Vu la requête enregistrée au greffe de la Cour le 21 mai 2004, présentée pour la société nationale des chemins de fer français (SNCF), représentée par ses représentants légaux en exercice, dont le siège est ... (75699 cedex 14), par Me Odent, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation ; la SNCF demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 01-882 du 25 mars 2004 par lequel le Tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande tendant à ce que l'Etat soit condamné à lui réparer les conséquences dommageables des dégradations causées à la gare de Guingamp et de l'entrave à la circulation des trains commises par des attroupements d'agriculteurs au cours de la période du 9 au 15 avril 1998 dans le département des Côtes d'Armor ;
2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 208 064,46 euros, avec intérêts au taux légal à compter de la demande préalable et capitalisation des intérêts ;
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Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code général des collectivités territoriales ;
Vu la loi du 15 juillet 1845 sur la police des chemins de fer ;
Vu la loi n° 83-8 du 7 janvier 1983 ;
Vu le décret n° 730 du 22 mars 1942 ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 30 août 2005 :
- le rapport de Mme Buffet, rapporteur ;
- les observations de Me Poulet, substituant Me Odent, avocat de la SNCF ;
- et les conclusions de M. Artus, commissaire du gouvernement ;
Considérant que la société nationale des chemins de fer français (SNCF) demande à la Cour d'annuler le jugement du 25 mars 2004 par lequel le Tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser une somme de 208 064,46 euros, avec intérêts au taux légal et capitalisation des intérêts, en réparation des conséquences dommageables des dégradations causées à la gare de Guingamp et de l'entrave à la circulation des trains commises par des attroupements d'agriculteurs au cours de la période du 9 au 15 avril 1998 dans le département des Côtes d'Armor ;
Sur la régularité du jugement attaqué :
Considérant qu'il résulte de l'instruction que, dans sa demande enregistrée au greffe du Tribunal administratif de Rennes le 27 février 2001, la SNCF a demandé la réparation des conséquences dommageables, non seulement des dégradations perpétuées en gare de Guingamp dans la nuit du 9 au 10 avril 1998 mais, également, des entraves à la circulation des trains au cours de la période du 9 au 15 avril 1998 dans le département des Côtes d'Armor ; que le tribunal administratif a omis de statuer sur les conclusions en réparation présentées par la SNCF au titre de ce second dommage ; qu'ainsi, le jugement du Tribunal administratif de Rennes du 25 mars 2004 doit être annulé dans cette mesure ;
Considérant qu'il y a lieu de statuer par voie d'évocation sur les conclusions de la demande relatives aux conséquences dommageables de l'entrave à la circulation des trains du 9 au 15 avril 1998 et en vertu de l'effet dévolutif, sur le surplus de la demande de réparation présentée par la SNCF ;
Sur la responsabilité de l'Etat :
Considérant qu'aux termes de l'article 92 de la loi du 7 janvier 1983 devenu l'article L. 2216-3 du code général des collectivités territoriales : “L'Etat est civilement responsable des dégâts et dommages résultant des crimes et délits commis, à force ouverte ou par violence, par des attroupements ou rassemblements armés ou non armés, soit contre les personnes, soit contre les biens (…)” ;
Considérant, d'une part, qu'il résulte de l'instruction que, dans la nuit du 9 au 10 avril 1998, une cinquantaine d'agriculteurs, quelques heures après leur retour du département du Finistère où ils avaient manifesté au cours de la journée, se sont divisés par petits groupes en vue de prendre pour cible différents édifices de la ville de Guingamp, dont la gare SNCF ; que munis de divers matériaux et de gasoil ils ont effectués, entre 21h15 et 22 heures, des déplacements au moyen de véhicules dont les plaques minéralogiques avaient été dissimulées dans le but de commettre le plus anonymement possible, des dégradations à ces édifices ; que, dans ces conditions, de telles opérations, préméditées et organisées, de destruction de biens ne sont pas de nature à être regardées comme imputables à un attroupement ou rassemblement au sens des dispositions de l'article L. 2216-3 du code générale des collectivités territoriales ;
Considérant, d'autre part, qu'il résulte également de l'instruction que des manifestations ont eu lieu dans le département des Côtes d'Armor du 9 au 15 avril 1998, au cours desquelles des agriculteurs ont, spontanément et dans la confusion, entrepris à différentes reprises l'occupation des voies ferrées où ils ont déversé des chargements de choux-fleurs ; que ces attroupements, dont les agissements ont constitué des délits commis à force ouverte, sont de nature à engager la responsabilité de l'Etat sur le fondement des dispositions de l'article L. 2216-3 du code général des collectivités territoriales ;
Sur les préjudices :
Considérant, d'une part, que les préjudices tenant aux conséquences de l'opération subversive organisée contre la gare de Guingamp dans la nuit du 9 au 10 avril 1998 et consistant, notamment, dans les frais de main-d'oeuvre et d'achat de fournitures pour la remise en état des installations ferroviaires, les facturations d'entreprises intervenues sur le site SNCF, les frais de transport en autocars ou en taxis de voyageurs contraints de pallier l'indisponibilité du service, le préjudice commercial et les frais de traction liés à cet événement, ne peuvent, ainsi qu'il vient d'être dit, être regardés comme imputables à un attroupement et, par suite, ouvrir droit à indemnisation au profit de la SNCF ;
Considérant, d'autre part, qu'une partie des facturations des entreprises intervenues à la demande de la SNCF, tant pour la réalisation de travaux immobiliers, que pour la prise en charge des voyageurs, de même que l'essentiel des frais de traction, les fournitures et une perte commerciale du trafic voyageurs et du trafic marchandises sont imputables à l'occupation et à l'encombrement des voies ferrées pendant la période du 9 au 15 avril 1998 ; qu'il sera fait une juste appréciation de ces conséquences dommageables, au regard des justifications produites en allouant à la SNCF, une somme de 40 000 euros, tous intérêts compris ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la SNCF est seulement fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Rennes n'a pas statué sur sa demande d'indemnisation des conséquences dommageables des entraves à la circulation des trains commises par des attroupements d'agriculteurs au cours de la période du 9 au 15 avril 1998 et à demander que l'Etat soit condamné à lui verser la somme de 40 000 euros, tous intérêts compris, en réparation du préjudice qu'elle a supporté à ce titre ;
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du 25 mars 2004 du Tribunal administratif de Rennes est annulé en tant qu'il n'a pas statué sur les conclusions en réparation des conséquences dommageables des entraves à la circulation des trains commises par des attroupements d'agriculteurs au cours de la période du 9 au 15 avril 1998.
Article 2 : L'Etat est condamné à verser à la SNCF la somme de 40 000 euros (quarante mille euros), tous intérêts compris, en réparation des conséquences dommageables desdits attroupements.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la demande de la SNCF présentée devant le Tribunal administratif de Rennes et des conclusions de sa requête est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société nationale des chemins de fer et au ministre des transports, de l'équipement, du tourisme et de la mer et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire.
N° 04NT00597
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