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05/11/2021 | FRANCE | N°20NT02408

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 3ème chambre, 05 novembre 2021, 20NT02408


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. I... C... D..., Mme E... C... D... et M. G... C... D... ont demandé au tribunal administratif de Caen :

1°) de condamner le centre hospitalier universitaire (CHU) de Caen à leur verser, en leur qualité d'ayants-droits de Mme H... C... D..., la somme de 25 000 euros ;

2°) de condamner le CHU de Caen à leur verser, en raison de leurs préjudices propres subis à la suite du décès de Mme H... C... D..., les sommes suivantes :

- 64 754,01 euros à M. I... C... D... ;

- 41 000 eur

os chacun à Mme E... C... D... et à M. G... C... D... ;

3°) de mettre à la charge du CHU de Caen...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. I... C... D..., Mme E... C... D... et M. G... C... D... ont demandé au tribunal administratif de Caen :

1°) de condamner le centre hospitalier universitaire (CHU) de Caen à leur verser, en leur qualité d'ayants-droits de Mme H... C... D..., la somme de 25 000 euros ;

2°) de condamner le CHU de Caen à leur verser, en raison de leurs préjudices propres subis à la suite du décès de Mme H... C... D..., les sommes suivantes :

- 64 754,01 euros à M. I... C... D... ;

- 41 000 euros chacun à Mme E... C... D... et à M. G... C... D... ;

3°) de mettre à la charge du CHU de Caen les dépens, en particulier les frais d'expertise d'un montant de 2 510 euros.

Par un jugement n° 1900915 du 3 juin 2020, le tribunal administratif de Caen a rejeté leur demande et a mis à leur charge les frais d'expertise taxés et liquidés à la somme de 1 510 euros pour le docteur B... et à la somme de 1 000 euros pour le docteur F....

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 5 août 2020 et le 25 janvier 2021, M. I... C... D..., Mme E... C... D... et M. G... C... D..., représentés par le cabinet Pons et Carrère, demandent à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Caen du 3 juin 2020 ;

2°) de condamner le centre hospitalier universitaire (CHU) de Caen à leur verser, en leur qualité d'ayants-droits de Mme H... C... D..., la somme totale de 23 500 euros ;

3°) de condamner le CHU de Caen à leur verser, en raison de leurs préjudices propres subis à la suite du décès de Mme H... C... D..., les sommes suivantes :

- 23 626,03 euros à M. I... C... D... ;

- 16 500 euros chacun à Mme E... C... D... et à M. G... C... D... ;

4°) de mettre à la charge du CHU de Caen les dépens, en particulier les frais d'expertise d'un montant de 2 510 euros.

5°) de mettre à la charge du CHU de Caen la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- les premiers juges ont omis de statuer sur leurs conclusions tendant à la réparation de leurs dommages du fait des fautes commises par le centre hospitalier à ne pas avoir réalisé de tests génétiques, à ne pas les avoir informés sur l'état de santé réel de leur parente et en raison de la mauvaise composition du dossier médical et du retard mis à le leur communiquer ;

- c'est à tort que les premiers juges ne se sont pas prononcés sur la perte de chance dès lors qu'ils reconnaissent que les causes du décès ne sont pas connues avec certitude ;

- Mme H... C... D... a perdu des chances de retarder son décès en raison des manquements du centre hospitalier tenant au non-respect du protocole de renutrition, à la gestion des régurgitations en l'absence d'examen clinique pendant la manipulation de la patiente, à l'insuffisance des clichés radiologiques réalisés le 3 octobre 2016 et à un retard dans la mise en place d'une assistance nutritionnelle ; selon les experts, ces manquements ont pu être à l'origine du décès de Mme H... C... D... alors que le centre hospitalier n'établit pas que le décès était la conséquence inévitable de sa maladie ; leur parente a ainsi perdu une perte de chance, dont le taux doit être fixé à 30 %, de retarder le décès et de bénéficier d'un meilleur confort de fin de vie ;

