Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 17 septembre 2018 par laquelle le ministre chargé de l'intérieur a ajourné sa demande de naturalisation jusqu'au prononcé de la décision de justice se prononçant sur une procédure judiciaire en cours à son encontre, ainsi que la décision du 15 novembre 2018 par laquelle la même autorité a rejeté le recours gracieux formé contre cette décision.
Par un jugement n° 1901857 du 28 février 2022, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 9 avril 2022, M. B..., représenté par Me Lemoudaa, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes ;
2°) d'annuler les deux décisions des 17 septembre 2018 et 15 novembre 2018 du ministre de l'intérieur ;
3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur et des outre-mer de réexaminer sa demande de naturalisation dans un délai de trente jours à compter de l'arrêt à intervenir ;
4°) de mettre à la charge de l'État le versement d'une somme de 2 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- les deux décisions contestées sont insuffisamment motivées ;
- elles sont entachées d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- la peine prononcée à son encontre n'entre pas dans le champ d'application de l'article 21-27 du code civil ;
- il réside en France depuis le 18 décembre 1980 ; plusieurs membres de sa famille dont ses enfants sont français ; il maîtrise le français ; il exerce une activité professionnelle ; il est de bonne moralité et ne représente pas une menace à l'ordre public.
Par un mémoire en défense, enregistré le 1er août 2022, le ministre de l'intérieur et des outre-mer conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens invoqués par M. B... ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code civil ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 98-170 du 16 mars 1998 ;
- le décret n° 93-1362 du 30 décembre 1993 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Mas a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., ressortissant marocain né le 1er janvier 1964, a déposé une demande de naturalisation devant le préfet de l'Hérault. Cette demande ayant été rejetée, il a formé le recours hiérarchique prévu par les dispositions de l'article 45 du décret du 30 décembre 1993 relatif aux déclarations de nationalité, aux décisions de naturalisation, de réintégration, de perte, de déchéance et de retrait de la nationalité française. Par décision du 17 septembre 2018, le ministre de l'intérieur a rejeté ce recours et a prononcé l'ajournement de la demande de naturalisation de M. B... jusqu'à ce que l'autorité judiciaire se prononce sur une procédure pénale engagée à l'encontre de l'intéressé pour emploi d'un étranger non muni d'une autorisation de travail, exécution d'un travail dissimulé, usurpation de titre, diplôme ou qualité et aide à l'entrée, à la circulation ou au séjour d'un étranger en France. M. B... a formé un recours gracieux à l'encontre de cette décision, que le ministre de l'intérieur a rejeté par décision du 15 novembre 2018. M. B... relève appel du jugement du 28 février 2022 par lequel le tribunal administratif de Nantes a rejeté le recours contentieux qu'il a formé à l'encontre des deux décisions du ministre de l'intérieur des 17 septembre 2018 et 15 novembre 2018.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
2. En premier lieu, aux termes de l'article 27 de la loi n° 98-170 du 16 mars 1998 relative à la nationalité : " Toute décision déclarant irrecevable, ajournant ou rejetant une demande de naturalisation ou de réintégration par décret ainsi qu'une autorisation de perdre la nationalité française doit être motivée selon les modalités prévues à l'article L. 211-5 du code des relations entre le public et l'administration. " Aux termes de ce l'article L. 211-5 du code des relations entre le public et l'administration : " La motivation exigée par le présent chapitre doit être écrite et comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision. " La décision du ministre de l'intérieur du 17 septembre 2018 comporte l'énoncé des motifs de droit et de fait qui en constituent le fondement. En particulier, le ministre de l'intérieur, qui a indiqué fonder sa décision, notamment, sur l'article 48 du décret n° 93-1362 du 30 décembre 1993, n'était pas tenu, contrairement à ce que soutient M. B..., de citer intégralement cet article ou d'en préciser la teneur. Le moyen tiré de l'insuffisante motivation en droit de cette décision doit, dès lors, être écarté.
3. En deuxième lieu, la décision par laquelle une autorité administrative rejette un recours gracieux formé à l'encontre d'une précédente décision suffisamment motivée n'a pas elle-même à être motivée. Le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de la décision du ministre de l'intérieur du 15 novembre 2018 doit, dès lors, être écarté comme inopérant.
