Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. G... A... et M. D... A... ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision implicite née le 24 août 2020 et la décision expresse du 28 octobre 2020 par lesquelles la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre les décisions du 9 mars 2020 de l'autorité consulaire française à Bamako (Mali) refusant de délivrer aux enfants mineurs, D... A..., E... A... et B... A..., un visa d'entrée et de long séjour au titre du regroupement familial.
Par un jugement n°s 2010789, 2100553 du 10 mai 2021, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leurs demandes.
Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires enregistrés les 12 juillet 2021 et 9 février 2023 et un mémoire non communiqué, enregistré le 14 mars 2023, M. G... A..., M. D... A... et Mme E... A..., entre-temps devenue majeure, représentés par Me Langlois, demandent à la cour, dans le dernier état de leurs écritures :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes ;
2°) d'annuler la décision implicite de rejet née le 24 août 2020 ainsi que la décision expresse du 28 octobre 2020 de la commission de recours ;
3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer les visas sollicités dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ou, subsidiairement, de réexaminer la demande dans les mêmes conditions de délai et d'astreinte ;
4°) à titre subsidiaire, d'ordonner une expertise génétique ;
5°) de mettre à la charge de l'État la somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- la décision du 28 octobre 2020 de la commission de recours est entachée d'un défaut de motivation ;
- le lien de filiation est établi par les actes d'état civil produits qui sont authentiques et par la possession d'état ;
- la décision contestée méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle méconnaît les stipulations du paragraphe 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- la décision contestée a été prise en méconnaissance des articles L. 411-4, L. 411-5 et L. 314-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
Par un mémoire en défense, enregistré le 29 octobre 2021, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par les requérants ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Montes-Derouet
- et les observations de Me Blin, substituant Me Langlois, pour M. A....
Considérant ce qui suit :
1. Par une décision du 5 juin 2018 du préfet de la Seine-Saint-Denis, M. G... A... s'est vu délivrer l'autorisation de regroupement familial qu'il a sollicitée au profit des enfants mineurs, D... A..., E... A... et B... A.... Ces derniers ont présenté des demandes des visas de long séjour en qualité de bénéficiaires de la procédure de regroupement familial auprès du consul général de France à Bamako (Mali). Par des décisions du 9 mars 2020, cette autorité a rejeté ces demandes. Le 10 avril 2020, M. A... a contesté ces décisions devant la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France. Par une décision explicite du 28 octobre 2020, prise après demande de communication de motifs de la décision implicite de rejet née le 24 août 2020 du silence gardé par la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France, cette dernière a rejeté le recours formé contre les décisions de l'autorité consulaire. M. G... A..., M. D... A... et Mme E... A..., entre-temps devenue majeure, relèvent appel du jugement du 10 mai 2021 par lequel le tribunal administratif de Nantes a rejeté leurs demandes dirigées contre la décision implicite de rejet et la décision expresse du 28 octobre 2020 de la commission de recours. Cette décision expresse de la commission de recours s'étant substituée à sa première décision implicite, les conclusions de la requête de M. G... A..., de M. D... A... et de Mme E... A... doivent être regardées comme dirigées exclusivement contre cette décision expresse de rejet.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 211-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, alors en vigueur : " Pour entrer en France, tout étranger doit être muni : / 1° Des documents et visas exigés par les conventions internationales et les règlements en vigueur (...) ". Aux termes de l'article L. 211-2-1 du même code, alors en vigueur : " (...) Tout étranger souhaitant entrer en France en vue d'y séjourner pour une durée supérieure à trois mois doit solliciter auprès des autorités diplomatiques et consulaires françaises un visa de long séjour (...) ". Aux termes de l'article L. 411-1 du même code, alors en vigueur : " Le ressortissant étranger qui séjourne régulièrement en France depuis au moins dix-huit mois, sous couvert d'un des titres d'une durée de validité d'au moins un an prévus par le présent code ou par des conventions internationales, peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre du regroupement familial, par son conjoint, si ce dernier est âgé d'au moins dix-huit ans, et les enfants du couple mineurs de dix-huit ans. " En vertu de l'article L. 411-2 du même code, alors en vigueur : " Le regroupement familial peut également être sollicité pour les enfants mineurs de dix-huit ans du demandeur et ceux de son conjoint dont, au jour de la demande, la filiation n'est établie qu'à l'égard du demandeur ou de son conjoint ou dont l'autre parent est décédé ou déchu de ses droits parentaux. ". Si la venue en France de ressortissants étrangers a été autorisée au titre du regroupement familial, cette circonstance ne fait pas obstacle à ce que l'autorité consulaire use du pouvoir qui lui appartient de refuser leur entrée en France en se fondant, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, sur des motifs d'ordre public. Figure au nombre de ces motifs l'absence de caractère authentique des actes d'état civil produits.
3. Aux termes de l'article L. 111-6 du même code, alors en vigueur : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil. (...) ". Aux termes de l'article 47 du code civil, dans sa rédaction alors applicable : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. ". Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties.
