Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... E... a demandé au tribunal administratif de Rennes :
1. d'annuler la décision du 31 mars 2015 par laquelle le centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT) a procédé à sa mutation sur le poste d'adjoint à la responsable d'antenne d'Ille-et-Vilaine à compter du 1er avril 2015, ainsi que la décision du 24 juin 2015 rejetant son recours gracieux ;
2. d'annuler la décision du 18 janvier 2016 par laquelle le CNFPT a refusé de reconnaître sa pathologie comme imputable au service ;
3. de condamner le CNFPT à lui verser la somme de 348 266,37 euros à parfaire, en indemnisation de ses préjudices résultant de la situation de harcèlement moral dont il a été victime, avec intérêts au taux légal à compter du 18 décembre 2015 ou, à défaut, à compter de la date d'enregistrement de sa requête et capitalisation des intérêts avec reconstitution de ses droits.
Par un jugement Nos 1502616, 1503907, 1601375, 1601462 du 18 avril 2018, le tribunal administratif de Rennes a annulé la décision du 31 mars 2015 ainsi que la décision du 24 juin 2015 portant rejet du recours gracieux de l'intéressé. Il a également annulé la décision du 18 janvier 2016 refusant de reconnaître la pathologie de M. E... comme imputable au service et a condamné le CNFPT à verser à M. E... la somme de 10 000 euros en réparation de son préjudice. Le tribunal a également enjoint au CNFPT, d'une part, de procéder au réexamen de la situation de M. E... en lui proposant un poste correspondant à son grade d'administrateur territorial, et, d'autre part, de reconnaître sa pathologie comme imputable au service et de la prendre en charge à ce titre.
Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires, enregistrés le 16 juillet 2018 et le 5 janvier 2019, le CNFPT, représenté par Me C..., demande à la cour d'annuler le jugement du tribunal administratif de Rennes du 18 avril 2018.
Il soutient que :
Sur la régularité du jugement :
- le jugement est irrégulier, entaché de vice de forme car il ne vise pas l'ensemble des règles de droit applicables au litige et que la minute du jugement n'est pas signée par le président, le rapporteur et le greffier ;
Sur le harcèlement moral :
- le tribunal en estimant que M. E... avait subi des faits constitutifs de harcèlement moral a dénaturé les éléments du dossier et a entaché son jugement d'une contradiction de motifs :
* il n'y a pas eu de " stratégie de déclassement organisé " qui seule aurait pu permettre de justifier la qualification de harcèlement ;
* seul l'intérêt du service a inspiré ses décisions et aucun reproche n'a été émis à l'encontre de la manière de servir de M. E... ;
* il a dû faire face aux changements législatifs successifs et s'est efforcé de le faire dans un contexte difficile compte tenu du grade M E... et de l'absence de postes susceptibles d'être proposés à un administrateur territorial ;
- le montant de 10 000 euros attribué par le tribunal au titre du préjudice moral est excessif ;
Sur les conclusions à fin d'annulation de la décision du 31 mars 2015, ainsi que la décision du 24 juin 2015 rejetant le recours gracieux :
- la requête de M. E... est irrecevable car la mutation de l'intéressé sur le poste d'adjoint à la responsable d'antenne d'Ille-et-Vilaine à compter du 1er avril 2015 est une mesure d'ordre intérieur ;
Sur les conclusions à fin d'annulation de la décision du 18 janvier 2016 refusant de reconnaître la pathologie comme imputable au service :
- le lien de causalité direct et certain de la pathologie de l'intéressé avec les conditions de travail n'est pas démontré ;
- il n'est établi ni acte irrégulier, ni fait dommageable ni lien de causalité ;
Sur l'injonction prononcée :
- M. E... est actuellement en congé de longue maladie et ne peut occuper de poste, l'injonction ordonnée est donc impossible et placerait le CNFPT dans une situation inextricable.
