Vu la requête, enregistrée le 26 décembre 2013, présentée pour M.B... C..., demeurant..., par Me Couzinet, avocat au barreau de Chartres ; M. C... demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 13-367 du 31 octobre 2013 par lequel le tribunal administratif d'Orléans a rejeté sa demande d'annulation de la décision de l'inspecteur du travail du 10 décembre 2012 autorisant son licenciement ;
2°) d'annuler cette décision ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
il soutient que :
- les délais de consultation du comité d'entreprise et de saisine de l'inspecteur du travail prescrits par le code du travail dans le cas d'une mise à pied n'ont pas été respectés ;
- la décision du 10 décembre 2012 est insuffisamment motivée, en ce qu'elle ne décrit pas précisément les griefs qui lui sont reprochés et ne caractérise pas l'absence de lien avec le mandat ;
- la lettre de M. A... du 28 septembre 2012, qui est à l'origine de la procédure, aurait dû lui être communiquée dans le cadre de la procédure contradictoire ; l'inspecteur du travail devait organiser sa confrontation avec les témoins à charge ;
- l'article 6-1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales a été méconnu ;
- la matérialité et la gravité des faits motivant la décision ne sont pas établies ; celle-ci est donc entachée d'erreur manifeste d'appréciation ;
- la procédure trouve son origine dans les manouvres d'un concurrent aux prochaines élections professionnelle, et elle est donc en lien avec ses mandats ;
Vu le jugement attaqué ;
Vu le mémoire en défense, enregistré le 7 avril 2014, présenté pour l'institut médico-éducatif Léopold Bellan, demeurant..., par Me Dietsch, avocat au barreau de Paris, qui conclut au rejet de la requête et demande que soit mise à la charge de M. C... une somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
il fait valoir que :
- les délais prévus par le code du travail pour l'engagement d'une procédure disciplinaire à l'encontre d'un salarié protégé ne sont pas prescrits à peine de nullité ; la procédure a été déclenchée dès que l'employeur a eu connaissance des faits et le délai de saisine de l'inspection du travail a été très court ;
- la décision litigieuse est suffisamment motivée ;
- la gravité et la matérialité des faits reprochés sont établis ; l'intéressé a d'ailleurs lui-même reconnu des violences dans le cadre de la procédure contradictoire ; la décision n'est pas entachée d'erreur d'appréciation ;
- les allégations du requérant selon lesquelles la procédure disciplinaire engagée à son encontre et la décision contestée auraient un lien avec ses mandats sont dépourvues de tout fondement ;
Vu l'ordonnance du 13 novembre 2014 fixant la clôture d'instruction au 8 janvier 2015, en application des articles R. 613-1 et R. 613-3 du code de justice administrative ;
Vu le mémoire en défense, enregistré le 28 janvier 2015, présenté par le ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, qui conclut eu rejet de la requête, en faisant valoir que :
- la décision de l'inspecteur du travail est suffisamment motivée ;
- la procédure contradictoire a été régulièrement suivie ;
- les dépassements de délais de saisine du comité d'établissement et de l'inspecteur du travail n'ont pas été excessif ;
- la matérialité des faits est établie sans que l'inspecter du travail omette de tenir comte de certains éléments du dossier ;
- le licenciement est sans lien avec les mandats représentatifs ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code du travail ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 3 février 2015 :
- le rapport de Pouget, premier conseiller ;
- les conclusions de M. Delesalle, rapporteur public ;
- et les observations de Me Diesch, avocat de l'institut médico-éducatif Léopold Bellan ;
1. Considérant que M. C... a été employé à compter du 5 mars 2001 au sein de l'institut médico-éducatif Léopold Bellan en qualité de moniteur éducateur affecté à l'internat de l'établissement, qui accueille des mineurs et des jeunes majeurs souffrant d'autisme ou de déficiences mentales ; qu'en septembre 2012, à l'occasion d'une réunion éducative, il a été accusé par des collègues de travail d'avoir eu un comportement inapproprié à l'égard de jeunes hébergés par l'institut et à l'égard d'autres membres du personnel ; que la direction de l'établissement, alertée de ces faits le 28 septembre 2012 par un compte-rendu du chef de service de M. C..., décidait le 2 novembre 2012 sa mise à pied conservatoire ; qu'en raison des mandats de représentant syndical et de délégué du personnel détenus par M. C..., la direction de l'institut médico-éducatif a saisi l'inspecteur du travail d'une demande d'autorisation de licenciement pour faute grave ; qu'à la suite d'une enquête contradictoire, l'inspecteur du travail a accordé l'autorisation sollicitée par une décision du 10 décembre 2012 ; que M. C... relève appel du jugement du 31 octobre 2013 par lequel le tribunal administratif d'Orléans a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision ;
2. Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article R. 2421-6 du code du travail : " En cas de faute grave, l'employeur peut prononcer la mise à pied immédiate de l'intéressé jusqu'à la décision de l'inspecteur du travail. Lorsque le délégué syndical bénéficie de la protection prévue à l'article L. 2421-3, la consultation du comité d'entreprise a lieu dans un délai de dix jours à compter de la date de la mise à pied. La demande d'autorisation de licenciement est présentée au plus tard dans les quarante-huit heures suivant la délibération du comité d'entreprise (...) " ; que si, eu égard à la gravité de la sanction de mise à pied, le délai de consultation du comité d'entreprise et le délai entre la délibération de ce comité et l'envoi de la demande d'autorisation de licenciement doivent être aussi courts que possible, il ne sont pas prescrits à peine de nullité ;
3. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que, suite à mise à pied de M. C..., le 2 novembre 2012, le comité d'établissement s'est réuni le 16 novembre suivant afin d'émettre un avis sur la proposition de la direction de le licencier pour faute grave ; que l'inspecteur du travail a été saisi le même jour de la demande d'autorisation de licenciement ; qu'ainsi, si le délai de consultation du comité d'établissement est intervenu avec un retard de quatre jours sur le délai prévu par les dispositions précitées, le délai maximal fixé par ces dispositions pour la saisine de l'inspecteur du travail à compter de la mise à pied du salarié n'a été dépassé que d'une journée ; que ces courts dépassements des délais ne sont pas de nature à caractériser un vice de la procédure de licenciement ;
4. Considérant, en deuxième lieu, qu'aux termes de l'article R. 2421-11 du code du travail : " L'inspecteur du travail procède à une enquête contradictoire au cours de laquelle le salarié peut, sur sa demande, se faire assister d'un représentant de son syndicat. (...) " ; que le caractère contradictoire de l'enquête menée conformément aux dispositions de cet article impose à l'inspecteur du travail, saisi d'une demande d'autorisation de licenciement d'un salarié protégé fondée sur un motif disciplinaire, de mettre à même l'employeur et le salarié de prendre connaissance de l'ensemble des éléments déterminants qu'il a pu recueillir, y compris les témoignages, et qui sont de nature à établir ou non la matérialité des faits allégués à l'appui de la demande d'autorisation ; que, toutefois, lorsque la communication de ces éléments serait de nature à porter gravement préjudice aux personnes qui les ont communiqués, l'inspecteur du travail doit se limiter à informer le salarié protégé et l'employeur, de façon suffisamment circonstanciée, de leur teneur ;
5. Considérant que M. C... soutient que l'inspecteur du travail devait, en application des principes susmentionnés, lui communiquer dans le cadre de la procédure d'enquête le courrier du 28 septembre 2012 par lequel son supérieur hiérarchique a avisé la direction de l'institut médico-éducatif Léopold Bellan des griefs exprimés à son encontre par des salariés de l'établissement ; qu'il ressort des pièces du dossier que ce courrier, qui n'était pas en lui-même un témoignage mais un compte rendu de propos tenus en réunion par des collègues de travail de M. C..., n'a pas été transmis à l'inspecteur du travail par l'employeur ; que la teneur de ce compte-rendu figurait néanmoins dans le courrier du 16 novembre 2012 par lequel l'institut employeur a saisi l'inspecteur du travail et auquel était jointes les attestations des salariées ayant mise en cause M. C..., lequel ne conteste pas avoir reçu communication de ces documents au cours de l'enquête ; que le requérant n'est donc pas fondé à prétendre que le rapport du 28 septembre 2012 aurait constitué un document déterminant du dossier dont il n'aurait pu connaître le contenu et dont le défaut de communication aurait préjudicié au caractère contradictoire de la procédure d'enquête ; que, par ailleurs, l'inspecteur du travail, qui a auditionné au cours de l'enquête l'ensemble des personnes lui paraissant susceptibles de l'éclairer sur la réalité du comportement de M. C..., notamment les témoins à décharge cités par ce dernier, n'était pas tenu d'organiser une confrontation entre l'intéressé et ses collègues mettant en cause son comportement ; qu'enfin, la procédure suivie par l'inspecteur du travail dans le cadre de l'examen de la demande d'autorisation de licenciement ne revêt pas un caractère juridictionnel ; que, par suite, le requérant ne saurait utilement invoquer une méconnaissance des stipulations de l'article 6-1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
6. Considérant, en troisième lieu, qu'aux termes de l'article R. 2421-12 du code du travail : " La décision de l'inspecteur du travail est motivée " ; qu'en l'espèce, selon la décision de l'inspecteur du travail du 10 décembre 2012, qui vise les dispositions applicables du code du travail et rappelle la procédure suivie, si l'enquête contradictoire n'a pu corroborer certains des griefs faits à M. C... par son employeur, elle a confirmé en revanche qu'il se livrait de façon récurrente à la profération de réflexions désobligeantes ou insultantes à l'égard de certains de ses collègues et de jeunes accueillis dans l'établissement, qu'il a pris des sanctions abusives à l'égard de ces derniers à au moins deux reprises, et a eu dans une circonstance un comportement violent envers l'un d'eux ; que l'inspecteur du travail, qui n'avait pas à préciser dans sa décision les dates et le détail de ces faits, a qualifié ceux-ci de fautes professionnelles graves justifiant un licenciement ; qu'il a par ailleurs souligné, après avoir rappelé la qualité de délégué syndical et de représentant du personnel de l'intéressé, qu'aucun lien n'était établi entre ces mandats et la mesure de licenciement envisagée ; qu'il a ainsi suffisamment motivé sa décision ;
