Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Le syndicat mixte d'assainissement de l'agglomération granvillaise (SMAAG) a demandé au tribunal administratif de Caen de condamner solidairement la société cabinet d'études Merlin, la société cabinet Bourgois, M. A... C..., la société Sites et Concept, la société Vinci construction France, venant aux droits de la société Sogea Construction, et la société Gouelle à lui verser la somme de 132 320,67 euros TTC à indexer en fonction de l'indice BT01 du coût de la construction, en réparation des désordres affectant une station d'épuration située à Granville, ainsi qu'une somme de 1 832 euros TTC en remboursement de factures et les frais d'expertise, taxés et liquidés à la somme de 20 511,31 euros TTC.
Par un jugement n° 2000785 du 26 novembre 2021, le tribunal administratif de Caen a condamné la société Sites et Concept à verser au SMAAG la somme de 132 320,67 euros (article 1er), a mis à la charge de la société Sites et Concept les frais d'expertise d'un montant de 20 511,31 euros (article 2), ainsi que le versement au SMAAG d'une somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative (article 3) et a rejeté le surplus des conclusions du SMAAG (article 4), et les conclusions des sociétés Gouelle, Bourgois, Merlin et Vinci construction France et de M. A... C... tendant au bénéfice des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative (article 6).
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 27 janvier 2022 et 25 novembre 2022, le syndicat mixte de l'assainissement de l'agglomération granvillaise, représenté par Me Labrusse, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Caen du 26 novembre 2021 en tant qu'il a rejeté le surplus de ses conclusions en son article 4 ;
2°) de condamner solidairement la société cabinet d'études Merlin, la société cabinet Bourgois, M. A... C..., la société Vinci construction France, venant aux droits de la société Sogea Construction, et la société Gouelle, avec la société Sites et Concept, à lui verser la somme de 132 320,67 euros TTC à indexer en fonction de l'indice BT01 du coût de la construction ainsi qu'une somme de 1 832 euros TTC en remboursement de factures et les frais d'expertise, taxés et liquidés à la somme de 20 511,31 euros TTC ;
3°) de mettre à la charge solidairement de la société cabinet d'études Merlin, la société cabinet Bourgois, M. A... C..., la société Vinci construction France et la société Gouelle avec la société Sites et Concept la somme de 3 000 euros au titre des frais de première instance et de 3 000 euros au titre des frais d'appel en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le jugement est irrégulier dès lors qu'il a omis d'examiner le moyen tiré de la responsabilité contractuelle de la maitrise d'œuvre pour défaut de conseil à la réception ; les premiers juges ont également omis d'examiner le moyen tiré de l'interruption du délai de garantie décennale en 2011 par la reconnaissance de la responsabilité des constructeurs ;
- la demande d'expertise présentée le 6 octobre 2015 a interrompu le délai de garantie décennale ; au surplus, les comptes rendus de chantier numéro 91 des 23 et 24 novembre 2005 et numéro 92 du 7 décembre 2005 mentionnaient un déplacement prévu dans la semaine de l'entreprise Gouelle pour intervenir sur les portes et les échanges de 2011 reconnaissaient sans équivoque la responsabilité des constructeurs s'agissant des dysfonctionnements les affectant, ce qui a eu pour effet d'interrompre aussi le délai de garantie décennale ; la dégradation des portes est de nature à rendre l'ouvrage impropre à sa destination et à l'atteindre dans sa solidité en plus de la dangerosité qu'elle présente pour les personnels ;
- la responsabilité trentenaire peut être opposée aux constructeurs dès lors que les stipulations contractuelles ont été modifiées par la maitrise d'œuvre sans qu'aucun avenant ne soit régularisé concernant le matériau utilisé pour les portes ; cette faute est assimilable à une fraude ou à un dol ;
- la responsabilité contractuelle du maître d'œuvre peut être invoquée pour défaut de conseil lors des opérations de réception des travaux, dès lors qu'il aurait dû relever l'inadaptation des portes mises en œuvre, le non-respect des prescriptions du marché et la non-conformité de la pose et proposer au maître d'ouvrage d'émettre des réserves sur ces portes ;
- le coût des travaux de reprise a été évalué par l'expert à 110 267,23 euros HT, soit 132 320,67 euros TTC, à indexer suivant l'indice BT01 du coût de la construction avec comme indice de référence le mois de septembre 2018 et comme indice final la date de l'arrêt à intervenir, et les sociétés cabinet d'études Merlin, cabinet Bourgois, M. A... C..., Site et Concept, Vinci Construction France et Gouelle doivent être condamnés à lui verser cette somme solidairement ;
- la société Vinci Construction France ne peut invoquer les dispositions de l'article 1792-7 du code civil issues de l'ordonnance du 8 juin 2005 qui ne s'applique qu'aux marchés et contrats conclus après la publication de celle-ci ;
- il doit être remboursé par ces mêmes sociétés des frais qu'il a engagés pour qu'un rapport sur l'état des portes et un procès-verbal de constat soient établis en 2020, soit la somme totale de 1832 euros.
