Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme A... B...a demandé au tribunal administratif d'Orléans d'annuler l'arrêté du 11 octobre 2017 par lequel le préfet d'Indre-et-Loire a décidé sa remise aux autorités italiennes, responsables de l'examen de sa demande d'asile.
Par un jugement n° 1704055 du 28 novembre 2017, la magistrate désignée du tribunal administratif d'Orléans a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 11 mars 2018, Mme B..., représentée par MeC..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement de la magistrate désignée du tribunal administratif d'Orléans du 28 novembre 2017 ;
2°) d'annuler l'arrêté susvisé du 11 octobre 2017 ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil, qui renonce à percevoir la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle, d'une somme de 1 200 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
- contrairement à ce que prévoit la circulaire NOR INTV 1618837 J du 19 juillet 2016, l'arrêté contesté ne lui a pas été notifié dans les meilleurs délais ;
- la décision contestée est entachée d'une erreur de droit dès lors qu'en vertu de l'article 13 du règlement du 26 juin 2013, la responsabilité de l'Italie dans la prise en charge de sa demande d'asile a pris fin le 1er septembre 2017 ;
- cette décision a été prise au terme d'une procédure irrégulière dès lors que l'entretien individuel prévu au 4 de l'article 5 du même règlement a été mené en langue anglaise sans l'assistance d'un interprète ;
- il n'est pas établi qu'elle a bénéficié des garanties prévues à l'article 4 du règlement n° 604/2013 et à l'article 29 du règlement n° 603/2013 ;
- en refusant de mettre en oeuvre la clause dérogatoire le préfet d'Indre-et-Loire a entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions de l'article 17 du règlement du 26 juin 2013 dans la mesure où elle ne pourra pas échapper aux réseaux de prostitution des jeunes femmes nigérianes qui sévissent en Italie et qui ne lui permettront pas de déposer et de suivre une demande d'asile.
Par un mémoire en défense, enregistré le 30 avril 2018, la préfète d'Indre-et-Loire conclut au rejet de la requête.
Elle soutient que les moyens soulevés par Mme B... ne sont pas fondés et indique que l'intéressée a été déclarée en fuite.
Mme B... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 15 février 2018.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991, modifiée, relative à l'aide juridique ;
- le décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991 modifié ;
- l'arrêté interministériel du 7 avril 2010 portant régionalisation de l'admission au séjour des demandeurs d'asile dans la région Centre ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Gélard a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme B..., ressortissante nigériane, relève appel du jugement du 28 novembre 2017 par lequel la magistrate désignée du tribunal administratif d'Orléans a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 11 octobre 2017 par lequel le préfet d'Indre-et-Loire a décidé sa remise aux autorités italiennes, responsables de l'examen de sa demande d'asile.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
2. En premier lieu, si Mme B...soutient que contrairement à ce que prévoit la circulaire NOR INTV 1618837 J du 19 juillet 2016, qui est dépourvue de valeur règlementaire, l'arrêté contesté ne lui a pas été notifié " dans les meilleurs délais ", les conditions de notification d'une décision administrative ne sont pas de nature à l'entacher d'illégalité. Par suite, ce moyen doit être écarté comme inopérant.
3. En deuxième lieu, aux termes du paragraphe 1 de l'article 13 du règlement du 26 juin 2013 : " Lorsqu'il est établi (....) que le demandeur a franchi irrégulièrement, par voie terrestre, maritime ou aérienne, la frontière d'un Etat membre dans lequel il est entré en venant d'un Etat tiers, cet Etat membre est responsable de l'examen de la demande de protection internationale. Cette responsabilité prend fin douze mois après la date du franchissement irrégulier de la frontière. ". Par ailleurs, selon l'article 29 du même règlement : " 1. Le transfert du demandeur ou d'une autre personne visée à l'article 18, paragraphe 1, point c) ou d), de l'Etat membre requérant vers l'Etat membre responsable s'effectue conformément au droit national de l'Etat membre requérant, après concertation entre les Etats membres concernés, dès qu'il est matériellement possible et, au plus tard, dans un délai de six mois à compter de l'acceptation par un autre Etat membre de la requête aux fins de prise en charge ou de reprise en charge de la personne concernée ou de la décision définitive sur le recours ou la révision lorsque l'effet suspensif est accordé conformément à l'article 27, paragraphe 3. (...). 2. Si le transfert n'est pas exécuté dans le délai de six mois, l'Etat membre responsable est libéré de son obligation de prendre en charge ou de reprendre en charge la personne concernée et la responsabilité est alors transférée à l'Etat membre requérant. Ce délai peut être porté à un an au maximum s'il n'a pas pu être procédé au transfert en raison d'un emprisonnement de la personne concernée ou à dix-huit mois au maximum si la personne concernée prend la fuite. ".
