Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Nantes de condamner le centre hospitalier universitaire de Nantes à lui verser une somme globale de 100 000 euros assortie des intérêts et de leur capitalisation en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis à l'occasion de la transplantation d'un rein. Il a demandé, à titre subsidiaire, de mettre cette somme à la charge de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) au titre de la solidarité nationale, de verser cette somme sous forme d'un capital ou d'une rente indexée conformément aux dispositions de l'article L. 1142-14 du code de la santé publique et de mettre les dépens, la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et la somme de 8 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, à la charge du centre hospitalier universitaire.
Par un jugement n° 1906514 du 19 juillet 2023, le tribunal administratif de Nantes a condamné le centre hospitalier universitaire de Nantes à lui verser la somme de 7 000 euros assortie des intérêts et de leur capitalisation, à rembourser les débours de la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de la Loire-Atlantique à hauteur de 37 194,94 euros assortie des intérêts et de leur capitalisation ainsi que la somme de 1 162 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion. Le tribunal administratif a également mis les frais d'expertise à la charge du centre hospitalier universitaire et rejeté le surplus des conclusions dont il était saisi.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 20 septembre 2023 et 19 mars 2024, M. B..., représenté par Me Sarday, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes du 19 juillet 2023 en tant qu'il a jugé que l'omission de retrait de la sonde JJ ne lui avait causé aucun préjudice et limité par ailleurs à 7 000 euros la somme que le centre hospitalier universitaire a été condamné à lui verser ;
2°) de condamner le centre hospitalier universitaire de Nantes à lui verser les sommes globales de 77 000 euros au titre des interventions pratiquées en 2013 et de 11 000 euros au titre de l'intervention réalisée en 2018 et de ses suites ;
3°) de rejeter les conclusions d'appel incident présentées par le centre hospitalier universitaire de Nantes ;
4°) de mettre à la charge de du centre hospitalier universitaire de Nantes le versement de la somme de 22 500 euros, ramenée à 14 161 euros, au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le jugement attaqué a omis de se prononcer sur la date de sa consolidation ;
- en ne procédant pas à l'ablation de la sonde JJ dès le 7 janvier 2015 comme prévu le centre hospitalier universitaire de Nantes a commis une faute ;
- le lien de causalité entre le retard d'ablation de cette sonde, qui n'est intervenu que le 28 mars 2018, et la cruralgie gauche dont il se plaignait est établi ; ses souffrances endurées doivent être évaluées à 6 000 euros ;
- il n'a pu bénéficier d'un suivi post-opératoire en raison du maintien de cette sonde au-delà du 7 janvier 2015 et le refus de retirer ce matériel a généré un préjudice d'anxiété qui doit être indemnisé à hauteur de 5 000 euros ;
- la responsabilité du centre hospitalier universitaire dans la réalisation des interventions des 15 et 18 décembre 2013 sera confirmée ;
- la date de sa consolidation ne peut être fixée avant le 28 mars 2018 ;
- ses préjudices temporaires s'étendent donc du 15 décembre 2013 au 28 mars 2018 ;
- son déficit fonctionnel temporaire doit être évalué à 15 000 euros ;
- les souffrances qu'il a endurées à raison des deux interventions subies en 2013 qui auraient dû être évitées ainsi que la crainte que les cellules cancéreuses du greffon se propagent dans son organisme justifient une indemnisation de ce préjudice à hauteur de 30 000 euros ;
- il a subi un préjudice moral distinct des souffrances physiques endurées lequel sera indemnisé à hauteur de 30 000 euros ;
- son préjudice esthétique temporaire doit être évalué à 2 000 euros ;
- il est inéquitable de laisser à sa charge les honoraires qu'il a versés à son précédent avocat pour un montant de 18 500 euros ainsi que ses frais d'instance actuels ;
- les moyens soulevés par le centre hospitalier universitaire ne sont pas fondés.
