Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B...A...a demandé au tribunal administratif d'Orléans d'annuler l'arrêté du 20 avril 2015 par lequel le préfet d'Indre-et-Loire l'a remis aux autorités hongroises responsables de l'examen de sa demande d'asile.
Par un jugement n° 1501477 du 17 septembre 2015, le tribunal administratif d'Orléans a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 25 janvier 2016 sous le numéro 16NT00274, M. B... A..., représenté par Me Alquier, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif d'Orléans ;
2°) d'annuler la décision de remise aux autorités hongroises prise par le préfet d'Indre-et-Loire le 20 avril 2015 ;
3°) d'enjoindre au préfet de procéder au réexamen de sa situation ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- le préfet ne justifie pas avoir respecté la garantie procédurale que constitue l'article 3 du règlement 343/2003 du 18 février 2003 qui reconnaît au demandeur d'asile le droit d'être informé, par écrit, dans une langue qu'il comprend, des délais et procédures applicables en matière de détermination de l'Etat responsable de sa demande d'asile ; il a reçu des documents, mais rédigés en français, langue qu'il a déclaré ne pas maîtriser complètement ;
- le préfet ne justifie pas avoir satisfait aux obligations d'information découlant de l'article 18 paragraphe 1 du règlement Eurodac 2725/2000 du conseil du 11 décembre 2000 ;
- son droit à présenter des observations avant que la décision ne soit prise a été méconnu ; il n'a pas été entendu par l'autorité administrative préalablement à la remise aux autorités hongroises par l'arrêté du 20 avril 2015 contesté ;
- l'illégalité de l'arrêté du 23 janvier 2015 portant refus d'admission provisoire au séjour au titre de l'asile prive de base légale l'arrêté contesté du 20 avril 2015 ; l'arrêté du 23 janvier 2015 est en effet illégal dès lors que le préfet s'est manifestement abstenu d'apprécier la possibilité pour lui de faire usage de la dérogation de l'article 3-2 du règlement CE 343/2003 du 18 février 2003, qui autorise le transfert à l'Etat membre dans lequel l'étranger se trouve, de la responsabilité de l'examen de sa demande d'asile au sein de l'union européenne, ou de faire usage de la clause humanitaire de l'article 15 de ce règlement.
Par un mémoire en défense, enregistré le 14 mars 2016, le préfet d'Indre-et-Loire conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- les informations utiles ont été remises à M. A...par le préfet du Loiret, et qu'elles l'ont été en langue linguala que l'intéressé a déclaré comprendre ;
- la procédure litigieuse est régie par les dispositions du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013, dit Dublin III, et non par celles du règlement (CE) n°343/2003 du Conseil du 18 février 2003, dit Dublin II, invoquées par le requérant ;
M. A...a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 26 novembre 2015.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride ;
- le règlement (UE) n°603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relatif à la création d'Eurodac pour la comparaison des empreintes digitales aux fins de l'application efficace du règlement (UE) n°604/2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 modifiée ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Bouchardon a été entendu au cours de l'audience publique.
1. Considérant que M. A..., ressortissant de la République démocratique du Congo, né le 28 août 1980, a déclaré être entré irrégulièrement en France le 6 décembre 2014 ; qu'après relevé de ses empreintes, il est apparu que l'intéressé avait demandé l'asile en Hongrie le 9 avril 2014 ; que, par un arrêté du 23 janvier 2015, le préfet d'Indre-et-Loire a rejeté sa demande d'admission au séjour ; que, par arrêté du 20 avril 2015 pris sur le fondement du règlement (UE) n° 604/2013 du Conseil du 26 juin 2013, le préfet a décidé, après accord des autorités hongroises, qu'il serait remis à ces autorités, responsables de l'examen de sa demande d'asile ; que le requérant relève appel du jugement du 17 septembre 2015 du tribunal administratif d'Orléans rejetant sa requête tendant à l'annulation de ce dernier arrêté préfectoral ;
Sur les conclusions à fin d'annulation :
2. Considérant que M. A...doit être regardé comme invoquant les dispositions de l'article 4 du règlement n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 aux termes duquel : "1. Dès qu'une demande de protection internationale est introduite au sens de l'article 20, paragraphe 2, dans un État membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de 1'application du présent règlement, et notamment : a) des objectifs du présent règlement et des conséquences de la présentation d'une autre demande dans un État membre différent ainsi que des conséquences du passage d'un État membre à un autre pendant les phases au cours desquelles l'État membre responsable en vertu du présent règlement est déterminé et la demande de protection internationale est examinée; b) des critères de détermination de l'État membre responsable, de la hiérarchie de ces critères au cours des différentes étapes