une somme de 2 000 euros, soit mise à la charge de l'Etat en application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- le motif d'annulation retenu par le tribunal est fondé dès lors que la préfète n'apporte pas la preuve de ce que l'ensemble du dossier n'aurait été transmis aux autorités russes ;
- par la voie de l'appel incident, un nouveau moyen tiré de l'illégalité de la mesure d'éloignement qui ne pouvait pas être prise légalement sur le fondement de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile est également fondé ;
Un mémoire de la préfète du Bas-Rhin a été enregistré le 2 septembre 2024, soit après la clôture d'instruction, il n'a pas été communiqué.
Vu :
- la requête n° 24NC01934 enregistrée au greffe de la cour, le 23 juillet 2024, par laquelle le ministre de l'intérieur et des outre-mer demande l'annulation du même jugement ;
- la demande tendant au bénéfice de l'aide juridictionnelle de M. A... ;
- les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- du décret n° 2020-1717 du 28 décembre 2020 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Ghisu-Deparis, présidente,
- et les observations de Me Chavkhalov, pour M. A....
Considérant ce qui suit :
Sur l'admission à l'aide juridictionnelle provisoire :
1. Selon l'article 20 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique, susvisée : " Dans les cas d'urgence (...), l'admission provisoire à l'aide juridictionnelle peut être prononcée (...) par la juridiction compétente ou son président. ". Aux termes de l'article 61 du décret n° 2020-1717 du 28 décembre 2020 : " L'admission provisoire peut être accordée dans une situation d'urgence, (...). L'admission provisoire est accordée par (...) le président de la juridiction saisie, soit sur une demande présentée sans forme par l'intéressé, soit d'office si celui-ci a présenté une demande d'aide juridictionnelle ou d'aide à l'intervention de l'avocat sur laquelle il n'a pas encore été statué. ". Au vu de l'urgence et du fait de la demande d'aide juridictionnelle en cours d'instruction, il y a lieu d'admettre, à titre provisoire, M. A... au bénéfice de l'aide juridictionnelle.
Sur le bien-fondé des conclusions à fin de sursis :
2. M. A..., ressortissant russe né le 9 mai 1979, est entré en France irrégulièrement en 2010 pour solliciter l'octroi du statut de réfugié. En 2012, il a obtenu le statut de réfugié et a été muni d'une carte de résident de dix ans, valable jusqu'au 13 janvier 2023, puis d'un récépissé de renouvellement de titre valable jusqu'au 29 juillet 2024. Par une décision du 22 octobre 2019, l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides (OFPRA) a mis fin à son statut de réfugié. Cette décision a été annulée par la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) le 2 septembre 2021, elle-même annulée par le Conseil d'Etat par une décision du 2 mars 2023. En dernier lieu, la CNDA, ressaisi du litige, a rejeté le recours du requérant. Le 13 novembre 2022, il a formé une demande de renouvellement de son titre de séjour. Par un arrêté du 26 juin 2024, la préfète du Bas-Rhin a refusé de lui délivrer un titre de séjour sollicité le 13 novembre 2022, lui a fait obligation de quitter le territoire sans délai, a fixé le pays de destination et lui a interdit le retour sur le territoire français pendant trois ans. Par un arrêté du 27 juin 2024, il a été assigné à résidence. Par un jugement n° 2404571, 2404614 du 12 juillet 2024, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Strasbourg a renvoyé à une formation collégiale les conclusions dirigées contre la décision portant refus de délivrance d'un titre de séjour et les conclusions accessoires y afférentes, annulé la décision du 26 juin 2024 fixant le pays de destination, mis à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros au titre des frais de l'instance et rejeté les surplus des conclusions des demandes. La préfète du Bas-Rhin demande qu'il soit sursis à l'exécution de ce jugement en tant qu'il a annulé la décision fixant le pays de destination et mis à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.
3. D'une part, aux termes de l'article R. 811-15 du code de justice administrative : " Lorsqu'il est fait appel d'un jugement de tribunal administratif prononçant l'annulation d'une décision administrative, la juridiction d'appel peut, à la demande de l'appelant, ordonner qu'il soit sursis à l'exécution de ce jugement si les moyens invoqués par l'appelant paraissent, en l'état de l'instruction, sérieux et de nature à justifier, outre l'annulation ou la réformation du jugement attaqué, le rejet des conclusions à fin d'annulation accueillies par ce jugement ".
4. D'autre part, aux termes de l'article R. 222-25 du code de justice administrative : " Les affaires sont jugées soit par une chambre siégeant en formation de jugement, soit par une formation de chambres réunies, soit par la cour administrative d'appel en formation plénière, qui délibèrent en nombre impair. / Par dérogation à l'alinéa précédent, le président de la cour ou le président de chambre statue en audience publique et sans conclusions du rapporteur public sur les demandes de sursis à exécution mentionnées aux articles R. 811-15 à R. 811-17 ".
5. Il ne ressort pas des pièces du dossier que les services de la préfecture aient transmis aux autorités russes des informations susceptibles d'exposer M. A... à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Par suite, le moyen tiré de ce qu'en fixant le pays de renvoi de M. A..., la préfète du Bas-Rhin n'a pas méconnu les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales paraît, en l'état de l'instruction, sérieux.