- Il précise en outre, qu'il renonce à solliciter une nouvelle expertise en raison de son état de santé.
Par un mémoire en défense, enregistré le 11 décembre 2023, l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales, représenté par Me Ravaut, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 2 000 euros soit mise à la charge de M. B... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- l'indemnisation d'un aléa au titre de la solidarité nationale ne peut être admise qu'en l'absence de faute du centre hospitalier ; ni la transplantation d'un greffon présentant une tumeur cancéreuse, ni la néphrectomie du greffon ne constitue un accident médical non-fautif ;
- le centre hospitalier universitaire de Nantes a commis une faute en réalisant la transplantation le 15 décembre 2013 sans attendre les résultats d'anatomopathologie de la tumeur du greffon, lequel ne peut constituer un évènement imprévisible ; le non retrait de la sonde ne constitue pas davantage un accident médical ; en tout état de cause les seuils de gravité pour prétendre à une indemnisation au titre de la solidarité nationale ne sont pas atteints et M. B... ne démontre pas avoir subi des troubles particulièrement graves dans ses conditions d'existence ;
- la réalisation de cette intervention peu de temps avant la fermeture du laboratoire d'anatomopathologie constitue un défaut d'organisation du service de nature à engager la responsabilité du centre hospitalier ;
- cette intervention a été réalisée sans l'information et le consentement du patient, de sorte que la responsabilité du centre hospitalier est également engagée à raison de cette faute ; la perte de chance ne s'applique que lorsque le patient a été en mesure de refuser ou de repousser l'intervention envisagée ; or il n'y avait aucune urgence à pratiquer cette intervention dès lors que des séances de dialyse auraient pu pallier l'absence de greffe ;
- en l'absence de consentement le patient doit être indemnisé de l'intégralité de ses préjudices ;
- M. B... n'établit pas avoir subi un dommage du fait du maintien de la sonde JJ ;
- la demande d'expertise n'est pas justifiée.
Par des mémoires, enregistrés les 17 janvier et 12 juin 2024, le centre hospitalier universitaire de Nantes, représenté par Me Le Prado, conclut au rejet de la requête présentée par M. B... et des conclusions de la caisse primaire d'assurance maladie de la Loire-Atlantique. Il conclut par la voie de l'appel incident à la réformation du jugement attaqué en tant qu'il a reconnu sa responsabilité, et, à titre subsidiaire, en tant qu'il a évalué les souffrances endurées par l'intéressé à 6 000 euros, somme qui ne pourra excéder 4 000 euros.
Il soutient que les moyens soulevés par M. B... ne sont pas fondés.
Par un mémoire en défense, enregistré le 19 janvier 2024, la caisse primaire d'assurance maladie de la Loire-Atlantique, représentée par Me Thomas Tinot, conclut au rejet des conclusions incidentes du centre hospitalier universitaire de Nantes et à ce que la somme de 1 500 euros soit mise à la charge de cet établissement au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que les moyens soulevés par le centre hospitalier universitaire de Nantes ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique,
- le code de la sécurité sociale,
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Gélard,
- les conclusions de M. Catroux, rapporteur public,
- les observations de Me Sarday, représentant M. B...,
- et les observations de Me Goldnadel, substituant Me Le Prado, représentant le centre hospitalier universitaire de Nantes.