Par un mémoire en défense, enregistré le 9 mai 2022, la société Gouelle, représentée par Me Marchand, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mis à la charge du SMAAG la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que l'action du SMAAG est prescrite à l'encontre de la société Gouelle depuis le 19 octobre 2015 dès lors qu'elle n'était pas visée par la requête en référé expertise déposée le 6 octobre 2015.
Par deux mémoires en défense, enregistrés le 9 août et le 12 décembre 2022, la société Vinci Construction France, venant aux droits de la société Sogea Construction, représentée par Me Hellot, conclut au rejet de la requête et, à titre subsidiaire, par la voie de l'appel provoqué, à ce que soient condamnés solidairement la société cabinet d'études Merlin, la société cabinet Bourgois, M. A... C..., et la société Sites et Concept à la garantir des condamnations pouvant être prononcées à son encontre, enfin, à ce que soit mis à la charge du SMAAG et de toute autre personne succombant une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le délai de garantie décennale a commencé à courir le 19 août 2005 et aucune interruption de prescription n'est intervenue dans le délai de dix ans de sorte que la nouvelle demande d'expertise du SMAAG en date du 10 octobre 2017 était trop tardive pour interrompre ce délai ; en effet, la décision de réception du maître de l'ouvrage est du 19 octobre 2005 avec un effet au 19 août 2005 ;
- à supposer que le point de départ de la prescription soit le 19 octobre 2005, la demande nouvelle de référé expertise du 10 octobre 2017 est hors délai et aucune interruption de prescription n'est intervenue dès lors que la demande de référé expertise du 6 octobre 2015 sur les désordres invoqués a été rejetée par une ordonnance devenue définitive ;
- à la lecture des comptes rendus de travaux et des dossiers des ouvrages exécutés, tant le maître d'œuvre que le maître d'ouvrage avaient connaissance de ce que les portes métalliques posées n'avaient pas fait l'objet d'une protection contre la corrosion par galvanisation à chaud à la réception des ouvrages sans réserve ; le changement de prestation avait été accepté par le maitre d'ouvrage tacitement ; en tout état cause, n'est pas démontrée l'intention frauduleuse du constructeur ;
- l'ouvrage n'a pas été rendu impropre à sa destination dès lors que les portes extérieures métalliques sont constituées d'éléments mobiles qui sont affectés d'un phénomène de corrosion et c'est le régime de la garantie biennale de bon fonctionnement des dispositions de l'article 1792-3 du code civil qui s'applique ; la demande du SMAAG est en conséquence irrecevable ;
- en tout état de cause, les portes restent des éléments d'équipement qui ont un usage professionnel au sens de l'article 1792-7 du code civil et la garantie sollicitée au titre de l'article 1792 du code civil devra être écartée ;
- à titre subsidiaire, la société Vinci Construction France appelle en garantie le maître d'œuvre et le contrôleur technique s'agissant d'un ouvrage modifié qui a fait l'objet d'un accord de l'ensemble des parties ;
- il n'y a pas lieu de faire droit à la demande de remboursement des frais invoqués par le SMAAG à hauteur de 1832 euros dès lors que ces frais n'étaient pas utiles ;
- la société Vinci Construction France a déjà réglé la somme de 3 220 euros au titre des frais d'expertise en application de l'ordonnance de taxe du 27 février 2019 de telle sorte que le SMAAG ne peut solliciter le remboursement des sommes qu'il n'a pas lui-même réglées.
