Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. H... B... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 27 octobre 2017 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté son recours formé contre la décision des autorités consulaires françaises à Kinshasa refusant de lui délivrer un visa de long séjour en qualité d'enfant d'une ressortissante française.
Par un jugement n° 1800152 du 9 mars 2021, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision du 27 octobre 2017 de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France et a enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer un visa de long séjour à M. B... dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 27 avril 2021, le ministre de l'intérieur demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 9 mars 2021 du tribunal administratif de Nantes ;
2°) de rejeter la demande de M. H... B... présentée devant le tribunal administratif de Nantes.
Il soutient que :
- les documents présentés ne permettent d'établir ni l'identité du demandeur de visa, ni le lien de filiation allégué avec une ressortissante française eu égard aux irrégularités entachant l'acte de naissance produit ;
- les éléments présentés n'établissent pas de possession d'état ;
- aucun élément n'établit la nécessité pour le demandeur de s'établir en France ;
- les ressources de Mme F... sont insuffisantes pour prendre en charge l'intéressé.
Par un mémoire en défense, enregistré le 31 mars 2022, M. H... B..., représenté par Me Cohen-Tapia, conclut au rejet de la requête et demande de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi que le remboursement des droits de plaidoirie prévus par l'article L. 723-3 du code de la sécurité sociale.
Il soutient que les moyens soulevés par le ministre de l'intérieur ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale des droits de l'enfant ;
- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. C... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. H... B..., ressortissant de la République démocratique du Congo né le 9 mars 1998, a, le 13 octobre 2015, sollicité un visa d'entrée et de long séjour auprès des autorités consulaires françaises à Kinshasa en qualité d'enfant d'une ressortissante française, Mme D... G..., née le 1er octobre 1974 et devenue française par déclaration souscrite le 27 mai 2013. Sa demande a été rejetée par une décision notifiée le 19 juillet 2017. Le recours formé contre cette décision devant la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a été rejeté par une décision du 27 octobre 2017. Par un jugement du 9 mars 2021, dont le ministre de l'intérieur relève appel, le tribunal administratif de Nantes a annulé cette décision et a enjoint à ce ministre de délivrer un visa de long séjour à M. B... dans le délai de deux mois suivant la notification du jugement. Par une ordonnance du 21 mai 2021 le président de la 5ème chambre de la cour administrative d'appel de Nantes a sursis à l'exécution du jugement du 9 mars 2021 du tribunal administratif de Nantes.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. L'article L. 111-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, alors en vigueur, prévoit en son premier alinéa, que la vérification des actes d'état civil étrangers doit être effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil. L'article 47 du code civil dispose que : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ". Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties. Par ailleurs, il n'appartient pas aux autorités administratives françaises de mettre en doute le bien-fondé d'une décision rendue par une autorité juridictionnelle étrangère, hormis le cas où le jugement produit aurait un caractère frauduleux.
3. Pour refuser la demande de visa présentée par M. B... la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France s'est fondée sur le fait que son identité et son lien de filiation avec Mme G... n'étaient pas établis par les documents d'état-civil et les éléments de possession d'état produits.