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., qui souffrait d'une insuffisance rénale chronique sévère, a été contacté le 15 décembre 2013 à 4 heures du matin par le centre hospitalier universitaire de Nantes afin de bénéficier d'une greffe. Lors de l'intervention programmée en fin d'après-midi, une lésion tumorale a été découverte sur le greffon. Après l'exérèse de cette tumeur, il a été décidé de procéder à la transplantation rénale. Les résultats d'analyse anatomopathologique, connus le 17 décembre suivant, ont toutefois révélé l'existence sur le rein de la donneuse décédée d'un carcinome dont la résection n'était pas totale. Une transplantectomie a été réalisée le 18 décembre 2013 avant qu'une nouvelle greffe rénale ne soit proposée à M. B... et réalisée le 21 novembre 2014. Une expertise judiciaire a été ordonnée à la demande de l'intéressé et confiée au professeur C... assisté du professeur D... en qualité de sapiteur. Leur rapport d'expertise a été remis le 22 mars 2018. Après avoir présenté une réclamation préalable le 1er février 2019, M. B... a saisi le tribunal administratif de Nantes d'une demande indemnitaire. Par un jugement du 19 juillet 2023, le tribunal a condamné le centre hospitalier universitaire de Nantes à lui verser la somme de 7 000 euros en réparation de ses préjudices, à rembourser les débours de la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de la Loire-Atlantique à hauteur de la somme de 37 194,94 euros, ces sommes étant assorties des intérêts et de leur capitalisation, ainsi qu'une indemnité forfaitaire de gestion pour cette dernière. Les frais d'expertise ont été mis à la charge du centre hospitalier universitaire. M. B... relève appel de ce jugement en tant qu'il a écarté toute faute du centre hospitalier en ce qui concerne le maintien durant plus de trois ans de la sonde urinaire posée lors de l'intervention du 21 novembre 2014 et limité, par ailleurs, à 7 000 euros la somme que le centre hospitalier universitaire a été condamné à lui verser en réparation de ses préjudices consécutifs aux premières interventions. Le centre hospitalier conteste, par la voie de l'appel incident, le principe de sa responsabilité et l'indemnisation accordée à M. B... en réparation de ses souffrances endurées, évaluées à somme de 6 000 euros par le tribunal, qu'il demande de ramener à 4 000 euros. La caisse primaire d'assurance maladie de la Loire-Atlantique sollicite la confirmation du jugement attaqué en ce qui la concerne, et l'office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales, mis hors de cause en premier instance, également.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. S'il est constant que le tribunal administratif n'a pas expressément indiqué la date de consolidation de l'état de santé de M. B..., il a écarté toute faute relative au maintien de la sonde urinaire posée lors de l'intervention du 21 novembre 2014, qui s'est déroulée par ailleurs sans difficultés. En l'absence d'aggravation des séquelles psychologiques ayant affectées M. B... à la suite des interventions pratiquées les 15 et 18 décembre 2013, que le tribunal a reconnu comme fautives, les premiers juges se sont fondés sur les conclusions des experts judiciaires pour évaluer les seuls préjudices temporaires dont l'intéressé sollicitait la réparation. Dans ces conditions, le tribunal administratif, qui a répondu à l'ensemble des conclusions dont il était saisi, n'a entaché son jugement d'aucune irrégularité. Ce moyen sera par suite écarté.
Sur les fautes commises par le centre hospitalier universitaire de Nantes :
3. D'une part, aux termes de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " I. - Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute. / (...). ". Par ailleurs, l'article D. 6124-165 de ce code prévoit que : " L'établissement de santé autorisé pour les activités de greffes d'organes (...) doit être en mesure de réaliser ou de faire réaliser, vingt-quatre heures sur vingt-quatre, dans des délais compatibles avec les impératifs de sécurité, des examens de bactériologie, d'hématologie, de biochimie et d'histocompatibilité./ L'établissement de santé doit être en mesure de réaliser ou de faire réaliser dans des délais compatibles avec l'état du patient (...) des examens d'anatomopathologie (...) ".
4. D'autre part, l'article L. 1111-2 du code de la santé publique dispose que : " I. - Toute personne a le droit d'être informée sur son état de santé. Cette information porte sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu'ils comportent ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus. (...) Lorsque, postérieurement à l'exécution des investigations, traitements ou actions de prévention, des risques nouveaux sont identifiés, la personne concernée doit en être informée, sauf en cas d'impossibilité de la retrouver. / Cette information incombe à tout professionnel de santé dans le cadre de ses compétences et dans le respect des règles professionnelles qui lui sont applicables. Seules l'urgence ou l'impossibilité d'informer peuvent l'en dispenser. ". En outre, l'article R. 4127-36 de ce code prévoit que : " Le consentement de la personne examinée ou soignée doit être recherché dans tous les cas ".
