Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La commune de Quimperlé a demandé au tribunal administratif de Rennes, d'une part, de condamner solidairement l'atelier D... B..., la société EGIS Villes et Transports, la société EGIS Bâtiments Centre-Ouest, venant aux droits de la société OTH Ouest, et la société Pigeon Bretagne Sud à lui verser une somme totale de 690 072 euros, toutes taxes comprises (TTC), assortie des intérêts au taux légal et de la capitalisation des intérêts, au titre des désordres résultant de l'exécution du marché de travaux portant sur l'aménagement de la rue Brémond d'Ars et de la rue de la Paix, d'autre part, de condamner solidairement l'atelier D... B..., la société EGIS Villes et Transports, la société EGIS Bâtiments Centre-Ouest et la société Pigeon Bretagne Sud à lui verser une somme de 24 578 euros TTC au titre des frais d'expertise.
Par un jugement n° 1903081 du 27 janvier 2022, le tribunal administratif de Rennes a condamné la société Egis Bâtiments Centre Ouest à verser à la commune de Quimperlé une somme de 524 160 euros TTC au titre des désordres affectant la chaussée des rues Brémond d'Ars et de la Paix (article 1er), assortie des intérêts au taux légal à compter du 14 juin 2019 et de la capitalisation des intérêts (article 2), a condamné la société Egis Bâtiments Centre Ouest à verser à la commune de Quimperlé une somme de 24 578,30 euros toutes taxes comprises au titre des dépens de l'instance (article 3), a mis à la charge de la société Egis Bâtiments Centre Ouest une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative (article 4), a rejeté le surplus des conclusions de la requête (article 5), a mis à la charge de la commune de Quimperlé une somme de 1 000 euros à verser respectivement à la société Atelier D... B... et à la société Pigeon Bretagne Ouest, au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative (article 6), enfin a rejeté les conclusions d'appel en garantie présentées par les parties (article 7).
Procédure devant la cour :
Par une requête et deux mémoires, enregistrés le 29 mars 2022 et les 3 et 16 janvier 2023, la société Egis Bâtiments Centre Ouest, venant aux droits de la société OTH Ouest, représentée par Me Dechelette, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 27 janvier 2022 du tribunal administratif de Rennes en tant qu'il a prononcé des condamnations à son encontre et rejeté ses conclusions d'appel en garantie ;
2°) de rejeter la demande de la commune de Quimperlé en tant qu'elle est dirigée contre elle ;
3°) à titre subsidiaire de limiter sa part de responsabilité à 50% du coût des travaux de reprise des désordres constatés ;
4°) de mettre à la charge de la commune de Quimperlé une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- elle n'a été attraite à aucune mesure d'expertise préalable à l'instance, n'a pas eu connaissance du rapport remis à la juridiction par l'expert désigné et n'a pas été mise en cause devant l'expert par la commune de Quimperlé en ce qui concerne les désordres liés à la chaussée des rues Brémond d'Ars et de la Paix ; le rapport d'expertise ne présente aucun caractère contradictoire à son égard et ne peut lui être opposé ;
- la commune de Quimperlé a saisi le juge des référés du tribunal administratif de Rennes d'une requête aux fins de désignation d'un expert en visant la seule société Egis Villes et Transports, personne morale distincte ; ainsi, le délai de garantie décennale des constructeurs, qui a expiré le 5 septembre 2016, soit dix ans après la réception des travaux, n'a pas été interrompu à son égard avant son expiration ; de plus, le premier mémoire de la commune de Quimperlé tendant à obtenir sa condamnation sur le fondement de la responsabilité décennale n'est intervenu que le 14 juin 2021, soit après l'expiration du délai de la garantie décennale ; il appartenait à la commune de procéder à la vérification de l'identité de la société OTH Ouest sur le site Infogreffe ; la commune de Quimperlé