de la procédure et de leur durée, y compris du fait qu'une demande de protection internationale introduite dans un État membre peut mener à la désignation de cet État membre comme responsable en vertu du présent règlement même si cette responsabilité n'est pas fondée sur ces critères; c) de l'entretien individuel en vertu de 1'article 5 et de la possibilité de fournir des informations sur la présence de membres de la famille, de proches ou de tout autre parent dans les États membres, y compris des moyens par lesquels le demandeur peut fournir ces informations; d) de la possibilité de contester une décision de transfert et, le cas échéant, de demander une suspension du transfert ; e) du fait que les autorités compétentes des États membres peuvent échanger des données le concernant aux seules fins d'exécuter leurs obligations découlant du présent règlement; f) de 1'existence du droit d'accès aux données le concernant et du droit de demander que ces données soient rectifiées si elles sont inexactes ou supprimées si elles ont fait l'objet d'un traitement illicite, ainsi que des procédures à suivre pour exercer ces droits, y compris des coordonnées des autorités visées à l'article 35 et des autorités nationales chargées de la protection des données qui sont compétentes pour examiner les réclamations relatives à la protection des données à caractère personnel. / 2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend. Les États membres utilisent la brochure commune rédigée à cet effet en vertu du paragraphe 3. / Si c'est nécessaire à la bonne compréhension du demandeur, les informations lui sont également communiquées oralement, par exemple lors de1'entretien individuel visé à l'article 5. / 3. La Commission rédige, au moyen d'actes d'exécution, une brochure commune (...), contenant au minimum les informations visées au paragraphe 1 du présent article. Cette brochure commune comprend également des informations relatives à l'application du règlement (UE) n°603/2013 et, en particulier, à la finalité pour laquelle les données relatives à un demandeur peuvent être traitées dans Eurodac. La brochure commune est réalisée de telle manière que les Etats membres puissent y ajouter des informations spécifiques aux Etats membres. Ces actes d'exécution sont adoptés en conformité avec la procédure d'examen visée à l'article 44, paragraphe 2, du présent règlement. " ; qu'aux termes de l'article 20 de ce règlement : " (...) 2. Une demande de protection internationale est réputée introduite à partir du moment où un formulaire présenté par le demandeur(...) est parvenu aux autorités compétentes de l'Etat membre concerné (...). " ; qu'il résulte de ces dispositions que le demandeur d'asile auquel l'administration entend faire application du règlement du 26 juin 2013 doit se voir remettre, dès le moment où le préfet est informé de ce qu'il est susceptible d'entrer dans le champ d'application de ce règlement, et, en tout cas, avant la décision par laquelle l'autorité administrative décide de refuser l'admission provisoire au séjour de l'intéressé au motif que la France n'est pas responsable de sa demande d'asile, une information complète sur ses droits, par écrit et dans une langue qu'il comprend ; que cette information doit comprendre l'ensemble des éléments prévus au paragraphe 1 de l'article 4 du règlement ; qu'eu égard à la natures desdites informations, la remise par l'autorité administrative de la brochure prévue par les dispositions précitées constitue pour le demandeur d'asile une garantie ;
3. Considérant, par ailleurs, qu'aux termes de l'article 29 du règlement (UE) n° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 : " 1. Toute personne relevant de l'article 9, paragraphe 1, de l'article 14, paragraphe 1, ou de l'article 17, paragraphe 1, est informée par l'État membre d'origine par écrit et, si nécessaire, oralement, dans une langue qu'elle comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'elle la comprend : a) de l'identité du responsable du traitement au sens de l'article 2, point d), de la directive 95/46/CE, et de son représentant, le cas échéant ; b) de la raison pour laquelle ses données vont être traitées par Eurodac, y compris une description des objectifs du règlement (UE) n° 604/2013, conformément à l'article 4 dudit règlement, et des explications, sous une forme intelligible, dans un langage clair et simple, quant au fait que les États membres et Europol peuvent avoir accès à Eurodac à des fins répressives ; c) des destinataires des données ; d) dans le cas des personnes relevant de l'article 9, paragraphe 1, ou de l'article 14, paragraphe 1, de l'obligation d'accepter que ses empreintes digitales soient relevées ; e) de son droit d'accéder aux données la concernant et de demander que des données inexactes la concernant soient rectifiées ou que des données la concernant qui ont fait l'objet d'un traitement illicite soient effacées, ainsi que du droit d'être informée des procédures à suivre pour exercer ces droits, y compris les coordonnées du responsable du traitement et des autorités nationales de contrôle visées à l'article 30, paragraphe 1. 2. Dans le cas de personnes relevant de l'article 9, paragraphe 1, ou de l'article 14, paragraphe 1, les informations visées au paragraphe 1 du présent article sont fournies au moment où les empreintes digitales de la personne concernée sont relevées (...) " ;
