Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B... et Mme E... C... ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 31 mars 2022 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté leur recours formé contre la décision de l'autorité diplomatique française au Bangladesh refusant de délivrer à Mme C... un visa de long séjour en qualité de bénéficiaire de la procédure de regroupement familial.
Par un jugement n° 2206490 du 10 février 2023, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 8 mars 2023, M. B... et Mme C..., représentés par Me Taelman, demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes ;
2°) d'annuler la décision du 31 mars 2022 de la commission de recours ;
3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur et des outre-mer de délivrer le visa sollicité dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 150 euros par jour de retard ou, subsidiairement, de réexaminer leur demande dans les mêmes conditions de délai et d'astreinte ;
4°) de mettre à la charge de l'État la somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- le jugement attaqué est irrégulier dès lors qu'ils n'ont pas été informés de ce que le rapporteur public avait été dispensé de prononcer ses conclusions à l'audience ;
- l'identité et le lien matrimonial de Mme C... à l'égard de M. B... sont établis par les actes d'état civil produits qui sont authentiques et par la possession d'état ;
- la décision contestée méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Par un mémoire en défense, enregistré le 3 mai 2023, le ministre de l'intérieur et des
outre-mer conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par les requérants ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Montes-Derouet
- et les observations de Me Le Floch, substituant Me Taelman, pour M. B... et Mme C....
Considérant ce qui suit :
1. M. A... B..., ressortissant bangladais né en 1971, a obtenu une autorisation de regroupement familial du préfet de Seine-Saint-Denis au mois d'août 2018 afin de faire venir en France Mme C..., présentée comme son épouse. Par une décision du 31 mars 2022, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision de l'autorité diplomatique française au Bangladesh refusant de délivrer à Mme C... un visa de long séjour en qualité de bénéficiaire du regroupement familial. Par un jugement du 10 février 2023, le tribunal administratif de Nantes a rejeté la demande de M. B... et de Mme C... tendant à l'annulation de la décision de la commission de recours. M. B... et Mme C... relèvent appel du jugement du tribunal administratif de Nantes.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. D'une part, aux termes de l'article L. 411-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " (...) Sous réserve des engagements internationaux de la France ou du livre II, tout étranger âgé de plus de dix-huit ans qui souhaite séjourner en France pour une durée supérieure à trois mois doit être titulaire de l'un des documents de séjour suivants : / 1° Un visa de long séjour ; (...). ". Aux termes de l'article L. 434-2 du même code : " L'étranger qui séjourne régulièrement en France depuis au moins dix-huit mois, sous couvert d'un des titres d'une durée de validité d'au moins un an prévus par le présent code ou par des conventions internationales, peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre du regroupement familial : / 1° Par son conjoint, si ce dernier est âgé d'au moins dix-huit ans ; (...) ".
3. D'autre part, l'article L. 811-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile prévoit que la vérification des actes d'état civil étrangers doit être effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil qui dispose : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. Celle-ci est appréciée au regard de la loi française. ". Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties.
4. Lorsque la venue d'une personne en France a été autorisée au titre du regroupement familial, l'autorité consulaire n'est en droit de rejeter la demande de visa dont elle est saisie à cette fin que pour un motif d'ordre public. Figure au nombre de ces motifs l'absence de lien conjugal ou de lien de filiation entre le demandeur de visa et le membre de famille que celui-ci entend rejoindre.
5. Il ressort des termes de la décision contestée que, pour rejeter le recours formé par M. B... et Mme C..., la commission de recours s'est fondée sur le motif tiré de ce que les documents produits par Mme C... ne permettent pas d'établir son identité et, partant, son lien matrimonial avec M. B....
