Vu la procédure suivante :
Par une requête et des mémoires, enregistrés les 18 août 2021, 23 septembre 2021, 25 mars 2022, 12 avril 2022 et 3 mai 2022, la société Phares, représentée par Me Guiheux, demande à la cour :
1°) d'annuler la décision implicite du préfet du Finistère, née le 27 mars 2021, refusant de lui délivrer un permis de construire une éolienne sur l'île d'Ouessant, ainsi que sa décision implicite rejetant son recours gracieux formé contre cette décision ;
2°) d'enjoindre au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires de lui délivrer l'autorisation spéciale sollicitée au titre de l'article L. 341-10 du code de l'environnement dans le délai d'un mois à compter de l'arrêt à intervenir, d'enjoindre au préfet du Finistère de lui délivrer le permis de construire sollicité dans le délai d'un mois à compter de l'arrêt à intervenir et, subsidiairement, de statuer à nouveau sur sa demande d'autorisation dans le même délai ;
3°) de mettre à la charge de l'association Ouessant Vent de Bout' la somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- l'intervention de l'association Ouessant Vent de Bout' est irrecevable au regard de l'article L. 600-1-1 du code de l'urbanisme dès lors qu'elle a déposé ses statuts postérieurement à l'affichage de la demande de permis de construire ;
- les décisions de la ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires et du préfet du Finistère sont insuffisamment motivées ;
- la décision préfectorale est illégale dès lors que les refus d'accord préalables opposés par le ministre de la transition écologique et le préfet de région sont illégaux car intervenus en violation respectivement des articles L. 341-10 du code de l'environnement et L. 121-5-1 du code de l'urbanisme par application de l'article L. 231-1 du code des relations entre le public et l'administration ; le silence gardé par le préfet de région s'analyse comme une décision d'acceptation ; la décision du préfet du Finistère est en conséquence entachée d'une erreur de droit et d'une erreur d'appréciation ;
- l'association n'est pas recevable à demander qu'il soit substitué de nouveaux motifs à ceux présentés par l'Etat pour fonder le refus de permis de construire, dès lors qu'elle n'est pas l'auteur de la décision ; subsidiairement le motif tiré de la méconnaissance de l'article L. 411- 2 du code de l'environnement sera écarté dès lors qu'il n'appartient pas à l'administration d'apprécier la légalité d'une demande de permis de construire en fonction de la nécessité d'obtenir ou non une dérogation à la destruction d'espèces protégées et qu'en tout état de cause la pétitionnaire a bien justifié dans son dossier de l'absence de nécessité d'une telle demande de dérogation.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 14 janvier et 20 avril 2022, la ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires conclut au rejet de la requête.
Elle soutient que les moyens soulevés par la société Phares ne sont pas fondés ; en tout état de cause le motif tenant au refus de l'autorisation spéciale prévue à l'article L. 341-10 du code de l'environnement pouvait fonder à lui seul les décisions attaquées du préfet du Finistère.
Par des mémoires en intervention volontaire enregistrés les 10 mars, 11 avril et
29 avril 2022, l'association Ouessant Vent de Bout', représentée par Me Dubreuil, demande à la cour de rejeter la requête de la société Phares.
Elle soutient que :
- elle a intérêt à intervenir eu égard à son objet statutaire, au mandat donné à sa
co-présidente et à l'objet de l'autorisation refusée, alors même qu'elle n'aurait pas intérêt à agir contre cette décision ; les dispositions de l'article L. 600-1-1 du code de l'urbanisme ne s'appliquent pas à un intervenant ;
- les moyens soulevés par la société Phares ne sont pas fondés ;
- le refus de permis de construire aurait également pu être fondé sur l'absence d'autorisation préalable de dérogation à la destruction d'espèces protégées au titre de l'article L. 411-2 du code de l'environnement, l'incomplétude du dossier de demande de permis pour ce motif sur le fondement de l'article R. 431-5 du code de l'urbanisme, l'absence d'enquête publique, la violation de l'article L. 414-4 du code de l'environnement du fait d'une étude d'incidence insuffisante et sur l'absence de l'étude d'impact préalable prévue à l'article L. 123-1 du code de l'environnement.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'environnement ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de l'urbanisme ;
- le décret du 8 août 1979 portant classement parmi les sites pittoresques du département du Finistère de l'ensemble formé par le littoral de l'île d'Ouessant, sur la commune d'Ouessant, et du domaine public maritime correspondant ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. A...,
- les conclusions de M. Mas, rapporteur public,
- et les observations de Me Guiheux, représentant la société Phares, et de Me Dubreuil, représentant l'association Ouessant Vent de Bout'.