6. Par ailleurs, d'une part, aux termes de l'article L. 424-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsqu'il est mis fin au statut de réfugié par décision définitive de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides ou par décision de justice ou lorsque l'étranger renonce à ce statut, la carte de résident prévue aux articles L. 424-1 et L. 424-3 est retirée. L'autorité administrative statue sur le droit au séjour des intéressés à un autre titre dans un délai fixé par décret en Conseil d'Etat. Sous réserve de menace grave à l'ordre public ou que l'intéressé ne soit pas retourné volontairement dans le pays qu'il a quitté ou hors duquel il est demeuré de crainte d'être persécuté, la carte de résident ne peut être retirée en application du premier alinéa quand l'étranger est en situation régulière depuis au moins cinq ans ".
7. D'autre part, aux termes de l'article L. 432-12 du même code : " L'article L. 611-1 n'est pas applicable lorsque l'étranger titulaire d'une carte de résident se voit :1° Refuser le renouvellement de sa carte de résident en application du 1° de l'article L. 432-3 ;2° Retirer sa carte de résident en application de l'article L. 432-4. Lorsque l'étranger qui fait l'objet d'une mesure mentionnée aux 1° ou 2° du présent article ne peut faire l'objet d'une décision d'expulsion en application des articles L. 631-2 ou L. 631-3, une autorisation provisoire de séjour lui est délivrée de droit ". Aux termes de l'article L. 432-3 du même code : " Une carte de résident ne peut être délivrée aux conjoints d'un étranger qui vit en France en état de polygamie. Il en va de même pour tout étranger condamné pour avoir commis sur un mineur de quinze ans l'infraction de violences ayant entrainé une mutilation ou une infirmité permanente, définie à l'article 222-9 du code pénal, ou s'être rendu complice de celle-ci. Le renouvellement de la carte de résident peut être refusé à tout étranger lorsque :1° Sa présence constitue une menace grave pour l'ordre public (...) ". Aux termes de l'article L. 432-4 du même code : " Une carte de séjour temporaire ou pluriannuelle peut, par une décision motivée, être retirée à tout étranger dont la présence en France constitue une menace pour l'ordre public. Une carte de résident ou la carte de résident portant la mention " résident de longue durée-UE " peut, par décision motivée, être retirée à tout étranger dont la présence en France constitue une menace grave pour l'ordre public ".
8. Il ressort des termes de l'arrêté 26 juin 2024 que le refus de renouvellement de la carte de résidence de M. A... à la suite de la perte définitive du statut de réfugié est fondé sur l'article L. 424-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Il n'est ainsi fondé ni sur l'article L. 432-3 1°) ni sur l'article L. 432-4 du même code, auxquels renvoient les dispositions de l'article L. 432-12 du même code précité qui s'opposent, dans ces deux hypothèses, au prononcé d'une mesure d'éloignement sur le fondement de l'article L. 611-1 du même code. Par suite, le moyen soulevé en défense tiré de l'erreur de droit à avoir pris, par l'arrêté du 26 juin 2024, une mesure d'éloignement sur le fondement de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, en méconnaissance de l'article L. 432-12 du même code, qui doit être regardé comme étant soulevé par la voie de l'exception, à l'encontre de l'obligation de quitter le territoire, ne paraît pas sérieux et de nature à justifier l'annulation par voie de conséquence de la décision en litige fixant le pays de renvoi.
9. Par suite le moyen exposé au point 5 du présent arrêt soulevé par la préfète du Bas-Rhin est sérieux et de nature à justifier, outre l'annulation partielle du jugement attaqué, le rejet des conclusions à fin d'annulation de la décision du 26 juin 2024 fixant le pays de renvoi ainsi que celles tendant au bénéfice des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique accueillies par ce jugement.
10. En conséquence, il y a lieu de faire droit à la requête de la préfète du Bas-Rhin tendant à ce qu'il soit sursis à l'exécution du jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 12 juillet 2024 en tant qu'il a annulé la décision du 26 juin 2024 fixant le pays de destination et mis à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros hors taxe à Me Chavkhalov, en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique, sous réserve que M. A... soit admis définitivement au bénéfice de l'aide juridictionnelle et sous réserve que Me Chavkhalov renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle.
11. Il résulte de ce qui précède que les conclusions présentées par M. A... sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ne peuvent qu'être rejetées.
D E C I D E :
Article 1er : M. A... est admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire.
Article 2 : Jusqu'à ce qu'il ait été statué sur l'appel de la préfète du Bas-Rhin contre les articles 3 et 4 du jugement n° 2404571, 2404614 du 12 juillet 2024, il sera sursis à l'exécution de ce jugement dans cette mesure.
Article 3 : Les conclusions présentées par M. A... sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer, à M. C... A... et à Me Chavkhalov.
Copie en sera adressée à la préfète du Bas-Rhin.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 9 septembre 2024.
Le président de la 4ème chambre, La greffière,
Signé : V. Ghisu-Deparis Signé : N. Basso
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
N. Basso
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N° 24NC01935