7. Considérant, en quatrième lieu, qu'en vertu des dispositions du code du travail, les salariés légalement investis de fonctions représentatives bénéficient, dans l'intérêt de l'ensemble des salariés qu'ils représentent, d'une protection exceptionnelle ; que, lorsque le licenciement d'un de ces salariés est envisagé, ce licenciement ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l'appartenance syndicale de l'intéressé ; que, dans le cas où la demande de licenciement est motivée par un comportement fautif, il appartient à l'inspecteur du travail, et le cas échéant au ministre, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié sont d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement, compte tenu de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé et des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi ;
8. Considérant que M. C..., qui produit des attestations en sa faveur, conteste la matérialité des faits qui lui sont reprochés en soulignant qu'ils reposent sur les seuls témoignages de deux employées de l'institut médico-éducatif, dont les propos comporteraient des contradictions et seraient sujets à caution dans la mesure où, d'une part, ces mêmes employées avaient, peu de temps auparavant, manifesté leur souhait de travailler en équipe avec lui et où, d'autre part, leurs accusations ont été relayées auprès de la direction de l'établissement par son chef de service, qui se trouvait être un candidat concurrent aux scrutins professionnels organisés dans l'établissement ; que, toutefois, il ne ressort d'aucune pièce du dossier que la procédure de licenciement engagée à l'encontre de M. C..., qui trouve son origine dans les mises en cause exprimées par des collègues de travail de l'intéressé, pourrait s'expliquer par un lien avec ses mandats représentatifs ; que, par ailleurs, les attestations dont se prévaut le requérant sont peu probantes dès lors qu'elles émanent d'anciens collègues qui ne travaillaient pas avec lui au sein du " groupe 1 " de l'internat de l'institut Léopold Bellan, d'une collègue de ce service en congé de maladie durant la période au cours de laquelle se sont produits les faits considérés, et de sa propre épouse ; qu'en revanche, les deux éducatrices composant, avec une intendante et M. C... lui-même, le " groupe 1 " en charge de l'internat de l'établissement, ont fait part, de manière concordante et très circonstanciée, du comportement vexatoire et parfois agressif de ce dernier à l'égard des jeunes âgés de 12 à 20 ans dont il avait la charge, et de ses propos déplacés à l'égard de membres du personnel, notamment féminins ; que si une plainte déposée par les parents des jeunes concernés a été classée sans suite pour infraction insuffisamment caractérisée, deux notes établies par une monitrice et par l'assistante sociale de l'établissement corroborent les mises en cause des deux éducatrices, qui ont confirmé leurs accusations lors de leurs auditions par l'inspecteur du travail ; qu'alors que celui-ci a écarté comme insuffisamment établi un grief de harcèlement moral, la matérialité des autres griefs qui ont fondé la décision litigieuse doit, dans ces conditions, être regardée comme établie ; qu'il ressort ainsi des pièces du dossier que M. C... proférait fréquemment des insultes à l'encontre des jeunes placés sous sa responsabilité et recourait parfois à des brimades ou sanctions abusives, telles que la privation de repas en cas de retards ; que, dans un cas, il a eu à l'égard d'un jeune déficient un comportement violent, qu'il ne peut tenter de justifier par la nécessité de maîtriser celui-ci, qui avait un comportement agité ; qu'il apparaît également que M. C..., craint de ses collègues, tenait fréquemment en public des propos grossiers à leur égard ; que l'ensemble de ces faits, eu égard notamment à la vulnérabilité des jeunes placés sous la responsabilité du requérant, en charge de leur encadrement, sont de nature à caractériser une faute grave, alors même qu'aucun fait similaire ne lui avait été précédemment reproché ; qu'ainsi, en autorisant le licenciement de M. C..., l'inspecteur du travail n'a pas entaché sa décision du 10 décembre 2012 d'une erreur d'appréciation ;
9. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que M. C... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d'Orléans a rejeté sa demande ;
10. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que M. C... demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ; qu'il y a lieu en revanche, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. C... la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par l'institut médico-éducatif Leopold Bellan et non compris dans les dépens ;
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. C... est rejetée.
Article 2 : M. C... versera à l'institut médico-éducatif Léopold Bellan une somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... C..., au ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, et à l'institut médico-éducatif Léopold Bellan.
Délibéré après l'audience du 3 février 2014, à laquelle siégeaient :
- M. Millet, président,
- M. François, premier conseiller,
- M. Pouget, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 6 mars 2015.
Le rapporteur,
L. POUGETLe président,
JF. MILLET
Le greffier,
S. BOYÈRE
La République mande et ordonne au ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 13NT03486