Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme C... E..., épouse B..., a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 8 février 2017 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé devant elle contre la décision du 26 octobre 2016 du consul général de France à Douala (Cameroun) rejetant sa demande de visa de court séjour pour visite familiale.
Par un jugement n°1703311 du 11 octobre 2019, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 16 décembre 2019, Mme E..., épouse B..., représentée par Me D..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes ;
2°) d'annuler la décision du 8 février 2017 de la commission de recours ;
3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer le visa sollicité dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;
4°) de mettre à la charge de l'État le versement à son conseil de la somme de 2 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Mme E..., épouse B..., soutient que :
- la décision de refus de la commission de recours est entachée d'illégalité ; elle justifie de ressources suffisantes pour la durée de son séjour ; le risque de détournement de l'objet du visa à des fins migratoires n'est pas établi.
Le ministre de l'intérieur, auquel la requête a été communiquée, n'a pas produit de mémoire en défense.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention d'application de l'accord de Schengen, signée le 19 juin 1990 ;
- le règlement (CE) n° 810/2009 du 13 juillet 2009 du Parlement européen et du Conseil établissant un code communautaire des visas ;
- le règlement (CE) n° 2016/399 du Parlement européen et du Conseil du 9 mars 2016 concernant un code de l'Union relatif au régime de franchissement des frontières par les personnes (code frontières Schengen) ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme A... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Par un jugement du 11 octobre 2019, le tribunal administratif de Nantes a rejeté la demande de Mme E..., épouse B..., ressortissante camerounaise, tendant à l'annulation de la décision du 8 février 2017 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé devant elle contre la décision du consul général de France à Douala (Cameroun) du 26 octobre 2016 rejetant sa demande de visa de court séjour pour visite familiale. Mme E... relève appel de ce jugement.
Sur les conclusions à fin d'annulation de la décision du 8 février 2017 de la commission de recours :
2. Pour refuser de délivrer le visa de court séjour litigieux, la commission de recours s'est fondée, d'une part, sur l'insuffisance de ses moyens de subsistance pour la durée du séjour envisagée, d'autre part, sur l'existence d'un risque de détournement de l'objet du visa à des fins migratoires.
3. En premier lieu, aux termes de l'article 10 de la convention d'application de l'accord de Schengen signée le 19 juin 1990 : " 1. Il est institué un visa uniforme valable pour le territoire de l'ensemble des Parties contractantes. Ce visa (...) peut être délivré pour un séjour de trois mois au maximum (...) ". Aux termes de l'article 6 du règlement (CE) n° 2016/399 du Parlement européen et du Conseil du 9 mars 2016 concernant un code de l'Union relatif au régime de franchissement des frontières par les personnes dit " code frontières Schengen " : " 1. Pour un séjour prévu sur le territoire des États membres, d'une durée n'excédant pas 90 jours (...) les conditions d'entrée pour les ressortissants de pays tiers sont les suivantes: (...) c) justifier l'objet et les conditions du séjour envisagé, et disposer de moyens de subsistance suffisants, tant pour la durée du séjour envisagé que pour le retour dans leur pays d'origine ou le transit vers un pays tiers dans lequel leur admission est garantie, ou être en mesure d'acquérir légalement ces moyens; (...) 4. L'appréciation des moyens de subsistance se fait en fonction de la durée et de l'objet du séjour et par référence aux prix moyens en matière d'hébergement et de nourriture dans l'État membre ou les États membres concernés, pour un logement à prix modéré, multipliés par le nombre de jours de séjour. / (...) L'appréciation des moyens de subsistance suffisants peut se fonder sur la possession d'argent liquide, de chèques de voyage et de cartes de crédit par le ressortissant de pays tiers. (...). ". Aux termes de l'article 14 du même règlement : " 1. L'entrée sur le territoire des États membres est refusée au ressortissant de pays tiers qui ne remplit pas l'ensemble des conditions d'entrée énoncées à l'article 6, paragraphe 1, et qui n'appartient pas à l'une des catégories de personnes visées à l'article 6, paragraphe 5. 2. L'entrée ne peut être refusée qu'au moyen d'une décision motivée indiquant les raisons précises du refus. (...) ".