5. En application des dispositions rappelées aux points 3 et 4, il appartient aux praticiens des établissements publics de santé d'informer directement le patient des investigations pratiquées et de leurs résultats, en particulier lorsqu'elles mettent en évidence des risques pour sa santé. Lorsque l'acte médical envisagé, même accompli conformément aux règles de l'art, comporte des risques connus de décès ou d'invalidité, le patient doit en être informé dans des conditions qui permettent de recueillir son consentement éclairé et il appartient au professionnel ou à l'établissement de santé d'apporter la preuve que l'information a été délivrée. Si cette information n'est pas requise en cas d'urgence, d'impossibilité ou de refus du patient d'être informé, la seule circonstance que les risques ne se réalisent qu'exceptionnellement ne dispense pas les médecins de leur obligation. Lorsque le défaut d'information est constitué, il appartient au juge de rechercher si le patient a subi une perte de chance de se soustraire aux dommages qui se sont réalisés, au regard des risques inhérents à l'acte médical litigieux, des risques encourus par l'intéressé en cas de renonciation à cet acte et des alternatives thérapeutiques moins risquées. La réparation du préjudice résultant de la perte de chance de se soustraire au risque dont le patient n'a pas été informé et qui s'est réalisé, correspond à une fraction du dommage corporel déterminée en fonction de l'ampleur de la chance perdue. C'est seulement dans le cas où l'intervention était impérieusement requise, en sorte que le patient ne disposait d'aucune possibilité raisonnable de refus, que l'existence d'une perte de chance peut être niée. En revanche, les fautes commises dans la réalisation des actes médicaux ou dans l'organisation du service engagent la responsabilité pleine et entière de l'établissement hospitalier qui les a pratiqués.
En ce qui concerne les interventions chirurgicales des 15 et 18 décembre 2013 :
6. En premier lieu, il est constant que lors de la découverte de la tumeur affectant le rein de la donneuse, le chirurgien a été dans l'impossibilité de faire réaliser des analyses de la partie de la tumeur qu'il avait enlevée, en raison de la fermeture du laboratoire d'anatomopathologie depuis 17 heures. Après avoir rappelé l'importante activité de transplantation rénale du centre hospitalier universitaire de Nantes et la nécessité de pratiquer un examen histologique avant de décider d'une transplantation lorsqu'une tumeur est découverte sur le greffon juste avant l'intervention, et alors qu'il est constant que M. B... est entré en salle d'opération à 17 heures 18, les experts ont estimé que ce défaut dans l'organisation du service était fautif. Le centre hospitalier soutient que les délais de réalisation des analyses, même si le laboratoire n'avait pas été fermé, étaient en tout état de cause incompatibles avec une transplantation sans risque. Le guide d'aide à la décision du 2 décembre 2008 de l'agence de la biomédecine auquel il se réfère, indique cependant que le résultat des cinq critères à évaluer (à savoir la taille de la tumeur, sa nature bénigne ou maligne, le caractère sain de ses marges, son type histologique et son grade de Fuhrman) peut être obtenu en 24 heures. Par suite, et alors que l'article D. 6124-165 du code de la santé publique impose aux établissements de santé autorisés à pratiquer des greffes d'organes d'être en mesure de réaliser ou de faire réaliser dans des délais compatibles avec l'état du patient des examens d'anatomopathologie, le centre hospitalier universitaire a commis une faute de nature à engager sa responsabilité.
