Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme E... B... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision implicite par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté son recours formé contre la décision du 12 décembre 2018 de l'autorité consulaire française à Conakry (Guinée) refusant de délivrer aux enfants G... C... et D... F... des visas de long séjour en qualité de membres de famille de réfugié, ainsi que la décision consulaire du 12 décembre 2018.
Par un jugement n° 1912892 du 1er juillet 2020, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 17 décembre 2020, Mme E... B..., représentée par Me Mériau, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes ;
2°) d'annuler la décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France ;
3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer les visas demandés ou de réexaminer les demandes, dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Mériau, son avocat, de la somme de 2 000 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
- la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France attaquée est entachée d'une erreur dans l'appréciation du lien de filiation, lequel est établi par les documents d'état civil produits et par des éléments de possession d'état ;
- elle porte une atteinte disproportionnée au droit au respect de sa vie privée et familiale garanti par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle est contraire à l'intérêt supérieur de l'enfant protégé par le paragraphe 1 de l'article 3 de la convention internationale des droits de l'enfant.
Par une ordonnance du 30 août 2021, la clôture d'instruction a été fixée au 24 septembre 2021.
Par un mémoire en défense enregistré le 21 janvier 2022 (non communiqué), le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.
Mme B... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 12 octobre 2020 du bureau d'aide juridictionnelle (section administrative) du tribunal judiciaire de Nantes.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code civil ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Ody a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Par un jugement du 1er juillet 2020, le tribunal administratif de Nantes a rejeté la demande de Mme B... tendant à l'annulation de la décision implicite par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté son recours formé contre la décision du 12 décembre 2018 de l'autorité consulaire française à Conakry (Guinée) refusant de délivrer aux enfants G... C... et D... F... des visas de long séjour en qualité de membres de famille de réfugié, ainsi que la décision consulaire du 12 décembre 2018. Mme B... relève appel de ce jugement.
2. Il ressort des écritures en défense produites par le ministre de l'intérieur en première instance que la décision implicite de la commission de recours est fondée sur le caractère irrégulier, apocryphe et frauduleux des documents d'état civil produits à l'appui des demandes de visas.
3. Aux termes de l'article L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, alors en vigueur : " I. - Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger qui s'est vu reconnaître la qualité de réfugié ou qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale : (...) 3° Par les enfants non mariés du couple, âgés au plus de dix-neuf ans. / (...) / II. - Les articles L. 411-2 à L. 411-4 et le premier alinéa de l'article L. 411-7 sont applicables. / (...) Les membres de la famille d'un réfugié ou d'un bénéficiaire de la protection subsidiaire sollicitent, pour entrer en France, un visa d'entrée pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois auprès des autorités diplomatiques et consulaires, qui statuent sur cette demande dans les meilleurs délais. / Pour l'application du troisième alinéa du présent II, ils produisent les actes de l'état civil justifiant de leur identité et des liens familiaux avec le réfugié ou le bénéficiaire de la protection subsidiaire. En l'absence d'acte de l'état civil ou en cas de doute sur leur authenticité, les éléments de possession d'état définis à l'article 311-1 du code civil et les documents établis ou authentifiés par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, sur le fondement de l'article L. 721-3 du présent code, peuvent permettre de justifier de la situation de famille et de l'identité des demandeurs. (...) ".
4. Aux termes de l'article L. 111-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, alors en vigueur : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil. (...) ". Aux termes de l'article 47 du code civil, dans sa rédaction alors applicable : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. ".
5. Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties. Par ailleurs, il n'appartient pas aux autorités administratives françaises de mettre en doute le bien-fondé d'une décision rendue par une autorité juridictionnelle étrangère, hormis le cas où le document produit aurait un caractère frauduleux.
6. Pour établir son lien de filiation avec les demandeurs de visas, Mme B... a produit des actes de naissance dressés le 27 octobre 2017 pour l'enfant Mariama Ciré C... et le 31 octobre 2017 pour l'enfant Aissatou F..., sur le fondement de deux jugements supplétifs rendus le 13 octobre 2017 par le tribunal de première instance de Conakry II. La circonstance que ces jugements supplétifs ont été rendus plusieurs années après la naissance des enfants ne suffit pas à en démontrer le caractère frauduleux. De plus, si le ministre de l'intérieur soutient que ces jugements ont été rendus sur la foi des déclarations de deux témoins dont les liens avec les demandeurs de visa ne sont pas établis, il ne précise pas les règles de droit guinéennes relatives à l'établissement de jugements supplétifs qui auraient été méconnues. Il ressort, en outre, des pièces du dossier que l'article 40 du code civil guinéen et l'article 62 du code de l'enfant, dans leur rédaction applicable à la date des deux jugements supplétifs, admettaient que l'enfant naturel puisse prendre le nom du père à l'égard duquel la filiation est établie. Si le ministre se prévaut de l'article 31 du code civil guinéen, ces dispositions sont intervenues postérieurement aux jugements supplétifs. Enfin, si les dispositions de l'article 175 du code civil guinéen alors en vigueur prévoient que les actes de naissance doivent mentionner les dates et lieux de naissance des parents, il ne résulte pas de ces dispositions qu'elles seraient applicables à l'établissement des jugements supplétifs conformément aux dispositions de l'article 193 du code civil guinéen. Par suite le caractère frauduleux des jugements supplétifs et des actes de naissance n'est pas démontré et la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France a fait une inexacte application des dispositions précitées en estimant que le lien de filiation n'était pas établi.
7. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que Mme B... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.
Sur les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte :
8. L'exécution du présent arrêt implique nécessairement que des visas d'entrée et de long séjour soient délivrés aux enfants G... C... et D... F.... Il y a lieu d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer ces visas aux intéressées dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt, sans qu'il soit besoin, dans les circonstances de l'espèce, de prononcer une astreinte.
Sur les frais liés au litige :
9. Mme B... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 200 euros à Me Mériau dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement du 1er juillet 2020 du tribunal administratif de Nantes et la décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer aux enfants G... C... et D... F... les visas de long séjour demandés dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera à Me Mériau, avocat de la requérante, la somme de 1 200 euros en application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme E... B... et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 28 janvier 2022, à laquelle siégeaient :
- M. Francfort, président de chambre,
- Mme Buffet, présidente assesseure,
- Mme Ody, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 21 février 2022.
La rapporteure,
C. ODY
Le président,
J. FRANCFORT
Le greffier,
C. GOY
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
2
N° 20NT03963