4. Par une attestation d'accueil signée du maire de Fontenay-sous-Bois, Mme B... F..., fille de Mme E..., épouse B..., s'est engagée à prendre en charge les frais de séjour de sa mère pendant la durée de sa présence en France. Il ne ressort pas des pièces du dossier que Mme B... F..., qui est célibataire, sans enfant à charge et justifie d'un revenu annuel de 17 535 euros pour l'année 2015, se trouverait dans l'incapacité d'assumer effectivement l'engagement qu'elle a ainsi souscrit, le caractère suffisant de ses ressources n'ayant, au demeurant, été contesté par le ministre ni devant les premiers juges ni devant la cour. Dans ces conditions, en rejetant, par la décision du 8 février 2017 contestée, la demande de visa de court séjour pour ce premier motif, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a fait une inexacte application des dispositions précitées.
5. En second lieu, l'administration peut, indépendamment d'autres motifs de rejet tels que la menace pour l'ordre public, refuser la délivrance d'un visa, qu'il soit de court ou de long séjour, en cas de risque avéré de détournement de son objet, lorsqu'elle établit que le motif indiqué dans la demande ne correspond manifestement pas à la finalité réelle du séjour de l'étranger en France. Elle peut à ce titre opposer un refus à une demande de visa de court séjour en se fondant sur l'existence d'un risque avéré de détournement du visa à des fins migratoires.
6. Mme E..., épouse B..., a sollicité un visa de court séjour afin de rendre visite à sa fille, Mme B... F..., de nationalité française. Mme E... est mariée depuis 1996 et produit une attestation de vie commune avec son époux. Il ressort des pièces du dossier qu'elle exerce une activité de vente d'articles de prêt-à-porter et de marchandises à Douala, activité au titre de laquelle elle est enregistrée au registre de commerce et du crédit mobilier, qui lui assure des revenus réguliers, ainsi qu'elle en justifie par les relevés bancaires des années 2014 à 2016. Elle est propriétaire de son appartement depuis 1993 ainsi que de deux terrains à Douala. Elle tire, également, de ses autres biens des revenus locatifs et produit les contrats de bail s'y rapportant. Elle a obtenu, depuis 1990, de très nombreux visas de court séjour dont il n'est pas contesté qu'elle a respecté la durée de validité. Enfin, si elle a, durant un récent séjour en France reçu des soins médicaux, elle soutient, sans être contestée, qu'il s'agit de soins courants n'ayant pas nécessité d'hospitalisation. Dans ces conditions, alors même que les enfants de Mme E..., épouse B..., résident en France, l'existence d'un risque avéré de détournement de l'objet du visa à des fins migratoires n'est pas établi. Dans ces conditions, en retenant l'existence d'un tel risque, la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France a entaché sa décision du 8 février 2017 d'une erreur manifeste d'appréciation.
7. Il résulte de tout de ce qui précède que Mme E..., épouse B..., est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
8. Eu égard à ses motifs, le présent arrêt implique nécessairement qu'il soit enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer à Mme E..., épouse B..., le visa sollicité. Il y a lieu, par suite, d'enjoindre au ministre de procéder à cette délivrance dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.
Sur les frais liés au litige :
9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Mme E..., épouse B..., de la somme de 1 200 euros au titre de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du 11 octobre 2019 du tribunal administratif de Nantes est annulé.
Article 2 : La décision du 8 février 2017 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté la demande de visa de court séjour présentée par Mme E..., épouse B..., est annulée.
Article 3 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer à Mme E..., épouse B..., le visa de court séjour sollicité dans le délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 4 : L'Etat versera à Mme E..., épouse B..., une somme de 1 200 euros euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... E..., épouse B..., et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 12 mars 2021, à laquelle siégeaient :
- M. Célérier, président de chambre,
- Mme A..., présidente-assesseur,
- M. Frank, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 30 mars 2021.
Le rapporteur,
C. A...Le président,
T. CELERIER
La greffière,
C. POPSE
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 19NT04868