7. En deuxième lieu, si le compte rendu opératoire du 15 décembre 2013 indique que le patient a été prévenu de l'existence de la lésion sur le greffon et du risque de malignité mais que la décision de réaliser la transplantation a été prise avec son accord, M. B... conteste ces éléments. Lors de l'expertise, il a en effet précisé qu'il était déjà prémédiqué et somnolent quand le chirurgien lui a fait savoir que le greffon avait " une tache " et demandé son accord pour le greffer. Il précise avoir alors répondu qu'il ne savait pas ce que cela voulait dire mais qu'il laissait le médecin agir au mieux en fonction de ses connaissances. En outre, il n'est pas établi qu'il aurait alors été clairement indiqué que le transplant pouvait présenter une tumeur cancéreuse et que dans cette hypothèse il faudrait procéder à son retrait. Dans ces conditions, le centre hospitalier n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif a estimé que M. B... n'avait pas reçu une information suffisante sur les risques encourus, qui aurait pu lui permettre de renoncer à la transplantation envisagée.
8. En troisième lieu, il est constant, ainsi que le souligne le centre hospitalier universitaire de Nantes, qu'une tomodensitométrie corps entier avec produit de contraste sur le corps de la donneuse n'avait révélé aucune anomalie sur le rein droit qui avait été proposé à M. B.... L'établissement se prévaut en outre des recommandations de l'agence de la biomédecine indiquant pour une tumeur inférieure à 2,5 cm, de grade Fuhrman d'un niveau inférieur à III, sans signe d'extension vasculaire ni extra-capsulaire et qui a, après exérèse, des berges saines, le greffon peut être proposé au receveur en attente d'une greffe rénale. Toutefois, dans les circonstances de l'espèce, et alors qu'à aucun moment M. B... a donné son consentement éclairé pour la réalisation de la greffe envisagée en dépit des risques même mineurs qu'elle présentait, les experts ont estimé que ce geste médical, sans attendre la réouverture du laboratoire d'anatomopathologie le lendemain matin était fautif. Si le centre hospitalier fait valoir qu'en tout état de cause, les résultats d'analyse n'auraient pas permis de réaliser l'intervention compte tenu de la durée de conservation du rein prélevé sur la donneuse décédée et de la détérioration du patch aortique par la machine de perfusion, les experts ont estimé au vu d'une étude récente qu'une transplantation même repoussée de 24 heures restait envisageable, quand bien même les chances de reprise de la fonction rénale du greffon diminuent avec le temps et que les risques de mortalité du receveur augmentent. Dans tous les cas, ainsi que le mentionne expressément le guide d'aide à la décision du 2 décembre 2008 de l'agence de la biomédecine, ce choix médical ne pouvait être décidé sans le consentement exprès de M. B..., alors que l'intervention ne présentait pour lui aucun caractère vital.
9. Compte tenu de tout ce qui précède le centre hospitalier universitaire de Nantes n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif a reconnu sa responsabilité pleine et entière à raison des interventions chirurgicales des 15 et 18 décembre 2013.
En ce qui concerne l'intervention chirurgicale du 21 novembre 2014 et le maintien d'une sonde urinaire posée à cette occasion :
10. Il résulte de l'instruction que M. B... a retrouvé des fonctions rénales normales à la suite de la transplantation dont il a bénéficié le 21 novembre 2014, opération qui s'est déroulée dans des conditions conformes aux données acquises de la science médicale. En revanche, il est constant que la sonde urinaire double J qui lui avait été posée à cette occasion ne lui a été enlevée que le 28 mars 2018 à la suite d'une demande de sa part présentée le 17 janvier 2018. Si aucune raison objective ne permet de justifier le maintien de ce matériel de soin durant plus de trois ans, il n'est pas contesté que l'intéressé ne s'est pas présenté à la consultation prévue le 7 janvier 2015 pour procéder à l'enlèvement de la sonde. De plus, il n'est pas établi qu'il aurait interrogé le centre hospitalier universitaire de Nantes, ou de toute autre médecin, avant la réalisation de l'expertise judiciaire, sur la nécessité du maintien de cette sonde. Les experts ont constaté lors de l'examen clinique de l'intéressé qu'il ne présentait, en dépit des douleurs dont il se plaignait, aucun signe d'atteinte du nerf fémoral. Enfin, M. B... n'établit pas que si le maintien de cette sonde faisait obstacle à la réalisation d'une IRM, son état de santé justifiait la réalisation d'un tel examen qui n'aurait pas été pratiqué, alors qu'il est constant qu'il a lui-même refusé de se soumettre au scanner sollicité par les experts judiciaires. Dans ces conditions, en considérant que l'intéressé ne justifiait d'aucun préjudice indemnisable en rapport avec le maintien de la sonde, le tribunal administratif n'a pas fait une inexacte appréciation de sa situation. Il s'ensuit, que M. B... n'est pas fondé à solliciter la condamnation du centre hospitalier universitaire de Nantes à lui verser la somme globale de 11 000 euros en réparation des préjudices qu'il impute au maintien de cette sonde JJ.