- après application du taux de 30 %, il leur sera alloué, en leur qualité d'ayant-droit de la victime, la somme de 9 000 euros au titre de la perte de chance de survie de cette dernière et la somme de 4 500 euros au titre de sa perte de chance de bénéficier d'un meilleur confort de fin de vie ;

- il convient d'allouer à M. I... C... D..., son époux, les sommes de

4 500 euros au titre du préjudice d'affection, 4 500 euros de préjudice moral et d'accompagnement et 2 626,03 euros au titre des frais d'obsèques ;

- il convient d'allouer à Mme E... C... D... et à M. G... C... D..., ses enfants, les sommes de 2 250 euros chacun au titre du préjudice d'affection et de 2 250 euros chacun au titre du préjudice d'accompagnement ;

- le centre hospitalier a commis une faute en ne les informant pas du pronostic grave ; cette faute a été de nature à entraîner un préjudice d'impréparation ; il sera alloué à ce titre 10 000 euros à Mme H... C... D... et 5 000 euros chacun à M. I... C... D..., à Mme E... C... D... et à M. G... C... D... ;

- le centre hospitalier a également commis une faute en ne procédant pas à des recherches génétiques du vivant de Mme H... C... D... afin de déterminer si la maladie dont elle était atteinte pouvait être d'origine familiale ; cette faute a entrainé, pour chacun d'eux, un trouble d'anxiété dont il est demandé réparation à hauteur de 2 000 euros chacun ;

- le centre hospitalier a commis une faute en transmettant tardivement le dossier médical de Mme H... C... D... qui était, en outre, mal tenu ; il sera alloué à chacun d'eux la somme de 5 000 euros au titre de leur préjudice moral.

Par un mémoire en défense, enregistré le 30 décembre 2020, le centre hospitalier universitaire de Caen, représenté par Me Le Prado, conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- les conclusions tendant à rechercher sa responsabilité pour ne pas avoir effectué des recherches génétiques constituent une demande nouvelle en appel et sont par suite irrecevables ;

- aucun des moyens de la requête n'est fondé.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de la sécurité sociale ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. L'hirondel,

- les conclusions de M. Berthon, rapporteur public,

- et les observations de Me Auvergnas pour les consorts C... D... et de Me Demailly pour le CHU de Caen.

Considérant ce qui suit :

1. Annie C... D... était atteinte d'une démence fronto-temporale (DFT) associée à une maladie du motoneurone (MMN) dont les premières manifestations cognitives ont été identifiées en fin d'année 2015. Le diagnostic de DFT a été posé le 30 mars 2016 par un neurologue parisien et la MMN clinique et électromyographique a été mise en évidence en juin 2016. Mme C... D... a alors consulté des neurologues à Nantes puis à Paris qui ont confirmé le diagnostic de DFT-MMN. Il lui a été conseillé un suivi proche de son domicile au centre hospitalier universitaire (CHU) de Caen. C'est ainsi que l'intéressée a été amenée à consulter, le 6 septembre 2016, un neurologue de cet hôpital. Lors de cette consultation, il a été décidé d'entreprendre une alimentation entérale par gastrostomie à réaliser à l'hôpital. La patiente retournera à son domicile et son mari recevra une convocation pour une hospitalisation le 6 octobre 2016. Constatant une aggravation de l'état de santé de son épouse, M. C... D... a sollicité, par un courriel du 28 septembre 2016, une hospitalisation d'urgence. C'est dans ces conditions que Annie C... D... a été hospitalisée au service de neurologie du CHU de Caen le 29 septembre 2016 et qu'elle y décèdera le 3 octobre 2016. A la suite de ce décès, M. I... C... D..., son conjoint, ainsi que Mme E... C... D... et M. G... C... D..., ses enfants, ont demandé au juge des référés du tribunal administratif de Caen d'ordonner une expertise à laquelle il a été fait droit par une ordonnance du 18 décembre 2017. Les experts ont rendu leur rapport le 26 septembre 2018. Les consorts C... D... ont formé un recours indemnitaire préalable auprès du CHU de Caen qui a été rejeté le 28 mars 2019. Les intéressés ont introduit, le 30 avril 2019, une demande auprès du tribunal administratif de Caen pour obtenir l'indemnisation de leurs préjudices. Par un jugement du 30 juin 2020, dont les consorts C... D... relèvent appel, le tribunal administratif a rejeté leur demande.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Le tribunal administratif a jugé, au point 3 de sa décision, par une motivation suffisante, que le centre hospitalier universitaire de Caen n'avait pas commis les " fautes susvisées ", lesquelles incluaient, ainsi qu'il résulte du jugement, l'absence de recherches génétiques. Alors que la régularité d'un jugement ne dépend pas de son bien-fondé, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que le jugement attaqué serait, sur ce point, entaché d'une omission à statuer.

