Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... C... a demandé au tribunal administratif d'annuler la décision du 28 juin 2019 par laquelle le préfet de police de Paris a ajourné à deux ans sa demande de naturalisation, ainsi que la décision du 16 septembre 2020 par laquelle le ministre de l'intérieur a substitué à cette décision du préfet de police de Paris une décision de rejet de sa demande de naturalisation.
Par un jugement n°s 1914290 et 2011588 du 14 novembre 2022, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision du ministre de l'intérieur du 16 septembre 2020, a enjoint au ministre de l'intérieur de procéder au réexamen de la demande de naturalisation de M. C... dans un délai de deux mois et a rejeté le surplus des conclusions de la demande de M. C....
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 19 décembre 2022 et 6 avril 2023, le ministre de l'intérieur et des outre-mer demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes, en tant qu'il a annulé sa décision du 16 septembre 2020 et lui a fait injonction de réexaminer la demande de naturalisation de M. C... ;
2°) de rejeter, dans cette mesure, la demande présentée par M. C... devant le tribunal administratif de Nantes.
Il soutient que :
- au regard des renseignements défavorables qu'il avait recueillis sur le comportement du postulant, c'est sans erreur manifeste d'appréciation qu'il a rejeté la demande de naturalisation de M. C... ;
- cette décision peut également être fondée sur la méconnaissance, par l'intéressé, de la législation relative à l'entrée et au séjour en France des étrangers ;
- les autres moyens invoqués par M. C... devant le tribunal administratif de Nantes et la cour administrative d'appel de Nantes ne sont pas fondés.
Par un mémoire en défense, enregistré le 31 mars 2023, M. C..., représenté par Me Azoulay-Cadoch, conclut au rejet de la requête et demande à la cour de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la requête d'appel du ministre de l'intérieur est insuffisamment motivée ;
- les moyens invoqués par le ministre de l'intérieur ne sont pas fondés ;
- la décision du ministre de l'intérieur du 16 septembre 2020 est entachée d'erreur manifeste d'appréciation et méconnaît la circulaire n°INTK1300198C du 21 juin 2013 ;
- cette décision porte une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale, garanti par l'article 8 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- il a été mobilisé pendant l'état d'urgence sanitaire justifié par la pandémie de COVID 19.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code civil ;
- le décret n° 93-1362 du 30 décembre 1993 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Mas a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Par un jugement du 14 novembre 2022, le tribunal administratif de Nantes a annulé, à la demande de M. C..., la décision du 16 septembre 2020 par laquelle le ministre de l'intérieur a rejeté la demande de naturalisation présentée par celui-ci et a enjoint à la même autorité de statuer à nouveau sur cette demande. Le ministre de l'intérieur relève appel de ce jugement dans cette mesure.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. Aux termes de l'article 48 du décret du 30 décembre 1993 susvisé : " (...) Si le ministre chargé des naturalisations estime qu'il n'y a pas lieu d'accorder la naturalisation ou la réintégration sollicitée, il prononce le rejet de la demande. Il peut également en prononcer l'ajournement en imposant un délai ou des conditions. Ce délai une fois expiré ou ces conditions réalisées, il appartient à l'intéressé, s'il le juge opportun, de déposer une nouvelle demande. ". En vertu de ces dispositions, il appartient au ministre de porter une appréciation sur l'intérêt d'accorder la naturalisation à l'étranger qui la sollicite. Dans le cadre de cet examen d'opportunité, il peut légalement prendre en compte les renseignements défavorables recueillis sur le comportement du postulant. Si le ministre peut, sans erreur de droit, se fonder sur le séjour irrégulier de l'intéressé sur le territoire français, il ne saurait, en l'absence de toute autre circonstance, retenir ce seul motif lorsque l'ancienneté des faits est telle qu'elle est de nature à entacher sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation.
3. Pour rejeter, par la décision contestée du 16 septembre 2020, la demande de naturalisation, le ministre de l'intérieur a relevé que M. C... est entré et s'est maintenu irrégulièrement sur le territoire français pendant une période courant du 1er septembre 2004 au 1er octobre 2004 et a, pendant la même période, contracté un mariage frauduleux en vue d'obtenir un droit au séjour sur le territoire national.
