Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... a demandé au tribunal administratif de Caen d'annuler la décision du 26 mars 2021 par laquelle le préfet de la Seine-Maritime a prononcé son transfert auprès des autorités roumaines pour l'examen de sa demande d'asile.
Par un jugement n° 2100920 du 11 mai 2021, le tribunal administratif de Caen a rejeté cette demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 11 juin 2021, M. C... A..., représenté par Me Bara Carré, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 2100920 du tribunal administratif de Caen du 11 mai 2021 ;
2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, la décision du 26 mars 2021 par laquelle le préfet de la Seine-Maritime a prononcé son transfert auprès des autorités roumaines ;
3°) à titre principal, d'enjoindre à l'Office français de protection des réfugiés et apatrides d'examiner sa demande d'asile ou, à titre subsidiaire, au préfet de la Seine-Maritime de statuer à nouveau sur sa situation dans un délai de 15 jours ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le jugement est irrégulier pour avoir omis de répondre à un moyen soulevé lors de l'audience ; un moyen peut être soulevé lors de l'audience en application des dispositions des articles R. 777-3-6, R. 776-26 et R. 776-27 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; il pouvait présenter une pièce au cours de l'audience dès lors que l'instruction n'était pas close ;
- la décision portant transfert aux autorités roumaines méconnait les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; il peut se prévaloir d'une vie privée et familiale en France où résident régulièrement deux sœurs et un beau-frère ; il est dans une situation de grande vulnérabilité et est complètement dépendant de ses sœurs et de son beau-frère ;
- la décision est entachée d'erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ;
- la décision méconnait les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; la Roumanie multiplie les cas de privation de liberté des demandeurs d'asile ; il existe un risque de renvoi en Turquie en cas de retour en Roumanie du fait de sa qualité de demandeur d'asile kurde.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 5 et 6 juillet 2021, le préfet de la Seine-Maritime conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- le délai de transfert de M. A... vers la Roumanie est reporté au 11 novembre 2022 ;
- les moyens soulevés par M. A... ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le règlement (UE) n° 603/2013 du 26 juin 2013 ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ;
- la directive 2013/32/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l'octroi et le retrait de la protection internationale ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Béria-Guillaumie, première conseillère, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. C... A..., ressortissant turc né en février 2002, a déposé auprès des services de la préfecture du Calvados une demande d'asile qui a été enregistrée le 25 janvier 2021. La consultation de son passeport a révélé qu'il avait séjourné en Roumanie, où lui avait été délivré un visa valable du 27 novembre 2020 au 22 févier 2021. Saisies en application de l'article 12-2 du règlement n° 604/2013, les autorités roumaines ont accepté sa prise en charge le 25 mars 2021. Par une décision du 26 mars 2021, le préfet de la Seine-Maritime a prononcé son transfert auprès des autorités roumaines pour l'examen de sa demande d'asile. M. A... relève appel du jugement du 11 mai 2021 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 26 mars 2021.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Le tribunal administratif, qui n'avait pas à répondre à l'ensemble des arguments soulevés par M. A..., a répondu au point 4 de son jugement au moyen tiré de l'erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, alors que l'intéressé invoquait la méconnaissance de ces dispositions du fait des attaches dont il disposait en France et de la possibilité d'y exercer un emploi auprès de l'entreprise de son beau-frère. Dans ces conditions, la circonstance que le premier juge a relevé que le contrat de travail produit par M. A... l'avait été seulement à l'occasion de l'audience publique du 7 mai 2021, mention qui permettait en outre de relever le fait que ce contrat présentait un caractère postérieur à la décision contestée, n'est pas de nature à entacher d'irrégularité le jugement attaqué.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
3. Le premier paragraphe de l'article 3 du règlement du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 prévoit que la demande de protection internationale présentée par un ressortissant de pays tiers ou par un apatride " est examinée par un seul Etat membre, qui est celui que les critères énoncés au chapitre III désignent comme responsable ". Le premier paragraphe de l'article 17 de ce règlement dispose que : " Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement (...) ".
4. Il ressort des pièces du dossier que M. A..., âgé de tout juste dix-neuf ans à la date de la décision de transfert contestée, a rejoint en France deux de ses sœurs, dont au moins une possède la nationalité française. Son beau-frère, chez qui il justifie habiter à cette même date, possède également la nationalité française. Il est constant en outre que M. A... ne dispose d'aucune attache privée et familiale en Roumanie. Par ailleurs, il résulte des attestations produites, qui ne sont pas contestées par le préfet intimé, que l'ensemble des démarches nécessaires à la venue en Europe de M. A..., kurde de Turquie, ont été accomplies depuis la France par son beau-frère et ses sœurs. Par ailleurs, il ressort des pièces du dossier que M. B... A..., beau-frère du jeune homme, dirige en France une entreprise du bâtiment et souhaite embaucher l'intéressé en contrat d'apprentissage pendant l'examen de sa demande d'asile et assurer ainsi sa formation. Ainsi dans les circonstances particulières l'espèce, compte tenu du jeune âge de l'intéressé, de la nationalité française des membres de sa famille qui le prennent en charge, M. A... est fondé à soutenir qu'en prononçant son transfert auprès des autorités roumaines pour l'examen de sa demande d'asile, le préfet de la Seine-Maritime a commis une erreur manifeste d'appréciation et méconnu les dispositions de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013.
5. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... est fondé à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision de transfert du 26 mars 2021.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
6. Compte tenu du motif d'annulation retenu, l'exécution du présent arrêt implique nécessairement qu'il soit enjoint au préfet de la Seine-Maritime d'enregistrer la demande d'asile de M. A... dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.
Sur les frais du litige :
7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros à verser à M. A... en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement n° 2100920 du tribunal administratif de Caen du 11 mai 2021 et l'arrêté du 26 mars 2021 par lequel le préfet de la Seine-Maritime a prononcé le transfert de M. A... auprès des autorités roumaines pour l'examen de sa demande d'asile sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet de la Seine-Maritime d'enregistrer la demande d'asile de M. A..., afin de l'instruire en France, dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera la somme de 1 500 euros à M. A... en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... A... et au ministre de l'intérieur.
Une copie en sera transmise pour information au préfet de Seine-Maritime.
Délibéré après l'audience du 2 novembre 2019, à laquelle siégeaient :
- M. Lainé, président de chambre,
- M. Rivas, président-assesseur,
- Mme Béria-Guillaumie, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 19 novembre 2021.
La rapporteure,
M. BERIA-GUILLAUMIELe président,
L. LAINÉ
La greffière,
S. LEVANT
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 21NT01584