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14/01/2025 | FRANCE | N°24NC02829

France | France, Cour administrative d'appel de NANCY, Juge des référés, 14 janvier 2025, 24NC02829


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Le 24 mai 2024, M. A... B... a saisi le juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg d'une demande tendant au versement d'une provision de 20 000 euros en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis en raison de ses conditions de détention à compter du 1er juillet 2022, augmentée des intérêts capitalisés.



Par une ordonnance n° 2403653 du 5 novembre 2024, le juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg a condamné l'

Etat à verser à M. B... une somme de 3 000 (euros à titre de provision à valoir sur la réparation de s...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Le 24 mai 2024, M. A... B... a saisi le juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg d'une demande tendant au versement d'une provision de 20 000 euros en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis en raison de ses conditions de détention à compter du 1er juillet 2022, augmentée des intérêts capitalisés.

Par une ordonnance n° 2403653 du 5 novembre 2024, le juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg a condamné l'Etat à verser à M. B... une somme de 3 000 (euros à titre de provision à valoir sur la réparation de son préjudice moral subi en raison de ses conditions de détention au centre pénitentiaire de Mulhouse-Lutterbach à compter du 1er juillet 2022, assortie des intérêts au taux légal à compter du 26 janvier 2024, les intérêts échus étant capitalisés au 26 janvier 2025 et à chaque échéance annuelle pour produire eux-mêmes intérêts et a rejeté le surplus des conclusions de la requête.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 20 novembre 2024, le ministre de la justice demande à la cour :

1°) d'annuler l'ordonnance du 5 novembre 2024 du juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg ;

2°) de rejeter les conclusions présentées par M. B... en première instance.

Il soutient que :

- le juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg a commis une erreur d'appréciation en considérant que la créance de M. B... présentait un caractère sérieusement contestable au sens des dispositions de l'article R 541-1 du code de justice administrative.

Par un mémoire en défense, enregistré le 23 décembre 2024, M. B..., représentée par Me Salkazanov, demande à la cour :

- à titre principal, par la voie de l'appel incident, à la réformation de l'ordonnance en tant que celui-ci a rejeté le surplus de ses conclusions ;

- à la condamnation de l'Etat à lui verser une somme de 20 000 euros à titre de provision;

-à titre subsidiaire, au rejet de la requête ;

- à ce que soit mis à la charge de l'Etat la somme de 3 600 euros en application des dispositions de l'article L761-1 du code de justice administrative ;

-de l'admettre au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire.

Il soutient que :

- la faute de l'administration s'agissant de la privation du fauteuil roulant électrique n'est pas sérieusement contestable et que l'ordonnance attaquée doit être confirmée sur ce point;

- le juge des référés a commis une erreur d'appréciation en refusant la provision sollicitée au titre de l'insuffisance de soins, au titre de l'absence d'aide par une tierce personne et au titre des caractéristiques de sa cellule.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

-le code pénitentiaire ;

-le code de procédure pénale ;

-le code de la santé publique

- le code de justice administrative.

Considérant ce qui suit :

1. Il résulte de l'instruction que M. B... est incarcéré au sein du centre pénitentiaire de Mulhouse-Lutterbach depuis le 1er juillet 2022. Il a présenté une demande indemnitaire préalable dont l'administration a accusé réception le 26 janvier 2024 au regard des préjudices qu'il estime avoir subi en raison de ses conditions de détention à compter du 1er juillet 2022 au centre pénitentiaire de Mulhouse-Lutterbach. Cette demande indemnitaire a été rejetée par le ministre de la justice. M. B... a alors sollicité le versement d'une provision auprès du tribunal administratif de Strasbourg sur le fondement des dispositions de l'article R. 541-1 du code de justice administrative. Le ministre de la justice forme appel de l'ordonnance par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg l'a condamné à verser à M. B... la somme de 3 000 euros à titre de provision à valoir sur la réparation de son préjudice moral subi en raison de ses conditions de détention au centre pénitentiaire de Mulhouse-Lutterbach.

Sur la demande d'admission provisoire à l'aide juridictionnelle :

2. Aux termes de l'article 20 de la loi du 10 juillet 1991 susvisée : " Dans les cas d'urgence, sous réserve de l'application des règles relatives aux commissions ou désignations d'office, l'admission provisoire à l'aide juridictionnelle peut être prononcée par la juridiction compétente ou son président (...) ".

3. En raison de l'urgence, il y a lieu de prononcer, en application des dispositions précitées, l'admission provisoire de M. B... au bénéfice de l'aide juridictionnelle.