4. En troisième lieu, l'article 44 du décret n° 93-1362 du 30 décembre 1993 dispose, dans sa rédaction applicable au litige : " Si le préfet compétent à raison de la résidence du demandeur ou, à Paris, le préfet de police estime, même si la demande est recevable, qu'il n'y a pas lieu d'accorder la naturalisation ou la réintégration sollicitée, il prononce le rejet de la demande. / Il peut également en prononcer l'ajournement en imposant un délai ou des conditions. Ce délai une fois expiré ou ces conditions réalisées, il appartient au demandeur, s'il le juge opportun, de formuler une nouvelle demande (...). " Aux termes de l'article 45 du même décret : " Dans les deux mois suivant leur notification, les décisions prises en application des articles 43 et 44 peuvent faire l'objet d'un recours auprès du ministre chargé des naturalisations, à l'exclusion de tout autre recours administratif. / Ce recours, pour lequel le demandeur peut se faire assister ou être représenté par toute personne de son choix, doit exposer les raisons pour lesquelles le réexamen de la demande est sollicité. Il constitue un préalable obligatoire à l'exercice d'un recours contentieux, à peine d'irrecevabilité de ce dernier (...). " Aux termes de l'article 48 de ce décret : " (...) /. Si le ministre chargé des naturalisations estime qu'il n'y a pas lieu d'accorder la naturalisation ou la réintégration sollicitée, il prononce le rejet de la demande. Il peut également en prononcer l'ajournement en imposant un délai ou des conditions. Ce délai une fois expiré ou ces conditions réalisées, il appartient à l'intéressé, s'il le juge opportun, de déposer une nouvelle demande. "
5. Il ressort des pièces du dossier et il n'est d'ailleurs pas contesté que M. B... faisait, à la date des décisions contestées, l'objet d'une procédure judiciaire en cours pour emploi d'un étranger non muni d'une autorisation de travail, exécution d'un travail dissimulé, usurpation de titre, diplôme ou qualité et aide à l'entrée, à la circulation ou au séjour d'un étranger en France, à la suite d'un contrôle effectué par les services de la police aux frontières de Sète le 21 octobre 2014. Cette procédure a d'ailleurs abouti à un jugement du tribunal correctionnel de Montpellier du 3 décembre 2018. Les faits dont M. B... était ainsi suspecté n'étant ni dénués de gravité, ni exagérément anciens, ils étaient susceptibles de justifier, à les supposer établis, que le ministre de l'intérieur, dans le cadre de son large pouvoir d'appréciation, refuse d'accéder à la demande de naturalisation de M. B.... Le ministre de l'intérieur pouvait dès lors, sans entacher sa décision d'erreur manifeste d'appréciation, décider d'ajourner la demande de naturalisation de M. B..., en attendant que l'autorité judiciaire se prononce notamment sur la matérialité des faits. La circonstance que, postérieurement à l'intervention des décisions contestées, le jugement du tribunal correctionnel de Montpellier du 3 décembre 2018 a prononcé une relaxe partielle de M. B... est, eu égard à leur motif, sans incidence sur la légalité de ces décisions.
6. En quatrième lieu, aux termes de l'article 21-27 du code civil : " Nul ne peut acquérir la nationalité française ou être réintégré dans cette nationalité s'il a été l'objet soit d'une condamnation pour crimes ou délits constituant une atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation ou un acte de terrorisme, soit, quelle que soit l'infraction considérée, s'il a été condamné à une peine égale ou supérieure à six mois d'emprisonnement, non assortie d'une mesure de sursis (...). "
7. Le ministre de l'intérieur n'ayant pas prononcé l'irrecevabilité de la demande de naturalisation de M. B... sur le fondement de ces dispositions, le moyen tiré de leur méconnaissance ne peut qu'être écarté comme inopérant.
8. En dernier lieu, eu égard au motif des décisions contestées, les circonstances que M. B... réside en France depuis le 18 décembre 1980, que plusieurs membres de sa famille, dont ses enfants, sont français, qu'il maîtrise la langue française, qu'il exerce une activité professionnelle, qu'il est de bonne moralité et qu'il ne constitue pas une charge déraisonnable pour l'assistance publique sont sans incidence sur la légalité de ces décisions.
9. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
10. Le présent arrêt, qui rejette les conclusions à fin d'annulation présentées dans la requête de M. B..., n'appelle aucune mesure d'exécution. Par suite, les conclusions à fin d'injonction présentées par M. B... doivent être rejetées.
Sur les frais liés au litige :
11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme demandée par M. B... sur le fondement de ces dispositions.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Délibéré après l'audience du 20 février 2024, à laquelle siégeaient :
- Mme Montes-Derouet, présidente-assesseure,
- M. Mas, premier conseiller,
- M. Dias, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 15 mars 2024.
Le rapporteur,
B. MASLa présidente,
I. MONTES-DEROUET
Le greffier,
R. MAGEAU
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 22NT01113