3. En revanche, il ressort des écritures de première instance que les consorts C... D... ont également demandé à être indemnisés des préjudices qu'ils estimaient avoir subis à la suite des fautes que le CHU de Caen aurait commises en n'ayant pas informé la patiente et sa famille sur l'état de santé réel de la malade et en ayant adressé tardivement le dossier médical à sa famille. Le tribunal n'ayant pas statué sur ces conclusions, qu'il n'a d'ailleurs pas visées, le jugement attaqué est entaché d'irrégularité et doit donc être annulé dans cette mesure. Il y a lieu pour la cour de se prononcer sur ces dernières conclusions par la voie de l'évocation et de statuer par l'effet dévolutif sur les autres conclusions présentées par les consorts C... D... devant le tribunal administratif de Caen et devant la cour.

Sur les conclusions indemnitaires fondées sur les fautes commises par le CHU de Caen tenant à l'absence d'information de la patiente et sa famille et au retard dans la communication du dossier médical :

En ce qui concerne l'absence d'information :

4. Aux termes de l'article L. 1110-4 du code de la santé publique dans sa rédaction alors applicable : " (...) En cas de diagnostic ou de pronostic grave, le secret médical ne s'oppose pas à ce que la famille, les proches de la personne malade ou la personne de confiance définie à l'article L. 1111-6 reçoivent les informations nécessaires destinées à leur permettre d'apporter un soutien direct à celle-ci, sauf opposition de sa part. Seul un médecin est habilité à délivrer, ou à faire délivrer sous sa responsabilité, ces informations.". Aux termes de l'article R. 4127-35 du même code : " (...) Un pronostic fatal ne doit être révélé qu'avec circonspection, mais les proches doivent en être prévenus, sauf exception ou si le malade a préalablement interdit cette révélation ou désigné les tiers auxquels elle doit être faite "

5. Ainsi que le précisent les requérants, l'équipe soignante leur a donné, le jour même du décès, toutes les informations nécessaires concernant le retour au domicile de leur parente en matière de diététique et d'orthophonie. Dans ces conditions, il ne résulte pas de l'instruction, alors même que, selon le rapport d'expertise, le pronostic vital d'Annie C... D... était déjà engagé qu'un décès brutal, cinq jours seulement après son admission au CHU de Caen, ait été envisagé par l'équipe médicale. Par suite, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que le centre hospitalier aurait commis une faute en ne leur apportant pas les informations prévues à l'article L. 1110-4 du code de la santé publique. Au surplus, il est constant que Annie C... D... a été hospitalisée en urgence à la demande de son mari, lequel, ainsi qu'il résulte de son journal, avait parfaitement conscience de l'extrême gravité de l'état de santé de son épouse. Par suite, à supposer même que le centre hospitalier ait commis une faute en n'informant pas la famille de l'éventualité d'un décès rapide, les requérants ne peuvent alléguer que ce défaut d'information, intervenu entre les 29 septembre 2016 et 3 octobre 2016, les a empêchés de pouvoir accompagner leur parente durant l'hospitalisation, ni qu'ils ont subi un préjudice d'impréparation.

