Vu la requête n 94NT00172, enregistrée au greffe de la Cour le 22 février 1994, présentée pour Mme Monique X... demeurant à Pornichet (Loire-Atlantique) ... par Me BONDIGUEL, avocat ;
Mme Monique X... demande à la Cour :
1 ) d'annuler le jugement en date du 9 décembre 1993 par lequel le Tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande tendant à la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu auxquelles elle a été assujettie au titre des années 1982, 1983, 1984, 1985 et 1986 ;
2 ) de lui accorder la décharge des impositions contestées ;
3 ) de condamner l'Etat sur le fondement de l'article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel à lui payer la somme de 10 000 F ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code général des impôts ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu la loi n 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience,
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 15 octobre 1996 :
- le rapport de M. GRANGE, conseiller,
- les observations de Me Y... se substituant à Me BONDIGUEL, avocat de Mme X...,
- et les conclusions de M. AUBERT, commissaire du gouvernement ;
Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête : Considérant que Mme X... donnait en location-gérance depuis 1973 à la S.A. Etablissements X... deux fonds de commerce dont elle était propriétaire à Liffré (Ille-et-Vilaine), l'un de fabrication et vente en gros de salaisons et tous produits de charcuterie, l'autre de commerce de boucherie-charcuterie au détail ; que les revenus tirés de ces locations étaient imposés dans la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux selon le régime forfaitaire d'imposition ; que le contrat de location-gérance a été résilié le 21 février 1985 ; qu'à cette date Mme X... a cédé le fonds de vente en gros à la S.A. Etablissements X... en réalisant une plus-value ; qu'à compter du 1er mars 1985 elle a loué aux Etablissements X... les locaux d'exploitation dudit fonds ; que Mme X... a donné en location-gérance, à compter du 1er mars 1985, à un tiers, le fonds de commerce de vente au détail puis lui a cédé celui-ci le 1er mars 1986 en réalisant une plus-value ; qu'à la suite d'une vérification de comptabilité dont Mme X... a fait l'objet, le vérificateur, ayant estimé d'une part que les forfaits avaient été fixés au vu de renseignements inexacts et d'autre part que les loyers perçus par le contribuable étaient anormalement bas au regard d'une comparaison avec d'autres locations, a prononcé la caducité des forfaits des années 1982 à 1985, constaté que les chiffres d'affaires qui eussent dû être réalisés sur la base de loyers normaux dépassaient les limites du régime forfaitaire, évalué d'office les bénéfices en résultant et, par suite, remis en cause l'exonération des plus-values réalisées dont le contribuable avait bénéficié sur le fondement de l'article 151 septies du code général des impôts ;
Sur les redressements afférents aux années 1982 à 1985 :
Considérant qu'il résulte de l'instruction que le vérificateur a reconstitué le montant normal des loyers sur la base d'une comparaison effectuée au titre de l'année 1985 dont les résultats ont été extrapolés aux années antérieures par application de l'indice du coût de la construction ; que les indications données au contribuable ou ultérieurement devant la Cour ne permettent pas de déterminer, alors même que l'administration était tenue par le secret fiscal, si les entreprises retenues comme termes de comparaison se trouvent dans des situations suffisamment proches de celle du contribuable notamment du point de vue de la nature de l'activité exercée ou des caractéristiques des locaux ; que dans ces conditions l'administration ne peut être regardée comme ayant ainsi apporté la preuve, qui lui incombe, du dépassement du seuil d'application du régime forfaitaire, alors même que l'absence de revalorisation de la part fixe du loyer depuis 1978 laissait présumer son caractère anormal, et que la comparaison conduisait à un dépassement important ; qu'elle ne pouvait ainsi procéder à l'évaluation d'office des bénéfices des exercices 1982 à 1985 et refuser à Mme X... l'exonération prévue par les dispositions de l'article 151 septies du code général des impôts au titre de la plus-value réalisée en 1985 ;
Sur les redressements afférents à l'année 1986 :
Considérant qu'il résulte de l'instruction que l'avis de vérification de comptabilité propre à cette année a été reçu par le contribuable le vendredi 9 mai 1986 et que les opérations de vérification ont débuté le mardi 13 mai ; que dans ces circonstances le contribuable n'a pas disposé d'un délai suffisant pour se faire assister d'un conseil de son choix au sens de l'article L.47 du livre des procédures fiscales ; que la procédure d'imposition est dès lors entachée d'irrégularité et est de nature à entraîner la décharge des impositions qui en procèdent ;
Considérant, toutefois, que le ministre du budget soutient que l'imposition de la plus-value réalisée par le contribuable en 1986 n'est pas affectée par cette irrégularité, dès lors que le dépassement des limites du forfait qui constitue, en vertu de l'article 202 bis du code général des impôts, le fondement de la remise en cause de l'exonération dont avait initialement bénéficié le contribuable, aurait été constaté dès 1985 dans le cadre d'une autre vérification de comptabilité ; que, cependant, il ressort de ce qui a été dit ci-dessus que la preuve du dépassement des limites du forfait n'a pas été apportée au titre de 1985 ; que le requérant est dès lors fondé à demander la décharge des impositions correspondantes ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que Mme X... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande ;
Sur les conclusions tendant à l'allocation des sommes non comprises dans les dépens :
Considérant qu'aux termes de l'article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel : "Dans toutes les instances devant les tribunaux administratifs et les cours administratives d'appel, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation" ;
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, en application des dispositions précitées, de condamner l'Etat (ministre de l'économie et des finances) à payer à Mme X... la somme de trois mille francs ;
Article 1er : Mme X... est déchargée des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu auxquelles elle a été assujettie au titre des années 1982 à 1986 en tant qu'elles procèdent de l'imposition des bénéfices industriels et commerciaux.
Article 2 : Le jugement du Tribunal administratif de Rennes en date du 9 décembre 1993 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : L'Etat (ministre de l'économie et des finances) versera une somme de trois mille francs (3 000 F) à Mme X... au titre de l'article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme X... est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme X... et au ministre de l'économie et des finances.