Sur l'évaluation des préjudices subis par M. B... à l'occasion des interventions des 15 et 18 décembre 2013 :
11. Il ressort du rapport d'expertise que M. B... a regagné son domicile le 1er janvier 2014 et repris les dialyses nécessitées par sa pathologie en absence de transplantation rénale, sans évènement médical notable à compter de cette date. Compte tenu des séquelles psychologiques dont l'intéressé a été affecté à la suite des interventions des 15 et 18 décembre 2013, et de la crainte qu'il a pu éprouver de se voir contaminer par les cellules cancéreuses du rein qui lui avait été implanté le 15 décembre 2013, puis retiré le 18 décembre suivant, les experts ont estimé que la date de consolidation de son état de santé devait être fixée au 31 décembre 2016. Il ne résulte pas de l'instruction, que l'état de santé de M. B... se serait dégradé depuis cette date, qui doit en conséquence être retenue pour l'appréciation de ses préjudices.
En ce qui concerne l'indemnisation du déficit fonctionnel temporaire :
12. Il est constant que M. B... a été hospitalisé pendant 17 jours du 15 au 31 décembre 2013 pour des interventions chirurgicales qui en définitive n'ont pas eu d'effet bénéfique sur son état de santé. Au contraire, ainsi qu'il a été dit ci-dessus, l'intéressé a conservé des séquelles psychologiques de ces interventions inutiles, lesquelles ont été accrues par le risque de contamination, même réduit, susceptible de résulter de l'implantation dans son organisme durant trois jours d'un rein affecté d'une tumeur cancéreuse. En prenant en considération ces éléments, les experts ont estimé que son déficit fonctionnel temporaire pouvait être évalué à deux mois. Par suite, en condamnant le centre hospitalier universitaire de Nantes à indemniser M. B... à hauteur de 1 000 euros en réparation de ce préjudice, le tribunal administratif n'en a pas fait une inexacte appréciation. Les conclusions présentées par l'intéressé tendant à sa majoration ne peuvent dès lors qu'être rejetées.
En ce qui concerne l'indemnisation des souffrances endurées :
13. Pour les raisons rappelées ci-dessus, les experts judiciaires ont évalué les souffrances physiques et morales endurées par M. B... du fait des deux interventions de décembre 2013 à 3 sur une échelle de 1 à 7. Le tribunal administratif a condamné le centre hospitalier universitaire de Nantes à indemniser l'intéressé à hauteur de 6 000 euros en réparation de ce préjudice. Compte tenu des circonstances dans lesquelles les deux interventions litigieuses se sont déroulées et de leur impact certain sur l'état mental de ce patient, les premiers juges ont fait une juste évaluation de ce préjudice. Par suite, les conclusions présentées par M. B... tendant à la majoration de cette somme ne peuvent qu'être rejetées. Pour les mêmes motifs, les conclusions incidentes du centre hospitalier tendant à la minoration de cette somme doivent être rejetées.