Par un mémoire en défense, enregistré le 24 octobre 2022, la société Cabinet Bourgois et le cabinet d'étude Merlin, représentés par Me Balon, concluent au rejet de la requête et, à titre subsidiaire, par la voie de l'appel provoqué, à ce que soient condamnées solidairement la société Vinci Construction France et la société Gouelle à les garantir des condamnations pouvant être prononcées à leur encontre, enfin, à ce que soit mis à la charge du SMAAG et de toute autre personne succombant une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elles soutiennent que :
- la réception des ouvrages est intervenue le 19 octobre 2005 sans réserves, suite à un ordre de service n° 6 du 21 avril 2005 fixant l'achèvement des travaux ; le délai de garantie décennal est expiré depuis le 19 octobre 2015 et aucun acte interruptif de prescription n'est intervenu dans ce délai ;
- le SMAAG ne démontre pas l'intention frauduleuse des constructeurs et ne peut se prévaloir de la prescription trentenaire ; cette intention ne saurait se déduire de la seule non-conformité des portes par rapport à ce qui était prévu au marché ;
- l'action du SMAAG en responsabilité contractuelle du maître d'œuvre devait être engagée au plus tard avant le 19 octobre 2013, soit dans le délai de 5 ans suivant la réception des ouvrages, en application de l'article 2224 du code civil dans sa rédaction modifiée par la loi du 17 juin 2008 ; aucun acte interruptif de prescription n'est intervenu dans ce délai ;
- en tout état de cause, le maitre d'œuvre a rempli ses missions, notamment au titre du suivi de l'exécution des travaux, dès lors qu'il n'a cessé d'attirer l'attention des constructeurs sur les difficultés rencontrées quant à la réalisation des ouvrages, notamment quant aux conditions de résistance à la corrosion et d'étanchéité des portes ;
- à titre subsidiaire, elle appelle en garantie la société Vinci Construction France et la société Gouelle dès lors que les désordres résultent exclusivement de fautes d'exécution.
La requête a été communiquée à la société Sites et Concept et à M. A... C... qui n'ont pas produit de mémoire.
Par une ordonnance du 29 septembre 2022, la clôture d'instruction a été fixée au 28 octobre 2022.
Par une ordonnance du 25 octobre 2022, la clôture d'instruction a été reportée au 29 novembre 2022.
Par une ordonnance du 29 novembre 2022, la clôture d'instruction a été reportée au 14 décembre 2022.
Un mémoire présenté pour la société Cabinet Bourgois a été enregistré le 4 janvier 2023, soit après la clôture de l'instruction.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code civil ;
- le code des marchés publics ;
- la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme B...,
- les conclusions de M. Pons, rapporteur public ;
- et les observations de Me Hellot, représentant la société Vinci Construction France.
Une note en délibéré, enregistrée le 29 mars 2023, a été présentée pour le syndicat mixte d'assainissement de l'agglomération granvillaise.
Considérant ce qui suit :
1. Par une délibération du 20 avril 2000, le syndicat mixte d'assainissement de l'agglomération granvillaise (SMAAG) a confié la conception d'une station d'épuration située à Granville à un groupement de maîtrise d'œuvre comprenant le cabinet Merlin, le cabinet Bourgois, M. C... et la société Sites et Concept. Le 25 mars 2003, il a passé un marché de travaux avec la société Sogea Construction, devenue Vinci Construction France, pour la construction de cette station d'épuration. Cette société a sous-traité la fourniture et la pose des portes extérieures de l'ouvrage à la société Gouelle. Par une décision du 19 octobre 2005, le SMAAG a prononcé la réception des travaux avec effet au 19 août 2005, sous réserve de l'exécution avant le 14 décembre 2005 d'un certain nombre de travaux ou prestations concernant, notamment, plusieurs portes des bâtiments extérieurs. Ces derniers travaux ont été réceptionnés le 22 décembre 2005, avec effet au 19 octobre 2005.