pouvait, à la lecture des extraits Kbis de la société Egis Bâtiment Centre Ouest des 11 mai et 22 août 2016, vérifier l'identité de son cocontractant pour l'opération d'aménagement des espaces publics et mettre en cause la société Egis Bâtiments Centre Ouest, qui a gardé le même numéro d'immatriculation au registre du commerce et des sociétés à la suite de la reprise des activités des sociétés filiales du groupe OTH, devenu IOSIS, par le groupe EGIS, et non la société Egis Villes et Transports ; la commune ne peut se prévaloir d'une confusion sur l'identité de la société ni de la prétendue apparence entretenue par la société Egis Villes et Transports ; la société Egis Villes et Transports a d'ailleurs averti l'expert et les parties de l'identité de la société venue aux droits de la société OTH Ouest ;
- à titre subsidiaire, d'une part, les désordres ne sont pas de nature décennale dès lors qu'ils ne portent atteinte ni à la solidité ni à la destination de l'ouvrage ; la gravité de l'évolution du désordre n'est pas acquise avant le terme du délai de garantie décennale dès lors que l'expert a procédé à son constat le 13 décembre 2016 ; la conception technique des travaux n'est pas en cause alors que les fautes du maitre d'ouvrage, qui n'a pas communiqué les données sur la constitution des chaussées et des sols en place avant la rédaction du cahier des clauses techniques particulières, sont de nature à exonérer le maître d'œuvre, tout comme les fautes des autres constructeurs ; il appartenait au maitre d'ouvrage, dont la responsabilité ne saurait être inférieure à 50%, de s'assurer de la faisabilité de son opération d'aménagement en faisant réaliser elle-même les investigations, notamment géotechniques, sans se reposer sur la mission de conception ultérieure du maitre d'œuvre ;
- la commune de Quimperlé ne justifie pas du coût des travaux de mise en sécurité de la chaussée chiffrés à 12 000 euros TTC.
Par un mémoire en défense, enregistré le 29 août 2022, la commune de Quimperlé, représentée par Me Eveno :
1°) conclut au rejet de la requête ;
2°) demande, par la voie de l'appel incident que la société Egis Bâtiment Centre Ouest soit condamnée à lui verser une somme de 12 000 euros TTC au titre des travaux de mise en sécurité de la chaussée ;
3°) à titre subsidiaire, demande, par la voie de l'appel provoqué, que la société Egis Villes et Transport soit condamnée en lieu et place de la société Egis Bâtiment Centre Ouest pour les mêmes désordres et le même montant ;
4°) demande que soit mis à la charge de la société Egis Bâtiment Centre Ouest la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que les moyens soulevés par la société Egis Bâtiment Centre Ouest ne sont pas fondés ; si par extraordinaire, le référé n'a pas interrompu le délai de prescription à l'égard de la société Egis Bâtiment Centre Ouest, la société Egis Villes et Transport doit être condamnée à sa place dès lors qu'elle a donné l'apparence et a laissé croire, avant et pendant la durée de l'expertise, qu'elle venait aux droits de la société OTH Ouest, ce qui n'était en fait pas le cas et qu'elle ne pouvait l'ignorer ; les sociétés Egis Bâtiments Centre Ouest et Egis Villes et Transport sont deux entités du même groupe, ont la même adresse professionnelle et commercialisent leurs activités sous le même nom " IOSIS " ; dans les dossiers de candidature de la société Egis Villes et Transport pour l'attribution de marchés publics, il est fait état de nombreuses références de chantiers réalisés par la société OTH Ouest.
La procédure a été communiquée à la société Egis Villes et Transport le 6 mars 2023.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code civil ;
- le code des marchés publics ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Chollet,
- les conclusions de M. Pons, rapporteur public ;
- les observations de Me Dechelette, représentant la société Egis Bâtiment Centre Ouest ;
- et les observations de Me Eveno, représentant la commune de Quimperlé.