Une note en délibéré, présentée pour la société Phares, a été enregistrée le 16 janvier 2023.
Considérant ce qui suit :
1. Par une décision implicite née le 27 mars 2021, le préfet du Finistère a rejeté la demande de permis de construire portant sur une éolienne à Ouessant (Finistère), présentée par la société Phares. Par une décision du 23 juin 2021 ce préfet a rejeté le recours gracieux formé contre cette décision par la même société, en lui communiquant les motifs de son refus. Cette société demande l'annulation de ces deux décisions. Par des mémoires en intervention volontaire l'association Ouessant Vent de Bout' demande le rejet de cette requête.
Sur l'intervention de l'association Ouessant Vent de Bout' :
2. L'association Ouessant Vent de Bout' a notamment pour objet statutaire " la défense de l'environnement, des paysages et du patrimoine de l'île d'Ouessant et, par extension, de la mer d'Iroise. ". Aussi, sans qu'y fassent obstacle les dispositions de l'article L. 600-1-1 du code de l'urbanisme, qui concernent la recevabilité des associations à contester une décision relative à l'occupation des sols et non leurs interventions, et eu égard à l'impact prévisible sur le paysage de l'île d'Ouessant de l'éolienne dont l'autorisation a été refusée, cette association justifie d'un intérêt suffisant lui donnant qualité pour intervenir au soutien des conclusions de l'Etat tendant au rejet de la requête de la société Phares.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
3. Il résulte du courrier de communication des motifs du 23 juin 2021 déjà mentionné que, pour refuser le permis de construire en litige, le préfet du Finistère s'est fondé, d'une part sur le fait que le ministre chargé des sites s'était tacitement opposé, par une décision née le 27 janvier 2021, à la délivrance de l'autorisation spéciale requise par l'article L. 341-10 du code de l'environnement préalablement à la délivrance d'un permis de construire et, d'autre part, sur le fait que le préfet de la région Bretagne n'avait pas accordé la dérogation requise par l'article L. 121-5-1 du code de l'urbanisme au regard de l'objet de l'autorisation sollicitée relativement à l'application des articles L. 121-1 et suivants de ce code à la commune littorale de Ouessant.
4. Aux termes de l'article L. 341-10 du code de l'environnement : " (...) les sites classés ne peuvent ni être détruits ni être modifiés dans leur état ou leur aspect sauf autorisation spéciale. (...) ". Aux termes de l'article R. 425-17 du code de l'urbanisme : " Lorsque le projet est situé dans un site classé ou en instance de classement, la décision prise sur la demande de permis ou sur la déclaration préalable ne peut intervenir qu'avec l'accord exprès prévu par les articles L. 341-7 et L. 341-10 du code de l'environnement ( ...) b) Cet accord est donné par le ministre chargé des sites, après avis de la commission départementale de la nature, des paysages et des sites, dans les autres cas. ". Et aux termes de l'article R. 341-13 du code de l'environnement : " Lorsqu'il statue pour l'application de l'article L. 341-10, le ministre décide dans un délai de six mois à compter de la réception du dossier complet par le préfet, après avis de la commission départementale de la nature, des paysages et des sites, et, chaque fois qu'il le juge utile, de la Commission supérieure des sites, perspectives et paysages. (...) L'absence de décision à l'issue de ce délai vaut décision implicite de rejet. (...) ".
5. Il ressort des pièces du dossier que le terrain d'assiette du projet d'éolienne est situé au sein du site classé de l'île d'Ouessant visé par le décret du 8 août 1979 susvisé, justifiant que le ministre chargé des sites délivre, préalablement à l'octroi du permis de construire sollicité, l'autorisation spéciale requise par l'article L. 341-10 du code de l'environnement.
6. En premier lieu si, lorsque la délivrance d'une autorisation administrative est subordonnée à l'accord préalable d'une autre autorité, le refus d'un tel accord, qui s'impose à l'autorité compétente pour statuer sur la demande d'autorisation, ne constitue pas une décision susceptible de recours, des moyens tirés de sa régularité et de son bien-fondé peuvent, quel que soit le sens de la décision prise par l'autorité compétente pour statuer sur la demande d'autorisation, être invoqués devant le juge saisi de cette décision. En conséquence, la société requérante est recevable à contester la légalité de la décision tacite du ministre chargé des sites, née le 27 janvier 2021, faisant obstacle à la délivrance de cette autorisation spéciale.