En ce qui concerne le retard dans la communication du dossier médical :

6. Aux termes de l'article L. 1111-7 du code de la santé publique dans sa rédaction applicable au présent litige : " (...) En cas de décès du malade, l'accès des ayants droit, du concubin ou du partenaire lié par un pacte civil de solidarité à son dossier médical s'effectue dans les conditions prévues au dernier alinéa du V de l'article L. 1110-4. (...) " L'article R. 1111-2 du même code énumère les pièces composant le dossier médical.

7. Si M. I... C... D... et sa fille E... ont sollicité, pour le premier, le 10 octobre 2016, et pour la seconde le 31 octobre 2016, l'intégralité du dossier médical de leur parente, il est constant que celui-ci leur a été adressé par un premier envoi du 3 novembre 2016, complété le 29 décembre 2016. A cette dernière date, soit deux mois et demi après la première demande formée par M. I... C... D..., les intéressés disposaient de la quasi-totalité du dossier médical. S'il manquait deux pièces, en l'occurrence la radiographie pulmonaire du 3 octobre 2016 qui leur a été communiquée lors des opérations d'expertise du 25 mai 2018 et la feuille de dispensation de médications qui leur a été adressée par courrier du 13 septembre 2018, les requérants n'établissent pas en quoi cette circonstance a été de nature à leur faire subir le préjudice moral allégué. Enfin, si les requérants soutiennent que le dossier médical était mal tenu, ils n'établissent pas en quoi, ce dossier médical aurait été constitué en méconnaissance des dispositions de l'article R. 1112-2 du code de la santé publique, ce qui ne saurait résulter de la seule appréciation des experts qui l'ont qualifié de " médiocre ".

Sur les autres conclusions indemnitaires :

8. Aux termes de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " I. - Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute. / Les établissements, services et organismes susmentionnés sont responsables des dommages résultant d'infections nosocomiales, sauf s'ils rapportent la preuve d'une cause étrangère.".

9. En l'absence de certitudes médicales permettant d'affirmer ou d'exclure qu'un dommage corporel survenu au cours ou dans les suites d'un acte de soins est imputable à cet acte, il appartient au juge, saisi d'une demande indemnitaire sur le fondement des dispositions citées ci-dessus, de se fonder sur l'ensemble des éléments pertinents résultant de l'instruction pour déterminer si, dans les circonstances de l'affaire, cette imputabilité peut être retenue.

En ce qui concerne la faute tirée du retard dans la mise en place d'une assistance nutritionnelle :

10. Il résulte du rapport d'expertise que lors de la consultation du 6 septembre 2016, le neurologue du CHU de Caen avait préconisé d'entreprendre une alimentation entérale par gastrostomie qui constituait, selon lui, " une indication formelle et dès maintenant ". Selon les experts, s'il n'existe pas de faute à ne pas avoir réalisé dans l'immédiat la gastrostomie compte tenu des analyses préalables à réaliser, en revanche, le centre hospitalier aurait dû prendre, dès le 6 septembre 2016, toutes les mesures nécessaires pour traiter la dénutrition. L'absence de prise rapide de ces mesures constitue une faute dans l'organisation du service de nature à engager la responsabilité du centre hospitalier.