Par des mémoires en défense, enregistrés le 5 novembre 2018 et le 12 janvier 2019, M. E..., représenté par Me F..., conclut au rejet de la requête et demande, par la voie de l'appel incident :
1°) de réformer le jugement du tribunal administratif de Rennes en ce qu'il a limité l'indemnisation de ses préjudices à la somme de 10 000 euros au titre de son préjudice moral ;
2°) de condamner le CNFPT à lui verser les sommes de 6 000 euros en réparation de son préjudice moral lié aux décisions prises par le directeur général du CNFPT les 31 mars et 24 juin 2015 relativement à sa nouvelle affectation, 30 000 euros en réparation de son préjudice moral lié aux faits de harcèlement moral dénoncés, 445 697,68 euros, à parfaire, en réparation de son préjudice matériel lié à l'absence d'affectation à un poste correspondant à son grade avec intérêts au taux légal à compter des demandes préalables indemnitaires correspondantes et capitalisation des intérêts ;
3°) d'enjoindre au CNFPT de mettre en oeuvre les obligations qui sont les siennes à son égard en matière de protection fonctionnelle ;
4°) de mettre à la charge du CNFPT la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de condamner le CNFPT aux dépens ;
Il soutient que :
- dès lors que le CNFPT a, en exécution du jugement en cause, retiré l'arrêté du 18 janvier 2016 portant refus de reconnaissance de l'imputabilité au service de sa maladie ainsi que les arrêtés du 26 février 2016 et du 9 décembre 2016 le plaçant en congé de longue maladie pour la période comprise entre le 24 avril 2015 et le 23 avril 2017, le CNFPT n'a aucun intérêt à former appel du jugement entrepris et sa requête est irrecevable ;
- subsidiairement, aucun des arguments invoqués en cause d'appel par le CNFPT n'est fondé ;
- il est fondé à relever appel incident du jugement en cause et à en solliciter la réformation en ce qui concerne le montant des indemnités allouées :
* le préjudice matériel dont il se prévaut n'est pas en lien avec l'absence de promotion en tant que directeur régional mais en lien direct et certain avec l'absence d'affectation sur des fonctions correspondant à son grade et aux conséquences sur sa carrière en terme de régime indemnitaire ;
* il est fondé à solliciter le versement d'une indemnité d'un montant de 36 000 euros au titre de son préjudice moral.
L'instruction a été close au 8 février 2019, date d'émission d'une ordonnance prise en application des dispositions combinées des articles R. 611-11-1 et R. 613-1 du code de justice administrative.
Un mémoire, présenté pour le CNFPT, a été enregistré le 8 février 2019, après la clôture de l'instruction.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;
- le décret n° 87-1097 du 30 décembre 1987 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. A...,
- les conclusions de M. D... Lemoine, rapporteur public,
- les observations de Me F..., représentant M. E... et de
Me C..., représentant le CNFPT.
Une note en délibéré, présentée pour le CNFPT, a été enregistrée le 30 octobre 2019.
Considérant ce qui suit :
1. M. E..., administrateur territorial, a été recruté à compter du 1er septembre 1993 par le CNFPT en qualité de conseiller formation, puis a été nommé à sa demande en mars 2001, directeur du centre interrégional de concours Ouest à Rennes, poste qu'il a occupé jusqu'au mois d'avril 2010, date à laquelle le transfert de l'organisation des concours de catégorie A et B aux centres départementaux de la fonction publique territoriale par la loi du 19 février 2007 relative à la fonction publique territoriale, a conduit à la suppression des centres interrégionaux de concours gérés par le CNFPT. Après avoir suivi de septembre 2009 à octobre 2010 une formation universitaire sanctionnée par l'obtention d'un master dans le domaine de l'évaluation des politiques publiques et de l'analyse financière territoriale, M. E... a été affecté à compter d'avril 2010 sur un poste d'instructeur auprès de la commission de reconnaissance de l'équivalence des diplômes (CRED) et désigné comme responsable du secrétariat déconcentré de cette commission mis en place au sein de la délégation régionale Bretagne du CNFPT, poste qu'il a rejoint en octobre 2010. A la suite d'une nouvelle organisation des services en 2014, l'activité des secrétariats déconcentrés de la CRED a été transférée au niveau national et ces secrétariats supprimés. La directrice générale adjointe du CNFPT a, par un courrier du 31 mars 2015, informé M. E... de son affectation à compter du 1er avril 2015 sur un poste d'adjoint à la responsable d'antenne pédagogique départementale d'Ille-et-Vilaine. Le recours gracieux de l'intéressé contre cette décision a été rejeté le 24 juin 2015.
