Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme A... C... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 9 décembre 2020 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision du 6 août 2020 de l'autorité consulaire française à Francfort-sur-le-Main (Allemagne) refusant de lui délivrer un visa d'entrée et de long séjour en qualité d'étudiante.
Par un jugement n° 2103511 du 4 octobre 2021, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 15 juin 2022, Mme C..., représentée par Me Guilbaud, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 4 octobre 2021 du tribunal administratif de Nantes ;
2°) d'annuler la décision du 9 décembre 2020 de la commission de recours ;
3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur de lui délivrer le visa sollicité dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, subsidiairement, de réexaminer les demandes de visa, dans les mêmes conditions de délai et d'astreinte ;
4°) de mettre à la charge de l'État le versement à son conseil de la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Mme C... soutient que :
- le jugement attaqué est irrégulier, en ce que le tribunal a procédé à une substitution de motifs qui ne lui a pas été demandée ;
- les motifs de la décision contestée sont entachés d'erreur de droit et d'erreur manifeste d'appréciation ;
- les conditions prévues par la directive 2016/801 du Parlement européen et du Conseil du 11 mai 2016 étaient remplies ;
- son projet d'études présente un caractère sérieux et cohérent ;
- le refus de visa méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Par un mémoire en défense, enregistré le 6 juillet 2023, le ministre de l'intérieur et des outre-mer conclut au rejet de la requête.
Il soutient, en outre, que :
- le projet d'études de la requérante, qui n'a pas respecté la procédure Campus France, est dépourvu de caractère cohérent et sérieux ;
- subsidiairement, il existe un cursus similaire au Gabon.
Mme C... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 11 avril 2022.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la directive (UE) 2016/801 du Parlement européen et du Conseil du 11 mai 2016 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le décret n°2008-1176 du 13 novembre 2008 ;
- l'instruction interministérielle relative aux demandes de visas de long séjour pour études dans le cadre de la directive UE 2016/801 du 4 juillet 2019 ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Dias a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Par un jugement du 4 octobre 2021, le tribunal administratif de Nantes a rejeté la demande de Mme C..., ressortissante gabonaise, tendant à l'annulation de la décision du 9 décembre 2020 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision des autorités consulaires françaises à Francfort-sur-le-Main (Allemagne) refusant de lui délivrer un visa de long séjour en qualité d'étudiante. Mme C... relève appel de ce jugement.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Il ressort des pièces du dossier que, pour rejeter le recours de Mme C... contre la décision des autorités consulaires, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France s'est fondée sur les motifs tirés, d'une part, de ce que l'intéressée, qui a détourné l'objet d'un titre de séjour allemand pour entamer des études en France, ne peut utilement solliciter un visa de long séjour pour études dans un poste consulaire de l'espace Schengen pour régulariser sa situation et, d'autre part, de ce qu'il existe un risque de détournement de l'objet du visa à des fins migratoires, eu égard à la situation de Mme C..., âgée de 26 ans et célibataire.
3. Par le jugement attaqué, les premiers juges ont censuré ces deux motifs, comme étant entachés, respectivement, d'une erreur de droit et d'une erreur manifeste d'appréciation et ont fait droit à la demande de substitution de motifs présentée par le ministre, tirée du défaut de caractère sérieux et cohérent des études envisagées de nature à révéler que l'intéressée a sollicité ce visa à d'autres fins que son projet d'études. En admettant même que, par cette argumentation nouvelle, le ministre de l'intérieur avait sollicité une substitution de motifs, celle-ci a été présentée par un mémoire en défense, enregistré le 26 août 2021, qui a été communiqué le 27 août suivant à Mme C... de sorte que celle-ci a été mise à même de présenter ses observations sur ce motif alors, en outre, qu'en tout état de cause, aucune demande expresse de substitution ne peut être exigée lorsqu'un nouveau motif est soumis au juge. Il en résulte que le moyen tiré de ce que les premiers juges auraient irrégulièrement procédé à une substitution de motifs ne peut qu'être écarté.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
4. Aux termes de l'article L. 211-2-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, alors applicable et désormais recodifié à l'article L. 312-2 de ce code : " (...) / Tout étranger souhaitant entrer en France en vue d'y séjourner pour une durée supérieure à trois mois doit solliciter auprès des autorités diplomatiques et consulaires françaises un visa de long séjour. (...) / Les autorités diplomatiques et consulaires sont tenues de statuer sur les demandes de visa de long séjour formées par (...) les étudiants dans les meilleurs délais (...) ".
5. Selon l'article 5 de la directive (UE) 2016/801 du Parlement européen et du Conseil du 11 mai 2016 relative aux conditions d'entrée et de séjour des ressortissants de pays tiers à des fins de recherche, d'études, de formation, de volontariat et de programmes d'échange d'élèves ou de projets éducatifs et de travail au pair, l'admission d'un ressortissant d'un pays tiers à des fins d'études est soumise à des conditions générales, fixées par l'article 7, comme l'existence de ressources suffisantes pour couvrir ses frais de subsistance durant son séjour ainsi que ses frais de retour et à des conditions particulières, fixées par l'article 11, telles que l'admission dans un établissement d'enseignement supérieur ainsi que le paiement des droits d'inscription. L'article 20 de la même directive, qui définit précisément les motifs de rejet d'une demande d'admission, prévoit qu'un Etat membre rejette une demande d'admission si ces conditions ne sont pas remplies ou encore, peut rejeter la demande, selon le f) du 2, " s'il possède des preuves ou des motifs sérieux et objectifs pour établir que l'auteur de la demande souhaite séjourner sur son territoire à d'autres fins que celles pour lesquelles il demande son admission. ".