11. Toutefois, ainsi que le soulignent les experts, la mise en place d'une assistance nutritionnelle n'aurait pas été de nature à modifier le cours de la maladie d'Annie C... D.... En outre, selon le journal de son mari, l'évolution du poids de son épouse s'est stabilisé de fin août 2016 jusqu'au 25 septembre 2016. Ce n'est qu'à compter de cette dernière date qu'il a constaté une baisse du poids. S'il a alerté le CHU de Caen, le 28 septembre, de cette évolution, la patiente a été prise en charge le jour même pour la mise en place d'une assistance nutritionnelle. Si les experts ont indiqué qu'une telle assistance mise en place dès le 6 septembre 2016 aurait pu permettre un meilleur confort de fin de vie, ils précisent toutefois que le pronostic vital était déjà engagé, de sorte que les bénéfices à cette date d'une renutrition demeuraient, en l'espèce, très incertains. Dans ces conditions, il ne résulte pas de l'instruction qu'il existe un lien de causalité direct et certain entre le retard mis par le CHU de Caen pour assurer une assistance nutritionnelle dès le 6 septembre 2016 et le préjudice allégué par les requérants tenant à la perte de chance pour la patiente de bénéficier d'un meilleur confort de fin de vie.

En ce qui concerne la faute tirée du non-respect du protocole de renutrition :

12. Il résulte de l'instruction que l'alimentation par sonde a débuté le 1er octobre 2016 alors que l'intéressée ne s'était pas alimentée depuis trois jours. Selon les experts, le protocole de renutrition n'a pas été respecté dès lors qu'il est préconisé de limiter, en début de procédure, le débit à 25 ml/h pour ensuite l'augmenter par tranche de 25 ml/h toutes les 12 à 24 heures pour éviter les risques de régurgitation alors que le CHU de Caen a prescrit un débit de 80 ml/h. Toutefois, ils excluent tout lien de causalité entre ce manquement et le décès de la patiente dès lors que ce décès " est intervenu très tôt, au troisième jour de la réalimentation, et il n'y avait ni hypokaliémie, ni hypophosphatémie ni hypomagnésémie (bilan du 01/10/2016) habituellement considérées comme y prédisposant ".

En ce qui concerne la faute tirée du non-respect du protocole de la gestion des régurgitations :

13. D'une part, compte tenu des régurgitations de la patiente, les experts indiquent qu'il aurait été conforme aux bonnes pratiques médicales de s'assurer, avant le déplacement de la patiente en service de radiologie le 3 octobre 2016, que ce déplacement ne l'exposait pas à une récidive de régurgitation. Toutefois, il n'est pas établi, ni même allégué que le risque relevé par les experts se soit produit. Ce manquement est donc sans conséquence sur la perte de chance de survie de la patiente.

14. D'autre part, selon les experts, le cliché radiologique réalisé le 3 octobre 2016 était insuffisant pour permettre de visualiser l'ensemble de l'abdomen. Selon eux, un second cliché, identique au premier mais avec un plan plus large, aurait été, nécessaire. En outre, ils indiquent que le radiologue aurait dû poursuivre ses investigations après avoir constaté une distension colique et en informer le médecin de service afin que cette donnée soit prise en compte, ce qui n'a pas été fait, de sorte que " la prestation du CHU de Caen apparaît insuffisamment diligente ". Toutefois, ces circonstances ont été sans incidence et n'ont pas fait perdre à l'intéressée une perte de chance de retarder le décès dès lors que les experts notent qu'il est probable que la patiente soit revenue dans un état agonique lorsqu'elle a été reconduite dans sa chambre, " confortés dans cette analyse " par l'état physiologique dans lequel se trouvait la patiente et que le décès de Mme C... D... a été constaté quarante minutes seulement après son retour du service de radiologie.

15. Enfin, et d'une manière générale, il résulte de l'instruction, alors même que les causes directes de la mort de Mme C... D... n'ont pas été identifiées par le CHU de Caen, que sa maladie était au moment de l'hospitalisation déjà très avancée avec en particulier des signes d'une atteinte bulbaire très sévère, marquée en outre par les troubles de la déglutition, de la phonation et du sommeil, par une paralysie diaphragmatique que trahissait l'ascension des deux coupoles diaphragmatiques sur la radiographie thoracique. Elle était également atteinte d'une dénutrition elle aussi très sévère qui, selon les experts, est, un marqueur incontesté d'un stade terminal de la maladie. S'ils ne font état que d'une vraisemblance sur le fait que le décès d'Annie C... D... soit la conséquence du long processus dégénératif qui caractérisait sa maladie et qui l'a conduite à un " épuisement " de ses capacités physiologiques, ils précisent cependant que les notes de son mari, dans son journal, font apparaître les progrès rapides de la maladie qui viennent à l'appui de leur hypothèse et ne retiennent aucune perte de chance de survie.