En ce qui concerne le préjudice d'impréparation :
14. Ainsi qu'il a été dit au point 7, la responsabilité du centre hospitalier est engagée à raison d'un défaut d'information délivrée à M. B.... Par suite, ce dernier est fondé à invoquer un préjudice moral distinct des souffrances physiques et morales mentionnées ci-dessus, résultant de son impréparation au risque, qui s'est réalisé, de recevoir un greffon atteint de cellules cancéreuses. Dans les circonstances de l'espèce, ce préjudice doit être évalué à la somme de 2 000 euros, qui sera mise à la charge du centre hospitalier universitaire de Nantes.
En ce qui concerne l'indemnisation du préjudice esthétique :
15. S'il est constant que M. B... a subi une transplantation rénale le 21 novembre 2014 et qu'aucune faute ne se rapporte à cette intervention rendue nécessaire par son état de santé, lors des opérations d'expertises, il a été constaté qu'il présentait deux cicatrices arciformes dans les fosses iliaques de 12 cm, et que celle de droite était un peu plus rouge. L'une de ces cicatrices résultent dès lors nécessairement des interventions litigieuses pratiquées les 15 et 18 décembre 2013. Dans ces conditions, et compte tenu du fait que ces cicatrices restent peu visibles en raison d'une part de leur localisation, et d'autre part de la pilosité de M. B... relevée par les experts, il sera fait une juste appréciation du préjudice esthétique subi par l'intéressé en lui allouant une somme de 500 euros.
16. Il résulte de tout ce qui précède, que M. B... n'est fondé que dans la limite mentionnée aux points 14 et 15 à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif a limité à 7 000 euros la somme que le centre hospitalier universitaire de Nantes a été condamné à lui verser en remboursement de ses préjudices. Il y a également lieu, pour les motifs mentionnés ci-dessus, de rejeter les conclusions d'appel incident présentées par le centre hospitalier, lequel conservera à sa charge les frais d'expertise.
Sur les frais liés au litige :
17. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de M. B..., qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement à l'ONIAM de la somme qu'il demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de mettre à la charge du centre hospitalier universitaire de Nantes le versement à la caisse primaire d'assurance maladie de la Loire-Atlantique de la somme qu'elle demande en remboursement des frais exposés et non compris dans les dépens. En revanche, le centre hospitalier universitaire versera à M. B... une somme de 5 000 euros sur le fondement des mêmes dispositions au regard des mêmes frais qu'il a exposés.
DÉCIDE :
Article 1er : La somme de 7 000 euros que le centre hospitalier universitaire de Nantes a été condamné à verser à M. B... en réparation de ses préjudices est portée à 9 500 euros. Cette somme portera intérêts au taux légal à compter du 17 juin 2019. Les intérêts échus à compter du 17 juin 2020 puis à chaque échéance annuelle ultérieure seront capitalisés pour produire eux-mêmes intérêts.
Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête de M. B... est rejeté.
Article 3 : Les conclusions présentées par le centre hospitalier universitaire de Nantes, la caisse primaire d'assurance maladie et l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales sont rejetées.
Article 4 : Le jugement n° 1906514 du 19 juillet 2023 du tribunal administratif de Nantes est réformé en tant qu'il est contraire à l'article 1er du présent arrêt.
Article 5 : Le centre hospitalier universitaire de Nantes versera à M.B... une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B..., au centre hospitalier universitaire de Nantes, à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux des affections iatrogènes et à la caisse primaire d'assurance maladie de la Loire-Atlantique.
Délibéré après l'audience du 19 septembre 2024, à laquelle siégeaient :
- Mme Brisson, présidente de chambre,
- M. Vergne, président-assesseur,
- Mme Gélard, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 4 octobre 2024.
La rapporteure,
V. GELARDLa présidente,
C. BRISSON
Le greffier,
Y. MARQUIS
La République mande et ordonne à la ministre de la santé et de l'accès aux soins en ce qui la concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 23NT02760