Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. E... A... D... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a implicitement rejeté le recours formé devant elle contre la décision des autorités consulaires françaises à Kaboul (Afghanistan) rejetant les demandes de visas de long séjour présentées pour Nooria et Habiba D...
Par un jugement n° 1805992 du 13 novembre 2018, le tribunal administratif de Nantes a annulé cette décision et a enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer à Nooria D... et Habiba D... les visas de long séjour sollicités.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 14 janvier 2019, le ministre de l'intérieur demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Nantes ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. D... devant le tribunal administratif de Nantes et de lui enjoindre de rembourser la somme de 1 200 euros mis à la charge de l'Etat au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- les documents d'état civil produits sont dénués de caractère probant et n'établissent ni l'identité de Nooria et Habiba D... ni leur lien de filiation avec M. A... D... ;
- compte tenu des contradictions dont sont entachés ces actes, l'âge de Nooria et Habiba D... ne peut être regardé comme établi ; les déclarations faites auprès de l'office de français de protection des réfugiés et des apatrides (OFPRA) indiquent que Habiba D... est née le 1er janvier 1998 et que sa soeur Nouria est née le 1er janvier 1999 ; à la date des demandes de visas, le 20 avril 2017, l'aînée des deux soeurs avait 19 ans et ne pouvait à ce titre prétendre à l'obtention d'un visa de long séjour en vue de rejoindre leurs parents réfugiés en France ; les taskeras produites ne mentionnent pas de dates de naissance, mais seulement l'âge atteint par les intéressées à la date où les documents ont été établis ; les âges indiqués ne correspondent pas aux déclarations enregistrées par l'OFPRA.
Par un mémoire en défense enregistré le 2 avril 2019, M. D..., représenté par Me C..., conclut au rejet de la requête, à ce qu'il soit enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer à Nooria et Habiba D... les visas de long séjour sollicités dans un délai de deux mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 150 euros par jour de retard, et à ce que soit mise à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros en application des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique, à défaut, à ce que l'Etat soit condamné à lui verser cette somme sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- les moyens invoqués par le ministre de l'intérieur ne sont pas fondés ;
- la décision de refus de visa d'entrée en France délivrée par l'ambassade de France en Afghanistan n'est pas légale au regard de l'article L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et de l'article 8 de la convention européenne des droits de l'Homme.
M. D... a confirmé, par lettre du 19 novembre 2019, sa demande de maintien de plein droit d'aide juridictionnelle.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi du 10 juillet 1991 sur l'aide juridique ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme B... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Par un jugement du 13 novembre 2018, le tribunal administratif de Nantes a annulé, à la demande de M. E... A... D..., qui s'est vu reconnaitre la qualité de réfugié par une décision du 13 juillet 2017, la décision par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a implicitement rejeté le recours formé devant elle contre la décision des autorités consulaires françaises à Kaboul (Afghanistan) rejetant les demandes de visas de long séjour présentées pour Nooria et Habiba D... et a enjoint au ministre de délivrer les visas sollicités. Le ministre de l'intérieur relève appel de ce jugement.
Sur la légalité de la décision de la commission de recours :
2. Aux termes de l'article L. 752-1 du code l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " I.- Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger qui s'est vu reconnaître la qualité de réfugié ou qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale : (...)/ 3° Par les enfants non mariés du couple, âgés au plus de dix-neuf ans " (...) L'âge des enfants est apprécié à la date à laquelle la demande de réunification familiale a été introduite. II (...) / La réunification familiale n'est pas soumise à des conditions de durée préalable de séjour régulier, de ressources ou de logement. / Les membres de la famille d'un réfugié ou d'un bénéficiaire de la protection subsidiaire sollicitent, pour entrer en France, un visa d'entrée pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois auprès des autorités diplomatiques et consulaires, qui statuent sur cette demande dans les meilleurs délais. / Pour l'application du troisième alinéa du présent II, ils produisent les actes de l'état civil justifiant de leur identité et des liens familiaux avec le réfugié ou le bénéficiaire de la protection subsidiaire (...) ". Aux termes de l'article L. 111-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " (...) La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil ". Aux termes de l'article 47 du code civil : "Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ".