4. En premier lieu il ressort des pièces du dossier qu'à l'appui de sa demande de visa de long séjour présentée en qualité d'enfant mineur d'une ressortissante française M. B... a produit la copie d'un acte de naissance du 1er juillet 2015 émanant du service d'état-civil de la commune de Matete Kinshasa, établi au vu d'un jugement supplétif du 4 mai précédent du tribunal de grande instance de la même ville, indiquant qu'il était né le 9 mars 1998 à Matete Kinshasa des œuvres de M. A... E... et de Mme G.... La circonstance que cet acte de naissance est intervenu bien au-delà du délai de déclaration de 30 jours suivant sa naissance, tel que prévu par l'article 116 du code congolais de la famille, n'établit pas, en l'espèce, une situation de fraude lui ôtant toute valeur probante, un jugement supplétif ayant précisément pour objet de pallier cette carence. Par ailleurs, à supposer même que le tribunal de grande instance de Kinshasa ait été incompétent pour rendre le jugement supplétif au motif que seul un tribunal pour enfants était en droit de statuer sur cette demande de M. B..., cette circonstance, qu'il revient aux autorités judiciaires locales d'apprécier, ne permettrait pas par elle-même d'établir le caractère frauduleux de ce jugement. De plus, l'intéressé a produit un certificat de non appel de ce jugement du 7 décembre 2017, dont la validité ne peut être remise en cause du seul fait qu'il est intervenu après l'intervention de la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France rejetant sa demande de visa, motivée notamment par l'absence de production de ce document. Enfin la circonstance que les autorités de la République démocratique du Congo ont délivré un passeport à M. B... en janvier 2015, soit avant même l'établissement de son acte de naissance, est sans incidence sur l'établissement de l'identité et la filiation de l'intéressé, eu égard aux autres pièces produites et alors qu'il n'est pas établi qu'à cette date les autorités de ce pays exigeaient pour ce faire la production d'un acte de naissance. Il s'ensuit, sans qu'il soit besoin d'examiner l'existence d'une situation de possession d'état, que le ministre n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont considéré que l'identité de M. B... et son lien de filiation avec Mme G... étaient établis par les documents d'état-civil présents au dossier.
5. En deuxième lieu, l'administration peut faire valoir devant le juge de l'excès de pouvoir que la décision dont l'annulation est demandée est légalement justifiée par un motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement indiqué, mais également fondé sur la situation existant à la date de cette décision. Il appartient alors au juge, après avoir mis à même l'auteur du recours de présenter ses observations sur la substitution ainsi sollicitée, de rechercher si un tel motif est de nature à fonder légalement la décision, puis d'apprécier s'il résulte de l'instruction que l'administration aurait pris la même décision si elle s'était fondée initialement sur ce motif. Dans l'affirmative, il peut procéder à la substitution demandée, sous réserve toutefois qu'elle ne prive pas le requérant d'une garantie procédurale liée au motif substitué.
6. Pour établir que la décision contestée était légale, le ministre a invoqué, en première instance ainsi que dans sa requête d'appel, deux autres motifs tirés de ce qu'il n'était pas établi la nécessité pour M. B... de s'établir en France et que sa mère ne disposait pas des ressources suffisantes pour assurer sa prise en charge. Il sollicite ainsi, implicitement mais nécessairement, une substitution de motifs.
7. En l'absence de toute disposition conventionnelle, législative ou réglementaire déterminant les cas où un visa peut être refusé à un étranger désirant se rendre en France, et eu égard à la nature d'une telle décision, les autorités françaises disposent d'un large pouvoir d'appréciation à cet égard, et peuvent se fonder non seulement sur des motifs tenant à l'ordre public mais aussi sur toute considération d'intérêt général.
8. D'une part, il résulte de ce qui précède que si M. B..., mineur à la date de sa demande de visa, est l'enfant de Mme G... ressortissante française établie en France, mariée et mère de deux autres enfants, il demeure qu'il n'est apporté aucune précision sur sa prise en charge par son père depuis le départ de sa mère de la République démocratique du Congo, celui-ci étant néanmoins la personne qui a conduit la procédure visant à obtenir l'acte de naissance de M. B... en 2015. S'il est indiqué qu'Henock B... aurait été pris en charge par sa grand-mère maternelle puis par une tante maternelle depuis le départ de sa mère en France, et qu'il est en situation de détresse psychologique, il est aussi exposé dans une attestation de sa tante du 26 janvier 2022 que l'intéressé a pu poursuivre des études supérieures en audiovisuel en Turquie. D'autre part, il ressort des pièces du dossier que Mme G... et son conjoint français épousé en République démocratique du Congo en 2007 ont la charge, à la date de la décision contestée, de deux enfants françaises nées en 2009 et 2013 de leur union, et dont il ressort de leur déclaration de revenus pour l'année 2016 qu'elles sont handicapées. Alors qu'ils louent en 2014 un appartement pour un loyer mensuel de 537,35 euros, le couple disposait en 2016 de revenus salariés annuels limités respectivement à 7 157 et 7 803 euros et il n'est pas autrement précisé leur situation professionnelle et financière, sachant que le conjoint de Mme G... était alors âgé de soixante et un ans. Il résulte enfin de l'instruction que la commission aurait pris la même décision si elle avait entendu se fonder initialement sur ces deux motifs, qui ne privent le demandeur d'aucune garantie procédurale, et qui pouvaient fonder légalement la décision contestée de refus de visa. Il y a lieu dès lors de faire droit à la demande de substitution de motifs sollicitée.
