Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. D...et Mme C...ont demandé au tribunal administratif de Caen de condamner la communauté de communes du Val de Seulles à leur verser une somme de 64 000 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter de la date de leur réclamation indemnitaire préalable, en réparation des préjudices qu'ils estiment avoir subis du fait de l'édification d'une école maternelle et primaire sur la parcelle cadastrée ZK n° 40 sur le territoire de la commune d'Audrieu.
Par un jugement n° 1401108 du 15 octobre 2015, le tribunal administratif de Caen a condamné la communauté de communes du Val de Seulles à leur verser la somme de 15 000 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 14 mars 2014, mis à sa charge les frais d'expertise ainsi que le versement de la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Procédure devant la cour :
Par une requête et deux mémoires en réplique, enregistrés le 18 décembre 2015, le 23 juin 2016 et le 6 janvier 2017, la communauté de communes Seulles Terre et Mer, venant aux droits de la communauté de communes du Val de Seulles, représentée par la SELARL Eric Vève, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Caen du 15 octobre 2015 ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. D...et Mme C...devant le tribunal administratif de Caen ;
3°) de mettre à la charge des intimés une somme de 2 775,37 euros au titre des frais d'expertise et une somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- en l'absence de préjudice anormal et spécial subis par les demandeurs, sa responsabilité ne pouvait être engagée sur le terrain de la rupture d'égalité devant les charges publiques ;
- ni la réalité ni l'étendue du préjudice tenant à la dépréciation du bien de M. D... et Mme C...ne sont établies, la proximité d'une nouvelle école répondant aux critères de haute qualité environnementale étant, au contraire, de nature à valoriser leur bien ; ce chef de préjudice ne peut donner lieu à réparation dès lors que, en l'absence de toute tentative de vente, il revêt un caractère incertain.
Par des mémoires en défense, enregistrés le 11 février 2016 et le 19 septembre 2016, M. D... et MmeC..., représentés par MeB..., demandent à la cour :
1°) de rejeter la requête ;
2°) par la voie de l'appel incident, de réformer le jugement par lequel le tribunal administratif de Caen a limité à la somme de 15 000 euros l'indemnité au versement de laquelle il a condamné la communauté de communes du Val de Seulles et de porter cette indemnité à la somme de 64 000 euros ;
3°) de mettre à la charge de la communauté de communes Seulles Terre et Mer le versement d'une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- les moyens invoqués ne sont pas fondés ;
- c'est à tort que les premiers juges ont considéré que l'éblouissement, les nuisances sonores et le préjudice moral ne constituaient pas des préjudices anormaux ; le préjudice lié à la perte de valeur vénale a été sous-estimé ;
- ils sont les seuls à subir l'ensemble de ces préjudices du fait de la proximité immédiate de l'école avec leur propriété et de la vue y en résulte.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Bougrine,
- et les conclusions de M. Derlange, rapporteur public.
1. Considérant que le 3 septembre 2007, la communauté de communes du Val de Seulles, devenue depuis le 1er janvier 2017, communauté de communes Seulles Terre et Mer, a obtenu un permis de construire une école intercommunale sur le territoire de la commune d'Audrieu ; que les travaux ont été achevés en avril 2010 ; qu'à la demande de M. D...et Mme C..., qui résident sur une parcelle voisine, le juge des référés du tribunal administratif de Caen a ordonné une expertise aux fins d'évaluer les préjudices allégués par les intéressés du fait de la construction de cette école ; que ces derniers ont ensuite demandé au tribunal administratif de Caen de condamner la communauté de communes à leur verser une somme de 64 000 euros en réparation des préjudices qu'ils estiment avoir subis en raison de l'existence de cet ouvrage public ; que, par le jugement attaqué, le tribunal a condamné la communauté de communes à leur verser la somme de 15 000 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 14 mars 2014, lui a fait supporter la charge des frais d'expertise et mis à sa charge la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par les demandeurs et non compris dans les dépens ;
Sur la responsabilité :
2. Considérant que pour retenir la responsabilité sans faute du propriétaire d'un ouvrage public à l'égard des tiers par rapport à cet ouvrage, le juge administratif apprécie si le préjudice allégué revêt un caractère anormal ; qu'il lui revient d'apprécier si les troubles permanents qu'entraîne la présence de l'ouvrage public sont supérieurs à ceux qui affectent tout résident d'une habitation située dans une zone constructible et qui se trouve normalement exposé au risque de voir un équipement public édifié sur les parcelles voisines ;
3. Considérant qu'il résulte de l'instruction que l'école intercommunale dont il s'agit a été construite sur la parcelle ZK n° 40, laquelle était située, selon le plan d'occupation des sols de la commune d'Audrieu approuvé le 11 septembre 1997, soit antérieurement à l'acquisition par M. D...et Mme C...de leur propriété le 10 décembre 2005, en zone 1NAs correspondant à une " zone non équipée, réservée à l'urbanisation future, permettant d'assurer le développement du Bourg " dont " l'urbanisation se fera sous forme d'équipements collectifs communaux ou intercommunaux à usage sportif, de plein air, culturels et scolaires " ; que ladite parcelle faisait, en outre, l'objet d'un emplacement réservé n° 1 ;