Sur l'appel principal :

4. Aux termes de l'article R. 541-1 du code de justice administrative :

" Le juge des référés peut, même en l'absence d'une demande au fond, accorder une provision au créancier qui l'a saisi lorsque l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable. Il peut, même d'office, subordonner le versement de la provision à la constitution d'une garantie. " Il appartient au juge des référés, pour statuer sur le caractère non sérieusement contestable d'une obligation, de s'assurer que les éléments qui lui sont soumis par les parties sont de nature à en établir l'existence avec un degré suffisant de certitude.

5. Aux termes de l'article L. 6112-1 du code de la santé publique : " Les établissements de santé peuvent être appelés à assurer, en tout ou partie, une ou plusieurs des missions de service public suivantes : (...) 12° Les soins dispensés aux détenus en milieu pénitentiaire et, si nécessaire, en milieu hospitalier, dans des conditions définies par décret (...) ". Aux termes de l'article D. 368 du code de procédure pénale, désormais repris à l'article D. 115-3 du code pénitentiaire : : " Les missions de diagnostic et de soins en milieu pénitentiaire et la coordination des actions de prévention et d'éducation pour la santé sont assurées par une équipe hospitalière placée sous l'autorité médicale d'un praticien hospitalier, dans le cadre d'une unité de consultations et de soins ambulatoires, conformément aux dispositions des articles R. 6112-14 à R. 6112-25 du code de la santé publique. (...) ".

6. S'il résulte des dispositions précitées que l'établissement hospitalier dont dépend l'unité de consultations et de soins ambulatoires chargée de soigner les détenus a l'obligation de veiller à la continuité des soins assurés à ceux-ci par cette unité et, le cas échéant, de les orienter vers un autre établissement adapté à leur état, il incombe à l'administration pénitentiaire, d'une part, de présenter les détenus à l'unité de consultations et de soins ambulatoires dès leur arrivée, et, s'il y a lieu, chaque fois que nécessaire par la suite, d'autre part, d'accomplir toutes diligences pour que les décisions médicales impliquant le déplacement des détenus vers un établissement de santé soient exécutées, le cas échéant avec la célérité qu'elles requièrent.

7. L'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales stipule que : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ".

8 . Aux termes de l'article L. 2 du code pénitentiaire : " Le service public pénitentiaire s'acquitte de ses missions dans le respect des droits et libertés garantis par la Constitution et les conventions internationales ratifiées par la France, notamment la convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales. / (...) ". L'article L. 6 du même code dispose que : " L'administration pénitentiaire garantit à toute personne détenue le respect de sa dignité et de ses droits. L'exercice de ceux-ci ne peut faire l'objet d'autres restrictions que celles résultant des contraintes inhérentes à la détention, du maintien de la sécurité et du bon ordre des établissements, de la prévention de la commission de nouvelles infractions et de la protection de l'intérêt des victimes. Ces restrictions tiennent compte de l'âge, de l'état de santé, du handicap, de l'identité de genre et de la personnalité de chaque personne détenue ". Aux termes de l'article L. 7 de ce code : " L'administration pénitentiaire doit assurer à chaque personne détenue une protection effective de son intégrité physique en tous lieux collectifs et individuels ". Et aux termes de l'article L. 322-1 : " La qualité et la continuité des soins sont garanties aux personnes détenues dans des conditions équivalentes à celles dont bénéficie l'ensemble de la population. "

9. En raison de la situation d'entière dépendance des personnes détenues vis-à-vis de l'administration pénitentiaire, l'appréciation du caractère attentatoire à la dignité des conditions de détention dépend notamment de leur vulnérabilité, appréciée compte tenu de leur âge, de leur état de santé, de leur personnalité et, le cas échéant, de leur handicap, ainsi que de la nature et de la durée des manquements constatés et eu égard aux contraintes qu'implique le maintien de la sécurité et du bon ordre dans les établissements pénitentiaires. Les conditions de détention s'apprécient au regard de l'espace de vie individuel réservé aux personnes détenues, de la promiscuité engendrée, le cas échéant, par la suroccupation des cellules, du respect de l'intimité à laquelle peut prétendre tout détenu, dans les limites inhérentes à la détention, de la configuration des locaux, de l'accès à la lumière, de l'hygiène et de la qualité des installations sanitaires et de chauffage. Seules des conditions de détention qui porteraient atteinte à la dignité humaine, appréciées à l'aune de ces critères et des dispositions précitées du code de procédure pénale, révèlent l'existence d'une faute de nature à engager la responsabilité de la puissance publique. Une telle atteinte, si elle est caractérisée, est de nature à engendrer, par elle-même, un préjudice moral pour la personne qui en est la victime qu'il incombe à l'Etat de réparer. A conditions de détention constantes, le seul écoulement du temps aggrave l'intensité du préjudice subi

10. S'il appartient en principe au demandeur qui engage une action en responsabilité à l'encontre de l'administration d'apporter tous éléments de nature à établir devant le juge, outre la réalité du préjudice subi, l'existence de faits de nature à caractériser une faute, il en va différemment, s'agissant d'une demande formée par un détenu ou ancien détenu, lorsque la description faite par le demandeur de ses conditions de détention est suffisamment crédible et précise pour constituer un commencement de preuve de leur caractère indigne. C'est alors à l'administration qu'il revient d'apporter des éléments permettant de réfuter les allégations du demandeur.

