Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme D... A..., agissant en son nom et en tant que représentante légale des jeunes J... B..., E... B... et C... H..., a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 20 janvier 2021 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision des autorités consulaires françaises en Mauritanie refusant de délivrer aux jeunes J... B..., E... B... et C... H... des visas d'entrée et de long séjour en qualité de membres de famille de réfugiée.
Par un jugement n° 2113028 du 7 juin 2022, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire enregistrés le 8 novembre 2022 et le 26 mars 2024, Mme A..., agissant en son nom et en tant que représentante légale du jeune C... H..., Mme J... B... et Mme E... B..., représentées par Me Pollono, demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes ;
2°) d'annuler la décision du 20 janvier 2021 de la commission de recours ;
3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer les visas sollicités dans un délai de 15 jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, subsidiairement, de réexaminer les demandes de visa, dans les mêmes conditions de délai et d'astreinte ;
4°) de mettre à la charge de l'État le versement à leur conseil de la somme de 1 800 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elles soutiennent que :
- les liens familiaux sont établis par les actes d'état civil produits ;
- les dispositions de l'article L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, en ce qu'elles conduisent à exclure du bénéfice de la réunification familiale les frères et sœurs mineurs du réfugié mineur qui ne sont pas accompagnés par un ascendant direct de ce réfugié, méconnaissent le principe de non-discrimination en droit européen ;
- la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France s'est crue en situation de compétence liée pour refuser de délivrer les visas ;
- la décision contestée méconnaît le droit de l'Union, notamment le principe de non-discrimination en droit européen, l'article 7 de la charte des droits fondamentaux de l'Union et les articles 8 et 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.
Par un mémoire en défense, enregistré le 28 décembre 2022, le ministre de l'intérieur et des outre-mer conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés ne sont pas fondés.
Mme A... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 9 septembre 2022.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale des droits de l'enfant ;
- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- la directive 2003/86/CE du Conseil du 22 septembre 2003 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le décret n° 2020-1717 du 28 décembre 2020 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Dias,
- les conclusions de M. Le Brun, rapporteur public,
- et les observations de Me Pollono, représentant Mme A..., Mme J... B... et M. E... B....
Considérant ce qui suit :
1. Par un jugement du 7 juin 2022, le tribunal administratif de Nantes a rejeté la demande de Mme D... A..., agissant en son nom et en tant que représentante légale des jeunes J... B..., E... B... et C... H..., tendant à l'annulation de la décision du 20 janvier 2021 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé par Mme A... contre la décision des autorités consulaires françaises en Mauritanie refusant de délivrer aux jeunes J... B..., E... B... et C... H... des visas d'entrée et de long séjour en qualité, respectivement, de sœurs et de frère d'une réfugiée mineure, enfant de Mme A.... Mme A..., Mme J... B... et Mme E... B... relèvent appel de ce jugement.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. En vertu de l'article L. 314-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction alors applicable, la carte de résident délivrée à l'étranger reconnu réfugié, est également délivrée à son conjoint, sous certaines conditions, à ses enfants dans l'année qui suit leur dix-huitième anniversaire ou qui entrent dans les prévisions de l'article L. 311-3 et à " Ses ascendants directs au premier degré si l'étranger qui a obtenu le bénéfice de la protection est un mineur non marié ", sans que la condition de régularité du séjour ne soit exigée. "
3. Aux termes de l'article L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction alors applicable : " (...) Si le réfugié ou le bénéficiaire de la protection subsidiaire est un mineur non marié, il peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint par ses ascendants directs au premier degré, accompagnés le cas échéant par leurs enfants mineurs non mariés dont ils ont la charge effective. (...) ".
4. Il ressort des termes mêmes de la décision contestée que, pour rejeter le recours formé par Mme A... contre les refus de visas opposés aux enfants J... B..., E... B... et C... H..., la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France s'est fondée sur les motifs tirés, d'une part, de ce que les déclarations de Mme A... concernant sa situation familiale comportent des " discordances dirimantes ", d'autre part, de ce que les demandeurs de visas n'entrent pas dans le cadre du droit à la réunification familiale prévu par l'article L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
5. Les dispositions citées au point 3 permettent à un réfugié d'être rejoint au titre de la réunification familiale par certains membres de sa famille, qui ont en outre le droit à une carte de résident en application de l'article L. 314-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ou en sont dispensés parce qu'ils sont mineurs, sans que le bénéfice de ce droit soit soumis aux conditions de régularité et de durée préalable du séjour, de ressources et de logement qui s'appliquent au droit des étrangers séjournant en France à être rejoints par leur conjoint ou par leurs enfants mineurs au titre du regroupement familial, en application des articles L. 432-2 et suivants de ce code. Elles ont été complétées par la loi du 10 septembre 2018 pour une immigration maîtrisée, un droit d'asile effectif et une intégration réussie pour permettre, lorsqu'un enfant mineur sollicite la réunification familiale avec ses parents restés à l'étranger, que ceux-ci soient accompagnés des enfants mineurs non mariés dont ils ont la charge effective.
