Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme K... E... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a implicitement rejeté le recours formé contre la décision des autorités consulaires françaises en poste à Douala rejetant la demande de visa de long séjour présentée pour le jeune H... C... qu'elle présente comme son fils.
Par un jugement n° 1905715 du 6 novembre 2019, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 30 mars 2020 et le 4 septembre 2020, Mme E..., représentée par Me Rudloff, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Nantes du 6 novembre 2019 ;
2°) d'annuler la décision contestée ;
3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer le visa sollicité ou, à défaut, de réexaminer la demande de visa dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil d'une somme de 1 200 euros sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
- le refus de visa opposé à son fils méconnaît les dispositions de l'article L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- cette décision méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et celles de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.
Par un mémoire en défense, enregistré le 13 août 2020, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés.
Mme E... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 11 juin 2020.
Vu :
- les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le président de la Cour a désigné Mme Douet, présidente assesseur, pour présider les formations de jugement en cas d'absence ou d'empêchement de M. Pérez, président de la 2ème chambre en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Bougrine,
- et les observations de Me Régent, substituant Me Rudloff et représentant Mme E....
Une note en délibéré présentée par Mme E... a été enregistrée le 20 novembre 2020.
Considérant ce qui suit :
1. Mme E..., ressortissante camerounaise, a obtenu le statut de réfugié par une décision de la Cour nationale du droit d'asile du 2 mars 2017. Le 11 janvier 2018, une demande de visa de long séjour a été déposée pour le jeune H... C..., ressortissant camerounais né le 12 novembre 2002, qu'elle présente comme son fils. Le 29 janvier 2019, Mme E... a, devant la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France, formé un recours contre la décision de refus de visa opposée le 18 octobre 2018 par les autorités consulaires françaises en poste à Douala. Ce recours a été implicitement rejeté par la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France. Mme E... relève appel du jugement du 6 novembre 2019 par lequel le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision implicite par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a maintenu le refus de visa opposé au jeune H... C....
Sur les conclusions à fin d'annulation :
2. Aux termes de l'article L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " I. - Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger qui s'est vu reconnaître la qualité de réfugié (...) peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale : / (...) / 3° Par les enfants non mariés du couple, âgés au plus de dix-neuf ans. /(...) / L'âge des enfants est apprécié à la date à laquelle la demande de réunification familiale a été introduite. / II. - Les articles L. 411-2 à L. 411-4 et le premier alinéa de l'article L. 411-7 sont applicables. / La réunification familiale n'est pas soumise à des conditions de durée préalable de séjour régulier, de ressources ou de logement. / Les membres de la famille d'un réfugié (...) sollicitent, pour entrer en France, un visa d'entrée pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois auprès des autorités diplomatiques et consulaires, qui statuent sur cette demande dans les meilleurs délais. / Pour l'application du troisième alinéa du présent II, ils produisent les actes de l'état civil justifiant de leur identité et des liens familiaux avec le réfugié (...). En l'absence d'acte de l'état civil ou en cas de doute sur leur authenticité, les éléments de possession d'état définis à l'article 311-1 du code civil et les documents établis ou authentifiés par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, sur le fondement de l'article L. 721-3 du présent code, peuvent permettre de justifier de la situation de famille et de l'identité des demandeurs. Les éléments de possession d'état font foi jusqu'à preuve du contraire. Les documents établis par l'office font foi jusqu'à inscription de faux. / La réunification familiale ne peut être refusée que si le demandeur ne se conforme pas aux principes essentiels qui, conformément aux lois de la République, régissent la vie familiale en France, pays d'accueil. / Est exclu de la réunification familiale un membre de la famille dont la présence en France constituerait une menace pour l'ordre public ou lorsqu'il est établi qu'il est instigateur, auteur ou complice des persécutions et atteintes graves qui ont justifié l'octroi d'une protection au titre de l'asile. ".
3. Aux termes de l'article L. 111-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil. / Le demandeur d'un visa pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois, ou son représentant légal, ressortissant d'un pays dans lequel l'état civil présente des carences, qui souhaite rejoindre ou accompagner l'un de ses parents mentionné aux articles L. 411-1 et L. 411-2 (...), peut, en cas d'inexistence de l'acte de l'état civil ou lorsqu'il a été informé par les agents diplomatiques ou consulaires de l'existence d'un doute sérieux sur l'authenticité de celui-ci qui n'a pu être levé par la possession d'état telle que définie à l'article 311-1 du code civil, demander que l'identification du demandeur de visa par ses empreintes génétiques soit recherchée afin d'apporter un élément de preuve d'une filiation déclarée avec la mère du demandeur de visa. (...) ". L'article 47 du code civil dispose : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. ".
