Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... E... et Mme F... D... ont demandé au tribunal administratif de Nantes, d'une part, d'annuler la décision implicite par laquelle la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France a confirmé le refus de visa d'entrée et de long séjour en qualité de membre de famille d'un réfugié opposé par l'autorité consulaire française à Delhi (Inde) en date du 29 mai 2017 et, d'autre part, d'annuler la décision du 2 juillet 2018 par laquelle le ministre de l'intérieur a refusé un visa d'entrée et de long séjour à Mme F... D... en qualité de membre de famille d'un réfugié.
Par un jugement n°s 1804180 et 1808074 du 28 décembre 2018, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leurs demandes.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 28 février 2019, M. B... E... et Mme F... D..., représentés par Me A..., demandent à la cour :
1°) d'annuler le jugement n°s 1804180 et 1808074 du tribunal administratif de Nantes du 28 décembre 2018 ;
2°) d'annuler la décision du ministre de l'intérieur du 2 juillet 2018 et la décision de la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France du 8 mars 2018 ;
3°) à titre principal, d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer le visa sollicité, dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 150 euros par jour de retard ;
4°) à titre subsidiaire, d'enjoindre au ministre de l'intérieur le réexamen de la demande de visa, dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 150 euros par jour de retard ;
5°) de condamner l'Etat à leur verser la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- l'identité de la requérante et son lien de concubinage avec M. E... sont établis par les documents produits et par la possession d'état ;
- la décision du ministre a méconnu les dispositions du 8° de l'article L. 314-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et est entachée d'une erreur de fait ;
- la décision attaquée méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.
Par un mémoire en défense, enregistré le 14 mai 2019, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir qu'il se réfère à ses écritures et pièces jointes produites lors de la 1ère instance.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme C... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. B... E..., ressortissant chinois d'origine tibétaine né le 16 avril 1986, entré en France le 7 avril 2014, a obtenu la reconnaissance de qualité de réfugié le 27 novembre 2014. Le 20 avril 2017, Mme F... D... a déposé une demande de visa d'entrée et de long séjour auprès de l'autorité consulaire à Delhi (Inde) en qualité de membre de famille d'un réfugié statutaire. Après le rejet de cette demande par l'autorité consulaire le 29 mai 2017, M. E... a formé le 12 janvier 2018 un recours devant la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France. La commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France a rejeté ce recours par une décision du 8 mars 2018, notifiée le 16 mars 2018. En exécution de l'ordonnance n° 1702740 du juge des référés du tribunal administratif de Nantes du 30 mai 2018, le ministre de l'intérieur a réexaminé la demande de visa de Mme D... et pris une nouvelle décision de refus le 2 juillet 2018. M. E... et Mme D... ont demandé au tribunal administratif de Nantes l'annulation de la décision du 2 juillet 2018 et de la décision du 8 mars 2018. Par un jugement du 28 décembre 2018, le tribunal a rejeté leurs demandes. Ils font appel de ce jugement.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. Aux termes de l'article L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans sa rédaction applicable au présent litige : " I. - Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger qui s'est vu reconnaître la qualité de réfugié ou qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale : / 1° Par son conjoint ou le partenaire avec lequel il est lié par une union civile, âgé d'au moins dix-huit ans, si le mariage ou l'union civile est antérieur à la date d'introduction de sa demande d'asile ; / 2° Par son concubin, âgé d'au moins dix-huit ans, avec lequel il avait, avant la date d'introduction de sa demande d'asile, une vie commune suffisamment stable et continue ; (...) ".
3. Par ailleurs, l'article L. 111-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile prévoit, en son premier alinéa, que la vérification des actes d'état civil étrangers doit être effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil. L'article 47 du code civil dispose quant à lui que : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ". Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties. Pour juger qu'un acte d'état civil produit devant lui est dépourvu de force probante, qu'il soit irrégulier, falsifié ou inexact, le juge doit en conséquence se fonder sur tous les éléments versés au dossier dans le cadre de l'instruction du litige qui lui est soumis.