6. En l'absence de dispositions spécifiques figurant au code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, une demande présentée pour l'octroi d'un visa de long séjour sollicité pour effectuer des études en France est notamment soumise aux instructions générales établies par le ministre chargé de l'immigration prévues par le décret du 13 novembre 2008 relatif aux attributions des chefs de mission diplomatique et des chefs de poste consulaire en matière de visas, en particulier son article 3, pris sur le fondement de l'article L. 211-1 de ce code alors applicable, recodifié depuis à l'article L. 311-1. L'instruction applicable est, s'agissant des demandes de visas de long séjour en qualité d'étudiant mentionnés à l'article L. 211-2-1 de ce même code, récodifié depuis à l'article L. 312-2, l'instruction ministérielle du 4 juillet 2019 relative aux demandes de visas de long séjour pour études dans le cadre de la directive (UE) 2016/801, laquelle participe de la transposition de cette même directive.
7. Le point 2.4 de l'instruction interministérielle relative aux demandes de visas de long séjour pour études dans le cadre de la directive UE 2016/801 du 4 juillet 2019, intitulé " Autres vérifications par l'autorité consulaire ", indique que cette dernière " (...) peut opposer un refus s'il existe des éléments suffisamment probants et des motifs sérieux permettant d'établir que le demandeur séjournera en France à d'autres fins que celles pour lesquelles il demande un visa pour études. ".
8. L'autorité administrative peut, le cas échéant, et sous le contrôle des juges de l'excès de pouvoir restreint à l'erreur manifeste, rejeter la demande de visa de long séjour pour effectuer des études en se fondant sur le défaut de caractère sérieux et cohérent des études envisagées, de nature à révéler que l'intéressé sollicite ce visa à d'autres fins que son projet d'études.
9. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que, lorsqu'elle a déposé sa demande de visa pour études, Mme C..., alors titulaire d'un titre de séjour allemand en qualité d'étudiante depuis plusieurs années, n'avait obtenu aucun diplôme dans le domaine pour lequel elle avait été admise au séjour en Allemagne. Si la commission de recours a cru pouvoir déduire de cette circonstance que l'intéressée avait détourné l'objet du titre de séjour délivré à des fins d'études par les autorités allemandes, un tel motif n'est pas au nombre de ceux qui peuvent légalement fonder un refus de visa sollicité pour études. En rejetant, pour ce motif, la demande de visa présentée par Mme C..., la commission de recours a entaché sa décision d'une erreur de droit.
10. En deuxième lieu, la commission de recours s'est également fondée, pour rejeter la demande de visa, sur le motif tiré de ce qu'il existe un risque que le visa, sollicité pour études, soit détourné à d'autres fins, notamment migratoires.
11. D'une part, il ressort des pièces du dossier que Mme C..., titulaire d'un baccalauréat obtenu au mois de juillet 2012 et inscrite depuis 2014 à l'université de Clausthal (Allemagne), en Bachelor en énergie et matériaux premiers, n'a, au terme de 6 années dans cet établissement, validé que 70 crédits sur les 180 requis pour l'obtention de ce diplôme, censé sanctionner trois années d'études supérieures. D'autre part, si, au titre de l'année 2020-2021, Mme C..., a obtenu, sans d'ailleurs suivre la procédure Campus France, une inscription à l'université de Pau et des Pays de l'Adour, en Licence 2 de physique-chimie, diplôme d'un niveau inférieur à celui du Bachelor allemand pour l'obtention duquel elle a été admise au séjour en Allemagne de 2012 à 2020, elle n'apporte pas d'éléments de nature à justifier de la nécessité pour elle d'effectuer ce nouveau parcours universitaire en France, et n'établit pas l'impossibilité dans laquelle elle se trouverait de suivre un cursus équivalent au Gabon. Ainsi, à la date de la décision contestée, Mme C... ne pouvait être regardée comme justifiant d'un projet d'études présentant un caractère cohérent et sérieux. Dans ces circonstances, en estimant qu'il existait un risque de détournement de l'objet du visa à des fins migratoires, la commission de recours n'a pas entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation. Il résulte de l'instruction que l'administration aurait pris la même décision si elle s'était fondée sur ce seul motif.
12. En troisième lieu, ainsi que l'a jugé la Cour de justice de l'Union européenne, par son arrêt du 10 septembre 2014 n° C-491/13, " rien n'empêche les Etats membres d'exiger toutes les preuves nécessaires pour évaluer la cohérence de la demande d'admission à des fins d'études afin d'éviter toute utilisation abusive ou frauduleuse de la procédure ". Ainsi, en tout état de cause, alors même que la requérante remplirait les conditions fixées par les articles 7 et 11 de la directive (UE) 2016/801 du Parlement européen et du Conseil du 11 mai 2016, la commission de recours n'a, en refusant de délivrer le visa pour le motif analysé au point précédent, pas méconnu les objectifs de cette directive.
13. En quatrième et dernier lieu, compte tenu de l'objet du visa sollicité par Mme C..., pour l'accomplissement d'études supérieures, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté.
14. Il résulte de tout ce qui précède que Mme C... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
15. Le présent arrêt, qui rejette les conclusions à fin d'annulation présentées, dans sa requête, par Mme C..., n'appelle aucune mesure d'exécution. Par suite, les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte également présentées par Mme C... doivent être rejetées.
Sur les frais liés au litige :
16. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme demandée par Mme C... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de Mme C... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... C... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Délibéré après l'audience du 9 janvier 2024, à laquelle siégeaient :
- Mme Buffet, présidente de chambre,
- Mme Montes-Derouet, présidente-assesseure,
- M. Dias, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 26 janvier 2024.
Le rapporteur,
R. DIAS
La présidente,
C. BUFFETLe greffier,
R. MAGEAU
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 22NT01836