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16/07/2021 | FRANCE | N°20NT03889

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 2ème chambre, 16 juillet 2021, 20NT03889


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. F... B... et Mme H... B... ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision implicite par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision par laquelle les autorités consulaires françaises à Dakar (Sénégal) ont refusé de délivrer à leurs enfants allégués un visa de long séjour dans le cadre d'une procédure de regroupement familial.

Par un jugement n° 2001801 du 30 septembre 2020,

le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande.

Procédure devant la cour :
...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. F... B... et Mme H... B... ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision implicite par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision par laquelle les autorités consulaires françaises à Dakar (Sénégal) ont refusé de délivrer à leurs enfants allégués un visa de long séjour dans le cadre d'une procédure de regroupement familial.

Par un jugement n° 2001801 du 30 septembre 2020, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés le 8 décembre 2020, le 18 février 2021 et le 28 mai 2021, M. F... B... et Mme H... B..., agissant en leur nom propre et au nom de leurs enfants allégués D... et C... B..., représentés par Me E..., demandent à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 30 septembre 2020 ;

2°) d'annuler la décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France ;

3°) d'enjoindre, sous astreinte, à l'administration de délivrer aux enfants D... et C... B... les visas de long séjour sollicités dans le délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros à verser à leur conseil au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Ils soutiennent que :

­ le jugement est irrégulier pour être insuffisamment motivé ;

­ la décision contestée de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France est entachée d'une erreur d'appréciation s'agissant de l'identité et du lien de filiation des enfants dès lors que l'administration, sur qui repose la charge de la preuve, n'établit pas le caractère irrégulier des actes d'état civil, ce qui ne saurait résulter de la seule omission de la mention " inscription de déclaration tardive ", et des passeports ;

­ le lien de filiation est établi par la possession d'état ;

­ la décision contestée porte une atteinte disproportionnée au droit au respect de leur vie privée et familiale en méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de celles du premier paragraphe de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.

Par un mémoire en défense, enregistré le 10 mai 2021, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.

Il soutient qu'aucun des moyens soulevés par le requérant n'est fondé et s'en remet, pour le surplus, à ses écritures de première instance.

M. F... B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle par une décision du 18 décembre 2020.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu

­ le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

­ le code civil ;

­ la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

­ le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. A...'hirondel a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. F... B..., ressortissant guinéen né le 10 août 1982, réside en France sous couvert d'une carte de résident. Il a déposé une demande de regroupement familial en faveur de Mme H... B..., son épouse, et des jeunes D... B..., né le 27 août 2010 et C... B..., née le 23 janvier 2013, qu'il présente comme les enfants issus de l'union du couple, tous de nationalité sénégalaise. Cette demande a été acceptée par une décision du 18 octobre 2017 du préfet d'Ille-et-Vilaine. Les intéressés ont alors déposé une demande de visa auprès du consulat de France à Dakar (Sénégal). Les autorités consulaires ont délivré un visa à Mme B... mais ont rejeté les demandes présentées pour les enfants. Un recours contre ces décisions de refus a été formé devant la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France qui l'a enregistré le 15 octobre 2019. Du silence gardé par la commission sur ce recours, une décision implicite de rejet est née le 15 décembre 2019. M. et Mme B... relèvent appel du jugement du tribunal administratif de Nantes du 30 septembre 2020 qui a rejeté leur demande tendant à l'annulation de la décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France.

Sur la recevabilité de la demande de première instance :

2. Aux termes de l'article R. 411-1 du code de justice administrative : " La juridiction est saisie par requête. La requête indique les nom et domicile des parties. Elle contient l'exposé des faits et moyens, ainsi que l'énoncé des conclusions soumises au juge. (...) ".

3. Il ressort des écritures produites devant le tribunal administratif dans le délai de recours contentieux que les requérants entendaient faire un " recours dossier regroupement familial " contre la décision de la commission de recours de Nantes qui a refusé d'octroyer un visa d'entrée à leurs deux enfants et qu'ils produisaient en annexe de leur demande. Ils soutenaient, par ailleurs, que si la décision implicite était fondée sur le motif tiré de l'erreur contenue dans la copie littérale d'acte de naissance de l'enfant C... s'agissant de l'année du registre, cette erreur s'expliquait par l'absence de numérisation des registres. Ils faisaient alors valoir qu'il s'agissait d'une erreur purement matérielle en produisant une nouvelle copie littérale d'acte de naissance établie par l'officier de l'état civil de la commune de Dagana le 7 février 2020. Pour prouver le lien de filiation allégué envers les deux enfants, ils joignaient également deux certificats d'authenticité et la copie de leur livret de famille. Par suite, la requête doit être regardée comme comportant des conclusions et un moyen tiré de ce que la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France avait fait une inexacte appréciation des circonstances de l'espèce s'agissant du lien de filiation. La demande était dès lors suffisamment motivée au sens de l'article R. 411-1 du code de justice administrative. Par suite, la fin de non-recevoir opposée par le ministre doit être écartée.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

4. L'article L. 111-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile alors en vigueur prévoit, en son premier alinéa, que la vérification des actes d'état civil étrangers doit être effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil. L'article 47 du code civil dispose quant à lui que : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ".

5. Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties. Pour juger qu'un acte d'état civil produit devant lui est dépourvu de force probante, qu'il soit irrégulier, falsifié ou inexact, le juge doit en conséquence se fonder sur tous les éléments versés au dossier dans le cadre de l'instruction du litige qui lui est soumis.