4. A la suite d'une demande de communication de motifs de la décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France, le président de cette commission a indiqué, dans un courrier du 23 mai 2019, qu'elle était fondée sur le fait que l'identité du demandeur et son lien familial avec la requérante n'étaient pas établis dans la mesure où " l'acte de naissance produit à l'appui de la demande est transcrit suivant jugement de reconstitution d'acte de naissance tardif, rendu près de 15 ans après l'évènement, 2 mois après l'obtention d'un titre de voyage par le demandeur et quelques mois après l'obtention du statut de réfugié par Mme E... K..., sa mère alléguée ; la transcription intervient quelques jours après le rendu du prononcé, ce qui est contraire aux dispositions de la législation locale, qui prévoit un délai réglementaire de 30 jours ".
5. D'une part, il ressort du jugement civil de droit local n° 1674/DL/2017 reconstitutif d'acte de naissance rendu le 11 septembre 2017 par le tribunal de première instance de Douala-Ndokoti et de l'acte de naissance reconstitué en exécution de ce jugement que l'enfant H... C... est né le 12 novembre 2002 à Douala de Mme K... E... et de M. J... C..., décédé. Il n'appartient pas aux autorités administratives françaises de mettre en doute le bien-fondé d'une décision rendue par une autorité juridictionnelle étrangère, hormis le cas où le document produit aurait un caractère frauduleux. Alors que l'article 29 de l'ordonnance n° 81-02 du 29 juin 1981 portant organisation de l'état civil camerounais prévoit que " la rectification ou la reconstitution d'un acte ou jugement relatif à l'état civil est opposable aux tiers ", sans assortir cette disposition de conditions, le ministre de l'intérieur ne justifie pas des " dispositions de la législation locale ", sur lesquelles s'est fondée la commission, qui interdiraient la transcription d'un jugement reconstitutif d'acte de naissance avant l'expiration d'un délai de trente jours. Ainsi, le caractère frauduleux du jugement du 11 septembre 2017 n'est pas démontré.
6. D'autre part, la circonstance que la demande de jugement de reconstitution d'acte de naissance aurait été formée dans le but d'être produit à l'appui de la demande de visa afin de justifier de l'identité du demandeur et de son lien de parenté avec le réfugié qu'il souhaite rejoindre en France ne constitue pas, en soi, une manoeuvre frauduleuse. Au demeurant, il ressort des mentions portées sur ce jugement et des explications de la requérante que consécutivement à la perte de l'acte de naissance de l'enfant, sur le fondement duquel un passeport a été délivré en juillet 2017, les intéressés ont sollicité le centre d'état-civil, lequel leur a alors rapporté ne pas disposer de la souche de l'acte de naissance. Il ne ressort pas des pièces du dossier que cette circonstance ne serait pas au nombre de celles justifiant la reconstitution de l'acte de naissance sur le fondement des dispositions du 2) de l'article 22 de l'ordonnance n° 81-02 du 29 juin 1981 portant organisation de l'état civil camerounais, lesquelles visent les cas de perte et de destruction des registres.
7. Il suit de là qu'en estimant que les documents produits étaient apocryphes et ne permettaient pas, par suite, de tenir pour établis l'identité du jeune H... C... et son lien de filiation avec Mme K... E..., la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a fait une inexacte application des dispositions citées aux points 2 et 3. Le ministre de l'intérieur, qui n'a, pas plus en appel qu'en première instance, expressément demandé qu'il soit procédé à une substitution de motifs, ne peut utilement faire valoir dans ses écritures en défense que le jugement du 11 septembre 2017 aurait été rendu en méconnaissance des articles 23, 24 et 15 de l'ordonnance n° 81-02 du 29 juin 1981 portant organisation de l'état civil camerounais.
8. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que Mme E... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.
Sur les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte :
9. Sous réserve d'un changement de circonstances de droit ou de fait, l'exécution du présent arrêt implique nécessairement, eu égard aux motifs sur lesquels il se fonde, que le ministre de l'intérieur délivre un visa de long séjour au jeune H... C.... Il y a lieu d'enjoindre au ministre d'y procéder dans un délai de quarante-cinq jours à compter de la notification du présent arrêt.
Sur les frais liés au litige :
10. Mme E... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Son avocat peut, par suite, se prévaloir des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 200 euros à Me Rudolff dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et à l'article 108 du décret du 19 décembre 1991.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Nantes du 6 novembre 2019 et la décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer au jeune H... C... un visa de long séjour, dans le délai de quarante-cinq jours à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera à Me Rudolff la somme de 1 200 euros dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et à l'article 108 du décret du 19 décembre 1991.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme K... E... et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 10 novembre 2020, à laquelle siégeaient :
- Mme Douet, présidente,
- M. L'hirondel, premier conseiller,
- Mme Bougrine, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 27 novembre 2020.
Le rapporteur,
K. Bougrine
La présidente,
H. DouetLe greffier,
A. BRISSET
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 20NT01150