Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. D... B... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision implicite née le 29 décembre 2020 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours dirigé contre la décision de l'ambassade de France à Moroni (Comores) du 1er septembre 2020, rejetant la demande de visa de long séjour présentée par Mme E... en qualité de bénéficiaire de la procédure de regroupement familial.
Par un jugement no 2101408 du 26 juillet 2021, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision implicte de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France et enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer le visa sollicité par Mme E... dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 28 juillet 2021, le ministre de l'intérieur demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. C... B... devant le tribunal administratif de Nantes.
Il soutient que :
- c'est à tort que le tribunal administratif de Nantes a considéré que la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France était entachée d'erreur d'appréciation ;
- le mariage n'est pas établi par la possession d'état.
Par un mémoire en défense, enregistré le 19 septembre 2021, M. D... B..., représenté par Me Traoré, conclut :
1°) au rejet de la requête ;
2°) à ce qu'il soit mis à la charge de l'État une somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le mémoire en défense du ministre de l'intérieur devant le tribunal administratif de Nantes était irrecevable car enregistré postérieurement à la clôture de l'instruction ;
- la décision contestée est entachée d'erreur d'appréciation tirée de l'analyse de la situation du regroupant à la place de celle de la bénéficiaire du regroupement familial ;
- l'identité de M. D... B... est établie par les documents d'état civil produits, de sorte que l'acte de mariage est probant et exempt de fraude ;
- le mariage est établi par la possession d'état ;
- la décision contestée méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle est entachée d'une discrimination au regard des dispositions de l'article 21 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. A... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. D... B..., ressortissant comorien se disant né le 3 décembre 1991, a obtenu, par décision du 25 février 2020 du préfet de l'Essonne, une autorisation de regroupement familial au profit de son épouse alléguée, Mme E.... Cette dernière a sollicité un visa de long séjour en qualité de bénéficiaire de la procédure de regroupement familial auprès de l'ambassade de France à Moroni (Comores). Par une décision du 1er septembre 2020, cette autorité a rejeté sa demande. Par une décision implicite née le 29 décembre 2020, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté son recours contre cette décision consulaire. Le ministre de l'intérieur relève appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Nantes a, à la demande de M. D... B..., annulé cette décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France et lui a enjoint de délivrer le visa sollicité.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. Il ressort des écritures du ministre de l'intérieur que la décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France est fondée sur les motifs tirés, d'une part, du caractère apocryphe de l'acte de mariage produit, et, d'autre part, de ce que le demandeur ne démontre pas l'existence d'une situation de possession d'état.
3. Lorsque la venue d'une personne en France a été autorisée au titre du regroupement familial, l'autorité consulaire n'est en droit de rejeter la demande de visa dont elle est saisie à cette fin que pour un motif d'ordre public. Au nombre des motifs d'ordre public de nature à fonder légalement le refus de délivrance du visa sollicité, figure la circonstance que les documents produits pour établir le lien familial seraient, notamment en raison de leur caractère frauduleux, dépourvus de valeur probante.
4. Aux termes de l'article L. 111-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, recodifié à l'article L. 811-2 : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil. (...) ". Aux termes de l'article 47 du code civil : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ". Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties.
5. Par ailleurs, il n'appartient pas aux autorités administratives françaises de mettre en doute le bien-fondé d'une décision rendue par une autorité juridictionnelle étrangère, hormis le cas où le jugement produit aurait un caractère frauduleux.