6. Il ressort des pièces du dossier que, pour écarter le caractère probant des actes d'état civil produits, la commission de recours s'est fondée sur un rapport d'enquête établi le 16 novembre 2021 par un avocat bangladais mandaté par l'autorité consulaire française à Dacca qui a relevé que la naissance de Mme C... a été enregistrée à deux reprises, le 3 juin 2008, sous le numéro 19819014776011115 et, le 27 avril 2017, sous le numéro 19819195004509268, en méconnaissance de la réglementation résultant du " Births and Deaths Registration Act " de 2004. Si la production successive, sans explication circonstanciée, de deux actes de naissance différents pour la même personne est de nature à remettre en cause leur authenticité, il ressort des pièces du dossier que les mentions que comportent ces actes, notamment la date de naissance de l'intéressée ainsi que les noms et prénoms de ses père et mère, sont strictement identiques entre elles mais aussi avec les mentions figurant dans l'acte de mariage de M. B... avec Mme C..., dont le caractère authentique est confirmé par le rapport d'enquête du 16 novembre 2021, après vérification de ses mentions et recueil de témoignages, et avec celles portées dans le passeport de Mme C... délivré le 17 août 2016. En outre, les requérants produisent, pour la première fois en appel, une attestation du 29 mai 2023 par laquelle le maire de la commune de Raniganj, commune de résidence de Mme C..., indique que l'acte de naissance de 2017 a été établi par erreur sous un nouveau numéro d'identification dès lors que la naissance de Mme C... avait été d'ores et déjà enregistrée en 2008, déclare " invalidé " ce second acte de naissance et annonce que " les mesures nécessaires pour l'effacer du serveur " seront prises. Par ailleurs, si le ministre fait état du caractère tardif de l'enregistrement de la naissance de Mme C..., il ressort des pièces du dossier que l'enregistrement des naissances n'est obligatoire au Bangladesh que depuis l'entrée en vigueur, le 3 juillet 2006, du " Births and Deaths Registration Act " du 8 décembre 2004, dont la section 13 paragraphe 1 prévoit, ainsi que le soutiennent les requérants, un enregistrement tardif dans les deux ans suivant son entrée en vigueur ou, passé ce délai, en s'acquittant d'une taxe. Enfin, la circonstance que le certificat de naissance de Mme C... a été enregistré postérieurement à son mariage avec M. B..., célébré le 20 octobre 2002 et enregistré le 23 octobre suivant, n'établit pas davantage le caractère inauthentique de l'acte de naissance produit à l'appui de sa demande de visa, dès lors qu'il ressort du rapport de mission, effectuée en novembre 2010 au Bangladesh par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides et par la Cour nationale du droit d'asile dont se prévalent les requérants, qu'au Bangladesh la plupart des autorités ne requièrent pas de certificat de naissance pour, notamment, enregistrer un mariage. Il en résulte que l'identité de Mme C... doit être regardée comme établie par les actes qu'elle produit. Dans ces conditions, en estimant que l'identité et partant le lien matrimonial de Mme C... avec M. B... n'étaient pas établis, la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France a fait une inexacte application des dispositions précitées.
7. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner la régularité du jugement attaqué ni les autres moyens de la requête, que M. B... et Mme C... sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
8. L'exécution du présent arrêt implique nécessairement qu'un visa de long séjour soit délivré à Mme C.... Il y a lieu d'enjoindre au ministre de l'intérieur et des outre-mer de délivrer un tel visa dans un délai de deux mois à compter de la notification de l'arrêt. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais liés au litige :
9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme globale de 1 200 euros au titre des frais exposés par M. B... et Mme C... et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du 10 février 2023 du tribunal administratif de Nantes est annulé.
Article 2 : La décision du 31 mars 2022 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté la demande de visa d'entrée et de long séjour en France présentée pour Mme C... est annulée.
Article 3 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur et des outre-mer de délivrer à Mme C... un visa d'entrée et de long séjour dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 4 : L'Etat versera à M. B... et à Mme C... une somme de 1 200 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B..., à Mme E... C... et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 17 septembre 2024, à laquelle siégeaient :
- Mme Buffet, présidente de chambre,
- Mme Montes-Derouet, présidente-assesseure,
- M. Dias, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 4 octobre 2024.
La rapporteure,
I. MONTES-DEROUETLa présidente,
C. BUFFET
La greffière,
M. D...
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 23NT00656