2. Par ailleurs, placé en congé de maladie du 6 février au 30 novembre 2014, puis en congé de longue maladie à compter du 24 avril 2015, M. E... a sollicité le 7 juillet 2014 la prise en charge de sa pathologie comme imputable au service. Cette demande a donné lieu le 18 janvier 2016 à une décision de rejet.
3. M. E... a également sollicité du CNFPT, par demande préalable du 18 décembre 2015, l'indemnisation de son préjudice du fait de la situation de harcèlement dont il estime avoir été victime.
4. Par la requête visée ci-dessus, le CNFPT relève appel du jugement du tribunal administratif de Rennes du 18 avril 2018 ayant fait droit partiellement aux demandes de M. E.... Par la voie de l'appel incident, M. E... demande à la cour de réformer le jugement du tribunal administratif de Rennes en ce qu'il a limité l'indemnisation de ses préjudices à la somme de 10 000 euros au titre de son préjudice moral.
Sur la recevabilité de la requête :
5. La circonstance que le CNFPT ait, en exécution du jugement en cause et conformément à l'injonction prononcée, retiré l'arrêté du 18 janvier 2016 portant refus de reconnaissance de l'imputabilité au service de la maladie de M. E..., ainsi que les arrêtés du 26 février 2016 et du 9 décembre 2016 le plaçant en congé de longue maladie pour la période comprise entre le 24 avril 2015 et le 23 avril 2017, ne saurait impliquer l'absence d'intérêt du CNFPT à former appel du jugement entrepris quant à la contestation relative à l'imputabilité au service de la pathologie de l'intéressé. Par suite, la fin de non-recevoir soulevée par M. E... doit être écartée.
Sur la régularité du jugement :
6. Contrairement à ce qui est allégué par le CNFPT, le jugement en cause vise les règles de droit applicables au litige et la minute du jugement est signée par le président, le rapporteur et le greffier. Le moyen tiré de l'irrégularité du jugement doit donc être rejeté.
Sur le bien-fondé du jugement :
En ce qui concerne le harcèlement moral :
7. D'une part, aux termes de l'article 6 quinquies de la loi susvisée du 13 juillet 1983 : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. (...) ". Il résulte de ces dispositions que le harcèlement moral est constitué, indépendamment de l'intention de son auteur, dès lors que sont caractérisés des agissements répétés ayant pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte aux droits et à la dignité de l'agent, d'altérer sa santé ou de compromettre son avenir professionnel. Il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral, de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un tel harcèlement. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile.
8. D'autre part, aux termes de l'article 1er décret susvisé du 30 décembre 1987 portant statut particulier du cadre d'emplois des administrateurs territoriaux dans sa rédaction applicable à l'espèce : " Les administrateurs territoriaux constituent un cadre d'emplois administratif de catégorie A au sens de l'article 5 de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 susvisée. (...) ". Aux termes de l'article 2 de ce décret dans sa rédaction applicable à l'espèce : " Les administrateurs territoriaux (...) assurent des tâches de conception et d'encadrement. Ils peuvent se voir confier des missions, des études ou des fonctions comportant des responsabilités particulières, notamment dans les domaines administratif, financier, juridique, sanitaire et social ainsi que dans les domaines des ressources humaines, du développement économique, social et culturel. Ils ont vocation à diriger ou à coordonner les activités de plusieurs bureaux, d'un service ou d'un groupe de services. (...) ".