Considérant ce qui suit :
1. La commune de Quimperlé (Finistère) a confié, par acte d'engagement signé le 19 juillet 2004, la maîtrise d'œuvre de l'aménagement des espaces publics du centre historique ou " basse ville ", à un groupement d'entreprises, constitué de Mme D... B..., paysagiste, ayant la qualité de mandataire du groupement, de M. C... A..., architecte, de la société OTH Ouest, bureau d'études techniques, et de la société Coup d'éclat, éclairagiste. Les travaux portant sur l'aménagement de la rue Brémond d'Ars et de la rue de la Paix ont été divisés en deux lots, et ont été attribués, par acte d'engagement du 7 avril 2005, pour le lot n°1 " Voirie réseaux divers revêtements ", à la Société Rennaise de Travaux Publics (SRTP), devenue depuis la société Pigeon Bretagne Sud. La prestation de pavage a été, elle, sous-traitée à l'entreprise Art Bloc. Les travaux ont fait l'objet d'une réception ayant effet le 5 septembre 2006, assortie de réserves annexées au procès-verbal de réception, qui ont été levées dès le 26 septembre 2006. En 2011, la commune de Quimperlé, constatant l'apparition d'une fissure sur la chaussée, a demandé à ses services techniques d'y remédier. De nouveaux désordres étant apparus dans le courant de l'année 2014, elle a d'abord mandaté le laboratoire Grollemund Laboroutes Bretagne afin de procéder au constat des dégradations et à l'analyse de la structure de la chaussée, puis a sollicité en référé, le 18 juillet 2016, auprès du tribunal administratif de Rennes, la désignation d'un expert. Un expert a été désigné le 6 octobre 2016 et a remis son rapport le 6 mars 2019.
2. Par un jugement du 27 janvier 2022, dont la société Egis Bâtiments Centre Ouest relève appel, le tribunal administratif de Rennes, sur le fondement de la responsabilité décennale des constructeurs, a condamné la société Egis Bâtiments Centre Ouest à verser à la commune de Quimperlé une somme de 524 160 euros TTC au titre des désordres affectant la chaussée des rues Brémond d'Ars et de la Paix, assortie des intérêts au taux légal à compter du 14 juin 2019 et de la capitalisation des intérêts, a condamné la société Egis Bâtiments Centre Ouest à verser à la commune de Quimperlé une somme de 24 578,30 euros toutes taxes comprises au titre des dépens de l'instance, a mis à la charge de la société Egis Bâtiments Centre Ouest une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, a rejeté le surplus des conclusions de la requête, a mis à la charge de la commune de Quimperlé une somme de 1 000 euros à verser respectivement à la société Atelier D... B... et à la société Pigeon Bretagne Ouest, au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, enfin a rejeté les conclusions d'appel en garantie présentées par les parties. La commune de Quimperlé demande, par la voie de l'appel incident, que la société Egis Bâtiment Centre Ouest soit condamnée à lui verser une somme de 12 000 euros TTC au titre des travaux de mise en sécurité de la chaussée et demande, à titre subsidiaire, par la voie de l'appel provoqué, que la société Egis Villes et Transport soit condamnée en lieu et place de la société Egis Bâtiment Centre Ouest pour les mêmes désordres et le même montant.
Sur les conclusions d'appel principal de la société Egis Bâtiment Centre Ouest ;
3. Aux termes de l'article 2244 du code civil : " Le délai de prescription ou le délai de forclusion est également interrompu par une mesure conservatoire prise en application du code des procédures civiles d'exécution ou un acte d'exécution forcée ". Il résulte de ces dispositions, applicables à la responsabilité décennale des architectes et des entrepreneurs à l'égard des maîtres d'ouvrage publics, que, pour les désordres qui y sont expressément visés, une action en justice n'interrompt la prescription qu'à la condition d'émaner de celui qui a qualité pour exercer le droit menacé par la prescription et de viser celui-là même qui en bénéficierait.
4. La demande d'expertise en référé présentée devant le tribunal administratif de Rennes le 18 juillet 2016 par la commune de Quimperlé à l'encontre des sociétés Atelier D... B... et associés, Egis Villes et Transports, Pigeon Bretagne Sud et Art Bloc, expertise étendue par une ordonnance du 7 mars 2017, sur demande de la société Pigeon Bretagne Sud, aux sociétés SMABTP, Groupama et Gan, en leur qualité d'assureurs respectifs des sociétés Art Bloc, D... B... et OTH Ouest, n'a pas eu pour effet d'interrompre le délai de l'action en garantie décennale ouverte au maître de l'ouvrage contre la société Egis Bâtiments Centre Ouest dès lors que cette dernière n'y était pas visée. Il appartenait d'ailleurs à la commune de Quimperlé de procéder aux vérifications nécessaires pour déterminer l'identité de la société ayant repris les activités de son cocontractant, la société OTH Ouest, notamment en consultant le registre du commerce et des sociétés dont il résulte que c'est la société Egis Bâtiments Centre Ouest qui a gardé le même numéro d'immatriculation que la société OTH Ouest sur ce registre, et non la société Egis Villes et Transports, personne morale distincte bien qu'elle appartienne au même groupe, à la suite de la reprise des activités des sociétés filiales du groupe OTH, devenu IOSIS, par le groupe EGIS. Dans ces conditions, alors qu'il est constant que les travaux entrepris ont fait l'objet d'une réception ayant effet le 5 septembre 2006 dont les réserves ont été levées le 26 septembre 2006, la société Egis Bâtiments Centre Ouest, qui n'a été attrait à l'action en responsabilité que par un mémoire en réplique enregistré devant le tribunal le 23 avril 2021, est fondée à soutenir que les premiers juges ne pouvaient la condamner à indemniser la commune de Quimperlé sur le fondement de la garantie décennale alors que cette action en responsabilité à son égard était prescrite compte tenu de l'expiration de son délai le 26 septembre 2016.