6. Il ressort des écritures de première instance du ministre de l'intérieur que pour refuser de délivrer les visas de long séjour sollicités, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France s'est fondée sur le motif tiré de ce que les actes de naissance des enfants qui avaient été établis plus d'un moins et quinze jours après l'évènement ne comportaient pas, en en-tête, la mention " inscription de déclaration tardive " ainsi que le prévoit l'article 51 du code de la famille sénégalais et qu'ils avaient été, en outre, dressés un 31 décembre, ce qui est une date propice à l'ajout des actes d'état civil dans les registres. Par ailleurs, s'agissant de l'enfant C... B..., son acte de naissance comportait une erreur quant au numéro d'enregistrement.

7. Aux termes de l'article 51 du code de la famille sénégalais : " Toute naissance doit être déclarée à l'officier de l'état civil dans le délai franc d'un mois. Si le délai arrive à expiration un jour férié, la déclaration sera reçue valablement le premier jour ouvrable suivant / (...) Lorsqu'un mois et quinze jours se sont écoulés depuis une naissance sans qu'elle ait fait l'objet d'une déclaration, l'officier de l'état civil peut néanmoins en recevoir une déclaration tardive pendant le délai d'une année à compter de la naissance à condition que le déclarant produise à l'appui de sa déclaration un certificat émanant d'un médecin ou d'une sage-femme ou qu'il fasse attester la naissance par deux témoins majeurs. En tête de l'acte dressé tardivement doit être mentionné: " inscription de déclaration tardive ". (...) ". Aux termes de l'article 81 du même code : " Le livret de famille, ne présentant aucune trace d'altération et dûment coté et paraphé par l'officier de l'état civil, fait foi de sa conformité avec les registres d'état civil jusqu'à inscription de faux. ".

8. Il résulte des dispositions de l'article 51 du code de la famille sénégalais que si l'officier de l'état civil peut recevoir une déclaration de naissance effectuée dans la période comprise entre un mois et quinze jours et une année suivant la naissance, l'acte de naissance doit alors comporter, en en-tête, la mention " inscription de déclaration tardive ". Il ressort des copies littérales des actes de naissance des enfants D... et C... B... produites à l'appui des demandes de visa que les naissances ont été déclarées durant cette période sans que la mention prévue à l'article 51 du code de la famille sénégalais soit reportée sur les actes. Toutefois, les requérants produisent également leur livret de famille, qui ne présente aucune trace d'altération et qui est dûment coté et paraphé par l'officier de l'état civil dont l'authenticité n'est pas contestée par l'administration. Les énonciations contenues dans ce livret de famille sont conformes à celles apparaissant dans les copies littérales des actes de naissance des enfants. Dans ces conditions, ce livret de famille faisant foi de sa conformité avec les registres d'état civil en application de l'article 81 du code de la famille sénégalais, les requérants établissent le lien de filiation les unissant aux jeunes D... et C... B... alors même que les actes de naissance ne contiendraient pas la mention prévue à l'article 51 du même code et que celui délivré pour l'enfant C... B... comporterait une erreur matérielle, qui a été au demeurant corrigée dans l'acte délivré le 7 février 2020, quant au numéro d'enregistrement pour porter le numéro 2016-1423 au lieu du numéro 2013-1423. Enfin, la circonstance que les actes d'état civil aient été dressés un 31 décembre ne saurait établir leur caractère inauthentique. Il suit de là que la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a entaché sa décision d'illégalité en retenant que le lien de filiation allégué n'était pas établi.

9. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner la régularité du jugement attaqué et les autres moyens de la requête, que M. et Mme B... sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande.

Sur les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte :

10. Sous réserve d'un changement de circonstances de droit ou de fait, l'exécution du présent arrêt implique nécessairement, eu égard aux motifs sur lesquels il se fonde, que le ministre de l'intérieur délivre aux jeunes D... B... et C... B... un visa de long séjour. Il y a lieu d'enjoindre au ministre d'y procéder dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y pas lieu d'assortir cette injonction de l'astreinte demandée par les requérants.

Sur les frais liés au litige :

11. M. F... B... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 200 euros à Me E... dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

D É C I D E :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Nantes du 30 septembre 2020 et la décision implicite de la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France refusant aux enfants D... et C... B... un visa d'entrée et de long séjour sont annulés.

Article 2 : Sous réserve d'un changement dans la situation de droit ou de fait des intéressés, il est enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer aux enfants D... B... et C... B... un visa d'entrée et de long séjour en France dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 3 : L'Etat versera à Me E... la somme de 1 200 euros dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. et Mme B... et au ministre de l'intérieur.

Délibéré après l'audience 6 juillet 2021, à laquelle siégeaient :

- M. Pérez, président,

- Mme Douet, présidente-assesseure,

- M. A...'hirondel, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 16 juillet 2021.

Le rapporteur,

M. G... Le président,

A. PEREZ

La greffière,

A. LEMEE

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

1

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N° 20NT03889


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 20NT03889
Date de la décision : 16/07/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-005-01 Étrangers. Entrée en France. Visas.


Composition du Tribunal
Président : M. PEREZ
Rapporteur ?: M. Michel LHIRONDEL
Rapporteur public ?: M. GIRAUD
Avocat(s) : LEJOSNE

Origine de la décision
Date de l'import : 27/07/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2021-07-16;20nt03889 ?
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