2. Le 6 octobre 2015, le SMAAG a demandé en référé au tribunal administratif de Caen une mesure d'expertise relative aux désordres affectant la station d'épuration. Par une ordonnance du 12 septembre 2016, le juge des référés de ce tribunal a exclu des désordres à examiner par l'expert ceux affectant les portes extérieures des bâtiments de la station en estimant qu'ils étaient prescrits. Le syndicat a présenté une nouvelle demande d'expertise portant sur les portes extérieures le 10 octobre 2017, à laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Caen a fait droit par une ordonnance du 4 janvier 2018, confirmée par une ordonnance du juge des référés de la cour du 23 août 2018. L'expert judiciaire ainsi désigné a remis son rapport le 15 février 2019. Le SMAAG a demandé au tribunal administratif de Caen, à titre principal, la condamnation des constructeurs sur le fondement de la responsabilité décennale, à titre subsidiaire, leur condamnation sur le fondement de la responsabilité trentenaire et à titre encore plus subsidiaire, la condamnation de la maîtrise d'œuvre sur le fondement de la responsabilité contractuelle pour manquement à son devoir de conseil lors de la réception. Il relève appel du jugement du 26 novembre 2021 du tribunal administratif de Caen en tant que celui-ci a rejeté le surplus des conclusions de sa requête après avoir condamné la société Sites et Concept, sur le fondement de la responsabilité décennale des constructeurs, à lui verser la somme de 132 320,67 euros (article 1er), une somme de 20 511,31 euros au titre des frais d'expertise (article 2) et une somme de 2 000 euros au titre des frais liés au litige (article 3).
Sur les conclusions d'appel principal du syndicat mixte d'assainissement de l'agglomération granvillaise :
En ce qui concerne la régularité du jugement attaqué :
3. D'une part, les premiers juges n'ont pas omis d'examiner le moyen tiré de la responsabilité contractuelle de la maîtrise d'œuvre pour défaut de conseil à la réception, qui n'était soulevé par le SMAAG qu'à titre subsidiaire, dès lors qu'il a été fait droit à sa demande principale en retenant la responsabilité décennale de la société Sites et Concept. D'autre part, les premiers juges, qui n'étaient pas tenus de répondre à tous les arguments présentés par le SMAAG et notamment à celui de l'interruption du délai de garantie décennale en 2011 par la prétendue reconnaissance de la responsabilité des constructeurs, ont répondu au point 3 du jugement attaqué au moyen tiré de l'absence de prescription de l'action en garantie décennale. Dans ces conditions, l'irrégularité alléguée du jugement attaqué manque en fait.
En ce qui concerne le bien-fondé du jugement attaqué :
S'agissant de la responsabilité décennale des constructeurs :
4. Aux termes de l'article 2241 du code civil : " La demande en justice, même en référé, interrompt le délai de prescription (...) ", l'article 2242 du même code, dans sa rédaction issue de la loi du 17 juin 2008, prévoyant que " l'interruption résultant de la demande en justice produit ses effets jusqu'à l'extinction de l'instance ". En outre, aux termes de l'article 2239 du même code, dans sa rédaction issue de la même loi : " La prescription est également suspendue lorsque le juge fait droit à une demande de mesure d'instruction présentée avant tout procès. / Le délai de prescription recommence à courir, pour une durée qui ne peut être inférieure à six mois, à compter du jour où la mesure a été exécutée ". Il résulte de ce qui précède que la demande adressée à un juge de diligenter une expertise interrompt le délai de prescription jusqu'à l'extinction de l'instance et que, lorsque le juge fait droit à cette demande, le même délai est suspendu jusqu'à la remise par l'expert de son rapport au juge. Toutefois, aux termes de l'article 2243 du code civil : " " L'interruption est non avenue si le demandeur se désiste de sa demande ou laisse périmer l'instance, ou si sa demande est définitivement rejetée ".
