Vu la requête, enregistrée au greffe de la Cour le 18 mai 2004, présentée pour M. Jean X, demeurant ..., par Me Fréour, avocat au barreau de Nantes ; M. X demande à la Cour :
1°) de réformer le jugement n° 99-2310 du 24 février 2004 du Tribunal administratif de Nantes en tant qu'il a estimé que les conclusions de sa demande tendant à la décharge du complément d'impôt sur le revenu auquel il a été assujetti au titre de l'année 1994 n'étaient pas recevables ;
2°) de prononcer la décharge du complément d'impôt sur le revenu auquel il a été assujetti au titre de l'année 1994 ;
3°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article R.221 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
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Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code rural ;
Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 24 mai 2006 :
- le rapport de M. Luc Martin, rapporteur ;
- les observations de Me Fréour, avocat de M. X ;
- et les conclusions de M. Lalauze, commissaire du gouvernement ;
Sur la recevabilité de la demande et la régularité du jugement :
Considérant qu'il résulte de l'examen du dossier de première instance que la demande présentée par M. X devant le Tribunal administratif de Nantes ne contenait pas de conclusions tendant expressément à la décharge de la cotisation supplémentaire d'impôt sur le revenu assignée au contribuable au titre de l'année 1994 mais sollicitait l'annulation de la réponse du directeur des services fiscaux rejetant sa réclamation dans laquelle il avait contesté ladite imposition ; que M. X entendait ainsi nécessairement demander la décharge du supplément d'impôt sur le revenu mis à sa charge au titre de l'année 1994 ; qu'il est, par suite, fondé à soutenir que le Tribunal, en rejetant les conclusions de sa demande relatives à l'année 1994 comme irrecevables comme ayant été présentées tardivement, a entaché son jugement d'irrégularité ; que celui-ci doit être annulé en tant qu'il a rejeté les conclusions de la demande relatives à l'année d'imposition 1994 ;
Considérant qu'il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur les conclusions de la demande présentée par M. X relatives à l'année d'imposition 1994 ;
Sur le bien-fondé de l'imposition :
Considérant que le groupement foncier agricole (GFA) de Chamteloup a donné en location à la société civile d'exploitation agricole (SCEA) de Chamteloup, par deux baux à ferme conclus respectivement les 1er décembre 1987 et 27 novembre 1989 pour une durée de dix-huit ans, un domaine viticole, sis à Brigné-sur-Layon (Maine-et-Loire), comprenant des immeubles d'habitation et d'exploitation, ainsi que 48 hectares de vignes, terres et prés ; qu'à la suite d'une vérification de comptabilité du GFA portant sur les années 1994 et 1995, l'administration fiscale a notamment rehaussé le résultat imposable du GFA de l'année 1994 ; que M. X, associé à 50 % du GFA, a été, par suite, assujetti à un supplément d'impôt sur le revenu, dans la catégorie des revenus fonciers, en application de l'article 29 du code général des impôts ;
En ce qui concerne la mise à disposition gratuite d'une unité de vinification :
Considérant qu'il résulte de l'instruction que, lors de son assemblée générale du 12 juin 1992, le GFA a décidé d'agrandir et de moderniser le chai donné en location à la SCEA, compte tenu des volumes des récoltes des années à venir ; que, toutefois, les travaux engagés par le groupement n'ont pas consisté à rénover le chai existant mais à construire, sur le domaine, une nouvelle unité de vinification qui a été mise à disposition de la SCEA à compter de l'année 1993 sans perception d'aucun loyer supplémentaire ; que l'administration, qui s'est fondée sur les dispositions combinées des articles L.411-12 et R.411-8 du code rural, dans leur rédaction alors applicable, en vertu desquelles, lorsque le bailleur a effectué, en accord avec le preneur, des investissements dépassant ses obligations légales, le montant du fermage est augmenté d'une rente en espèces égale à l'intérêt des sommes ainsi investies, a estimé que le GFA avait, en réalisant cet investissement, excédé ses obligations de bailleur et que le montant du fermage devait être augmenté, en conséquence, du montant des intérêts dus par le GFA à raison du financement, par voie d'emprunts et d'avances, dudit investissement ; qu'elle a, par suite, intégré dans les revenus du GFA, au titre de la période vérifiée, un supplément de loyer ;