9. En premier lieu, les fonctions confiées à M. E... à compter du mois d'octobre 2010 en sa qualité d'instructeur auprès de la CRED consistaient, selon sa fiche de poste, à : " - participer à l'analyse et l'instruction des dossiers avant leur présentation en commission / - contribuer à l'élaboration de doctrines au vu des décisions de la commission / concevoir et animer des réseaux d'experts et assurer la coopération avec les partenaires institutionnels / - contribuer à la mise en oeuvre d'une démarche qualité / - assister le président de la commission lors des séances / - travailler en réseaux avec des commissions locales / participer à la conception et au développement d'outils d'harmonisation et d'évaluation du travail des commissions / - encadrer l'équipe locale ". Son évaluation au titre de l'année 2010 définit sa mission principale comme consistant à organiser, encadrer et animer les activités du secrétariat pour les cadres d'emplois relevant de la commission déconcentrée. Il apparait que les fonctions ainsi décrites ne correspondent pas au grade d'administrateur territorial, ce que le CNFPT a relevé dans les évaluations faites de l'activité professionnelle de M. E... au titre des années 2010 et 2011. M. E... soutient par ailleurs sans être sérieusement contredit, qu'alors qu'il assumait auparavant en qualité de directeur de centre interrégional de concours la responsabilité d'un service composé de onze agents, son nouveau service, composé de trois agents dont lui-même, n'a eu qu'une très faible activité, plus particulièrement à compter du mois d'octobre 2013, date à laquelle la suppression des secrétariats déconcentrés des CRED a été envisagée, précisant en outre avoir été dépourvu de toute mission effective à compter du mois de décembre 2014. Il ne résulte, par ailleurs, pas de l'instruction que M. E... ait fait l'objet de propositions de réaffectation sur un emploi correspondant à son grade, sans que le CNFPT ne justifie ni de son impossibilité de procéder à cette réaffectation, ni de la conformité à l'intérêt au service du maintien durable de l'intéressé, dont la valeur professionnelle n'est pas contestée, dans une situation de distorsion fonctionnelle. Dans ces conditions, le maintien durable, de 2010 jusqu'au 1er avril 2015, de M. E... dans des fonctions ne correspondant pas à son grade et dépourvues de consistance réelle, et ce, en dépit des demandes répétées l'intéressé de mobilité fonctionnelle et géographique et de ses démarches auprès de sa hiérarchie afin qu'il soit mis fin à cette situation, ne saurait être regardé comme relevant de motifs tirés de l'intérêt du service.
10. En deuxième lieu, les fonctions confiées à M. E... à compter du 1er avril 2015, dont il n'est pas établi qu'elles auraient été définies en accord avec celui-ci, correspondent, selon sa fiche de poste, pour 60 % à celles d'un conseiller formation, consistant à concevoir et mettre en oeuvre des offres de services relatives à la formation professionnelle des agents, assurer le suivi du fonctionnement interne de l'antenne s'agissant des locaux et de la copropriété, et pour 40 % à des fonctions d'adjoint du responsable d'antenne, définies comme consistant à assurer le pilotage et l'organisation financière et administrative de l'antenne, le suivi des affaires générales de l'antenne, de son activité, des dossiers à la demande du responsable, ainsi que le remplacement de ce dernier. Ces attributions, qui n'impliquent aucune fonction d'encadrement et exercées par M. E... sous l'autorité de la responsable d'antenne et du directeur régional adjoint, qui appartiennent au corps des attachés territoriaux, alors qu'il se trouvait auparavant sous l'autorité directe du directeur général, ne correspondent pas à celles que son grade d'administrateur territorial lui donne vocation à exercer. Le CNFPT ne démontre ni que cette nouvelle affectation, ni que le maintien de M. E... sur ce poste, étaient justifiés par l'intérêt du service. La circonstance que l'intéressé ait été placé en congé de maladie du 6 février au 30 novembre 2014 n'est pas de nature à faire obstacle à l'attribution de fonctions conformes à son grade. En outre, en dépit de l'octroi, par la décision du 3 décembre 2014, de la protection fonctionnelle à cet agent, il ne résulte pas de l'instruction que le CNFPT ait pris des dispositions pour mettre fin à cette situation, ce qui caractérise une inaction fautive.