6. L'acte de mariage dressé le 13 juin 2018 par l'officier d'état civil de la commune d'Isahari mentionne que le mariage de M. D... B..., né le 3 décembre 1991, et de Mme E..., née le 10 décembre 1997, a été célébré le 9 juin 2018 à Ntsoudjini. M. D... B... a versé au dossier plusieurs copies certifiées conformes de son acte de naissance no 69 dressé le 25 mars 2013 en transcription d'un jugement supplétif no 78 rendu le 11 février 2013 par le tribunal musulman de cadi d'Itsandra, qui font tous état de ce que l'intéressé est né le 3 décembre 1991. Il a également produit, à l'appui de la demande de visa ainsi qu'en pièce jointe à son mémoire en défense devant la cour, une copie conforme délivrée le 22 ou le 24 octobre 2016 - les deux dates figurant sur le document - du jugement supplétif no 78 du 11 février 2013, faisant état de ce qu'il est né le 3 décembre 1991. Cependant, outre que M. D... B... a versé en première instance une autre copie du même jugement supplétif délivrée le 11 février 2013 qui mentionne à la fois, selon les lignes, une date de naissance le 3 décembre 1991 ou le 24 juin 1994, le ministre de l'intérieur produit une copie intégrale d'acte de naissance délivrée le 8 octobre 2019 et une copie du jugement supplétif no 78 du 11 février 2013 qui lui ont été communiqués par le service d'état civil comorien à la demande des autorités consulaires françaises à Moroni, qui mentionnent que M. D... B... est né le 24 juin 1994. En outre, il ressort du rapprochement entre la copie du jugement supplétif communiquée par les autorités comoriennes et celle communiquée par M. D... B..., dont les graphies concordent, que la seconde a été altérée afin de substituer la date du 3 décembre 1991 à celle du 24 juin 1994, à l'exception de la mention figurant à la cinquième ligne, ainsi qu'afin de modifier la graphie du prénom Said à deux endroits. Par conséquent, les actes de naissance et les copies falsifiées du jugement supplétif d'acte de naissance de M. D... B... faisant état de sa naissance le 3 décembre 1991 doivent être regardés comme frauduleux. Il s'ensuit que l'acte de mariage de M. D... B... avec Mme E..., qui fait état d'une naissance du premier le 3 décembre 1991, qui ne correspond pas à la date de naissance qui figure sur la copie intégrale d'acte de naissance et le jugement supplétif fournis à l'administration par les autorités comoriennes, est lui-même dépourvu de valeur probante et présente un caractère frauduleux, alors même que M. D... B... dispose d'un passeport comorien indiquant qu'il est né le 3 décembre 1991. Ainsi, c'est à tort que le tribunal administratif de Nantes s'est fondé sur ce que la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France avait fait une inexacte appréciation des circonstances de l'espèce en annulant la décision contestée de cette commission.
7. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. D... B... devant le tribunal administratif de Nantes et devant la cour.
8. En premier lieu, ainsi qu'il a été dit au point 3, la circonstance que les documents produits pour établir le lien familial seraient, notamment en raison de leur caractère frauduleux, dépourvus de valeur probante, est au nombre des motifs d'ordre public de nature à fonder légalement le refus de délivrance du visa sollicité par une personne qui a été autorisée à venir en France au titre du regroupement familial. Contrairement à ce que soutient M. D... B..., le motif tiré du caractère non probant de l'acte de mariage qu'il a produit, en raison des mentions erronées qu'il comporte relatives à son identité, n'est pas entaché d'erreur de droit.
9. En deuxième lieu, si les requérants soutiennent que la preuve de leur mariage est établie par la possession d'état, sans que le ministre de l'intérieur ne fasse valoir que ce mode de preuve n'est pas admis par la loi personnelle des prétendus époux, il ressort de ce qui a été dit au point 6 que le mariage des intéressés a été célébré sous une identité frauduleuse pour M. D... B.... En outre, la seule production de quelques photographies du couple et de justificatifs de transferts d'argent de M. D... B... à Mme E... ne permettent pas d'établir le mariage des intéressés par la possession d'état.
10. En troisième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
11. M. D... B..., qui soutient avoir rencontré Mme E... en 2016 et l'avoir épousée en 2018, verse au dossier des photographies de son couple et justifie avoir adressé en janvier et décembre 2019 puis régulièrement à compter de mars 2020 des mandats d'argent à Mme E.... Pour autant, compte-tenu, d'une part, du caractère récent, à la date de la décision contestée, du mariage allégué, d'autre part, de la possibilité dont dispose M. D... B... de rendre visite à Mme E... aux Comores, ensuite, du motif de la décision contestée, lié au caractère apocryphe de l'acte de mariage produit, et enfin des doutes sur l'identité de M. D... B... résultant de la production de documents d'état civil falsifiés et contradictoires, la décision de refus de visa n'a pas porté au droit du requérant au respect de sa vie familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels elle a été prise. Dès lors, elle ne méconnaît pas les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
12. En dernier lieu, compte-tenu de ce qui a été dit au point 6, M. D... B... n'est pas fondé à soutenir que " les agissements du ministre sont basés uniquement sur un préjugé relatif aux actes d'état civil des pays étrangers " et que le refus de visa qui lui a été opposé serait discriminatoire. Dès lors, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 21 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne doit, en tout état de cause, être écarté.
13. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la fin de non-recevoir opposée par le ministre de l'intérieur à la demande de première instance, que le ministre est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France et lui a enjoint de délivrer le visa sollicité.
Sur les frais liés au litige :
14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'État, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que M. D... B... demande au titre des frais exposés par lui à l'occasion du litige soumis au juge.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Nantes du 26 juillet 2021 est annulé.
Article 2 : La demande présentée par M. D... B... devant le tribunal administratif de Nantes est rejetée.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... B... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Délibéré après l'audience du 6 septembre 2022, à laquelle siégeaient :
- M. Pérez, président de chambre,
- Mme Montes-Derouet, présidente-assesseure,
- M. Bréchot, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 23 septembre 2022.
Le rapporteur,
F.-X. A...Le président,
A. Pérez
La greffière,
K. Bouron
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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No 21NT02137