Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme E... B..., agissant tant en son nom personnel qu'en qualité de représentante légale de sa fille mineure D... B..., a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 8 mars 2023 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours dirigé contre la décision du 23 janvier 2022 de l'autorité consulaire française à Abidjan (Côte d'Ivoire) refusant à la jeune D... B... la délivrance d'un visa d'entrée et de long séjour en France au titre de la réunification familiale.
Par un jugement n° 2305612 du 5 mars 2024, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 3 avril 2024, Mme E... B..., représentée par Me Pollono, demande au juge des référés de la cour :
1°) de suspendre, sur le fondement des dispositions de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, l'exécution de la décision du 8 mars 2023 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté la demande de visa présentée pour la jeune D... B... au titre de la réunification familiale ;
2°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur de procéder à un nouvel examen de la situation dans le délai de quinze jours à compter de la notification de l'ordonnance à intervenir, sous astreinte de cent euros par jour de retard ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 800 euros hors taxe, au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
- l'urgence est justifiée, d'une part compte tenu de la durée de séparation avec sa fille D..., depuis 2019 et alors que la demande de réunification a été présentée en 2022 et, d'autre part, en raison de la situation de D..., qui est exposée à des risques d'excision du fait de membres de sa famille, qui a dû quitter la Côte d'Ivoire, réside au Maroc et est séparée du reste de sa famille ;
- s'agissant de l'existence d'un doute sérieux quant à la légalité de la décision contestée, le lien familial est établi entre elle et sa fille D... et la demande de visa n'est entachée d'aucune fraude ; l'enfant a été reconnue par M. F... B..., qui n'est pas le père biologique, ce qui n'a jamais été dissimulé ; la circonstance que le père qui a reconnu l'enfant n'est pas son père biologique ne suffit pas à caractériser l'existence d'une fraude ; il est dans l'intérêt de l'enfant de disposer d'une filiation dans les cas où le père biologique n'assumerait pas sa paternité ; la reconnaissance de D... par M. F... B... est conforme au droit ivoirien ; elle s'est soustraite à un mariage forcé, ce qui a justifié l'octroi du statut de réfugié ; l'administration ne démontre pas l'existence d'une fraude, notamment au regard des actes d'état-civil produits dont les mentions sont concordantes ; le lien familial est également établi au regard de la possession d'état ; elle bénéficie de l'autorité parentale sur sa fille ; la décision contestée méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article 3.1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.
Par un mémoire en défense, enregistré le 12 avril 2024, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- l'urgence n'est pas constituée dès lors que le risque d'excision n'est pas suffisamment caractérisé et qu'il existe un doute sur les véritables raisons ayant conduit à son départ pour le Maroc ;
- il n'y a pas de doute sérieux sur la légalité de la décision contestée.
Par décision du 10 avril 2024, le bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Nantes a admis Mme B... au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale.
Vu :
- la requête au fond, enregistrée au greffe de la cour le 3 avril 2024, sous le n° 24NT00983, par laquelle Mme B... demande à la cour d'annuler le jugement n° 2305612 du 5 mars 2024.
- les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la cour administrative d'appel de Nantes a désigné M. Degommier, président de chambre, en application de l'article L. 511-2 du code de justice administrative, pour statuer en qualité de juge des référés.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique du 16 avril 2024 :
- le rapport de M. Degommier, juge des référés ;
- et les observations de Me Pollono, représentant Mme B... ainsi que les observations de cette dernière.
La clôture de l'instruction a été prononcée à l'issue de l'audience.
Une note en délibéré présentée pour Mme B... a été enregistrée le 16 avril 2024.
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision. (...) ".
Sur l'urgence :
2. L'urgence justifie la suspension de l'exécution d'une décision administrative lorsque celle-ci porte atteinte, de manière suffisamment grave et immédiate, à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu'il entend défendre. Il appartient au juge des référés d'apprécier concrètement, compte tenu des justifications fournies par le requérant, si les effets de l'acte litigieux sont de nature à caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le jugement de la requête au fond, l'exécution de la décision soit suspendue.
3. Il ressort des pièces du dossier que la jeune D... B..., née le 12 décembre 2009, dont le lien de filiation avec Mme B... est établi par les actes d'état civil produits et non contesté en défense, vit séparée de sa mère depuis le départ de cette dernière de Côte d'Ivoire en 2019 et son arrivée en France où elle a obtenu le statut de réfugiée en 2021. La jeune D... réside actuellement au Maroc, depuis septembre 2023, où elle est hébergée de manière temporaire par un ressortissant ivoirien. Mme B... explique le départ de sa fille pour le Maroc par le souci d'éviter une menace d'excision. Compte tenu de ces circonstances, notamment de cette séparation d'une durée de près de cinq ans, alors que l'autre fils de Mme B..., A... C..., a obtenu un visa au titre de la réunification familiale en janvier 2023, la condition d'urgence doit être regardée comme remplie.
Sur le moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux :
4. En l'état de l'instruction, le moyen tiré de ce que le lien familial entre Mme E... B... et la jeune D... B... est établi et la demande de visa n'est entachée d'aucune fraude, est de nature à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision contestée de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France.
5. Il résulte de ce qui précède qu'il y a lieu de suspendre l'exécution de la décision du 8 mars 2023 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours dirigé contre la décision du 23 janvier 2022 de l'autorité consulaire française à Abidjan refusant à la jeune D... B... la délivrance d'un visa d'entrée et de long séjour en France au titre de la réunification familiale.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
6. Compte tenu du sens de la présente décision et au regard de l'office du juge des référés, il y a lieu d'enjoindre au ministre de l'intérieur de réexaminer la demande de visa présentée pour la jeune D... B... dans le délai d'un mois à compter de la notification de la présente ordonnance, sans qu'il soit nécessaire dans les circonstances de l'espèce d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais liés au litige :
7. Mme E... B... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, son avocate peut se prévaloir des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Pollono, son avocate, de la somme de 1 200 euros hors taxe au titre des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
O R D O N N E
Article 1er : L'exécution de la décision du 8 mars 2023 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours dirigé contre la décision du 23 janvier 2022 de l'autorité consulaire française à Abidjan refusant à la jeune D... B... la délivrance d'un visa d'entrée et de long séjour en France au titre de la réunification familiale est suspendue.
Article 2 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur et des outre-mer de procéder à un nouvel examen de la demande de visa présentée pour la jeune D... B..., dans le délai d'un mois à compter de la notification de la présente ordonnance.
Article 3 : L'Etat versera à Me Pollono la somme de 1 200 euros hors taxe dans les conditions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : La présente ordonnance sera notifiée à Mme E... B... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Fait à Nantes, le 18 avril 2024.
Le juge des référés,
S. DEGOMMIERLe greffier,
C. GOY
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 24NT00984