11. En troisième et dernier lieu, en relevant que les faits précédemment décrits devaient être regardés comme ayant compromis l'avenir professionnel de M. E..., maintenu pendant près de huit ans, à la date du jugement, dans une situation de distorsion fonctionnelle, le tribunal n'a pas fait une appréciation erronée des faits de l'espèce ou entaché son jugement d'une contradiction de motifs. Il résulte par ailleurs de l'instruction que cette situation a conduit à une dégradation de l'état de santé de l'intéressé, placé en congé de maladie du 6 février au 30 novembre 2014 puis en congé de longue maladie à compter du 24 avril 2015 en raison d'une pathologie anxio-dépressive. Dès lors, ces faits caractérisent des agissements constitutifs de harcèlement moral, dont M. E... est fondé à solliciter la réparation.
En ce qui concerne la mutation de l'intéressé :
12. En premier lieu, il résulte de ce qui précède que l'emploi d'adjoint à la responsable d'antenne d'Ille-et-Vilaine sur lequel M. E... a été nommé par la décision contestée du 31 mars 2015 ne correspondait pas à son grade. Par suite, cette décision, qui porte atteinte aux droits que M. E... tient de son statut, constitue une décision lui faisant grief susceptible d'être contestée devant le juge de l'excès de pouvoir et non pas une simple mesure d'ordre intérieur.
13. En second lieu, ainsi qu'il a été dit précédemment, il n'est pas établi que la décision du 31 mars 2015 nommant M. E... dans les fonctions d'adjoint au responsable de l'antenne départementale d'Ille-et-Vilaine, qui ne correspondent pas à celle que son grade d'administrateur territorial lui donne vocation à exercer, aurait été prise dans l'intérêt du service. Dans ces conditions, c'est sans commettre d'erreur d'appréciation que le tribunal a pu estimer que M. E... était fondé à obtenir l'annulation de cette décision ainsi que, par voie de conséquence, de celle rejetant son recours gracieux.
En ce qui concerne le refus de reconnaître la pathologie de M. E... comme imputable au service :
14. Ainsi qu'il a été dit précédemment, M. E... a été victime d'une situation de harcèlement moral. Il ressort des pièces du dossier que l'intéressé a été placé en congé de maladie du 6 février au 30 novembre 2014, puis en congé de longue maladie à compter du 24 avril 2015. Les documents produits par le requérant et en particulier l'arrêt de travail établi le 17 décembre 2014 par le docteur Carsin, psychiatre, l'expertise médicale établie le 11 mars 2015 à la demande de l'administration par le docteur Louvigné, le courrier du 12 mars 2015 adressé par le médecin de prévention au président du CNFPT et le courrier du 4 août 2015 du docteur Gouyet, praticien hospitalier dans le service de pathologie professionnelle et de médecine environnementale du centre hospitalier universitaire de Rennes, sont suffisant pour établir que M. E..., qui ne présentait antérieurement aux faits litigieux aucun état pathologique invalidant, souffre désormais d'un syndrome anxio-dépressif réactionnel à sa situation professionnelle pour lequel il bénéficie depuis novembre 2010 d'un traitement médical ainsi que de consultations psychiatriques. Il est constant par ailleurs qu'à plusieurs reprises il a fait état de son mal être en lien avec le travail auprès du médecin de prévention, lequel a constaté un état de souffrance de l'intéressé. Si le docteur Louvigné a écarté par erreur le lien avec le service de la pathologie du requérant au motif que celle-ci n'était pas recensée dans les tableaux de maladies professionnelles figurant au code de la sécurité sociale, alors que cette circonstance est sans incidence pour l'appréciation du lien entre cette pathologie et le service, il a toutefois retenu l'existence d'une relation entre les activités professionnelles de l'agent et son état de santé, précisant d'ailleurs que sa guérison ne sera acquise que lorsqu'il obtiendra une affectation sur un poste administratif précis. Compte tenu de ces éléments, qui ne sont pas sérieusement contredits par le CNFPT, et en dépit de l'avis contraire émis par la commission de réforme, c'est à juste titre que le tribunal a estimé qu'en refusant de faire droit à la demande de M. E... tendant à voir reconnaître sa pathologie comme imputable au service, le CNFPT avait entaché sa décision d'une erreur d'appréciation.
