Vu la requête, enregistrée le 8 janvier 2010, présentée pour la société LAURENT LIMITED, dont le siège est situé à La Brehannerie au Pellerin (446400), par Me Magguilli, avocat au barreau de Rennes ; la société LAURENT LIMITED demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n°s 08-2055 et 08-2056 en date du 4 novembre 2009 du tribunal administratif de Nantes en tant que ce jugement a rejeté le surplus des conclusions de sa demande ;
2°) de prononcer la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée auxquels elle a été assujettie au titre des années 2001 et 2002 ainsi que des pénalités y afférentes, la décharge des cotisations supplémentaires à l'impôt sur les sociétés et à la contribution à cet impôt auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices 2001, 2002 et 2003 et la décharge de la retenue à la source à laquelle elle a été assujettie au titre des années 2001, 2002 et 2003, ainsi que des pénalités y afférentes ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
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Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
Vu le code de justice administrative ;
Vu l'arrêté du 1er août 2000 relatif aux attributions des directions de contrôle fiscal ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 9 juin 2011 :
- le rapport de M. Christien, président-assesseur ;
- et les conclusions de Mme Specht, rapporteur public ;
Considérant qu'à la suite d'une vérification de comptabilité, la société de droit britannique LAURENT LIMITED, qui exerce en France une activité de négoce en gros de produits textiles de prêt-à-porter auprès de clients de la grande distribution, a été assujettie à des rappels de taxe sur la valeur ajoutée au titre des années 2001 et 2002, à des cotisations supplémentaires à l'impôt sur les sociétés et à la contribution additionnelle à cet impôt au titre des exercices 2001, 2002 et 2003, à la retenue à la source en application du 2 de l'article 119 bis du code général des impôts au titre des années 2001, 2002 et 2003, à l'amende prévue à l'article 1768 dudit code ainsi qu'à la majoration pour absence de bonne foi en application de l'article 1728 du même code ; qu'en cours d'instance devant le tribunal administratif de Nantes, l'administration a prononcé le dégrèvement de l'amende d'un montant de 4 160 euros qui avait été infligée à la société LAURENT LIMITED en application de l'article 1768 du code général des impôts ; que, par jugement du 4 novembre 2009, le tribunal administratif a prononcé un non-lieu à statuer en ce qui concerne les conclusions tendant à la décharge de ladite amende et a rejeté le surplus des conclusions de la requête ; que la société LAURENT LIMITED interjette appel de ce jugement en tant qu'il a rejeté le surplus de ses conclusions ;
Sur le bien-fondé des impositions :
En ce qui concerne les cotisations supplémentaires à l'impôt sur les sociétés et à la contribution à cet impôt :
Considérant, en premier lieu, que la société LAURENT LIMITED a comptabilisé en charges, au cours des exercices clos en 2001 et 2002, des factures émises par la société Rebaja Moda SL établie en Espagne, au titre de la création de modèles de différentes gammes (...) de prêt-à-porter de haute gamme destinée à l'implantation commerciale dans les secteurs d'Espagne, Portugal et Italie pour la saison hiver 2001, automne 2002, hiver 2002 et printemps 2003 ;
Considérant qu'aux termes de l'article 39 du code général des impôts, applicable en matière d'impôt sur les sociétés en vertu de l'article 209 du même code : 1. Le bénéfice net est établi sous déduction de toutes charges, celles-ci comprenant (...) notamment : 1° Les frais généraux de toute nature (...) ; qu'il résulte de cette disposition que, pour être admis en déduction, les frais et charges de l'entreprise doivent être exposés dans l'intérêt direct de l'exploitation, correspondre à une charge effective et être appuyés de justifications suffisantes ;
Considérant qu'en vertu des règles gouvernant l'attribution de la charge de la preuve devant le juge administratif, applicables sauf loi contraire, s'il incombe, en principe, à chaque partie d'établir les faits nécessaires au succès de sa prétention, les éléments de preuve qu'une partie est seule en mesure de détenir ne sauraient être réclamés qu'à celle-ci ; qu'il appartient, dès lors, au contribuable, pour l'application des dispositions précitées de l'article 39 du code général des impôts, de justifier tant du montant des créances de tiers, amortissements, provisions et charges qu'il entend déduire du bénéfice net défini à l'article 38 du même code que de la correction de leur inscription en comptabilité, c'est-à-dire du principe même de leur déductibilité ; qu'en ce qui concerne les charges, le contribuable apporte cette justification par la production de tous éléments suffisamment précis portant sur la nature de la charge en cause, ainsi que sur l'existence et la valeur de la contrepartie qu'il en a retirée ; que dans l'hypothèse où le contribuable s'acquitte de cette obligation, il incombe ensuite au service, s'il s'y croit fondé, d'apporter la preuve de ce que la charge en cause n'est pas déductible par nature, qu'elle est dépourvue de contrepartie, qu'elle a une contrepartie dépourvue d'intérêt pour le contribuable ou que la rémunération de cette contrepartie est excessive ;
