Vu la requête, enregistrée le 10 octobre 2012, présentée par le préfet des Côtes-d'Armor ; le préfet demande à la cour d'annuler le jugement n° 0905823 du 30 août 2012 par lequel le tribunal administratif de Rennes a condamné l'Etat à verser à la commune de Saint-Brieuc la somme de 111 327,24 euros ainsi que celle de 90 000 euros au profit de la société Covea Risks, assorties des intérêts et de leur capitalisation, en réparation des préjudices subis du fait de manifestations de producteurs de lait ;
il soutient que :
- les conditions de l'engagement de la responsabilité de l'Etat sur le fondement des dispositions de l'article L. 2216-3 du code général des collectivités territoriales ne sont pas réunies dès lors que les dommages causés par des groupes organisés n'entrent pas dans leur champ d'application ; elle ne peut davantage l'être lorsque des individus profitent d'un contexte de tensions pour commettre des dégradations ;
- les nombreuses dégradations attestent de la détermination de leurs auteurs et de leur volonté de nuire dans le cadre d'une action préméditée ;
- il n'existe pas de lien direct entre les violences perpétrées dans la nuit du 12 au 13 juin 2009 et la manifestation initiale ;
Vu le jugement attaqué ;
Vu le mémoire en défense, enregistré le 7 mars 2013, présenté pour la société Covea Risks, qui conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de l'Etat la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
elle fait valoir que :
- elle est fondée à réclamer une somme de 90 000 euros dès lors qu'elle a réglé cette somme à la commune de Saint-Brieuc en tant qu'assureur ;
- le préfet n'apporte aucun élément nouveau de nature à infirmer l'appréciation des premiers juges selon laquelle les dégradations étaient bien en lien avec la manifestation ;
Vu le mémoire en défense, enregistré le 30 mai 2013, présenté pour la commune de Saint-Brieuc, qui conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de l'Etat la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
elle soutient que :
- les dégradations ont été réalisées par les agriculteurs dans le cadre de la manifestation et non par des individus isolés, ce qui est établi par les pièces versées aux débats ;
- les dégâts ont été constatés le lendemain de la manifestation, aux endroits où elle s'est déroulée ; le lien direct entre les dégradations et la manifestation est clairement établi même en l'absence de vidéosurveillance ;
- à supposer même que les dégradations aient eu lieu en phase de dispersion du cortège, le lien direct reste établi ;
- au vu des articles de presse, la manifestation a dégénéré en fin de soirée suite aux tirs de grenades lacrymogènes, les violences n'étaient nullement préméditées et elles ont été perpétrées par les manifestants ;
Vu l'ordonnance en date du 18 février 2014 fixant la clôture d'instruction au 11 mars 2014, en application des articles R. 613-1 et R. 613-3 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code général des collectivités territoriales et le code de la sécurité intérieure ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 4 avril 2014 :
- le rapport de M. Auger, premier conseiller ;
- les conclusions de M. Gauthier, rapporteur public ;
- les observations de Me A...pour la commune de Saint-Brieuc ;
- et les observations de Me C...pour la société Covea Risks ;
1. Considérant que le préfet des Côtes d'Armor interjette appel du jugement du 30 août 2012 par lequel le tribunal administratif de Rennes a condamné l'Etat à verser à la commune de Saint-Brieuc la somme de 111 327,24 euros et à la société Covea Risks, assureur subrogé, la somme de 90 000 euros, assorties des intérêts et de leur capitalisation, en réparation des préjudices subis du fait de manifestations de producteurs de lait ;
2. Considérant qu'aux termes de l'article L. 2216-3 du code général des collectivités territoriales, désormais repris à l'article L. 211-10 du code de la sécurité intérieure : " L'Etat est civilement responsable des dégâts et dommages résultant des crimes et délits commis, à force ouverte ou par violence, par des attroupements ou rassemblements armés ou non armés, soit contre les personnes, soit contre les biens (...) " ; que l'application de ces dispositions est subordonnée à la condition que les dommages dont l'indemnisation est demandée résultent de manière directe et certaine de crimes ou de délits déterminés commis par des rassemblements ou des attroupements précisément identifiés ;
3. Considérant qu'il résulte de l'instruction, en particulier du rapport de synthèse établi le 13 juin 2009 par le directeur départemental de la sécurité publique, que, le 12 juin 2009, une manifestation d'environ six cents agriculteurs a commencé en début d'après-midi avec notamment un défilé de deux cent vingt tracteurs accompagné de déversements de paille et détritus agricoles aux abords de la préfecture ; que ces événements se sont déroulés jusqu'à 19 h 35 sans incident notable ; qu'après que le préfet a reçu une délégation de huit agriculteurs, des manifestants ont allumé des feux dans les détritus et lancé trois fusées en direction des forces de police, lesquelles ont riposté par des tirs de grenades lacrymogènes ; que ce rapport souligne que cette riposte a suscité l'incompréhension et l'hostilité des manifestants dont certains se sont livrés à des actes de vandalisme à l'encontre du mobilier urbain ; que les dégradations dont s'agit se sont ainsi produites dans le prolongement direct de l'attroupement susmentionné ; qu'en raison de leur caractère spontané et incontrôlé, elles ne peuvent être regardées comme résultant d'une action préméditée et organisée ; qu'ainsi, dans les circonstances de temps et de lieu sus-décrites, ces agissements, qui constituent des délits commis à force ouverte, résultent d'un attroupement ou d'un rassemblement précisément identifié de nature à engager la responsabilité de l'Etat sur le fondement des dispositions précitées ;
4. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le préfet des Côtes-d'Armor n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a condamné l'Etat à verser à la commune de Saint-Brieuc et à la société Covea Risks les sommes respectives précitées de 111 327, 24 et 90 000 euros ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
5. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat, partie perdante dans la présente instance, le versement de chacune la somme de 1 000 euros à la commune de Saint-Brieuc et à la société Covea Risks au titre des frais exposés par elles et non compris dans les dépens ;
DÉCIDE :
Article 1er : La requête du préfet des Côtes-d'Armor est rejetée.
Article 2 : L'Etat versera à la commune de Saint- Brieuc et à la société Covea Risks une somme de 1 000 euros chacune au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au préfet des Côtes-d'Armor, à la commune de Saint-Brieuc et à la société Covea Risks.
Délibéré après l'audience du 4 avril 2014, à laquelle siégeaient :
- M. Lainé, président de chambre,
- Mme Aubert, président-assesseur,
- M. Auger, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 25 avril 2014.
Le rapporteur,
P. AUGERLe président,
L. LAINÉ
Le greffier,
M. B...
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 12NT02777