11. Il résulte de l'instruction que M. B... ne dispose que d'un fauteuil roulant manuel alors qu'il produit plusieurs prescriptions médicales indiquant qu'il doit bénéficier d'un fauteuil roulant électrique. Le ministre de la justice ne démontre pas l'existence d'une circonstance particulière de nature à justifier du défaut de mise à disposition du fauteuil électrique. Le fait que le rapport d'expertise médicale du 7 février 2023 conclut à un état de santé compatible avec la détention ne signifie pas que l'administration puisse se dispenser de fournir au détenu le matériel adapté à son état de santé. Si le rapport d'expertise ordonné suite au jugement avant dire droit du 23 août 2022 du tribunal administratif de Nancy et remis le 27 avril 2023 indique qu'il est peu probable que l'absence d'un fauteuil électrique ait eu pour effet d'aggraver la situation du requérant, l'expert n'a considéré que la période s'étendant du 21 mai 2018 au 22 novembre 2019 et a indiqué que c'est la brièveté de cette période qui l'amenait à considérer que l'absence d'un fauteuil électrique n'avait pas eu pour effet d'aggraver sa situation.

12. Au regard de ces éléments, le ministre de la justice a commis une faute qui n'est pas sérieusement contestable et n'est pas fondé à solliciter l'annulation de l'ordonnance du juge des référés.

Sur l'appel incident :

S'agissant de l'insuffisance des soins :

13. Les derniers rapports d'expertise médicale relatifs à l'état de santé de M. B... ne mentionnent que la nécessité de deux à trois séances de kinésithérapie par semaine et des exercices quotidiens d'entretien physique. Le ministre de la justice justifie avoir aménagé plusieurs séances de kinésithérapie par semaine. M. B... produit en appel des ordonnances médicales datées du 20 décembre 2024 lui prescrivant des séances d'ergothérapie et de balnéothérapie. Néanmoins, ces ordonnances sont très récentes et postérieures aussi bien à la demande de provision qu'à l'ordonnance du juge des référés. Dès lors, l'existence d'une faute de l'administration pénitentiaire due à l'insuffisance de soins doit être regardée comme sérieusement contestable.

S'agissant de l'aide par une tierce personne :

14. Il résulte de l'instruction que le ministre de la justice a mis à la disposition quotidienne de M. B... des aides-soignants depuis son incarcération au centre pénitentiaire de Mulhouse-Lutterbach même si celui-ci a parfois refusé leur assistance. Au regard de ces éléments, l'existence d'une faute de l'administration pénitentiaire due à la carence de l'assistance d'une tierce personne est sérieusement contestable.

S'agissant des caractéristiques de la cellule :

15. Il résulte de l'instruction que la cellule de M. B... est spécialement conçue pour les personnes à mobilité réduite (PMR), permet les déplacements en fauteuil, est équipée d'un lit médicalisé et dispose d'une large fenêtre permettant un éclairage naturel et l'aération de la cellule. Dans ces conditions, le seul dysfonctionnement ponctuel des commandes d'éclairage de la cellule ne permet pas de caractériser l'existence d'une faute qui n'est pas sérieusement contestable sur ce point.

16. Il résulte de tout ce qui précède que l'appel incident de M. B... doit être rejeté.

Sur les frais liés au litige :

17. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions de M. B... formulées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

ORDONNE :

Article 1er : M. B... est admis à l'aide juridictionnelle provisoire.

Article 2 : La requête du ministre de la justice est rejetée.

Article 3 : L'appel incident de M. B... est rejeté.

Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 5 : La présente ordonnance sera notifiée à M. A... B... et au ministre de la justice.

La présidente,

Signé : P. Rousselle

La République mande et ordonne au garde des sceaux, ministre de la justice, en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente ordonnance.

Pour expédition conforme,

La greffière,

2

N° 24NC02829


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANCY
Formation : Juge des référés
Numéro d'arrêt : 24NC02829
Date de la décision : 14/01/2025
Type de recours : Autres

Composition du Tribunal
Avocat(s) : SALKAZANOV

Origine de la décision
Date de l'import : 19/01/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-01-14;24nc02829 ?
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