Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. G... B..., agissant en son nom propre et au nom des mineurs K... B... et H... B..., M. J... B... et M. I... B... ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 2 juin 2016 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision du 13 janvier 2016 des autorités consulaires françaises à Port-au-Prince rejetant la demande de visa de long séjour présentée pour M. K... B..., M. H... B..., M. J... B... et M. I... B... que M. G... B... présente comme ses fils.
Par un jugement n° 1606352 du 27 décembre 2018, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires, enregistrés le 3 avril 2019, le 2 juillet et le 9 décembre 2019, M. G... B..., agissant en son nom propre et au nom du mineur H... B..., M. K... B..., M. J... B... et M. I... B..., représentés par Me F..., demandent à la cour :
1°) de surseoir à statuer dans l'attente des décisions du tribunal de grande instance de Basse-Terre sur les actions en recherche de paternité ;
2°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Nantes du 27 décembre 2018 ;
3°) d'annuler la décision contestée ;
4°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer les visas sollicités dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
5°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- en s'abstenant de rouvrir l'instruction pour tenir compte des éléments nouveaux communiqués dans leur mémoire du 12 octobre 2018 alors qu'un délai de seulement quinze jours a séparé la communication du mémoire en défense du ministre de la clôture de l'instruction, le tribunal a méconnu le principe du contradictoire, les droits de la défense et l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- en estimant que les documents d'état civil étaient inauthentiques pour nier la réalité de leurs liens familiaux, la commission a commis une erreur d'appréciation ;
- les liens de filiation sont en outre établis par possession d'état ;
- la décision contestée méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Par un mémoire en défense, enregistré le 23 juillet 2019, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.
Il indique se rapporter à ses écritures de première instance.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme C... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. G... B..., ressortissant haïtien né le 2 décembre 1968, a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire le 1er juin 2011. Les demandes de visas de long séjour en qualité de membres de famille de bénéficiaire de la protection subsidiaire, présentées pour M. J... B..., né le 26 juillet 1996, M. I... B..., né le 7 mai 1998, M. K... B..., né le 8 mars 2001 et M. H... B..., né le 17 janvier 2003, que M. G... B... présente comme ses fils, ont été rejetées par une décision du 13 janvier 2016 des autorités consulaires françaises à Port-au-Prince (Haïti). Par une décision du 2 juin 2016, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision du 13 janvier 2016. M. G... B..., M. J... B..., M. I... B..., M. K... B... et M. H... B... relèvent appel du jugement du 27 décembre 2018 par lequel le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande tendant à l'annulation de la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
2. Aux termes de l'article L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction applicable : " I.-Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger (...) qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale : / 1° Par son conjoint ou le partenaire avec lequel il est lié par une union civile, âgé d'au moins dix-huit ans, si le mariage ou l'union civile est antérieur à la date d'introduction de sa demande d'asile ; / 2° Par son concubin, âgé d'au moins dix-huit ans, avec lequel il avait, avant la date d'introduction de sa demande d'asile, une vie commune suffisamment stable et continue ; / 3° Par les enfants non mariés du couple, âgés au plus de dix-neuf ans. / (...) / L'âge des enfants est apprécié à la date à laquelle la demande de réunification familiale a été introduite. / (...) / Les membres de la famille d'un réfugié ou d'un bénéficiaire de la protection subsidiaire sollicitent, pour entrer en France, un visa d'entrée pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois auprès des autorités diplomatiques et consulaires, qui statuent sur cette demande dans les meilleurs délais. / (...) / ils produisent les actes de l'état civil justifiant de leur identité et des liens familiaux avec le réfugié ou le bénéficiaire de la protection subsidiaire. En l'absence d'acte de l'état civil ou en cas de doute sur leur authenticité, les éléments de possession d'état définis à l'article 311-1 du code civil et les documents établis ou authentifiés par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, sur le fondement de l'article L. 721-3 du présent code, peuvent permettre de justifier de la situation de famille et de l'identité des demandeurs. Les éléments de possession d'état font foi jusqu'à preuve du contraire. Les documents établis par l'office font foi jusqu'à inscription de faux. / La réunification familiale ne peut être refusée que si le demandeur ne se conforme pas aux principes essentiels qui, conformément aux lois de la République, régissent la vie familiale en France, pays d'accueil. / Est exclu de la réunification familiale un membre de la famille dont la présence en France constituerait une menace pour l'ordre public ou lorsqu'il est établi qu'il est instigateur, auteur ou complice des persécutions et atteintes graves qui ont justifié l'octroi d'une protection au titre de l'asile. ".