Considérant que M. X fait valoir que l'ancien chai était dans un état très vétuste et soutient que le GFA n'a pas, en réalisant une nouvelle unité de vinification se substituant à l'unité préexistante, excédé les obligations lui incombant en tant que bailleur, dès lors qu'il doit être regardé comme ayant seulement effectué les travaux de grosses réparations et d'entretien auxquels il était tenu ; que, toutefois, s'il résulte de l'instruction, et en particulier d'une attestation établie par le gérant de la SCEA, que l'ancienne unité de vinification n'a plus été utilisée comme telle par la SCEA à partir du moment où elle a disposé de la nouvelle, il n'est pas établi que ce défaut d'utilisation aurait été dû à la vétusté de l'ancien chai ; qu'il ressort au contraire d'un rapport d'expertise du domaine viticole établi le 25 février 1991 à la demande du GFA que ce dernier était situé dans un bâtiment assez récent mais d'une conception peu pratique ; qu'ainsi, le nouveau chai ne s'est pas substitué à l'ancien mais s'est ajouté à lui, accroissant ainsi de façon notable les moyens d'exploitation mis à la disposition de la SCEA ; qu'il suit de là que l'administration est fondée à soutenir que le GFA a excédé ses obligations légales, au sens de l'article L.411-12 du code rural, en faisant construire ce nouveau chai ; que cette circonstance était de nature à justifier une augmentation du montant du fermage pour un montant correspondant, conformément aux dispositions de l'article R.411-8 du code rural, aux intérêts financiers afférents aux emprunts et avances obtenus par le GFA pour financer cet investissement ; qu'en ne procédant pas à cette augmentation, le GFA a consenti une libéralité à la SCEA ; que l'administration était, par suite, fondée à réintégrer dans les résultats du GFA ladite libéralité, pour un montant, non contesté, égal à celui des intérêts susmentionnés ; que la circonstance, invoquée par M. X, que l'article 30 du code général des impôts, relatif aux immeubles dont le propriétaire se réserve la jouissance, ne serait pas applicable en l'espèce du fait de l'existence d'un bail est, dès lors, sans incidence sur la solution du litige ;
En ce qui concerne la diminution du montant du fermage :
Considérant qu'il résulte de l'instruction que, par lettre du 20 novembre 1992, la SCEA a demandé au GFA, en application de l'article L.411-13 du code rural, d'utiliser le barème préfectoral pour la détermination de son fermage ; que le GFA a décidé en conséquence de ramener le montant du fermage, fixé initialement à 25 hectolitres de vin à l'hectare, à 9 hectolitres de vin à l'hectare ; que l'administration a réintégré dans le résultat imposable du GFA, au titre des années vérifiées, la fraction du fermage initial que celui-ci avait ainsi renoncé à percevoir aux motifs que la révision n'avait pas suivi la procédure prévue par l'article L.411-13 du code rural, que le GFA et la SCEA avaient des associés commun et appartenaient au même groupe informel et que la forte diminution n'était pas justifiée alors que le fermage initial devait être regardé comme régulier ;
Considérant que, sauf circonstances indépendantes de la volonté du propriétaire et faisant obstacle à ce qu'il retire un loyer normal d'un immeuble qu'il a donné en location, l'administration est en droit de réintégrer dans les bases d'imposition du propriétaire la différence entre la valeur locative normale de son immeuble et le loyer convenu, dès lors que celui-ci présente un caractère manifestement anormal ; qu'il appartient à l'administration d'apporter la preuve de ce caractère anormal ;