9. Il appartient de ce fait à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. B... tant devant le tribunal administratif de Nantes que devant la cour.
10. D'une part, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. " et aux termes de l'article 7 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de ses communications.".
11. Il ressort des pièces du dossier que M. B... a vécu éloigné de sa mère depuis le départ de cette dernière de la République démocratique du Congo afin de suivre son conjoint français, épousé dans ce pays en 2007, et établi en France. Les pièces au dossier n'établissent pas la permanence de liens affectifs entre M. B... et sa mère, alors qu'il n'est pas même allégué de rencontres depuis cette séparation ou même de relations épistolaires ou téléphoniques. Il n'est pas davantage allégué que l'intéressé entretiendrait des relations avec ses demi-sœurs nées en France. S'il est indiqué que M. B... a été pris en charge par sa grand-mère maternelle puis une tante maternelle depuis le départ de sa mère, il n'est nullement évoqué sa relation avec son père resté en République démocratique du Congo, alors que celui-ci s'est chargé de l'établissement de son acte de naissance en 2015. Il est enfin indiqué par la tante de l'intéressé qu'il a pu suivre un cursus scolaire lui permettant de poursuivre des études en audiovisuel en Turquie. Il s'ensuit que doit être écarté le moyen tiré de ce que la décision serait intervenue en violation des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 7 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.
12. D'autre part, aux termes des stipulations du paragraphe 1 de l'article 3 de la convention relative aux droits de l'enfant du 26 janvier 1990 : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale. " et de celles de l'article 24 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " Dans tous les actes relatifs aux enfants, qu'ils soient accomplis par des autorités publiques ou des institutions privées, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale. / 3. Tout enfant a le droit d'entretenir régulièrement des relations personnelles et des contacts directs avec ses deux parents, sauf si cela est contraire à son intérêt. ".
13. Pour les motifs exposés au point 11, M. B... n'est pas fondé à soutenir que la décision est intervenue en violation des stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant et de l'article 24 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne
14. Enfin, M. B... ne peut utilement invoquer la violation des dispositions de l'article L. 314-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile alors en vigueur, lesquelles ne constituent pas le fondement légal de la décision contestée
15. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'intérieur et des outre-mer est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France et lui a enjoint de délivrer à M. B... un visa de long séjour.
Sur les frais d'instance :
16. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à l'octroi d'une somme au titre des frais exposés et non compris dans les dépens à la partie perdante. Il y a lieu, dès lors, de rejeter les conclusions présentées à ce titre par M. B....
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 1800152 du 9 mars 2021 du tribunal administratif de Nantes est annulé.
Article 2 : La demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif de Nantes et ses conclusions d'appel sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à M. H... B....
Délibéré après l'audience du 16 septembre 2022, à laquelle siégeaient :
- M. Francfort, président de chambre,
- M. Rivas, président assesseur,
- M. Frank, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 4 octobre 2022.
Le rapporteur,
C. C...
Le président,
J. FRANCFORT
Le greffier,
C. GOY
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 21NT01156