6. En premier lieu, la différence de traitement, opérée par les dispositions de l'article L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, entre les mineurs bénéficiant de la qualité de réfugié selon que leurs parents résident ou non sur le territoire français et selon que leurs frères et sœurs mineurs demeurés à l'étranger accompagnent ou non leurs parents porte atteinte au principe d'égalité, est justifiée par la différence de situation entre les mineurs réfugiés en France selon qu'ils sont ou non accompagnés de leurs parents, au regard de l'objet des dispositions en cause, qui est de leur permettre d'être rejoints par leurs parents demeurés à l'étranger tout en évitant que la mise en œuvre de ce droit n'implique que des enfants qui seraient dans l'impossibilité d'accompagner leurs parents sur le territoire national soient séparés de leur famille. En outre, ces dispositions qui visent à permettre aux réfugiés d'être rejoints par certains membres de leur famille dans des conditions plus favorables que celles qui permettent aux étrangers séjournant régulièrement en France de solliciter le regroupement familial, ne portent aucune atteinte au droit à une vie familiale normale ni, en tout état de cause, à l'intérêt supérieur de l'enfant.
7. Par suite, le moyen tiré par les requérants de ce que les dispositions de l'article L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile méconnaîtraient " le droit de l'Union ", notamment " le principe de non-discrimination en droit européen ", l'article 7 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et les articles 8 et 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant, doit être écarté.
8. En deuxième lieu, il est constant que Mme A..., mère de la jeune I..., réfugiée mineure ainsi que des enfants J... B..., E... B... et C... H..., demandeurs de visas, nés de précédentes unions, se trouve déjà en France. Ces enfants n'accompagnent donc pas l'ascendant direct au premier degré d'un réfugié mineur et n'entrent donc pas dans les prévisions de l'article L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Il ne ressort pas des pièces du dossier et notamment des termes de la décision contestée que la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France se serait, pour ce motif, " sentie liée par ces dispositions " et " obligée de refuser " les visas sollicités, contrairement à ce qui est soutenu. Enfin, il résulte de l'instruction que la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France aurait pris la même décision en se fondant sur ce seul motif tiré de ce que les jeunes J... B..., E... B... et C... H... n'entrent pas dans le cadre du droit à la réunification familiale, pour refuser de leur délivrer les visas de long séjour sollicités. Par suite, les moyens qui tendent à contester l'autre motif de la décision de la commission de recours doivent être écartés comme inopérants.
9. En troisième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 7 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale (...) ". Aux termes de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait d'institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ".
10. Il ressort des pièces du dossier qu'à la date du 20 janvier 2021 de la décision contestée, les enfants C..., E... et J..., âgés respectivement de 13, 15 et 16 ans, ans étaient hébergés depuis quelques semaines par leurs grands-parents maternels. Toutefois, il ressort également des pièces du dossier que si les pères des enfants de Mme A..., qui vivent en Mauritanie, ont donné, le 11 novembre 2019, procuration à Mme A..., devant notaire, à l'effet de procéder pour leurs enfants aux formalités nécessaires au dépôt des demandes de visas, ils ne lui ont pas confié, à la date de la décision contestée, l'exercice de l'autorité parentale sur les enfants. Par ailleurs, s'il est produit un jugement de délégation parentale rendu le 25 juillet 2022, cette décision de justice est postérieure à la décision contestée. Dans ces circonstances, et alors en outre que Mme A... n'établit pas ni même n'allègue être dans l'impossibilité de rendre visite à ses enfants en Mauritanie, le refus de visa opposé à ces derniers ne porte pas au droit de la requérante au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des buts de cette mesure. Pour les mêmes motifs, la décision contestée ne méconnaît pas l'intérêt supérieur des enfants C..., E... et J.... Les moyens tirés de ce que la décision contestée méconnaîtrait les articles 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 7 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant doivent, par suite, être écartés.
11. Il résulte de tout ce qui précède que Mme A... et autres ne sont pas fondées à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté la demande de Mme A....
Sur les conclusions à fin d'injonction :
12. Le présent arrêt, qui rejette les conclusions à fin d'annulation présentées par Mme A... et autres, n'appelle aucune mesure d'exécution. Par suite, les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte présentées par ces dernières doivent être rejetées.
Sur les frais liés au litige :
13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme demandée par le conseil des requérants au titre des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E:
Article 1er : La requête de Mme A... et autres est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D... A..., à Mme J... B..., à Mme K... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Délibéré après l'audience du 2 septembre 2024, à laquelle siégeaient :
- Mme Buffet, présidente de chambre,
- Mme Montes-Derouet, présidente-assesseure,
- M. Dias, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 20 septembre 2024.
Le rapporteur,
R. DIAS
La présidente,
C. BUFFETLa greffière,
M. LE REOUR
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
2
N° 22NT03485