16. Par suite, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que la prise en charge d'Annie C... D... par le CHU de Caen a fait perdre à cette dernière une perte de chance de retarder le décès et une perte de chance de bénéficier d'un meilleur confort de fin de vie.

En ce qui concerne la faute tenant à l'absence de réalisation de tests génétiques :

17. Il résulte de l'instruction, notamment du journal tenu par M. C... D... que ce dernier et son épouse ont été informés dès juillet 2016 de la possibilité de réaliser de tests génétiques. M. C... D... a annulé, le 29 août 2016, le rendez-vous proposé par le CHU de Nantes afin de réaliser ces tests génétiques. Si le 6 septembre 2016, il a obtenu l'accord du CHU de Caen pour qu'il fasse ces tests, il ne résulte pas de l'instruction qu'il ait pris par la suite un rendez-vous en ce sens, ni au demeurant qu'il ait renouvelé sa demande. Par ailleurs, et ainsi que le fait valoir le centre hospitalier, les enfants A... la défunte peuvent faire des tests génétiques sur leur propre personne. Par suite, le lien de causalité entre la faute alléguée tenant en l'absence de réalisation des tests génétiques par le CHU de Caen et le préjudice d'anxiété dont souffriraient les requérants en l'absence de réalisation de tels tests n'est pas établi.

18. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner la fin de non-recevoir opposée par le CHU de Caen, que les consorts C... D... ne sont fondés ni à demander la condamnation du centre hospitalier en raison du défaut d'information de la patiente et de sa famille et du retard dans la communication du dossier médical, ni à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Caen a rejeté leur demande fondée sur les autres fautes alléguées.

Sur les frais liés au litige :

19. Il y a lieu, en application de l'article R. 761-1 du code de justice administrative, de maintenir les frais d'expertise, liquidés à la somme totale de 2 510 euros, à la charge définitive des consorts C... D....

20. Les dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge du CHU de Caen, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que les consorts C... D... demandent au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Caen est annulé en tant qu'il a omis de statuer sur les conclusions des consorts C... D... tendant à l'indemnisation des préjudices résultant des fautes qu'auraient commises le CHU de Caen en n'informant pas la patiente et sa famille sur l'état de santé réel de Mme C... D... et en adressant tardivement le dossier médical à sa famille.

Article 2 : Les conclusions mentionnées à l'article 1er, présentées devant le tribunal administratif de Caen, et le surplus des conclusions des consorts C... D... sont rejetés.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. I... C... D..., à Mme E... C... D..., à M. G... C... D..., au centre hospitalier universitaire de Caen, au ministre des solidarités et de la santé et à la caisse primaire d'assurance maladie du Calvados.

Délibéré après l'audience du 14 octobre 2021, à laquelle siégeaient :

- M. Salvi, président,

- Mme Brisson, présidente-assesseure,

- M. L'hirondel, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 5 novembre 2021.

Le rapporteur,

M. L'HIRONDELLe président,

D. SALVI

La greffière,

A. MARTIN

La République mande et ordonne au ministre des solidarités et de la santé en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

9

N° 20NT02408


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 20NT02408
Date de la décision : 05/11/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. SALVI
Rapporteur ?: M. Michel LHIRONDEL
Rapporteur public ?: M. BERTHON
Avocat(s) : PONS et CARRERE

Origine de la décision
Date de l'import : 16/11/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2021-11-05;20nt02408 ?
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