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19/06/2020 | FRANCE | N°19NT00135

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 2ème chambre, 19 juin 2020, 19NT00135


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... B... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision intervenue le 18 juin 2018 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a implicitement rejeté le recours qu'il avait formé contre la décision de l'autorité consulaire française à Port-aux-Princes (Haïti), refusant de lui délivrer un visa d'entrée et de long séjour en France en qualité de descendant à charge d'un ressortissant français.

Par un jugement n° 180743

0 du 7 décembre 2018, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Procéd...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... B... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision intervenue le 18 juin 2018 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a implicitement rejeté le recours qu'il avait formé contre la décision de l'autorité consulaire française à Port-aux-Princes (Haïti), refusant de lui délivrer un visa d'entrée et de long séjour en France en qualité de descendant à charge d'un ressortissant français.

Par un jugement n° 1807430 du 7 décembre 2018, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés le 11 janvier 2019 et le 14 mars 2019, M. C... B..., représenté par Me F..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 7 décembre 2018 ;

2°) d'annuler la décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France ;

3°) d'enjoindre, sous astreinte, au ministre de l'intérieur de lui délivrer le visa de long séjour sollicité ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

­ le jugement attaqué est irrégulier en raison des erreurs de droit et des erreurs manifestes d'appréciation commises par les premiers juges ;

­ la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France ne pouvait lui refuser de lui délivrer le visa de long séjour sollicité dès lors que le lien de filiation était établi par l'acte de naissance présenté et par la possession d'état qui a été établie ;

­ la décision contestée est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation en tant qu'il est retenu une disproportion entre les moyens financiers de ses parents et les sommes que ces derniers lui ont versées.

Par un mémoire en défense, enregistré le 28 février 2019, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.

Il soutient qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.

Le Défenseur des droits, en application des dispositions de l'article 33 de la loi organique du 29 mars 2011 relative au Défenseur des droits, a présenté des observations, enregistrées le 6 septembre 2019.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu

­ le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

­ le code civil ;

­ le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. A...'hirondel a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. C... B..., de nationalité haïtienne, né le 11 novembre 1989, a sollicité le 25 janvier 2018 des autorités consulaires de l'ambassade de France en Haïti la délivrance d'un visa de long séjour en qualité d'enfant étranger de ressortissant français, ce qui lui a été refusé par une décision du 6 avril 2018. M. B... a exercé un recours contre cette décision qui a été enregistré par la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France le 18 avril 2018. Une décision implicite de rejet, née du silence gardé par la commission de recours, est intervenue le 18 juin 2018. M. B... relève appel du jugement du tribunal administratif de Nantes du 7 décembre 2018 qui a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision implicite de la commission de recours.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

2. Pour justifier sa décision, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France s'est fondée sur le fait, d'une part, que le lien de filiation n'était pas établi en raison du caractère apocryphe des actes d'état civil présentés à l'appui de la demande de visa alors que la possession d'état n'était pas rapportée et, d'autre part, que M. B... ne démontrait pas qu'il était à la charge financière de son parent français.

3. En premier lieu, l'article L. 111-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile prévoit, en son premier alinéa, que la vérification des actes d'état civil étrangers doit être effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil. L'article 47 du code civil dispose quant à lui que : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ". Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties. Pour juger qu'un acte d'état civil produit devant lui est dépourvu de force probante, qu'il soit irrégulier, falsifié ou inexact, le juge doit en conséquence se fonder sur tous les éléments versés au dossier dans le cadre de l'instruction du litige qui lui est soumis.

4. Aux termes de l'article 53 du code civil haïtien : " Les actes de l'état civil énonceront l'année, le mois, le jour et l'heure où ils seront reçus, les prénoms, noms, âges, professions et domiciles de tous ceux qui y seront dénommés. ". Selon l'article 55 du même code : " 1°- Les déclarations de naissance seront faites dans le mois de l'accouchement à l'officier de l'état civil du lieu du domicile de la mère ou du lieu de naissance de l'enfant. (...) / 2°- Si deux (2) ans après l'expiration du délai prévu au premier alinéa de l'article 1er du présent décret, une naissance n'est pas encore déclarée, l'officier de l'état civil ne pourra la consigner dans ses registres qu'en vertu d'un jugement rendu par le tribunal civil de la juridiction où est né l'enfant ou, à défaut, par le tribunal civil du domicile de celui-ci (...) ". Selon une note de l'ambassade de France en Haïti de novembre 2009 relative à l'authentification des actes d'état civil haïtiens, trois décrets successifs des 14 novembre 1988, 15 mai 1995 et 1er février 2002, chacun d'une validité de cinq ans, ont été pris, à titre dérogatoire, avec pour seul objectif de régulariser l'état civil de personnes dont la naissance n'avait jamais été déclarée. Cette note précise que seuls peut être authentifié l'original des extraits des registres des actes d'état civil (copie intégrale) délivré par la Direction des Archives Nationales d'Haïti (DANH) qui conserve l'ensemble des registres des actes d'état civil tenus par les officiers d'état civil, ces derniers transmettant leurs registres au plus tôt au début de l'année suivant l'année d'enregistrement de l'acte. Elle indique que, dans la très grande majorité des cas, la déclaration est faite dans les deux ans suivant la naissance de l'intéressé et que ce n'est qu'à titre exceptionnel qu'elle pourra être " tardive ".