4. Considérant que si les actes administratifs doivent être pris selon les formes et conformément aux procédures prévues par les lois et règlements, un vice affectant le déroulement d'une procédure administrative préalable n'est de nature à entacher d'illégalité la décision prise que s'il ressort des pièces du dossier qu'il a été susceptible d'exercer, en l'espèce, une influence sur le sens de la décision prise ou qu'il a privé l'intéressé d'une garantie ; que la délivrance par l'autorité administrative de la brochure prévue par les dispositions précitées constituant pour le demandeur d'asile une garantie, il appartient au juge de l'excès de pouvoir, saisi du moyen tiré de l'omission ou de l'insuffisance d'une telle information à l'appui de conclusions dirigées contre un refus d'admission provisoire au séjour, d'apprécier si l'intéressé a été, en l'espèce, privé de cette garantie ;
5. Considérant que, sous réserve des cas où la loi attribue la charge de la preuve à l'une des parties, il appartient au juge administratif, au vu des pièces du dossier et compte tenu, le cas échéant, de l'abstention de l'une des parties à produire les éléments qu'elle est seule en mesure d'apporter et qui ne sauraient être réclamés qu'à elle-même, d'apprécier si l'administration a satisfait à l'obligation qui lui incombe en application des dispositions précitées ; que, dans un premier temps, seul le préfet est en mesure d'apporter des éléments relatifs à la délivrance d'une information écrite au demandeur ;
6. Considérant qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que M. A...se soit vu remettre, dès le dépôt de sa demande d'asile, ou lors de l'entretien individuel du 23 janvier 2015, et en langue linguala qu'il a déclaré comprendre, le guide du demandeur d'asile et les brochures qui figurent en annexe du règlement d'exécution (UE) n° 118/2014 de la Commission du 30 janvier 2014, entré en vigueur le 9 février 2014, modifiant le règlement (CE) n° 1560/2003 portant modalités d'application du règlement (CE) n°343/2003 du Conseil du 18 février 2003, intitulées " J'ai demandé l'asile dans l'Union européenne - quel pays sera responsable de ma demande d'asile ' " (brochure A), et " Je suis sous procédure Dublin - Qu'est-ce-que cela signifie ' " (brochure B), qui seules permettent aux demandeurs d'asile de bénéficier d'une information complète sur l'application des règlements européens du 26 juin 2013 ; que cette omission a été de nature à priver effectivement l'intéressé de la garantie prévue par les dispositions précitées ; que, par suite, l'arrêté contesté du 20 avril 2015 par lequel le préfet d'Indre-et-Loire a décidé la remise de M. A...aux autorités hongroises pour l'examen de sa demande d'asile, doit être regardé comme intervenu au terme d'une procédure irrégulière ; qu'il est, pour ce motif, entaché d'illégalité et doit en conséquence être annulé ;
7. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. A...est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d'Orléans a rejeté sa demande d'annulation de l'arrêté du préfet d'Indre-et-Loire du 20 avril 2015 portant remise aux autorités hongroises ;
Sur les conclusions en injonction :
8. Considérant que M. A...est fondé à demander qu'il soit enjoint au préfet d'Indre-et-Loire de réexaminer sa situation, ce dans le délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 :
9. Considérant que M. A...a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale ; que, par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 ; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me Alquier renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de mettre à la charge de celui-ci le versement à Me Alquier de la somme de 1 200 euros ;
DECIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1501477 du 17 septembre 2015 du tribunal administratif d'Orléans et l'arrêté du préfet d'Indre-et-Loire du 20 avril 2015 décidant la remise de M. A...aux autorités hongroises, sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet d'Indre-et-Loire de réexaminer la situation de M. A... dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera à Me Alquier, avocat de M.A..., la somme de 1 200 euros en application des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 sous réserve qu'il renonce à percevoir la part contributive de l'Etat dans l'aide juridictionnelle.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. B...A...et au ministre de l'intérieur.
Copie sera adressée au préfet d'Indre-et-Loire.
Délibéré après l'audience du 22 novembre 2016, à laquelle siégeaient :
- Mme Loirat, présidente,
- Mme Allio-Rousseau, premier conseiller ;
- M. Bouchardon, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 7 décembre 2016.
Le rapporteur,
L. BOUCHARDONLe président,
C. LOIRAT
Le greffier,
V. DESBOUILLONS La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 16NT00274