En ce qui concerne les préjudices :
15. L'illégalité affectant les décisions citées des 31 mars 2015 et 24 juin 2015 est constitutive d'une faute susceptible d'engager la responsabilité du CNFPT tout comme les faits de harcèlement moral décrits précédemment.
16. Cependant, il résulte de l'instruction que M. E... a bénéficié, malgré la situation de distorsion fonctionnelle dans laquelle il a été placé, de la rémunération et du régime indemnitaire correspondant à son grade, en dépit du fait qu'il occupait des fonctions inférieures à celui-ci. M. E..., qui a continué notamment à percevoir la nouvelle bonification indiciaire, ne produit aucun élément pour établir que son affectation sur des fonctions correspondant à son grade aurait modifié substantiellement le régime indemnitaire perçu. En outre, l'intéressé ne disposait d'aucun droit à être promu à un grade supérieur, impliquant un régime indemnitaire réévalué. Par suite, il ne peut être fait droit à sa demande tendant au paiement de la somme de 445 697,68 euros qui correspondrait à la perte indemnitaire résultant de son absence d'affectation sur des fonctions correspondant à son grade et aux conséquences, qui ne sont pas établies, sur sa carrière, en terme de régime indemnitaire.
17. En revanche, M. E... est fondé à solliciter l'indemnisation du préjudice moral résultant de l'illégalité affectant les décisions des 31 mars 2015 et 24 juin 2015 et des faits de harcèlement moral dont il a été victime, dont il sera fait une juste appréciation, eu égard notamment à la durée pendant laquelle ces faits se sont poursuivis et à leurs conséquences sur l'état de santé de l'intéressé, en l'évaluant à la somme de 20 000 euros.
En ce qui concerne les intérêts et la capitalisation :
18. M. E... a droit aux intérêts sur la somme de 20 000 euros à compter du 23 décembre 2015, date de réception de sa demande préalable par le CNFPT.
19. Par ailleurs, M. E... a demandé la capitalisation des intérêts dans sa requête enregistrée le 1er avril 2016 devant le tribunal. A cette date, il n'était pas dû une année d'intérêts. Dès lors, la demande de capitalisation ne peut prendre effet qu'à la date à laquelle il sera dû au moins une année d'intérêts, soit le 23 décembre 2016. Par suite, les intérêts échus à compter du 23 décembre 2016, puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date, seront capitalisés à chacune de ces dates pour produire eux-mêmes intérêts.
En ce qui concerne l'injonction prononcée :
20. La circonstance que M. E... soit actuellement en congé de maladie, reconnu comme imputable au service, ne fait pas obstacle, par elle-même, à l'attribution de fonctions conformes à son grade. Par suite, le CNFPT n'est pas fondé à demander l'annulation du jugement en cause en tant qu'il a enjoint au CNFPT, d'une part, de procéder au réexamen de la situation de M. E... en lui proposant un poste correspondant à son grade d'administrateur territorial, sous réserve que le médecin de prévention ait reconnu son aptitude à exercer ces fonctions et, d'autre part, de reconnaître sa pathologie comme imputable au service et de la prendre en charge à ce titre.
Sur les frais liés au litige :
21. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du CNFPT une somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : Le CNFPT est condamné à verser à M. E... la somme de 20 000 euros en réparation de son préjudice moral. Cette somme sera assortie des intérêts à compter du 23 décembre 2015. Ces intérêts seront capitalisés à la date du 23 décembre 2016, puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date, pour produire eux-mêmes intérêts.
Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Rennes du 18 avril 2018 est réformé en ce qu'il est contraire à l'article 1er du présent arrêt.
Article 3 : Le CNFPT versera à M. E... la somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... E... et au centre national de la fonction publique territoriale.
Délibéré après l'audience du 25 octobre 2019, où siégeaient :
- M. Lenoir, président de chambre,
- M. Coiffet, président-assesseur,
- M. A..., premier conseiller.
Lu en audience publique, le 14 novembre 2019.
Le rapporteur,
F. A...Le président,
H. LENOIR
Le greffier,
R. MAGEAU
La République mande et ordonne au ministre de la cohésion des territoires en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N°18NT02678