4. Si Mme B...soutient que le préfet ne pouvait légalement décider son transfert aux autorités italiennes, il ressort des pièces du dossier qu'elle a franchi irrégulièrement la frontière italienne, ses empreintes digitales ayant été relevées dans ce pays le 1er septembre 2016, avant de se rendre en France, le 27 mars 2017 selon ses dires, où elle a déposé sa demande d'asile le 12 mai suivant. Il suit de là que, conformément à ce que prévoient les dispositions précitées, le préfet d'Indre-et-Loire pouvait légalement, après les avoir saisies sur le fondement des dispositions du 1 et du 2 de l'article 13 du règlement n° 604/2013 et avoir pris acte de leur acceptation implicite le 24 juillet 2017, décider par un arrêté du 11 octobre 2017, de transférer Mme B...aux autorités italiennes pour prise en charge de sa demande d'asile.
5. En troisième lieu, aux termes des dispositions de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Dès qu'une demande de protection internationale est introduite au sens de l'article 20, paragraphe 2, dans un Etat membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l'application du présent règlement, (...) 2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend (...) ".
6. Il ressort des pièces du dossier que lors de son entretien qui s'est tenu le 12 mai 2017 à la préfecture du Loiret en vertu de l'arrêté interministériel du 7 avril 2010 portant régionalisation de l'admission au séjour des demandeurs d'asile dans la région Centre, en présence d'un agent bilingue, Mme B...a déclaré comprendre l'anglais, langue officielle du Nigéria. Dans ces conditions, elle n'est pas fondée à soutenir qu'elle n'aurait pas reçu, dans une langue qu'elle pouvait raisonnablement comprendre et sans l'assistance d'un interprète, toute l'information prévue par les dispositions précitées de l'article 4 du règlement du 26 juin 2013.
7. En quatrième lieu, aux termes de l'article 5 du règlement du 26 juin 2013 : " Entretien individuel : 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'Etat membre responsable, l'Etat membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4. / 2. (...) / 3. L'entretien individuel a lieu en temps utile et, en tout cas, avant qu'une décision de transfert du demandeur vers l'Etat membre responsable soit prise conformément à l'article 26, paragraphe 1. / 4. L'entretien individuel est mené dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend et dans laquelle il est capable de communiquer. Si nécessaire, les Etats membres ont recours à un interprète capable d'assurer une bonne communication entre le demandeur et la personne qui mène l'entretien individuel. / 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national. / 6. L'Etat membre qui mène l'entretien individuel rédige un résumé qui contient au moins les principales informations fournies par le demandeur lors de l'entretien. Ce résumé peut prendre la forme d'un rapport ou d'un formulaire type. L'Etat membre veille à ce que le demandeur et/ou le conseil juridique ou un autre conseiller qui représente le demandeur ait accès en temps utile au résumé ".
8. Il ressort des pièces du dossier, notamment des mentions figurant sur le formulaire signé sans réserves par la requérante, que celle-ci a bénéficié le 12 mai 2017, soit avant l'intervention de la décision contestée, de l'entretien individuel prévu par l'article 5 cité du règlement n° 604/2013 au cours duquel elle a pu présenter les éléments de sa situation personnelle pouvant avoir une influence sur le choix du pays responsable de l'instruction de sa demande d'asile. Dans ces conditions, le moyen de procédure invoqué par la requérante, tiré de la méconnaissance par le préfet des dispositions précitées de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, doit être écarté.
