Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
MmeD... G... a demandé au tribunal administratif de Caen d'annuler la décision du 9 janvier 2015 par laquelle le préfet de l'Orne a refusé de délivrer à sa fille Sadzé-Princessa un passeport et une carte nationale d'identité.
Par un jugement n° 1500500 du 20 avril 2016, le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 17 juin 2016 et le 27 avril 2017, Mme G..., représentée par Me C..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 20 avril 2016 du tribunal administratif de Caen ;
2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, la décision du préfet de l'Orne du 9 janvier 2015 ;
3°) d'enjoindre à l'administration de délivrer à son enfant une carte nationale d'identité et un passeport, dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ou, à défaut, de réexaminer sa situation, dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
- le tribunal administratif a omis de statuer sur le moyen tiré de l'insuffisante motivation de la décision contestée ;
- cette décision a été prise par une autorité incompétente ;
- elle est insuffisamment motivée ;
- le préfet a entaché sa décision d'erreur d'appréciation, la seule existence de doutes ne permettant pas d'écarter la filiation, en l'absence de preuve contraire ;
- en opposant un sursis à statuer à sa demande, le préfet a méconnu l'étendue de sa compétence et entaché sa décision d'une erreur de droit ainsi que d'une erreur d'appréciation de sa situation ;
- cette décision a été prise en méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.
Par un mémoire en défense, enregistré le 23 janvier 2017, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que les moyens soulevés par Mme G... ne sont pas fondés.
Vu la lettre du 25 avril 2017 par laquelle le président de la 2ème chambre a informé les parties, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que la décision à intervenir était susceptible d'être fondée sur un moyen relevé d'office et tiré de l'irrecevabilité du moyen soulevé, pour la première fois en appel, tiré de l'insuffisante motivation de la décision litigieuse, lequel n'est pas d'ordre public et relève d'une cause juridique distincte de celle relative à la légalité interne de cette décision qui était seule discutée en première instance ;
Mme G...a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 11 août 2016.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- le code civil ;
- le décret n° 55-1397 du 22 octobre 1955 ;
- le décret n° 2005-1726 du 30 décembre 2005 ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Bougrine,
- et les conclusions de M. Derlange, rapporteur public.
1. Considérant que Mme G... relève appel du jugement du 20 avril 2016 par lequel le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 9 janvier 2015 du préfet de l'Orne refusant de délivrer à sa fille Sadzé-Princessa un passeport et une carte nationale d'identité ;
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Considérant que Mme G...a, bien que de manière succincte, soulevé en première instance le moyen tiré de l'insuffisante motivation de la décision du préfet de l'Orne ; que le tribunal n'a pas répondu à ce moyen qui n'était pas inopérant ; que, dès lors, le jugement attaqué est irrégulier et doit être annulé ;
3. Considérant qu'il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par MmeG... devant le tribunal administratif de Caen ;
Sur la légalité de la décision du préfet de l'Orne du 9 janvier 2015 :
4. Considérant, en premier lieu, que par un arrêté du 23 décembre 2014, régulièrement publié, Mme E...B..., préfet de l'Orne, a donné à M. Patrick Venant, secrétaire général de la préfecture de l'Orne, délégation à effet de signer notamment la décision attaquée ; qu'ainsi, le moyen tiré de l'incompétence de l'autorité signataire manque en fait ;
5. Considérant, en deuxième lieu, que la décision attaquée fait état des doutes du préfet quant à la réalité du lien de filiation entre la fille de la requérante et le ressortissant français qui l'a reconnue ; qu'elle indique ainsi le motif sur lequel le préfet s'est fondé pour refuser de faire droit aux demandes de passeport et de carte nationale d'identité formée par Mme G...pour son enfant ; que, dès lors, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation doit, alors même que la décision litigieuse ne précise pas les éléments ayant fait naître un doute sur le lien de filiation, être écarté ;
6. Considérant, en troisième lieu, que le préfet de l'Orne doit être regardé comme ayant, par la décision attaquée, rejeté les demandes de délivrance d'une carte nationale d'identité et d'un passeport présentées par Mme G...pour sa fille, en raison des doutes existant sur le lien de filiation entre sa fille et le père qui l'a reconnue et, partant, sur la nationalité de celle-ci ; que, dès lors, la requérante n'est pas fondée à soutenir que le préfet aurait méconnu l'étendue de sa compétence et ainsi entaché sa décision d'une erreur de droit ;
7. Considérant, en quatrième lieu, et d'une part, qu'aux termes de l'article 18 du code civil : " Est français l'enfant dont l'un des parents au moins est français. " ; qu'aux termes de l'article 2 du décret du 22 octobre 1955 susvisé instituant la carte nationale d'identité : " La carte nationale d'identité est délivrée sans condition d'âge par les préfets et sous-préfets à tout Français qui en fait la demande dans l'arrondissement dans lequel il est domicilié.ou a sa résidence, ou, le cas échéant, dans lequel se trouve sa commune de rattachement) (ou a sa résidence, ou, le cas échéant, dans lequel se trouve sa commune de rattachement) " ; qu'aux termes de l'article 4 de ce décret : " I.-En cas de première demande, la carte nationale d'identité est délivrée sur production par le demandeur : (...) / c) Ou, à défaut de produire l'un des passeports mentionnés aux deux alinéas précédents, de son extrait d'acte de naissance de moins de trois mois, comportant l'indication de sa filiation ou, lorsque cet extrait ne peut pas être produit, de la copie intégrale de son acte de mariage ; / Lorsque la nationalité française ne ressort pas des pièces mentionnées aux deux alinéas précédents, elle peut être justifiée dans les conditions prévues au II. / II.-La preuve de la nationalité française du demandeur peut être établie à partir de l'extrait d'acte de naissance mentionné au c du I portant en marge l'une des mentions prévues aux articles 28 et 28-1 du code civil. " ;