Considérant qu'en vertu de ces principes, lorsqu'une entreprise a déduit en charges une dépense réellement supportée, conformément à une facture régulière relative à un achat de prestations ou de biens dont la déductibilité par nature n'est pas contestée par l'administration, celle-ci peut demander à l'entreprise qu'elle lui fournisse tous éléments d'information en sa possession susceptibles de justifier la réalité et la valeur des prestations ou biens ainsi acquis ; que la seule circonstance que l'entreprise n'aurait pas suffisamment répondu à ces demandes d'explication ne saurait suffire à fonder en droit la réintégration de la dépense litigieuse, l'administration devant alors fournir devant le juge tous éléments de nature à étayer sa contestation du caractère déductible de la dépense ; que le juge de l'impôt doit apprécier la valeur des explications qui lui sont respectivement fournies par le contribuable et par l'administration ;
Considérant que l'administration a remis en cause la déduction des sommes facturées à la société LAURENT LIMITED par la société Rebaja Moda SL au motif qu'elles étaient dépourvues de contrepartie ; que la société LAURENT LIMITED ne conteste pas n'avoir commercialisé en Espagne, au Portugal et en Italie aucun des produits de la société Rebaja Moda SL et que, si elle fait valoir que l'engagement de dépenses pour pénétrer de nouveaux marchés ne débouche pas forcément sur un résultat, elle n'établit pas avoir effectivement entrepris des démarches afin d'écouler les produits en cause sur les marchés espagnols, portugais et italiens et que celles-ci auraient été infructueuses ; que si elle soutient qu'elle a commercialisé une partie des produits en France selon le mode de distribution qui lui est propre, elle ne l'établit pas ; que si, afin d'attester de la réalité des prestations de la société Rebaja Moda SL, la société LAURENT LIMITED a versé au dossier contentieux des catalogues et des échantillons de tissus, tout en précisant que tous les modèles créés n'ont pas été retenus et vendus et que les catalogues qu'elle a pu récupérer ne sont pas exhaustifs et représentatifs de l'intégralité de ces modèles, aucune corrélation ne peut être établie entre les pièces produites et les factures émises par la société espagnole ; que, dès lors, la société LAURENT LIMITED n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que l'administration a refusé la déduction des sommes en cause ;
Considérant, en second lieu, que la société LAURENT LIMITED a comptabilisé en charges, au cours des exercices clos en 2002 et 2003, des factures émises par la société Eurespania LTD établie à l'île de Man, au titre de dépenses de prospection sur le territoire espagnol ;
Considérant qu'aux termes de l'article 238 A du code général des impôts : Les intérêts, (...) ou les rémunérations de services, payés ou dus par une personne physique ou morale domiciliée ou établie en France à des personnes physiques ou morales qui sont domiciliées ou établies dans un Etat étranger ou un territoire situé hors de France et y sont soumises à un régime fiscal privilégié, ne sont admis comme charges déductibles pour l'établissement de l'impôt que si le débiteur apporte la preuve que les dépenses correspondent à des opérations réelles et qu'elles ne présentent pas un caractère anormal ou exagéré. Pour l'application du premier alinéa, les personnes sont regardées comme soumises à un régime fiscal privilégié dans l'Etat ou le territoire considéré si elles n'y sont pas imposables ou si elles y sont assujetties à des impôts sur les bénéfices ou les revenus notablement moins élevés qu'en France. Les dispositions du premier alinéa s'appliquent également à tout versement effectué sur un compte tenu dans un organisme financier établi dans un des Etats ou territoires visés au même alinéa. ;
Considérant qu'il est constant que la société Eurespania LTD est soumise à un régime fiscal privilégié à l'île de Man où se trouve son siège social ; que la convention conclue entre la société LAURENT LIMITED, sous son appellation de société Laurent Textile Limited, et cette société, chargeant celle-ci d'une mission de prospection sur le marché espagnol, ne saurait suffire à établir que les prestations prévues ont été effectivement fournies ; que si la société requérante produit une liste de salons, elle n'établit pas pour autant que la société Eurespania LTD y a pris part pour son compte ; que si elle produit également une liste de clients en Espagne, ce document n'établit pas davantage que la société Eurespania LTD les a prospectés pour son compte ; qu'ainsi, la société LAURENT LIMITED n'écarte pas la présomption de non déductibilité instituée par l'article 238 A du code général des impôts ; que, dès lors, elle n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que l'administration a refusé la déduction des sommes en cause ;
En ce qui concerne les rappels de taxe sur la valeur ajoutée et le profit sur le Trésor y afférent :
Considérant qu'aux termes de l'article 230 de l'annexe II au code général des impôts alors en vigueur : I. La taxe sur la valeur ajoutée ayant grevé les biens et services que les assujettis à cette taxe acquièrent ou qu'ils se livrent à eux-mêmes n'est déductible que si ces biens et services sont nécessaires à l'exploitation. (...) ;
Considérant, en premier lieu, qu'il résulte de ce qui a été dit précédemment que l'administration établit que les sommes facturées par la société Rebaja Moda SL à la société LAURENT LIMITED ne correspondaient pas à des prestations réelles ; que, par suite, elle était fondée à rappeler la taxe sur la valeur ajoutée y afférente ;
Considérant, en second lieu, que le rappel de taxe sur la valeur ajoutée afférente aux sommes facturées par la société Rebaja Moda SL a donné régulièrement lieu à la constatation d'un profit sur le Trésor dès lors que celui-ci n'avait pas été implicitement comptabilisé par la société LAURENT LIMITED ;