4. Ces faits, que M. C... ne conteste pas et qui sont au demeurant établis par la condamnation prononcée par le tribunal correctionnel de Dunkerque le 13 janvier 2006 dont il a fait l'objet, dataient de seize ans à la date de la décision contestée du 16 septembre 2020. Au regard de leur ancienneté et malgré leur gravité, en se fondant sur ces seuls faits, le ministre de l'intérieur a entaché d'une erreur manifeste d'appréciation la décision par laquelle il a rejeté la demande de naturalisation présentée par M. C....
5. L'administration peut, en première instance comme en appel, faire valoir devant le juge de l'excès de pouvoir que la décision dont l'annulation est demandée est légalement justifiée par un motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement indiqué, mais également fondé sur la situation existant à la date de cette décision. Il appartient alors au juge, après avoir mis à même l'auteur du recours de présenter ses observations sur la substitution ainsi sollicitée, de rechercher si un tel motif est de nature à fonder légalement la décision, puis d'apprécier s'il résulte de l'instruction que l'administration aurait pris la même décision si elle s'était fondée initialement sur ce motif. Dans l'affirmative il peut procéder à la substitution demandée, sous réserve toutefois qu'elle ne prive pas le requérant d'une garantie procédurale liée au motif substitué.
6. Le ministre de l'intérieur fait valoir que sa décision du 16 septembre 2020 peut être légalement fondée sur le motif tiré de ce que M. C... s'est maintenu irrégulièrement sur le territoire national de février 2009 à février 2013 en méconnaissance de la décision portant obligation de quitter le territoire français dont il avait fait l'objet par arrêté du préfet de police de Paris du 11 février 2009. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que M. C... s'est vu délivrer un visa d'entrée et de long séjour par l'autorité consulaire française à Agadir le 2 octobre 2012, de sorte qu'il ressort des pièces du dossier qu'il ne résidait pas en France à la date à laquelle il formé sa demande en vue de l'obtention de ce visa. En outre, il ressort des pièces du dossier que l'intéressé a formé le 19 novembre 2012, pendant la durée de validité de ce visa d'établissement, une demande de titre de séjour en qualité de commerçant, à laquelle il a été fait droit le 20 février 2013, de sorte qu'il est également établi que M. C... a résidé régulièrement sur le territoire français entre le 2 octobre 2012 et le 20 février 2013. Le ministre de l'intérieur, qui n'apporte pas de précision sur la date à laquelle M. C... a quitté le territoire français et ni d'élément justifiant de ce que l'intéressé se serait soustrait à l'obligation de quitter le territoire français dont il a fait l'objet le 11 février 2009, n'établit pas que M. C... aurait résidé irrégulièrement sur le territoire français entre le 11 février 2009 et le 20 février 2013. Il en résulte que le ministre de l'intérieur n'est pas fondé à soutenir que la décision contestée de rejet de la demande de naturalisation de M. C... pourrait être légalement justifiée par le motif tiré du caractère irrégulier du séjour du postulant entre 2009 et 2013. La demande de substitution de motif qu'il présente ne peut donc être accueillie.
7. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner la fin de
non-recevoir opposée par M. C... à la requête, que le ministre de l'intérieur n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a annulé sa décision du 16 septembre 2020 et lui a enjoint de réexaminer la demande de naturalisation présentée par M. C....
Sur les frais liés au litige :
8. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 200 euros au profit de M. C... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête du ministre de l'intérieur est rejetée.
Article 2 : L'Etat versera à M. C... une somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. A... C....
Délibéré après l'audience du 17 septembre 2024, à laquelle siégeaient :
- Mme Buffet, présidente de chambre,
- Mme Montes-Derouet, présidente-assesseure,
- M. Mas, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 4 octobre 2024.
Le rapporteur,
B. MASLa présidente,
C. BUFFET
La greffière,
M. B...
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 22NT04018