3. Aux termes de l'article L. 111-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil. (...) ". Aux termes de l'article 47 du code civil : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ".
4. Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties.
5. Il ressort des pièces du dossier que le refus opposé par la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France est fondé sur la circonstance que les actes de naissance produits n'étaient pas conformes à l'article 55 du code civil haïtien, selon lequel " l'acte de naissance régulièrement établi par l'officier de l'état civil doit être obligatoirement produit au moment du baptême ou de la présentation au temple " et que les liens de filiation allégués n'étaient pas davantage établis par possession d'état.
6. Les requérants précisent avoir perdu, lors du tremblement de terre survenu le 12 janvier 2010, leurs actes de naissance originaux. Ils ont, en conséquence, sollicité des " extraits d'archive ", lesquels correspondent aux copies d'actes délivrées par les Archives nationales de la République sur le fondement du registre transmis par l'officier d'état civil. Les autorités compétentes n'ayant pas délivré les documents sollicités, le tribunal civil de Port-au-Prince a, par des jugements du 6 décembre 2011, autorisé l'officier de l'état civil de Port-au-Prince à recevoir de M. G... B... les déclarations tardives de naissance de ses fils J... et I..., nés à Mare rouge sur le territoire de la commune de Môle Saint-Nicolas, respectivement, le 26 juillet 1996 et le 7 mai 1998, de son union avec Mme D... et les déclarations tardives de naissance de ses fils K... et H..., nés à l'hôpital Fermathe de Pétion-Ville, respectivement, le 8 mars 2001 et le 17 janvier 2003, de son union avec Mme E.... Des actes de naissance ont été dressés en exécution de ces jugements dont il n'appartient pas aux autorités administratives françaises de mettre en doute le bien-fondé, hormis le cas où ces jugements auraient un caractère frauduleux, ce que ne démontre pas le ministre. Par ailleurs, la circonstance que les intéressés aient été, ainsi que cela ressort des certificats de présentation au temple, lesquels font état de manière concordante des liens familiaux énoncés ci-dessus, présentés au temple le 15 février 1997, s'agissant de J..., le 12 janvier 1999, s'agissant de Watson, le 21 janvier 2002, s'agissant de K... et le 8 mars 2004, s'agissant de H... ne caractérise aucune fraude dès lors que ces dates sont antérieures au tremblement de terre au cours duquel les actes de naissance originaux ont disparu. Dans ces conditions, en estimant que les liens de filiation revendiqués n'étaient pas établis, la commission a fait une inexacte application des dispositions précitées.
7. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de surseoir à statuer ni de se prononcer sur les autres moyens de la requête, que les consorts B... sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande.
Sur les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte :
8. L'exécution du présent arrêt implique, sous réserve d'un changement dans les circonstances de droit ou de fait, la délivrance de visas d'entrée et de long séjour à M. K... B..., M. H... B..., M. J... B... et M. I... B.... Il y a lieu d'enjoindre au ministre de l'intérieur d'y procéder dans le délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt, sans qu'il soit besoin d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais liés au litige :
9. Il y a lieu, en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par les requérants et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Nantes du 27 décembre 2018 et la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France du 2 juin 2016 sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer un visa d'entrée et de long séjour en France à M. K... B..., M. H... B..., M. J... B... et M. I... B... dans le délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera à M. G... B..., M. K... B..., M. J... B... et M. I... B... la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. G... B..., M. K... B..., M. J... B... et M. I... B... et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 17 décembre 2019, à laquelle siégeaient :
Mme Brisson, président,
M. A...'hirondel, premier conseiller,
Mme C..., premier conseiller.
Lu en audience publique, le 10 janvier 2020.
Le rapporteur,
K. C...
Le président,
C. BRISSONLe greffier,
A. BRISSET
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 19NT01321 2