En ce qui concerne la retenue à la source :
Considérant qu'aux termes du 2 de l'article 119 bis du code général des impôts : Sous réserve des dispositions de l'article 239 bis B, les produits visés aux articles 108 à 117 bis donnent lieu à l'application d'une retenue à la source dont le taux est fixé par le 1 de l'article 187 lorsqu'ils bénéficient à des personnes qui n'ont pas leur domicile fiscal ou leur siège en France. Un décret fixe les modalités et conditions d'application de cette disposition (...) ; qu'aux termes de l'article 187 du même code : 1. Le taux de la retenue à la source prévue à l'article 119 bis est fixé à : (...) 25 % pour tous les autres revenus (...) ; que la convention franco-espagnole du 10 octobre 1995 a fixé le taux conventionnel à 15 % ; qu'il résulte du renvoi par le 2 de l'article 119 bis du code général des impôts aux articles 108 à 117 bis de ce code que sont notamment visées les rémunérations et charges de toute nature qui ne sont pas admises en déduction pour l'assiette de l'impôt sur les sociétés ;
Considérant qu'ainsi qu'il a été dit précédemment, l'administration établit que la société LAURENT LIMITED ne justifie pas de la contrepartie des sommes versées aux sociétés Rebaja Moda SL et Eurespania LTD au titre des exercices clos en 2001, 2002 et 2003 ; que c'est donc à bon droit que l'administration a pu estimer qu'il s'agissait de revenus réputés distribués entrant dans le champ d'application des dispositions des articles 109, 1 et 111, c) du code général des impôts et appliquer la retenue à la source prévue par l'article 119 bis précité du même code, les sociétés bénéficiaires n'ayant pas leur siège en France ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la société LAURENT LIMITED n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté ses demandes tendant à la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée auxquels elle a été assujettie au titre des années 2001 et 2002, des cotisations supplémentaires à l'impôt sur les sociétés et à la contribution à cet impôt auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices 2001, 2002 et 2003 et de la retenue à la source à laquelle elle a été assujettie au titre des années 2001, 2002 et 2003 ;
Sur les pénalités de mauvaise foi :
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que la société LAURENT LIMITED a contesté devant le tribunal les pénalités de mauvaise foi mises à sa charge et que les premiers juges n'ont pas examiné ces conclusions ; que, par suite, la société requérante est fondée à soutenir que le jugement attaqué est irrégulier et doit être annulé en tant qu'il n'a pas statué sur les conclusions relatives auxdites pénalités ; qu'il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur lesdites conclusions ;
Considérant qu'aux termes de l'article 1729 du code général des impôts dans sa rédaction applicable au présent litige : Lorsque la déclaration ou l'acte mentionné à l'article 1728 font apparaître une base d'imposition ou des éléments servant à la liquidation de l'impôt insuffisants, inexacts ou incomplets, le montant des droits mis à la charge du contribuable est assorti (...) d'une majoration de 40 % si la mauvaise foi de l'intéressé est établie ;
Considérant, en premier lieu, que si la société LAURENT LIMITED soutient que la décision de faire application des pénalités de mauvaise foi n'avait pas été portée à sa connaissance lors des opérations de vérification, aucune disposition législative ou réglementaire, ni aucun principe général du droit n'exige que l'application de cette majoration soit mentionnée lors de la phase de contrôle ; que, par ailleurs, son application a été annoncée de façon suffisamment motivée dans la proposition de rectification et que la société requérante a donc été mise en mesure de présenter des observations à ce sujet dans le délai de trente jours qui lui était imparti ;
Considérant, en second lieu, que pendant les trois exercices 2001, 2002 et 2003 sur lesquels portait la vérification de comptabilité, la société LAURENT LIMITED a procédé à l'enregistrement dans sa comptabilité de factures pour lesquelles la matérialité des prestations correspondantes n'était pas justifiée ; que, dès lors, l'administration doit être regardée comme apportant la preuve de l'absence de bonne foi de la société requérante, justifiant l'application de la majoration prévue à l'article 1729 du code général des impôts ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les conclusions de la société LAURENT LIMITED tendant à la décharge des pénalités de mauvaise foi qui lui ont été réclamées ne peuvent qu'être rejetées ;
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que la société LAURENT LIMITED demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
DECIDE :
Article 1er : Le jugement n°s 08-2055 et 08-2056 du tribunal administratif de Nantes en date du 4 novembre 2009 est annulé en tant qu'il ne statue pas sur les pénalités pour mauvaise foi.
Article 2 : Les conclusions présentées par la société LAURENT LIMITED devant le tribunal administratif de Nantes tendant à la décharge des pénalités pour mauvaise foi sont rejetées.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de la société LAURENT LIMITED est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société LAURENT LIMITED et au ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l'Etat, porte-parole du Gouvernement.
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N° 10NT00037 2
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