4. Considérant, d'une part, qu'il est constant que les bruits résultant de l'activité de l'école, limités aux périodes de récréation et d'entrée et de sortie des classes, ne sont pas audibles depuis l'intérieur de l'habitation des intéressés lorsque les fenêtres sont fermées et sont difficilement perceptibles lorsque ces fenêtres sont ouvertes ; que, par ailleurs, il ressort du rapport d'expertise que les façades du bâtiment scolaire situées en vis-à-vis avec la partie arrière de la maison de M. D... et Mme C...sont recouvertes de matériaux métalliques réfléchissants auquel s'ajoute un panneau solaire ; que, compte tenu notamment du niveau d'ensoleillement du département et de la durée limitée à deux heures en été des troubles visuels induits, ainsi que les intéressés l'ont eux-mêmes admis, l'expert a estimé que ce préjudice était de faible importance ; qu'en outre, il ressort des photographies produites par la communauté de communes que des arbres plantés en limite séparative de propriété forment partiellement un écran qui atténue l'effet visuel produit par la vue du bâtiment ; que la collectivité requérante soutient sans être contredite que ces plantations " obstruent une grande partie de la vue sur le groupe scolaire " et que " les essences choisies étant amenées à évoluer davantage encore en hauteur et en volume, il n'y aura demain plus aucun regard sur l'école, et plus aucun risque d'effet de lumière " ; que, dans ces conditions, les troubles de jouissance invoqués par M. D... et Mme C...ne sont pas supérieurs à ceux qui affectent tout propriétaire d'une parcelle située à proximité d'une zone d'urbanisation future et qui se trouve normalement exposé au risque de voir des ouvrages publics édifiés sur les parcelles voisines ;
5. Considérant, d'autre part, que l'expert a conclu, dans son rapport déposé le 22 juillet 2013, à une perte de valeur vénale comprise entre 9 et 10 % du fait des nuisances sonores et visuelles et de la présence d'un " bâtiment d'architecture contemporaine dans un secteur composé essentiellement de bâtiments anciens " ; que, toutefois, il ne résulte pas de l'instruction, eu égard à la faible intensité des troubles de jouissance invoqués et à la circonstance que les plantations susmentionnées sont de nature à y remédier, que l'implantation, dans un secteur déjà constructible, de l'école intercommunale sur la parcelle voisine à celles de M. D...et Mme C..., lesquels n'allèguent pas avoir envisagé de céder leur propriété, ait entraîné une dépréciation de la valeur vénale de leur propriété ;
6. Considérant, enfin, que le préjudice moral invoqué ne se distingue pas des troubles de jouissance allégués, qui n'excèdent pas, en l'espèce, les inconvénients que les riverains des ouvrages publics doivent supporter dans l'intérêt général, ni de la perte de valeur vénale dont le caractère anormal et spécial n'est pas davantage établi ;
7. Considérant que, dans ces circonstances, le préjudice résultant pour les intéressés de la présence de l'école intercommunale ne peut être regardé comme un préjudice anormal et spécial de nature à ouvrir droit à indemnité ; que, par suite, la responsabilité de la communauté de communes ne pouvait être engagée ;
8. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la communauté de communes Seulles Terre et Mer est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Caen l'a condamnée à indemniser M. D...et MmeC..., et que ces derniers ne sont pas fondés à demander, par la voie de l'appel incident, la réformation du jugement attaqué ;
Sur les frais d'expertise :
9. Considérant que, par une ordonnance du 19 décembre 2012, le juge des référés du tribunal administratif de Caen a désigné un expert en vue de déterminer les préjudices indemnisables de M. D...et MmeC... ; qu'ainsi qu'il a été dit ci-dessus, la responsabilité de la communauté de communes ne doit pas être engagée ; que les circonstances de l'espèce ne justifient pas que les frais d'expertise soient mis à la charge d'une autre partie que la partie perdante ou qu'ils soient partagés entre les parties ; qu'il résulte de ce qui précède que la communauté de communes est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Caen a mis à sa charge les frais d'expertise d'un montant de 2 775,37 euros ; qu'il y a lieu en revanche de mettre les frais d'expertise à la charge définitive de M. D... et MmeC... ;
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
10. Considérant que ces dispositions font obstacle à ce qu'il soit mis à la charge de la communauté de communes, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que M. D...et Mme C...demandent au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ; que, dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de mettre à la charge de ces derniers la somme que demande la communauté de communes au titre des frais de même nature ;
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Caen du 15 octobre 2015 est annulé.
Article 2 : Les conclusions de la demande présentée par M. D...et Mme C...devant le tribunal administratif de Caen ainsi que leurs conclusions d'appel sont rejetées.
Article 3 : Les frais d'expertise sont mis à la charge définitive de M. D...et MmeC....
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la communauté de communes Seulles Terre et Mer et à M. D...et MmeC....
Une copie sera transmise à la commune d'Audrieu.
Délibéré après l'audience du 12 décembre 2017, à laquelle siégeaient :
- M. Degommier, président,
- M.A...'hirondel, premier conseiller,
- Mme Bougrine, premier conseiller.
Lu en audience publique le 29 décembre 2017.
Le rapporteur,
K. BOUGRINE
Le président,
S. DEGOMMIERLe greffier,
K. BOURON
La République mande et ordonne au ministre de la cohésion des territoires en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
2
N° 15NT03763