9. En cinquième lieu, aux termes du 2 de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : "(...) Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'Etat membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'Etat membre procédant à la détermination de l'Etat membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre Etat membre peut être désigné comme responsable. / Lorsqu'il est impossible de transférer le demandeur en vertu du présent paragraphe vers un Etat membre désigné sur la base des critères énoncés au chapitre III ou vers le premier Etat membre auprès duquel la demande a été introduite, l'Etat membre procédant à la détermination de l'Etat membre responsable devient l'Etat membre responsable (...)".
10. Mme B...invoque l'existence de défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs d'asile en Italie, du fait de l'afflux massif et incessant de demandeurs d'asile dans ce pays, qui allongerait considérablement les délais de traitement, précariserait les conditions d'accueil et mettrait les autorités italiennes dans l'impossibilité de prendre en charge de façon satisfaisante les personnes vulnérables et de lui assurer la protection requise contre le réseau de prostitution dont les femmes nigérianes sont victimes dans ce pays. Toutefois, les documents produits par l'intéressée à l'appui de ses affirmations, notamment des articles de presse ainsi que le rapport de l'OSAR du mois d'août 2016, ne permettent pas de considérer que les autorités italiennes ne sont pas en mesure de traiter sa demande d'asile dans des conditions conformes à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile et qu'elle courrait en Italie un risque réel d'être soumise à des traitements inhumains ou dégradants, au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, en l'absence d'existence avérée de défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs d'asile dans ce pays, au demeurant Etat membre de l'Union européenne et partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, complétée par le protocole de New York, qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. La décision de transfert contestée ne méconnaît donc pas les dispositions précitées du 2 de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013.
11. En dixième lieu, aux termes de l'article 17 du même règlement (UE) n° 604/2013 : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. (...) ". La mise en oeuvre par les autorités françaises de l'article 17 doit être assurée à la lumière des exigences définies par le second alinéa de l'article 53-1 de la Constitution, aux termes duquel : " Les autorités de la République ont toujours le droit de donner asile à tout étranger persécuté en raison de son action en faveur de la liberté ou qui sollicite la protection de la France pour un autre motif ". En vertu de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. ". L'article 4 de la même convention stipule : " Nul ne peut être tenu en esclavage ni en servitude. ".
12. L'Italie est un Etat membre de l'Union européenne et partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, complétée par le protocole de New-York, qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Il doit alors être présumé que le traitement réservé aux demandeurs d'asile dans cet Etat membre est conforme aux exigences de ces deux conventions internationales. Si cette présomption est réfragable lorsque qu'il y a lieu de craindre qu'il existe des défaillances systémiques de la procédure d'asile et des conditions d'accueil des demandeurs d'asile dans l'Etat membre responsable, impliquant un traitement inhumain ou dégradant, la requérante qui se borne à soutenir qu'elle craint être victime d'un réseau de prostitution qui oeuvre en Italie et à produire des documents généraux et impersonnels relatifs à la situation migratoire en Italie n'établit pas l'existence de telles défaillances en Italie qui constitueraient des motifs sérieux et avérés de croire que sa demande d'asile ne serait pas traitée par les autorités italiennes dans des conditions conformes à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile. Dès lors le moyen tiré de la violation de l'article 17 du règlement du 26 juin 2013 doit être écarté. Pour les mêmes motifs le préfet n'a pas entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation.
13. Il résulte de ce qui précède que Mme B... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, la magistrate désignée du tribunal administratif d'Orléans a rejeté sa demande.
Sur les frais liés au litige :
14. Les dispositions des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, le versement de la somme que le conseil de Mme B... demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
DECIDE :
Article 1er : La requête de Mme B... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B...et au ministre de l'intérieur. Une copie sera transmise à la préfète d'Indre-et-Loire.
Délibéré après l'audience du 1er mars 2019 à laquelle siégeaient :
- M. Lenoir, président de chambre,
- M. Francfort, président-assesseur,
- Mme Gélard, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 19 mars 2019.
Le rapporteur,
V. GELARDLe président,
H. LENOIR
La greffière,
E. HAUBOIS
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 18NT01085