7. En deuxième lieu, le classement d'un site sur le fondement des dispositions figurant aujourd'hui aux articles L. 341-1 et suivants du code de l'environnement n'a ni pour objet ni pour effet d'interdire toute réalisation d'équipement, construction ou activité économique dans le périmètre de classement, mais seulement de soumettre à autorisation tout aménagement susceptible de modifier l'état des lieux. Pour juger de la légalité d'une autorisation délivrée par le ministre, il appartient au juge administratif d'apprécier l'impact sur le site de l'opération autorisée, eu égard à sa nature, à son ampleur et à ses caractéristiques, en tenant compte de la superficie du terrain concerné par les travaux à l'intérieur du site ainsi que, le cas échéant, de la nature des compensations apportées à l'occasion de l'opération et contribuant, à l'endroit des travaux ou ailleurs dans le site, à l'embellissement ou l'agrandissement du site.
8. Le terrain d'assiette du projet se situe dans un site classé d'une superficie d'environ 650 hectares correspondant pour l'essentiel aux zones non aménagées du littoral de l'île d'Ouessant et désigné par le décret du 8 août 1979 susvisé en raison de son caractère pittoresque au regard des paysages finistériens. Cette qualité tient notamment à la présence de côtes très découpées, avec des falaises rocheuses qui culminent à 60 mètres, des cordons de galets ainsi que la présence d'ilots autour de l'île principale. Le plateau de cette dernière est dénudé, dominé par deux phares et une tour radar. L'éolienne envisagée est caractérisée par un mat de 45 mètres et une hauteur au bout des pales de 67 mètres, ce qui en ferait la deuxième construction la plus haute de l'île après la tour radar de 72 mètres, alors même que le phare du Stiff, haut de 32 mètres, du fait de son implantation sur un terrain plus élevé, la dominerait de 3 mètres. Ainsi que le souligne l'architecte des bâtiments de France dans son avis du 27 juillet 2020, défavorable au projet de construction, le terrain s'assiette du projet est situé sur une falaise préservée de constructions, située en surplomb immédiat du trajet des bateaux de passagers arrivant au port du Stiff depuis le continent. L'éolienne présente une hauteur correspondant environ au double de celle des falaises littorales proches, ce qui serait de nature à modifier substantiellement les vues sur ce paysage pittoresque classé. Il ressort également de l'étude paysagère produite par la société pétitionnaire que le projet sera visible de 38 % du territoire de l'île, alors même qu'il s'agit du pourcentage le plus faible des trois sites d'implantation étudiés. Dans ces conditions, alors même qu'à titre de compensation la société Phares fait valoir que le poste de livraison du projet sera revêtu d'un bardage en bois naturel grisé et que l'emprise au sol des constructions envisagée est limitée, la société requérante n'est pas fondée à soutenir que le ministre chargé des sites aurait fait une inexacte application des dispositions du code de l'environnement citées au point 4 en refusant de délivrer l'autorisation spéciale qu'elles prévoient.
9. Le préfet du Finistère étant tenu, en l'absence de l'accord du ministre chargé des sites, de refuser le permis de construire sollicité, les autres moyens soulevés par la société Phares à l'appui de ses conclusions en annulation des décisions du préfet du Finistère des 27 mars et 23 juin 2021 sont inopérants et ne peuvent qu'être écartés.
10. Il résulte de tout ce qui précède que la société Phares n'est pas fondée à demander l'annulation de la décision née le 27 mars 2021 par laquelle le préfet du Finistère a refusé de lui délivrer un permis de construire pour l'édification d'une éolienne à Ouessant, non plus que de celle du 23 juin 2021 rejetant son recours gracieux contre cette décision. Ses conclusions à fin d'injonction et celles présentées au titre des frais d'instance ne peuvent, par voie de conséquence, qu'être également rejetées.
D E C I D E :
Article 1er : L'intervention de l'association Ouessant Vent de Bout' est admise.
Article 2 : La requête de la société Phares est rejetée.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Phares, au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires et à l'association Ouessant Vent de Bout'.
Une copie sera transmise pour information au préfet du Finistère.
Délibéré après l'audience du 13 janvier 2023, à laquelle siégeaient :
- M. Francfort, président de chambre,
- M. Rivas, président assesseur,
- M. Frank, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 31 janvier 2023.
Le rapporteur,
C. A...
Le président,
J. FRANCFORT
La greffière,
H. EL HAMIANI
La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 21NT02391