8. Considérant, d'autre part, qu'aux termes de l'article 5 du décret du 30 décembre 2005 relatif aux passeports, dans sa rédaction alors applicable : " I.- En cas de première demande, le passeport est délivré sur production par le demandeur (...) 4° Ou à défaut de produire l'un des titres mentionnés aux alinéas précédents, de son extrait d'acte de naissance de moins de trois mois, comportant l'indication de sa filiation ou, lorsque cet extrait ne peut pas être produit, de la copie intégrale de son acte de mariage. / Lorsque la nationalité française ne ressort pas des pièces mentionnées aux alinéas précédents, elle peut être justifiée dans les conditions prévues au II. / II.-La preuve de la nationalité française du demandeur peut être établie à partir de l'extrait d'acte de naissance mentionné au 4° du I portant en marge l'une des mentions prévues aux articles 28 et 28-1 du code civil. (...) " ;
9. Considérant enfin, que l'article 28 du code civil dispose : " Mention sera portée, en marge de l'acte de naissance, des actes administratifs et des déclarations ayant pour effet l'acquisition, la perte de la nationalité française ou la réintégration dans cette nationalité. / Il sera fait de même mention de toute première délivrance de certificat de nationalité française et des décisions juridictionnelles ayant trait à cette nationalité. " ;
10. Considérant que, pour l'application de ces dispositions, il appartient aux autorités administratives de s'assurer, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, que les pièces produites à l'appui d'une demande de carte nationale d'identité ou de passeport sont de nature à établir l'identité et la nationalité du demandeur ; que seul un doute suffisant sur l'identité ou la nationalité de l'intéressé peut justifier le refus de délivrance ou de renouvellement d'un passeport ou d'une carte nationale d'identité ;
11. Considérant que la jeuneH..., fille de MmeG..., est née le 29 octobre 2014 et a fait l'objet, par acte du 7 octobre 2014, d'une reconnaissance anticipée de paternité de la part de M.F..., né au Bénin en 1946 et ayant acquis la nationalité française ; qu'il ressort, toutefois, des pièces du dossier, notamment d'une note de la préfecture de police, qu'à la date de la décision attaquée, l'intéressé avait reconnu, depuis 1987, quatorze enfants de mères différentes vivant dans des lieux distincts et éloignés et que plusieurs enquêtes étaient en cours concernant, au moins, quatorze autres reconnaissances de paternité ; que le préfet a d'ailleurs saisi, le 9 janvier 2015, le procureur de la République près le tribunal de grande instance d'Alençon d'un signalement concernant la reconnaissance de paternité de l'enfant par M. F...et une enquête judiciaire a, au surplus, été ouverte pour reconnaissance frauduleuse de paternité ; qu'il n'est pas contesté que Mme G..., qui ne fait d'ailleurs pas état d'une communauté de vie avec M. F..., et sa fille sont hébergées chez une tierce personne ; que, dans ces conditions, compte tenu des informations dont disposait l'administration et des doutes suffisants qu'elles avaient pu faire naître sur la réalité du lien de filiation et par voie de conséquence sur la nationalité de l'enfant, le préfet n'a pas fait une inexacte application des dispositions précitées en rejetant les demandes de délivrance d'un passeport et d'une carte nationale d'identité présentées par Mme G...;
12. Considérant, en dernier lieu, que Mme G...n'apporte aucun élément de nature à établir que, faute de document d'identité et de voyage français, son enfant serait privé de l'accès à certaines structures ; que la décision de refus que lui a opposée le préfet ne fait pas obstacle à ce qu'elle présente une nouvelle demande en apportant tout élément susceptible de lever les doutes existants sur le lien de filiation entre sa fille et M.F... ; que la seule circonstance que l'enfant de la requérante soit dans l'impossibilité de voyager, à la supposer avérée alors qu'il n'est ni démontré ni même allégué que l'enfant ne pourrait circuler sous couvert d'un document de voyage délivré par les autorités du pays dont sa mère est ressortissante, ne porte pas au droit au respect de la vie privée et familiale de Mme G... une atteinte excessive au regard des buts poursuivis par le préfet ni ne méconnaît l'intérêt supérieur de son enfant ; que, dès lors, les moyens tirés de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant doivent être écartés ;
13. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que Mme G... n'est pas fondée à demander l'annulation de la décision du préfet de l'Orne du 9 janvier 2015 ;
Sur les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte :
14. Considérant que le présent arrêt qui rejette les conclusions à fin d'annulation n'appelle aucune mesure d'exécution ; que, par suite, les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte présentées par Mme G... ne peuvent qu'être rejetées ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 :
15. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, le versement de la somme que Mme G... demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du 20 avril 2016 du tribunal administratif de Caen est annulé.
Article 2 : La demande présentée par Mme G... devant le tribunal administratif de Caen et le surplus des conclusions de la requête sont rejetés.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D... G...et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 26 septembre 2017, à laquelle siégeaient :
- M. Degommier, président,
- M.A...'hirondel, premier conseiller,
- Mme Bougrine, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 20 octobre 2017.
Le rapporteur,
K. BOUGRINE Le président,
S. DEGOMMIER
Le greffier,
S. BOYERE La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur, en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 16NT01945