Considérant, en premier lieu, qu'elle ne peut, pour ce faire, utilement se prévaloir de ce que les parties n'auraient pas respecté la procédure de révision du fermage prévue par l'article L.411-13 du code rural, selon lequel, lorsque le prix du fermage, décidé à la conclusion du bail, est supérieur ou inférieur d'au moins un dixième à la valeur locative de la catégorie du bien particulier donné à bail, le preneur ou le bailleur peut, au cours de la troisième année de jouissance, saisir le tribunal paritaire des baux ruraux qui fixe, pour la période restant à courir, le prix normal du fermage ; qu'en effet, nonobstant leur caractère d'ordre public, le non respect de ces dispositions n'est pas en soi de nature à établir le caractère anormal du prix du fermage ; que, par suite, les moyens tirés, d'une part, de ce que le GFA a réduit le fermage sans saisir le Tribunal paritaire des baux ruraux, d'autre part, de ce que la révision n'est pas intervenue au cours de la troisième année suivant la conclusion du bail du 1er décembre 1987, doivent être écartés comme inopérants ;
Considérant, en second lieu, qu'il résulte des dispositions, alors applicables, de l'article L.411-11 du code rural que le prix de chaque fermage est évalué par les parties au contrat par une quantité déterminée de denrées, laquelle doit être comprise entre un minimum et un maximum arrêtés par le préfet et qui s'imposent aux parties ; que l'administration soutient que le fermage initial de 25 hectolitres de vin à l'hectare était normal au regard de la valeur locative du domaine alors que, selon M. X, ce fermage était supérieur à la valeur maximale fixée par l'arrêté préfectoral du 28 octobre 1977 ; que l'administration fait également valoir que des terres et vignobles acquis par le GFA postérieurement à la conclusion des baux ont été mis à la disposition de la SCEA sans augmentation du fermage ; qu'elle ne fournit cependant aucune indication chiffrée quant au montant du supplément de fermage qui aurait dû être réclamé ; que les documents versés au dossier, et notamment un extrait de l'arrêté préfectoral du 28 octobre 1977 sur lequel figurent des minima et des maxima applicables à des baux de neuf ans, alors que les baux litigieux ont une durée de dix-huit ans, ne permettent pas à la Cour de déterminer dans quelle mesure, compte tenu des principes énoncés ci-dessus, la révision du fermage a eu pour effet de porter celui-ci à un niveau anormalement bas ; qu'il y a lieu, dès lors, avant de statuer sur les conclusions de la demande de M. X relatives à la diminution du montant du fermage, d'ordonner un supplément d'instruction aux fins de permettre à l'administration d'apporter contradictoirement avec le requérant tout élément de nature à établir le caractère manifestement anormal du loyer perçu au cours de l'année en litige ;
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du Tribunal administratif de Nantes du 24 février 2004 est annulé en tant qu'il a rejeté les conclusions de la demande de M. X relatives à l'année d'imposition 1994.
Article 2 : Les conclusions de la demande de M. X relatives au supplément d'impôt sur le revenu qui lui a été assigné au titre de l'année 1994 à raison de la mise à disposition gratuite par le groupement foncier agricole de Chamteloup d'une unité de vinification sont rejetées.
Article 3 : Il sera, avant de statuer sur les conclusions de la demande de M. X relatives au redressement consécutif à la remise en cause de la diminution du montant du fermage, procédé, par les soins du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, à un supplément d'instruction aux fins d'établir, dans les conditions ci-dessus définies et contradictoirement avec M. X, le caractère manifestement anormal du fermage consenti par le groupement foncier agricole de Chamteloup à la société civile d'exploitation agricole du même nom.
Article 4 : Il est imparti au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt pour satisfaire à la mesure d'instruction prescrite à l'article 3 ci-dessus.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. Jean X et au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
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N° 04NT00585
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