5. M. B... a notamment produit un extrait d'acte de naissance délivré le 22 février 2018 par la DANH qui atteste de sa filiation envers M. D... B... et Mme G... suivant une déclaration du père effectuée le 23 janvier 1990, soit à l'intérieur du délai prévu à l'article 55 du code civil haïtien. Si le nom du père et le prénom de la mère ont été mal orthographiés dans l'acte de naissance original, ces erreurs ont été rectifiées par un jugement du 22 février 2018, cette correction ayant été, au demeurant, reprise, dans l'acte de naissance délivré par la DANH. L'administration ne saurait utilement soutenir que la naissance de l'enfant est intervenue quatre ans après le mariage des parents dès lors que le père a déclaré la naissance d'un enfant naturel. Enfin, les circonstances que l'acte de naissance de M. C... B... ne précise pas l'âge de ses parents et que l'acte de naissance de sa mère établi par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides ne mentionne la naissance d'aucun enfant ne sont pas de nature à ôter à l'acte de naissance produit par l'intéressé son caractère authentique. Par suite, le ministre n'est pas fondé à soutenir que M. C... B... ne justifie pas d'un lien de filiation avec Mme G... épouse B... qui a acquis la nationalité française par décret de naturalisation du 6 juin 2016.

6. En second lieu, lorsqu'elle est saisie d'une demande tendant à la délivrance d'un visa de long séjour par un ressortissant étranger faisant état de sa qualité d'enfant à charge de ressortissant français, l'autorité compétente peut légitimement fonder sa décision de refus sur la circonstance que le demandeur ne saurait être regardé comme étant à la charge de son ascendant dès lors qu'il dispose de ressources propres, que le parent de nationalité française ne pourvoit pas régulièrement à ses besoins ou qu'il ne justifie pas des ressources nécessaires pour le faire.

7. M. C... B..., qui est étudiant, ne justifie d'aucune ressource propre. Il ressort des pièces du dossier que ses parents lui envoient régulièrement des sommes d'argent qui se sont élevées à 5 676,83 euros en 2014, 6 024,80 euros en 2015, 35 587,96 euros en 2016 et 9 704,23 euros en 2017, soit un total général de 56 993,82 euros. Le requérant justifie du versement exceptionnel de 2016 qui a pu être financé par deux emprunts contractés par M. et Mme B... afin de permettre à leur fils de réaliser des travaux dans l'immeuble à usage d'habitation qu'il occupe et qui a été dégradé suite au tremblement de terre de 2010. Même sans prendre en compte ce versement exceptionnel, les sommes ainsi versées ont permis à M. C... B... de subvenir à ses besoins. En outre, M. et Mme B... disposaient en 2017, ainsi qu'il ressort de leur avis d'impôt 2018, d'un revenu brut global de 45 703 euros pour leur foyer composé de trois personnes et justifient ainsi des ressources nécessaires pour accueillir le requérant. Dans ces conditions, M. C... B... doit être regardé comme étant à la charge financière de sa mère.

8. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner la régularité du jugement attaqué, que M. B... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par ce jugement, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

9. Eu égard aux motifs du présent arrêt et alors, d'une part, qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que la situation de M. B... se serait modifiée, en droit ou en fait, depuis l'intervention de la décision contestée et, d'autre part, qu'aucun motif d'ordre public ne ferait obstacle à la venue en France de M. B..., l'exécution de cet arrêt implique nécessairement la délivrance à l'intéressé du visa de long séjour qu'il sollicitait. Par suite, il y a lieu d'enjoindre au ministre de l'intérieur, de délivrer à M. B... un visa de long séjour dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.

Sur les frais liés au litige :

10. Pour l'application des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 200 euros au titre des frais exposés par M. B... et non compris dans les dépens.

D É C I D E :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Nantes du 7 décembre 2018 et la décision implicite de la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France intervenue le 18 juin 2018 sont annulés.

Article 2 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur, de délivrer un visa de long séjour à M. C... B... dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 3 : L'Etat versera à M. C... B... la somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... B... et au ministre de l'intérieur.

Délibéré après l'audience du 2 juin 2020, à laquelle siégeaient :

- M. Pérez, président,

- M. A...'hirondel, premier conseiller,

- M. Giraud, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 19 juin 2020.

Le rapporteur,

M. E...Le président,

A. PEREZ

Le greffier,

A. BRISSET

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

1

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N° 19NT00135


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 19NT00135
Date de la décision : 19/06/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. PEREZ
Rapporteur ?: M. Michel LHIRONDEL
Rapporteur public ?: M. DERLANGE
Avocat(s) : LE MERCIER

Origine de la décision
Date de l'import : 27/06/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2020-06-19;19nt00135 ?
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