4. Pour rejeter la demande de visa présentée par Mme D... la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France a estimé dans sa décision du 8 mars 2018 que le lien matrimonial entre la demanderesse et M. E... n'est pas établi. Le ministre de l'intérieur, dans sa décision du 2 juillet 2018, a relevé que M. E..., qui déclare désormais ne pas être marié civilement, n'établit pas l'existence d'une vie commune, suffisamment stable et continue avant la date d'introduction de sa demande d'asile en France, par la production d'une photocopie d'un " hukou " au demeurant non traduit par un traducteur assermenté.
5. D'une part, a été produit, au soutien de la demande de visa, un livret de famille dit " hukou " délivré le 14 février 2013 au nom de M. B... E... en tant que chef de famille et sur lequel Mme F... est mentionnée comme son épouse. Ce document mentionne, outre l'identité des intéressés avec leur nom, prénom, date et lieu de naissance et sexe, leur origine, leur relation d'époux, leur numéro de carte d'identité et l'agent de registre. Il est constant que le hukou constitue en Chine la base du système de l'état civil mis en place par le règlement du Comité permanent de l'Assemblée nationale du 9 janvier 1958, dit " Règlement sur l'enregistrement des hukou " afin d'enregistrer les ménages. Les informations contenues dans ce livret doivent alors être regardées comme ayant force probante sur l'état civil des citoyens. Les circonstances que cette pièce ne soit qu'une copie, ne mentionne pas de mariage, n'était accompagnée ni d'autres documents indiens ou tibétains, ni par les cartes d'identité qu'elle mentionne ne sont pas de nature à remettre en cause son authenticité. Les autorités consulaires ont d'ailleurs reconnu que ce " hukou " témoignait d'une situation de vie maritale. Les énonciations contenues dans ce document sont conformes aux déclarations faites par M. E... devant l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) lors du dépôt de sa demande d'asile, qui s'est prévalu d'un mariage religieux du 15 février 2012, non enregistré par les autorités civiles.
6. D'autre part, pour établir son identité, Mme F... D... a produit un livret vert dont le " Tibet bureau " (administration tibétaine en exil) a attesté l'authenticité, dans un courriel du 28 février 2018. Si le ministre fait valoir qu'il existe des incohérences entre ce document et le " hukou " et les déclarations faites par M. E... devant l'OFPRA, les requérants font valoir sans être ensuite contredits que Mme F... D... a effectué un premier séjour en Inde en 2005 à l'âge de 12 ans pour ses études mais est revenue ensuite au Tibet avant de repartir en Inde après l'arrivée de M. E... en France, le livret vert étant délivré aux enfants à partir de 6 ans. En outre, ils indiquent également sans être ensuite contredits que si M. E... a déclaré que son épouse est née à Jomda Dege, au Tibet, alors que le livret vert indique qu'elle est originaire de Chamdo, il n'y a pas de contradictions sur ce point dès lors que Jomda Dege est placé sous la juridiction de la préfecture de Chamdo. Ainsi, alors même que M. E... a attendu trois ans pour faire venir Mme F... D... auprès de lui, Mme F... D... doit être regardée comme étant, au moins, la concubine de M. E... au sens des dispositions de l'article L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, avec une vie commune d'au moins plus d'un an avant la demande d'asile.
7. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que les requérants sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande.
Sur les conclusions à fin d'injonction sous astreinte :
8. Le présent arrêt, eu égard à ses motifs, et sous réserve d'un changement dans les circonstances de droit ou de fait, implique la délivrance à Mme F... D... du visa de long séjour sollicité. Il y a lieu, par suite, d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer à l'intéressée le visa sollicité dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt, sans qu'il soit besoin d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais liés au litige :
9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 200 euros aux requérants, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Nantes du 28 décembre 2018, la décision du ministre de l'intérieur du 2 juillet 2018 et la décision de la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France du 8 mars 2018 sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer à Mme F... D... un visa de long séjour dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera la somme de 1 200 euros aux requérants au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... E... et Mme F... D... et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 5 juin 2020, à laquelle siégeaient :
- M. Célérier, président de chambre,
- Mme Buffet, président assesseur,
- Mme C..., premier conseiller.
Lu en audience publique le 19 juin 2020.
Le rapporteur,
P. C...
Le président,
T. CELERIER
Le greffier,
C. GOY
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 19NT00883