5. Il est constant que, par une décision du 19 octobre 2005, le SMAAG a prononcé la réception des travaux de construction de la station d'épuration avec effet au 19 août 2005, sous réserve de l'exécution avant le 14 décembre 2005 des travaux ou prestations énumérés dans un document annexé au procès-verbal de réception des travaux. Il résulte ainsi de l'instruction que la réception des travaux sans réserve de la station d'épuration a été prononcée le 22 décembre 2005 avec effet au 19 octobre 2005 s'agissant des portes extérieures des bâtiments d'exploitation. A supposer que soit prise en compte la nouvelle date de réception des travaux fixée au 19 octobre 2005, la demande d'expertise en référé présentée le 6 octobre 2015 par le SMAAG, au titre notamment des désordres affectant les portes extérieures, a interrompu le délai de prescription. Toutefois, cette interruption est réputée non avenue, en application de l'article 2243 du code civil cité au point 3, dès lors que la demande d'expertise du SMAAG a été définitivement rejetée par une ordonnance du juge des référés du 12 septembre 2016, s'agissant des désordres affectant les portes extérieures des bâtiments, faute d'avoir été frappée d'appel. Par suite, cette ordonnance du 12 septembre 2016 a rendu nulle et non avenue l'interruption du délai de prescription résultant de la demande du 6 octobre 2015. Il en résulte que le délai de l'action en garantie décennale qui a couru à compter du 19 octobre 2005 était expiré au 10 octobre 2017, date à laquelle le SMAAG a saisi le tribunal administratif de Caen d'une nouvelle demande d'expertise sur les désordres liés aux portes extérieures des bâtiments.
6. Le SMAAG n'est pas davantage fondé à soutenir que le délai de garantie décennale a été interrompu en 2010, en se prévalant d'un compte-rendu de réunion du 15 octobre 2010 qui se borne à relever que le syndicat mixte adresse à la société Vinci Construction France " une demande de prise en compte en garantie décennale de ces portes ", ou en 2011 par des échanges de mail, dès lors qu'il ne justifie pas avoir explicitement mis en demeure les constructeurs de réparer les désordres constatés.
7. Dans ces conditions, l'exception de prescription de l'action en garantie décennale opposée par la société Gouelle, au demeurant non appelée à l'expertise demandée par le SMAAG le 6 octobre 2015, et les sociétés Bourgois, Merlin et Vinci Construction France doit être accueillie.
S'agissant de la responsabilité " trentenaire " des constructeurs :
8. L'expiration du délai de l'action en garantie décennale ne décharge pas les constructeurs de la responsabilité qu'ils peuvent encourir en cas ou bien de fraude ou de dol dans l'exécution de leur contrat, ou bien d'une faute assimilable à une fraude ou à un dol, caractérisée par la violation grave, par sa nature ou ses conséquences, de leurs obligations contractuelles, commises volontairement et sans qu'ils puissent en ignorer les conséquences.
9. Il résulte de l'instruction que les désordres qui ont affecté les portes extérieures de la station d'épuration résultent de la fourniture et de la pose de portes en acier galvanisé à froid, moins résistantes à la corrosion, dont l'utilisation ne correspond pas aux règles de l'art ni aux prescriptions techniques du marché qui prévoyaient l'usage de portes extérieures en aluminium, ou en acier inox ou en acier galvanisé à chaud peint. La fourniture et la pose de ces portes inadaptées a été le fait de la société Gouelle, sous-traitant de la société Vinci Construction France. Toutefois, la seule fourniture et pose de portes extérieures différentes de celles prévue au marché, non conforme aux prescriptions techniques, ne suffit pas à établir l'intention frauduleuse des constructeurs mis en cause. Si le SMAAG soutient qu'aucun avenant au marché n'a été signé par ses soins sur cette modification, cette seule circonstance ne suffit pas à caractériser une faute assimilable à une fraude ou à un dol des constructeurs en l'absence de violation intentionnelle, par ces derniers, de leurs obligations contractuelles alors qu'il n'est pas sérieusement contesté que le SMAAG disposait des dossiers des ouvrages exécutés relatifs à ces portes extérieures lorsqu'il a levé les réserves en décembre 2005. Dans ces conditions, le manquement des constructeurs à leurs obligations contractuelles ne constituait, en tout état de cause, pas une faute assimilable à une fraude ou à un dol et le SMAAG n'est pas fondé à rechercher la responsabilité trentenaire des constructeurs.
S'agissant de la responsabilité contractuelle du maître d'œuvre au titre de son devoir de conseil à la réception :
10. La responsabilité du maître d'œuvre pour manquement à son devoir de conseil peut être engagée, dès lors qu'il s'est abstenu d'appeler l'attention du maître d'ouvrage sur des désordres affectant l'ouvrage et dont il pouvait avoir connaissance, en sorte que la personne publique soit mise à même de ne pas réceptionner l'ouvrage ou d'assortir la réception de réserves. Il importe peu, à cet égard, que les vices en cause aient ou non présenté un caractère apparent lors de la réception des travaux, dès lors que le maître d'œuvre en avait eu connaissance en cours de chantier.