5. Il résulte de ce qui précède que la société Egis Bâtiment Centre Ouest est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes l'a condamnée à verser à la commune de Quimperlé une somme de 524 160 euros TTC au titre des désordres affectant la chaussée des rues Brémond d'Ars et de la Paix, assortie des intérêts au taux légal à compter du 14 juin 2019 et de la capitalisation des intérêts, ainsi qu'une somme de 24 578,30 euros TTC au titre des dépens de l'instance et une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Sur les conclusions d'appel provoqué de la commune de Quimperlé :
6. Il est constant que la société Egis Villes et Transports, qui ne vient aux droits d'aucun constructeur, n'a pas contracté avec la commune de Quimperlé pour les travaux en litige. Alors même qu'elle a participé aux opérations d'expertise et n'a précisé que le 30 novembre 2018, dans un courrier à l'expert, que c'est la société Egis Bâtiments Centre Ouest qui venait aux droits de la société OTH Ouest, les conclusions subsidiaires de la commune de Quimperlé tendant à ce qu'elle soit condamnée à lui verser une somme de 524 160 euros TTC au titre des désordres affectant la chaussée des rues Brémond d'Ars et de la Paix, assortie des intérêts au taux légal à compter du 14 juin 2019 et de la capitalisation des intérêts, et à une somme de 24 578,30 euros TTC au titre des dépens, au motif qu'elle a " donné l'apparence et a laissé croire, avant et pendant la durée de l'expertise, qu'elle venait aux droits de la société OTH, ce qui n'était pas en fait la réalité, ce qu'elle ne pouvait valablement ignorer " doivent par suite être rejetées.
Sur les conclusions d'appel incident de la commune de Quimperlé :
7. La commune de Quimperlé demande, par la voie de l'appel incident, que la société Egis Bâtiment Centre Ouest soit condamnée à lui verser une somme de 12 000 euros TTC au titre des travaux de mise en sécurité de la chaussée. Il résulte de ce qui a été dit aux points 3 à 5 que, la société Egis Bâtiment Centre Ouest ne pouvant être condamnée sur le fondement de la garantie décennale des constructeurs, en raison de la prescription de l'action, ces conclusions d'appel incident présentées sur le même fondement ne peuvent qu'être rejetées.
Sur les frais liés au litige :
8. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à l'octroi d'une somme au titre des frais exposés et non compris dans les dépens à la partie perdante. Il y a lieu, dès lors, de rejeter les conclusions présentées à ce titre par la commune de Quimperlé. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de mettre à la charge de la commune de Quimperlé la somme demandée par la société Egis Bâtiments Centre Ouest au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement du 27 janvier 2022 du tribunal administratif de Rennes est annulé.
Article 2 : La demande présentée par la commune de Quimperlé devant le tribunal administratif de Rennes et ses conclusions d'appel incident et provoqué devant la cour sont rejetées.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la société Egis Bâtiments Centre Ouest est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société Egis Bâtiments Centre Ouest, à la commune de Quimperlé, et à la société Egis Villes et Transports.
Délibéré après l'audience du 16 mai 2023, à laquelle siégeaient :
- M. Lainé, président de chambre,
- M. Derlange, président assesseur,
- Mme Chollet, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 2 juin 2023.
La rapporteure,
L. CHOLLET
Le président,
L. LAINÉ
Le greffier,
C. WOLF
La République mande et ordonne au préfet du Finistère en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 22NT00955