3. Il ressort des pièces du dossier que Nooria D... et Habiba D... disposent chacune d'un certificat " taskera ", correspondant à une carte ou document d'identité en Afghanistan, délivré le 11 septembre 2013 par la direction générale de l'état civil du ministère de l'intérieur de la province de Samangan, district de Shar-e-Qadim, de la République islamique d'Afghanistan. Ces deux documents mentionnent le nom de leur père, M. E... A..., et celui de leur grand-père, Mohammad Rafiq, dont le nom est confirmé par les mentions figurant sur le livret de famille relatives à M. E... A... D..., également, versé au dossier. Ces mentions sont également confirmées par plusieurs attestations émanant de l'assemblée de la réunification du district de Shar-e-Qadim, dont sont originaires Nooria D... et Habiba D..., du gouverneur de la province de Samangan et du service d'état civil de la province du Samangan, lequel précise que l'attestation est établie en conformité avec le registre d'état civil. Les documents d'identité présentés mentionnent, également, l'âge de Nooria D... et de Habiba D..., selon le calendrier de l'Hégire à savoir, respectivement, " âgé de 12 ans en 1392 = (2013) " et " âgé de 13 ans en 1392 = (2013) ", ce qui permet d'établir l'année de leur naissance, soit 2000 et 2001, et leur lieu de naissance. Le ministre produit en appel une lettre du 30 mai 2017 par laquelle l'office de français de protection des réfugiés et des apatrides (OFPRA) adresse au bureau des familles de réfugiés de la sous-direction des visas " une copie certifiée conforme du certificat de naissance tenant lieu d'acte d'état civil de l'intéressée ", qui " est la mère de neuf enfants " et comporte les noms et date de naissance de ces enfants, notamment ceux de " D... Nooria née le 1er janvier 1999 " et de " D... Habiba née le 1er janvier 1998 ". Toutefois, ce seul document, dont il n'est pas établi que les énonciations correspondent aux déclarations faites par M. E... A... D... devant l'OFPRA, ne suffit pas à remettre en cause la valeur probante des documents d'état civil produits. Par suite, le ministre n'est pas fondé à soutenir que l'identité de Nooria et Habiba D..., leur lien de filiation avec M. E... A... D... et leur âge ne sont pas établis.
4. Il ressort des pièces du dossier que les demandes de visas présentées pour Nooria et Habiba D... ont été déposées auprès des autorités consulaires françaises à Kaboul le 20 avril 2017, date à laquelle les deux enfants remplissaient la condition d'âge fixée par les dispositions précitées du 3° du I de l'article L. 752-1 du code l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
5. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'intérieur n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a annulé, à la demande de M. E... A... D..., la décision par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé devant elle contre la décision des autorités consulaires françaises à Kaboul rejetant les demandes de visas de long séjour présentées pour Nooria et Habiba D... et a enjoint au ministre de délivrer à Nooria Sedequey et Habiba D... les visas de long séjour sollicités.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
6. Le présent arrêt n'implique pas le prononcé d'une injonction autre que celle déjà prononcée par les premiers juges, dès lors qu'il appartient au ministre de prendre les mesures nécessaires pour délivrer les visas sollicités. Il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais liés au litige :
7. Aux termes de l'article 8 de la loi du 10 juillet 1991 susvisée : " Toute personne admise à l'aide juridictionnelle en conserve de plein droit le bénéfice pour se défendre en cas d'exercice d'une voie de recours ". M. E... A... D... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle en première instance. Il en conserve de plein droit le bénéfice dans la présente instance. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me C... de la somme de 1 200 euros dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et à l'article 108 du décret du 19 décembre 1991.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête du ministre de l'intérieur est rejetée.
Article 2 : L'Etat versera à Me C... une somme de 1 200 euros dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et à l'article 108 du décret du 19 décembre 1991.
Article 3 : Le surplus des conclusions de M. D... est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. E... A... D....
Délibéré après l'audience du 22 novembre 2019, à laquelle siégeaient :
- M. Célérier, président de chambre,
- Mme B..., président assesseur,
- M. Bréchot, premier conseiller.
Lu en audience publique le 6 décembre 2019.
Le rapporteur,
C. B...
Le président,
T. CELERIER
Le greffier,
C. GOY
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N°19NT00163 2