11. Il résulte de l'instruction que les portes extérieures du bâtiment ont fait l'objet d'une réception le 19 octobre 2005 avec effet au 19 août 2005, assortie de réserves illustrées en particulier par les comptes rendus des réunions de chantier n° 86 du 15 septembre 2005 et n° 88 du 14 octobre 2005 dans lesquels la maîtrise d'œuvre a attiré l'attention des constructeurs sur les problématiques d'étanchéité et de solidité des portes extérieures du bâtiment en présence du SMAAG. L'ensemble des réserves ont été levées le 22 décembre 2005 avec effet au 19 octobre 2005, date à laquelle il n'est pas sérieusement contesté que le SMAAG disposait des dossiers des ouvrages exécutés relatifs à ces portes extérieures et avait ainsi nécessairement connaissance de ce que les portes posées ne correspondaient pas aux prescriptions techniques initiales. Dans ces conditions, le SMAAG n'est en tout état de cause pas fondé à invoquer la responsabilité contractuelle du maître d'œuvre au titre d'un manquement à son devoir de conseil lors de la réception.
S'agissant des préjudices :
12. D'une part, dès lors notamment qu'une expertise avait été ordonnée par le juge des référés du tribunal administratif de Caen par une ordonnance du 4 janvier 2018 et que l'expert désigné a remis son rapport le 15 février 2019, l'utilité du rapport Prestavoine sur l'état des portes extérieures de la station d'épuration et du constat d'huissier diligenté par le SMAAG pour la solution du litige n'est pas établie. Par suite, le syndicat mixte n'est pas fondé à solliciter l'indemnisation du chef de préjudice invoqué sur ce point.
13. D'autre part, si le SMAAG demande l'indexation des sommes allouées sur l'indice BT01 du coût de la construction, l'évaluation des dommages subis doit être faite à la date à laquelle, leur cause ayant été déterminée et leur étendue prévisible étant connue, il pouvait être procédé aux travaux destinés à y remédier et à les réparer. En l'espèce, cette date est celle du 15 février 2019, à laquelle l'expert a déposé son rapport, lequel définit avec une précision suffisante la nature et l'étendue des travaux nécessaires. Le SMAAG ne justifie pas s'être trouvé dans l'impossibilité technique ou financière de faire effectuer les travaux à cette période. Sa demande d'actualisation ne peut donc être accueillie.
14. Il résulte de tout ce qui précède que le SMAAG n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Caen a rejeté le surplus de sa demande.
Sur les frais d'expertise :
15. En se bornant à réitérer ses conclusions de première instance sur les frais d'expertise, taxés et liquidés à la somme de 20 511,31 euros TTC, le SMAAG ne précise pas en quoi le tribunal administratif se serait trompé en mettant ces frais à la charge de la société Sites et Concept au point 9 de son jugement. Ses conclusions sur ce point ne peuvent ainsi qu'être rejetées.
Sur les frais liés au litige :
16. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions présentées par le SMAAG au titre des frais qu'il a exposés au titre de l'instance d'appel. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du SMAAG une somme au titre des frais exposés par la société Vinci Construction France, par les sociétés cabinet d'études Merlin et cabinet Bourgois et par la société Gouelle sur le fondement de ces mêmes dispositions.
DECIDE :
Article 1er : La requête du syndicat mixte d'assainissement de l'agglomération granvillaise est rejetée.
Article 2 : Le surplus des conclusions de la société Vinci Construction France, des sociétés cabinet d'études Merlin et cabinet Bourgois et de la société Gouelle est rejeté.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au syndicat mixte d'assainissement de l'agglomération granvillaise, à la société cabinet d'études Merlin, à la société cabinet Bourgeois, à M. A... C..., à la société Vinci Construction France, à la société Sites et Concept et à la société Gouelle.
Délibéré après l'audience du 21 mars 2023, à laquelle siégeaient :
- M. Lainé, président de chambre,
- M. Derlange, président assesseur,
- Mme Chollet, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 7 avril 2023.
La rapporteure,
L. B...
Le président,
L. LAINÉ
Le greffier,
C. WOLF
La République mande et ordonne au préfet de la Manche en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 22NT00263