4. Il n'appartient pas aux autorités administratives françaises de mettre en doute le bien-fondé d'une décision rendue par une autorité juridictionnelle étrangère, hormis le cas où le jugement produit aurait un caractère frauduleux.
5. Pour rejeter les demandes de visas de long séjour présentées en faveur des trois enfants, la commission de recours s'est fondée sur ce que l'identité et le lien de filiation des jeunes D... A..., E... A... et B... A..., nés respectivement les 2 avril 2001, 16 février 2003 et 28 novembre 2005, à l'égard de M. G... A... n'étaient pas établis.
6. Pour justifier de leur identité et de leur lien de filiation, les requérants ont produit des jugements supplétifs rendus le 19 juillet 2016, pour chacun des demandeurs de visa, sous les ns 6521, 6523 et 6524, par le tribunal de grande instance de la commune II du district de Bamako ainsi que des copies littérales d'actes de naissance dressées le 26 juillet 2016, en transcription de ces jugements, par le centre secondaire de Medina Coura de la commune II. Il ressort des pièces du dossier que ces jugements supplétifs, de même que les actes de naissance dressés en transcription de ces jugements, ont été communiqués, en réponse à une demande de levée d'acte sollicitée le 15 mars 2019 par les autorités consulaires françaises, par le greffier en chef du tribunal de grande instance de la commune II du district de Bamako le 4 avril suivant puis par l'officier d'état-civil du centre secondaire de Medina Coura de la commune II le 29 avril 2019. Si le ministre fait valoir que les demandeurs de visas ont également présenté des copies, certifiées conformes le 14 décembre 2012, d'extraits d'actes de naissance dressés au centre principal d'état civil de Kalaban Coro en transcription de jugements supplétifs rendus le 10 décembre 2012, les requérants produisent, pour la première fois devant la cour, un jugement du 24 mars 2023, dont le caractère authentique n'est pas contesté par le ministre, par lequel le tribunal de grande instance de la commune V du district de Bamako a prononcé, à la demande de M. G... A..., l'annulation, en application de l'article 137 du code des personnes et de la famille malien, de ces actes de naissance et a ordonné à l'officier de l'état-civil de ce centre de porter mention de cette annulation sur ces actes de naissance. Par suite, l'identité et le lien de filiation de M. D... A..., de Mme E... A... et du jeune B... A... à l'égard de M. G... A... doivent être regardés comme établis par les jugements supplétifs du 19 juillet 2016. Dans ces conditions, le ministre ne peut utilement faire valoir que les copies littérales des actes de naissance établis le 26 juillet 2016 sur la base de ces jugement supplétifs ne font pas mention de l'heure de naissance des enfants ni de l'âge et de la nationalité des parents ni qu'ils ne mentionnent pas le numéro d'identification national (NINA) des intéressés, ni davantage encore qu'ils n'ont pas été signés par le comparant, à savoir M. G... A... alors, en tout état de cause, que l'article 127 du code des personnes et de la famille malien exige la seule signature, sur les actes de naissance, de l'officier d'état-civil. Enfin, la circonstance qu'a été produit, lors de la demande de visa, un acte de mariage comportant certaines anomalies quant à la date de naissance de Mme C... F..., n'est pas de nature à remettre en cause le lien de filiation des enfants à l'égard de M. G... A..., celui-ci ayant en outre produit un nouvel acte de mariage dont le caractère authentique n'est pas contesté.
7. Il résulte de ce qui précède qu'en considérant que l'identité et le lien de filiation de M. M. D... A..., de Mme E... A... et du jeune B... A... n'étaient pas établis et en refusant, pour ce motif, la délivrance des visas sollicités, la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France a fait une inexacte application des dispositions citées ci-dessus.
8. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête ni d'ordonner l'expertise génétique sollicitée, que M. G... A..., M. D... A... et Mme E... A... sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leurs demandes.
Sur les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte :
9. L'exécution du présent arrêt implique nécessairement que des visas de long séjour soient délivrés à M. D... A..., à Mme E... A... et au jeune B... A.... Il y a lieu d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer ces visas dans le délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais liés au litige :
10. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme globale de 1 200 euros au titre des frais exposés par les requérants et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du 10 mai 2021 du tribunal administratif de Nantes est annulé.
Article 2 : La décision du 28 octobre 2020 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté les demandes de visa d'entrée et de long séjour en France présentées pour M. D... A..., Mme E... A... et le jeune B... A... est annulée.
Article 3 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur et des outre-mer de délivrer à M. D... A... à Mme E... A... et au jeune B... A... des visas d'entrée et de long séjour dans le délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 4 : L'Etat versera aux requérants une somme globale de 1 200 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. G... A..., à M. D... A..., à Mme E... A... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Délibéré après l'audience du 20 juin 2023, à laquelle siégeaient :
- Mme Buffet, présidente de chambre,
- Mme Montes-Derouet, présidente-assesseure,
- M. Bréchot, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 7 juillet 2023.
La rapporteure,
I. MONTES-DEROUETLa présidente,
C. BUFFET
La greffière,
A. LEMEE
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 21NT01973002